Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, à Europe 1 le 20 septembre 2007, sur la réforme des régimes spéciaux de retraite et le préavis de grève à la SNCF le 17 octobre.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach ...Il est au coeur de l'actualité. X. Bertrand bonjour. Bonjour. La CGT SNCF avec quatre syndicats, mais pas la CFDT, annonce une grève le 17 octobre. Qu'est-ce que la grève retardera ou empêchera ?
 
R.- Ecoutez, ce que j'ai noté, parce que j'ai lu tout ça avec beaucoup d'attention, c'est que ce mouvement ne porte pas d'ailleurs sur la seule question des régimes spéciaux. Il y a d'autres sujets. Moi, en tout cas, je vais vous parler de mobilisation pour dialoguer. Je suis mobilisé pour dialoguer et ma porte est ouverte pour le dialogue. J'ai commencé à le faire hier avec la dirigeante de la SNCF, avec des dirigeants syndicaux de la CFTC. Je continue, je continue pendant ces quinze jours, matin, midi et soir, et les week-ends s'il le faut.
 
Q.- Mais est-ce que la CGT, par exemple, qui déclenche une grève, a boycotté les entretiens ?
 
R.- Pas du tout ! Ils sont aujourd'hui invités, j'attends leur confirmation pour les voir en début de semaine, et d'autres syndicats qui ont donc fait cet appel pour le 17 m'ont bien confirmé qu'ils viendraient pour débattre de ce sujet de la réforme des régimes spéciaux.
 
Q.- Je reprends, X. Bertrand, ma question : qu'est-ce que la grève, si elle a lieu, retardera ou empêchera ?
 
R.- Attendez, la grève c'est un droit, c'est un droit. Moi, mon choix c'est le dialogue et je suis dans cette logique de dialogue et d'ouverture. Je peux vous dire, ce matin, ce que j'ai dit, hier, à mes interlocuteurs, dans mon bureau, au ministère du Travail. Je sais bien qu'il y a des inquiétudes sur ce sujet de la réforme des régimes spéciaux, et je les comprends. Je sens bien et je comprends ces inquiétudes. Mais, je veux dire ce matin aux agents des régimes spéciaux, cette réforme il est nécessaire de la faire mais j'ai envie de la faire avec vous et je veux la réussir avec vous cette réforme. Pourquoi il est nécessaire de la faire, J.- P. Elkabbach, cette réforme des régimes spéciaux ? La première des choses, c'est que l'an prochain, le rendez-vous des retraites de 2008 va nous amener à passer, certainement, à 41 ans de cotisations après 2012. Vous ne pouvez pas dire aux Français : « il faudra travailler 41 ans » alors que d'autres seront toujours à 37,5 années. Ce n'est pas pensable ! Maintenant, il y a un autre sujet qui concerne directement les agents des régimes spéciaux : sans cette réforme des régimes spéciaux personne, personne ne peut leur garantir qu'on saura leur payer de bonnes retraites dans dix ans ou dans quinze ans. Alors, que si on met en place cette réforme maintenant, on n'aura plus besoin d'y revenir.
 
Q.- Mais, est-ce que vous n'allez pas agir trop brutalement en leur disant : c'est 37,5 à 40 le plus vite possible ?
 
R.- Il n'y aura pas de passage en force, il y aura dialogue. Ca ne sera pas...
 
Q.-... sur ce point aussi ?
 
R.-... ça ne sera pas une réforme couperet, ça ne sera pas une réforme guillotine, ça sera une réforme progressive. Je vais vous dire pourquoi.
 
Q.- De 37,4 à 40, par étape ?
 
R.- On ne passera pas de 37,5 ans à 40 ans du jour au lendemain, et je vais vous dire pourquoi. On ne l'a pas fait les fois précédentes pour les autres régimes. Pourquoi on le ferait spécifiquement pour les régimes spéciaux ? C'est aussi une question de respect, c'est aussi une question de considération. Ces agents des entreprises concernées, ils exercent aussi une mission de service public. Il faut aussi tenir compte des spécificités de ces métiers.
 
Q.- D'accord, mais ça c'est ce que vous allez faire, mais eux préfèrent qu'il n'y ait pas cette réforme.
 
R.- Non, je crois qu'ils sentent bien que cette réforme est inévitable parce que les Français veulent que l'on soit sur un pied d'égalité, notamment par rapport à la durée de cotisations. Chacun le comprend. Mais ils comprennent bien aussi, ils sentent bien qu'il y a un déséquilibre démographique : il y a de plus en plus de retraités, y compris dans ces régimes, et de moins en moins de cotisants. Les mêmes règles s'appliquent pour tout le monde, et que s'ils veulent avoir des garanties sur l'avenir, il faut que cette réforme se fasse mais ils veulent être sûrs que cette réforme n'est pas toute ficelée. Elle n'est pas tout ficelée.
 
Q.- Elle n'était pas préparée, enrubannée, dans votre bureau ?
 
R.- Je leur ai montré, elle n'est pas dans les tiroirs de mon bureau, elle n'est pas non plus dans ma tête parce que je cherche les bonnes solutions.
 
Q.- Est-ce que vous avez le sentiment que les mentalités changent ? Vous recevez les syndicats, est-ce que vous n'avez pas peur, vous, du spectre de la paralysie du pays comme en 95 ?
 
R.- La société française de 2007 n'a rien à voir avec la société de 95. On le voit d'ailleurs aujourd'hui, chacun accepte de venir débattre avec moi, de venir dialoguer de ce sujet, et l'on sent bien même chez les agents des entreprises concernées qu'il y a d'ailleurs besoin de garantir l'avenir.
 
Q.- Alors, est-ce qu'on peut parler du calendrier qui est prévu pour la réforme des régimes spéciaux de retraite qui paraît encore confus.
 
R.- Bien sûr !
 
Q.- Est-ce que tout doit être bouclé, X. Bertrand, dans quinze jours - bouclé c'est-à-dire achevé - ou au bout de quinze jours, une fois harmonisé ce qui est commun, s'ouvre plusieurs mois de concertation ?
 
R.- Dans quinze jours, c'est la fin de la première étape de la concertation. J'ai dit, hier, aux premiers interlocuteurs : « c'est la première fois que je vous vous voit sur ce sujet, ce n'est pas la dernière fois que je vous vois sur ce sujet ».
 
Q.- Quinze jours ou quinze jours, trois semaines ?
 
R.- Attendez, quinze jours, seize jours, là n'est pas l'enjeu. Mais au bout de quinze jours, ça me permettra déjà d'y voir clair sur les positions et sur les propositions de chacun - dirigeants d'entreprise, responsables syndicaux - et je vais voir aussi les parlementaires parce que je crois qu'il est très bon en amont qu'on puisse s'approprier ce sujet. Surtout, que j'ai entendu aussi sur vos ondes des responsables politiques faire preuve d'évolution. J'ai entendu des responsables du Parti socialiste dire que le sujet n'était pas tabou, qu'il fallait avancer sur cette question.
 
Q.- Qu'il fallait négocier, comme dit F. Hollande, négocier.
 
R.- Qu'il faut négocier, il y aura d'ailleurs des discussions à mon niveau au niveau gouvernemental, il y aura aussi des discussions dans les entreprises, entreprise par entreprise, sur un certain nombre de modalités parce que réformer les régimes spéciaux c'est mettre aussi un terme à des mesures qui n'ont aujourd'hui plus de sens. Un cheminot, par exemple, un roulant, il est obligé de partir à 50 ans ; même s'il a envie de continuer, il ne peut pas le faire ; même s'il a besoin de continuer, il ne peut pas le faire. Un exemple : je connais quelqu'un qui a 48 ans, deux enfants qui vont aller en fac. Il sait pertinemment que s'il doit partir à la retraite, il aura moins de revenus. Comment il fait ? Eh bien, lui, il aimerait bien pouvoir continuer. Ça serait bien de pouvoir mettre ça dans la balance.
 
Q.- On sent que vous portez avec passion ces réformes des retraites, les régimes spéciaux, etc. Vous laissez parler quand même les syndicats quand ils viennent dans votre bureau ? Mais, vous allez vous attaquer aux statuts et respecter les statuts spécifiques de chaque métier, et est-ce que vous ferez un calendrier par sujet, sujet par sujet ?
 
R.- Oui.
 
Q.- Est-ce que c'est possible ?
 
R.- Oui, mais il y a, bien évidemment, la nécessité de discuter après dans l'entreprise. Si l'on parle notamment des conditions de départ couperet qui existent aujourd'hui dans les entreprises, si vous voulez les faire bouger, permettre notamment à un roulant de travailler après 50 ans, c'est bien évidemment au sein de la SNCF qu'on en parle, ce n'est pas le même sujet qui va intéresser les gaziers, notamment chez GDF. Donc, je crois aussi à cette logique, et c'est dans les entreprises aussi que l'on va en parler.
 
Q.- Donc, après la première phase de 15-20 jours, il y aura une deuxième, plusieurs mois.
 
R.- Je vais soumettre des propositions.
 
Q.- Vous avez dit trois mois et demi, c'est ça ?
 
R.- Trois mois et demi.
 
Q.- Trois mois et demi, c'est-à-dire à la fin de l'année.
 
R.- Ca laisse du temps trois mois et demi.
 
Q.- C'est-à-dire cent jours, la réforme en cent jours. Et est-ce que vous pensez, X. Bertrand, que dans les cents jours, vous pensez pouvoir obtenir l'harmonisation et la convergence de tous les régimes de retraite ?
 
R.- La convergence vers le régime de la fonction publique, parce que je pense que la logique c'est que les régimes spéciaux puissent évoluer vers le régime de la fonction publique, ce qui permettra, justement, en ayant fait ce travail, que les choses seront apaisées parce que nous allons pouvoir passer, par exemple, de 40 ans à 41 ans, comme tout le monde, après 2012, mais ce qui veut dire que cela va donner aussi des garanties aux agents concernés. Je crois que c'est très important de le préciser.
 
Q.- Tout à l'heure, je lisais que J. Voisin, de la CFTC, est sorti de chez vous, hier après-midi, plutôt satisfait d'avoir obtenu un délai supplémentaire. Alors est-ce que X. Bertrand est moins pressé et plus souple que le président de la République ?
 
R.- Nous sommes exactement dans la même logique d'action. Il a précisé l'autre jour que j'étais en charge de ce dossier, mais vous êtes aujourd'hui avec un ministre du Travail qui est exactement dans la ligne de ce que nous avons dit aussi, je tiens à le préciser, dans la campagne, parce que ce sujet n'est pas nouveau, il est dans la vie publique française depuis plus d'une vingtaine d'années, mais N. Sarkozy en a parlé, il a tout dit auparavant. Nous mettons en place cette réforme mais c'est important de le préciser, il ne s'agit pas de réformer pour réformer, il s'agit à la fois, je le répète, d'être sur ce pied d'égalité entre tous les Français et aussi d'apporter des garanties aux agents concernés.
 
Q.- Un jour, le président de la République promet aux fonctionnaires une "révolution culturelle" de cinq ans, un autre jour il promet un "nouveau contrat social". Les syndicats, même s'ils sont prévenus, on peut comprendre qu'ils soient assommés, presque sous le choc. Je ne sais pas si vous le comprenez ? On a l'impression que vous les couvrez de lait et de miel, de douceurs, pour faire passer l'amertume des réformes. Et vous ne craignez pas de risques sociaux ?
 
R.- Non, je ne suis pas dans le registre culinaire, ce matin, pour ne rien vous cacher. Je crois aujourd'hui qu'il y a un besoin de réforme. Les Français attendent des réformes. N. Sarkozy l'a compris pendant la campagne. Nous ne sommes pas devenus amnésiques avec l'élection. Nous mettons tout en oeuvre mais nous préférons le faire avec les partenaires sociaux et tous les acteurs, plutôt que de le faire tout seuls, et c'est en définitif cette main tendue qui est symbolisée par l'ensemble des discours du président de la République.
 
Q.- Vous êtes concerné également par les grands débats que le président de la République veut organiser sur l'avenir de la protection sociale. Vous en appelez à plus de place pour la responsabilité individuelle et à une couverture complémentaire de l'Assurance maladie. Sur le principe, qu'est-ce qui relève de l'une, qu'est-ce qui relève de l'autre ? Et est-ce qu'on n'aboutit pas à se dire, finalement : tant pis pour ceux qui n'auront pas les moyens de se soigner ?
 
R.- Certainement pas ! C'est si nous ne menions pas les réformes que notre système social se déliterait, s'effilocherait et à terme disparaîtrait. Mener les réformes c'est avoir le courage de dire la vérité, de dire les choses, et de faire les choses. Sur la dépendance, par exemple, ce que nous voulons faire c'est avoir une solidarité renforcée. Je suis chargé par le président de la République de mettre en place le 5ème risque de la Sécurité Sociale pour la dépendance, pour le vieillissement. Nous sommes effectivement à la veille de la Journée Alzheimer...
 
Q.-... qui le paierait ? Est-ce que vous ne laissez pas une trop grande place au privé pour le 5ème ?
 
R.- Non, justement, le contraire. Attendez, si on voulait laisser la place au privé, on ne mettrait pas en place le 5ème risque de la Sécurité Sociale. Je suis chargé de mettre cela en place pour le premier semestre 2008, c'est donc pour renforcer la solidarité. A côté, disons les choses en face, il y a aujourd'hui de l'assurance privée, eh bien on préfère justement qu'il y ait des avantages et des avantages fiscaux pour ces personnes plutôt que de les laisser se débrouiller toutes seules. L'assurance privée pour faire en plus, certainement pas à la place de la solidarité.
 
Q.- X. Bertrand, les réformes ont peut-être un prix. Quelles compensations vous offrez pour l'évolution et peut-être la disparition un jour de régimes de retraite spéciaux ?
 
R.-  Qu'est-ce que vous appelez compensations ?
 
Q.- Des contreparties.
 
R.- Attendez, la discussion qui va s'ouvrir, notamment des points qui sont des points importants pour les agents, le fait de ne plus avoir ces retraites couperets, le fait aussi de tenir compte d'un facteur, quand ils n'ont pas fait quinze ans dans un régime, ils n'ont droit à aucune des garanties sur ce régime, ça se discute. Les problèmes de rachat de trimestres n'existent pas dans ces régimes spéciaux. Donc, il faut les faire converger vers la fonction publique. C'est un des points importants et c'est justement ce que je veux faire.
 
Q.- F. Fillon se met à parler à sa majorité comme Churchill : « Je vous propose » a-t-il dit, hier, « des séances de nuit, de la sueur », il n'a pas ajouté des larmes ?
 
R.- Non, mais il y a du travail, il y a du travail, il y a beaucoup de travail parce que vous savez, il y a eu ce miracle démocratique en 2007 : deux fois moins d'abstentionnistes, deux fois moins d'extrémistes.
 
Q.- Vous voulez dire qu'ils attendent que vous réformiez ?
 
R.- Ils attendent, et ils attendent surtout que la politique soit dans une obligation de résultat maintenant.
 
Q.- X. Bertrand, vous êtes en charge des grands dossiers sociaux sous l'autorité de l'Elysée. Le président de la République parle ce soir à la télévision. Et le Premier ministre, F. Fillon ?
 
R.- Il a parlé, hier, notamment aux parlementaires. Nous avons eu hier une réunion de travail. Vous savez, nous travaillons à la fois sous l'impulsion et l'autorité du Président et du Premier ministre.
 
Q.- Mais il paraît qu'il souffre le martyre et qu'il a besoin de réconfort.
 
R.- Alors, je vais vous dire une chose : entre ce que je lis et ce que je vis, il y a une sacrée différence.
 
Q.- Quand vous êtes allé hier à Matignon, par exemple, c'était à la demande de N. Sarkozy ?
 
R.- J'étais invité par le Premier ministre, c'était le cocktail avec l'ensemble des parlementaires et puis le message de rentrée du Premier ministre.
 
Q.- Mais, on ne vous demande pas de le chouchouter, de le soigner ?
 
R.- Je vous dis, entre ce que je lis et ce que j'entends, et ce que lis, quelle différence !
 
Q.- On additionne les dépenses, et c'est peut-être ma dernière question, personne n'explique où trouver les recettes. La dette 2007 vient encore de s'alourdir de huit milliards en 2006 à cause de la SNCF. Est-ce qu'il y a une solution ou est-ce qu'on se dit, « bon, la dette, on s'en fout ».
 
R.- Les réformes, le fait de pouvoir moderniser notre pays, de moderniser la protection sociale c'est essentiel. Il n'y a que comme cela que l'on rassurera. Les Français, j'en suis persuadé, sont prêts à faire des efforts, il faut que ces efforts soient justes. La justice sociale c'est au coeur de notre action.
 
Q.- Vous maintenez cette idée que confirmera peut-être la commission J. Attali : les réformes c'est bon pour la croissance ou c'est une illusion de plus ?
 
R.- Non, c'est bon pour la croissance. C'est ce que je vous disais tout à l'heure, il ne s'agit pas de mener des réformes pour des réformes, elles ont du sens. Ça permet notamment d'aller chercher ce point de croissance qui nous manque aujourd'hui. Un point de croissance en plus c'est du pouvoir d'achat en plus, c'est effectivement du chômage en moins. Voilà pourquoi on se bat pour aller chercher cette croissance et on n'attend pas que les choses se passent, on n'attend pas que les choses se fassent, on veut que les réformes se fassent.
 
Q.- A chacun son pari ! Mais il y a tant de dossiers sociaux, il est évident, X. Bertrand, que vous reviendrez. Bonne journée.
 
R.- Merci à vous.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 20 septembre 2007