Déclaration de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, sur la préparation de l'an 2000, l'ouverture du capital d'Air France, la sécurité routière et l'euro, Paris le 14 janvier 1999.

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Mesdames, messieurs,
Je suis heureux de vous recevoir ici, en cet hôtel de Roquelaure, qui s'apprête comme vous tous, à franchir l'an prochain, le cap de l'an 2000. Je ne dis pas cela pour m'inscrire dans la durée, puisque vous savez que cet hôtel a été construit au 18ème siècle et que la beauté de ce patrimoine nous survivra longtemps. Mais peut-être ce rappel de l'histoire, de longue durée, nous apprend-il, en même temps la modestie qui n'efface ni la responsabilité, ni la détermination.
En réalité, je veux vous souhaiter, pour vous et vos familles, pour votre profession, une bonne et heureuse année.
La première chose qui me tient à cur, et que je veux vous dire simplement est la suivante :
Je veux saluer le travail que nous accomplissons ensemble, vous qui êtes les correspondants réguliers de ce ministère, vous qui connaissez bien les domaines d'activités, les dossiers qui sont les siens.
C'est à mon avis cette démarche, respectueuse des fonctions de chacun et d'abord de l'indépendance et de la liberté de jugement qui est indispensable.
Je crois, tout au contraire, et c'est une conviction profonde que pour gagner en aptitude citoyenne, dans toute la société, la presse, les journalistes peuvent être les aiguillons démocratiques en même temps que des informateurs qui diffusent de la connaissance, de l'intelligence du réel. Non pour gommer les contradictions (voire les conflits d'opinion qui peuvent exister) mais quelque fois, pour les mettre à jour et en débat chez les citoyens, lecteurs, auditeurs, ou encore public des journaux télévisés.
Sachez, enfin, que ce ministère continuera à s'efforcer d'être disponible, en vue de faciliter votre travail quotidien.
L'an dernier je vous disais ma volonté de poursuivre, comme le gouvernement s'y était engagé, les réformes que souhaitent une grande majorité de nos concitoyens.
Qu'il s'agisse du logement, des transports, de l'équipement, je sais le chemin qu'il reste à parcourir. Je n'ignore pas les obstacles. Mais je crois que je peux dire, aussi, que je sais ce que nous avons engagé.
Dans une certaine mesure, nous venons de franchir, en quelque sorte, un cap. Pas encore celui de l'an 2.000, mais en ces 19 mois, nous avons franchi le cap des discours, des intentions fussent-elles bonnes, pour passer aux actes, aux premiers infléchissements. Et je vais y revenir. Mais permettez-moi de vous dire, juste un mot de ce franchissement de l'An 2000 dont nous allons, dont vous allez toutes et tous, entendre parler.
J'ai trois préoccupations.
La première c'est que sans tarder, on déploie sans attendre des trésors d'initiatives pour que la France, et Paris soient à cette occasion une destination privilégiée pour les citoyens du monde entier. Nous avons les capacités de rendre notre pays encore plus attractif, plus sympathique que d'habitude. Nous sommes du point de vue touristique, déjà, en tête. Nous pouvons faire de l'An 2000 à Paris et en France un immense enjeu, un pari, et le réussir. Nous travaillons et notamment avec Michelle Demessine à ce passage à l'An 2000, qui pour chacun de nous restera unique. Nous ne vivrons pas deux fois ce type d'événement.
Ma deuxième préoccupation est la solidarité. Catherine Trautmann, avec la mission pour la célébration de l'An 2000, va faire des propositions au nom du gouvernement. Je voudrais en tout cas pour cette nuit exceptionnelle de la Saint-Sylvestre, que personne, je dis bien personne ne reste au bord du chemin des réjouissances. Que ce soir-là, chaque femme, chaque homme, chaque jeune ne soit pas seul, ait un toit et ressente ce que ce beau mot de fraternité veut dire.
Enfin vous l'avez peut-être entendu déjà, lors des festivités des 31 décembre et 1er janvier 2000, dans un souci d'égalité d'accès aux transports et à la sécurité, tous les transports publics seront gratuits et assurés en continuité, sur l'ensemble du territoire national.
Bien entendu nous n'atteindrons pas cette date un peu mythique de l'An 2000, en mettant les compteurs de l'actualité à zéro. Bien des problèmes continueront à se poser à nous.
Je voudrais maintenant dire quelques mots sur ce qui bouge, ou ce qui a commencé à bouger. A mon avis de manière positive et qui n'était pas gagné d'avance.
Car, si je suis bien conscient des obstacles qui demeurent je m'en voudrais de ne pas souligner le chemin parcouru pour ce qui nous concerne.
Hier, Le Monde, a publié une longue interview du Président Louis Gallois concernant la SNCF.
Le rail n'est plus du tout dans la spirale du déclin qu'on lui avait souvent prédit ! Pour 1998 on assiste à une quasi-stabilisation des effectifs en intégrant les emplois jeunes et avec les discussions sur les 35 heures on peut même dire que l'on peut inverser sensiblement la tendance à la diminution massive des emplois à la SNCF qui était devenu la règle depuis 15 ans. L'entreprise publique s'inscrit désormais dans une ambition de développement.
La politique inter-modale et de complémentarité avec la route, l'allégement des charges de la dette sur la SNCF, la levée progressive des obstacles - matériels et autres - qui entravent son essor, ouvrent des perspectives d'accroissement du trafic et même de rééquilibrage des parts respectives du ferroviaire et du routier. Le Président Gallois a eu raison de le souligner, comme il a eu raison d'en appeler à un autre âge des relations sociales privilégiant de part et d'autre le dialogue.
Et je tire un peu la même réflexion de notre expérience avec une autre grande entreprise publique comme Air-France.
Celles et ceux qui ne voyaient aucun salut pour la compagnie nationale, hors la privatisation, étaient nombreux et ils se recrutaient un peu au-delà des cercles ordinaires du libéralisme. C'était un peu la mode.
Certes les adaptations ont été nécessaires et elles ont "décoiffé" à leur tour quelques dogmes des cercles obligés du tout Etat, de l'étatisme.
Et bien l'ouverture du capital va se faire dans les prochains, et dans de bonnes conditions, l'échange salaire/actions pour les pilotes se présente sous les meilleurs augures, et l'entreprise publique peut non seulement résister, mais se développer et dans ses alliances et en effectifs.
L'effort que nous avons fait pour que le dialogue social l'emporte sur l'affrontement fait là aussi la preuve de son efficacité !
Permettez-moi d'ailleurs de constater que certains d'entre vous m'avaient adressé quelques reproches, quant à mon souci de refuser de transformer les pilotes en bouc-émissaires lors du conflit de juin. Le respect que je porte à mes interlocuteurs, même et surtout en période de conflit, était passé pour de la mollesse. J'ai la faiblesse de penser que le résultat d'aujourd'hui est à lire à l'aune de la méthode utilisée au mois de juin.
Je donne ces deux exemples sans oublier que tout cela n'avance pas sans débat, sans contradiction, sans conflit, mais avec le souci de mettre en cause toute idée de fatalité.
En 1999, alors que les perspectives en matière d'emplois y seront totalement inversées, nos entreprises publiques de transport auront à négocier le passage aux 35 heures. Je ne doute pas qu'elle sachent être là aussi, créatrices de progrès et d'efficacité. Air-France, le premier Ministre l'a évoquée hier, en apporte la preuve.
Vous comprendrez qu'un grand ministère comme le nôtre ne peut être que valorisé, y compris dans ses propres missions de service public lorsque de grandes entreprises publiques dont il a la tutelle, réussissent, marquent des points dans l'opinion, comme ce fut le cas lorsque la SNCF et la RATP ont contribué remarquablement au succès de la coupe du monde de football, et j'ajoute lorsque l'efficacité économique et sociale se conjuguent ainsi harmonieusement.
Dans le domaine du logement, sujet ô combien sensible pour la vie quotidienne de nos concitoyens et pour la cohésion de notre société, nous avons mis sur les rails avec Louis Besson une politique ambitieuse et de fond qui touche à toutes les dimensions de la politique du logement.
D'abord, l'année 1998 a été marquée par l'adoption de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, avec un volet "logement" substantiel.
L'année 1998 a été aussi celle du rétablissement du dialogue et de la confiance avec les partenaires sociaux gestionnaires du 1 %. Leur rôle dans le financement du logement social est conforté, de nouveaux champs d'action au 1 % sont ouverts et les moyens de l'accession sociale à la propriété chère au cur de bien des Français, sont désormais durablement consolidés.
Toutes ces mesures ont contribué à ce que l'année 1998 soit celle d'une forte croissance de l'activité du bâtiment et d'une reprise de l'emploi après des années de régression. Avec des prévisions encore plus favorables pour 1999.
Beaucoup a été fait mais, en matière de logement comme dans les autres champs du ministère, le travail ne manquera pas pour 1999. Mon premier souci, que je partage avec Louis Besson, est que la construction de logements sociaux redémarre à hauteur des moyens que nous avons mobilisés pour elle et à hauteur des besoins de nos concitoyens.
Notre seconde ambition est de contribuer au renouveau urbain dans nos villes. La réhabilitation du parc social a été relancée. Il faut aller désormais plus loin, engager une politique ambitieuse et de long terme qui remette en cause certains héritages d'une époque où l'on a construit vite et pas cher, en fabriquant du sous-urbanisme pour des habitants traités ainsi en sous-citoyens.
En 1999 et dès les prochaines semaines, je lancerai un grand débat sur la ville, dans les champs de compétences du ministère et à travers les entrées suivantes : transport, urbanisme et logement. Ce débat associera le plus grand nombre d'acteurs possible. Il devra contribuer à éclairer les décisions à prendre sur l'évolution des politiques dont nous avons la responsabilité et sur les réformes à apporter aux outils financiers et juridiques dont nous disposons.
Pour poursuivre, à propos des lourdes tâches qui nous attendent en 1999, vous savez que l'élaboration des schémas de services transport et la négociation des contrats de plan Etat-Régions seront l'un des temps forts de cette année.
Le double exercice de planification à 20 ans et de programmation sur 7 ans porte, à la veille de l'entrée dans le 21ème siècle, des enjeux essentiels.
Réussir cet exercice est, pour ce ministère, un défi mobilisateur. Les attentes à notre égard sont très fortes, aussi bien de la part des élus, des autres administrations que de l'opinion publique.
Vous connaissez mes orientations : rééquilibrage entre les différents modes de transport, effort sur l'exploitation des infrastructures existantes, ce qui n'est pas contradictoire avec la réalisation de nouvelles infrastructures ferrées et routières avec l'attention portée aux problèmes urbains.
Vous le savez, les compétences de ce ministère sont vastes et il arrive qu'on s'y perde un peu... du bord des lacs à la météo en passant par Airbus... Bref, je ne vais pas vous parler de tout mais je voudrais dire quelques mots sur la sécurité routière et l'Europe.
S'agissant de la sécurité routière, je sais que l'on m'a beaucoup entendu ces jours-ci, Madame Isabelle Massin, moi-même, mais vous comprendrez que j'insiste. D'autant plus que les médias peuvent jouer un rôle encore plus important, si toutefois nous réussissons à convaincre de nos objectifs et aussi de nos moyens.
On a mis l'accent sur les PV impayés, les passe-droits. La question méritait d'être posée et j'y ai répondu. Là encore je suis pour l'égalité, la non discrimination, en un mot, pour que les sanctions soient appliquées. Mais personne de sérieux ne peut croire que les 8.300 morts sur nos routes, cette triste exception française, trouvent là son explication miraculeuse.
Les jeunes gens qui se sont tués ces derniers jours n'étaient pas assurés d'une quelconque impunité si toutefois un radar les avait sanctionnés !!!
En ce domaine pas plus qu'en un autre, je n'ai pas l'intention de renoncer à mes convictions profondes. Je préfère convaincre que contraindre là encore.
Il est indispensable de contrôler et de sanctionner les comportements inciviques et dangereux sur les routes, mais il est aussi essentiel de travailler en profondeur pour modifier ces mêmes comportements par des actions de prévention et d'éducation. Je compte beaucoup sur les jeunes dans ce travail car je crois que c'est à travers eux que naîtra une génération de conducteurs plus responsables. Quand nous avons désigné Isabelle Massin, directrice déléguée à la Sécurité et Circulation Routière, le premier Ministre a évoqué le fait que ce soit une femme qui prenne ces responsabilités. Les femmes ont une conduite plus apaisée. Peut-être même que le comportement des conductrices ouvre la voie à ce que pourrait être une conduite apaisée, plus civilisée, moins agressive.
Pour réfléchir ensemble à la façon dont nous pouvons faire évoluer la situation j'ai convié, avec Marie-George Buffet, ministre de la Jeunesse et des Sports et Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'Enseignement Scolaire, des associations de jeunes à participer à une table ronde le lundi 18 janvier 1999.
Encore un mot sur l'Europe, réduite ces temps-ci, à l'irruption de l'Euro qui comme chacun de vous le sait vaut 6,56 F, mais qui à lui seul, ne peut suffire à nourrir le grand destin dont vous parliez.
Vous n'attendez pas de moi une admiration aveugle devant la monnaie unique. Je suis de ceux qui agissent pour donner un contenu résolument offensif à la construction européenne, favorisant la dimension sociale, l'efficacité économique, les avancées démocratiques et une mondialisation humaine multipolaire sans ergonomie.
Je suis de ceux qui pensent que l'Europe ne s'occupe pas assez de ce qui la regarde et trop de ce qui ne la regarde pas. Et je sais assez ce qu'il en coûte de faire avancer l'harmonisation sociale dans le transport routier, (1996-1997 : 2 grands conflits, 1998 : 12 accords collectifs signés) de s'opposer à la libéralisation du chemin de fer, ou encore d'obtenir que ce soient les droits des pays d'accueil qui s'appliquent pour le cabotage maritime.
Mais j'ai de la mémoire, et "l'argent de mes cheveux" comme aurait dit Aragon. Je me souviens que longtemps, longtemps on a justifié l'impossibilité de toute audace salariale, ou sociale par ses effets catastrophiques sur les marchés !
La fuite des capitaux était l'enfer promis à tout pays qui lâcherait sur le social. Voilà qu'aujourd'hui à l'intérieur d'une zone, nommée par certains "Euroland", une des plus puissantes de la planète, cette peur n'a plus de sens puisqu'il n'y a plus qu'un marché financier. Alors je me dis, "plus d'excuse ou de prétexte" Il est possible de sortir de la seule logique financière, de la mise en concurrence des peuples et des salariés, des délocalisations fondées sur le dumping économique social et fiscal, de la négation des services publics. Je me dis, nous pouvons réussir à ouvrir, en grand, le chantier de l'harmonisation sociale par le haut, et celui des grands travaux européens que favoriseraient des emprunts européens à taux réduits, aux remboursement étalés dans la durée comme l'a suggéré le Premier ministre.
Voilà donc quelques grands axes qui vont structurer notre travail de cette année : 35 heures, contrats de plan et schémas de service, l'évolution de nos villes et des territoires.
Mais il nous faudra aussi durant ce premier trimestre faire franchir une première étape à la réforme des routes et des autoroutes. Et puis l'actualité ou des décisions plus ponctuelles viendront jalonner le parcours. Ainsi dès ce mois de janvier, par exemple, nous prendrons les décisions sur l'A86 Ouest, sur le plan de financement du TGV-Est, pour ne citer que ces deux exemples.
Mesdames et messieurs, vous le voyez les tâches sont immenses, nos ambitions, fortes, et les attentes des français légitimes. Je ne peux que vous dire notre volonté de poursuivre notre action afin que ce gouvernement, singulier dans notre histoire contemporaine, ce gouvernement de cette gauche plurielle réussisse la transformation de notre pays, la construction d'une Europe progressiste ouverte au monde.
Et pour terminer je peux vous assurer pour vous-même et tous vos proches de tous mes voeux.
Bonne année à chacune et à chacun.
(Source http://www.equipement.gouv.fr le 16 mars 1999)