Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, sur les ambitions gouvernementales en matière de politique de l'emploi : plus de travail, une meilleure rémunération, une plus grande mobilité, réforme du service public de l'emploi (fusion programmée de l'ANPE et de l'Unédic, évaluation des contrats aidés, Paris le 24 septembre 2007.

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Circonstance : Réunion des services déconcentrés du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle à Paris le 24 septembre 2007

Texte intégral

Messieurs les ministres,
Cher Xavier (Bertrand),
Cher Brice (Hortefeux),
Mesdames et Messieurs les directeurs,

Je suis heureuse de me trouver parmi vous aujourd'hui. Comme vous êtes à la tête services déconcentrés du travail et de l'emploi, vous devez vous sentir étrangement partagés entre Xavier Bertrand et moi-même, comme dans ce roman d'Italo Calvino, Le Vicomte pourfendu, où un personnage est coupé en deux par un boulet de canon...
Ce que je veux vous dire, c'est que la suture, le trait d'union entre nous deux, c'est vous. C'est vous qui, dans vos réunions, vos contacts, vos expériences quotidiennes, connaissez le plus intimement les liens entre travail et emploi. C'est vous qui exprimez le mieux, sur notre territoire, la synthèse de toutes les politiques que nous menons.
J'aimerais vous convaincre que le nouveau périmètre du ministère de l'Économie correspond véritablement à une nouvelle logique. Nous n'attendons plus passivement de l'économie qu'elle génère de l'emploi. Nous sommes convaincus que l'emploi lui-même est un facteur de production et de compétitivité, en un mot, un facteur de croissance. Voilà pourquoi il est la priorité du Président de la République et du gouvernement tout entier.
Cette proximité entre économie et emploi, la plupart d'entre vous ont déjà pu la sentir sur le terrain, à l'occasion des rapprochements opérés entre le pôle « emploi et insertion professionnelle », et le pôle « développement économique et gestion publique » sous l'égide de nos préfets. Je suis persuadée que ces remaniements administratifs expriment un vrai changement de mentalité.
Tous ensemble, nous permettrons à nos concitoyens de retrouver confiance dans le marché du travail.
L'emploi, c'est la priorité absolue dans notre pays, comme le Président l'a réaffirmé encore récemment. Certes, l'emploi va mieux : le chômage a reculé sensiblement depuis deux ans et demi, tandis que les créations d'emploi devraient dépasser cette année le seuil des 200 000.
Mais avec près de deux millions d'inscrits à l'ANPE, beaucoup de chemin reste à faire, surtout pour les jeunes et les seniors. Notre objectif est clair : 5 % de chômage et 70 % de taux d'emploi d'ici 2012.
Pour l'atteindre, je conformerai mon action à trois grands principes. Ces principes, le Président de la République les a réaffirmés mardi dernier quand il a annoncé un « nouveau contrat social ». Ces principes, j'entends les mettre en oeuvre avec vous.

(I) Le premier principe, c'est de « remettre le travail et l'emploi au coeur de nos politiques sociales ».
Je déclinerai ce principe en deux volets : (1) augmenter la rémunération des salariés, et (2) augmenter le taux d'emploi.
(1) Pour augmenter la rémunération des salariés, la loi TEPA, votée cet été par le Parlement, doit permettre à chacun de travailler plus pour gagner plus. La mesure sur les heures supplémentaires entrera en vigueur dès le 1er octobre.
Par ailleurs, nous allons engager avec Xavier Bertrand, le 23 octobre prochain, une conférence tripartite consacrée à la réforme du mode de fixation du Smic et à la revalorisation de la politique salariale.
Cette conférence permettra de mandater trois groupes de travail : le premier réfléchira à la question des salaires, c'est-à-dire à la fois au mode de fixation du Smic, à la relance des négociations paritaires de branche sur les salaires, au développement des modes de rémunérations non salariale, et aux éventuels allègements de charges pour les entreprises. Le second préparera la réforme de l'intéressement au retour à l'emploi. Il s'appuiera sur l'évaluation des dispositifs mis en oeuvre depuis plusieurs années et sur l'expérimentation récente du RSA. Enfin, le troisième groupe de travail sera consacré à la préparation du volet économique et social de la présidence française de l'Union européenne.
2. Pour augmenter le taux d'emploi, nous devons accompagner l'émergence de nouveaux métiers, qui fourniront les emplois de demain. On pense souvent, en entendant cette expression de « nouveaux métiers », à la haute technologie ou aux start-ups. Pourtant, il y en a d'autres, plus discrets mais tout aussi prometteurs. Je pense en particulier aux Services à la personne, qui sont en train de se développer et de se professionnaliser. Selon une récente étude du CAS et de la DARES, ils seront, avec l'informatique, le secteur le plus créateur d'emplois dans les dix prochaines années. Ils peuvent conduire à la création de pôles de qualité de service dans vos départements. Vous avez déjà fait la preuve de votre engagement en faveur des organismes Agréés de services à la Personne (OACP). Je veux vous en remercier.
Je continuerai pour ma part à soutenir le développement des services à la personne. Aussi ai-je lancé aux côtés de Laurent Hénart, président de l'ANSP, une nouvelle campagne de presse le 4 septembre dernier, pour donner encore plus envie aux Français d'y recourir. De plus, j'envisage de donner une suite au plan de développement des services à la personne 2005-2008. Je vous rappelle que, dans ce cadre, nous avons accordés en 2007 un crédit d'impôt pour les ménages biactifs, qui permet à tous ceux qui travaillent de bénéficier à plein des aides fiscales aux services à la personne.
Nous sommes sur la bonne voie pour parvenir d'ici 2010 aux 500 000 emplois attendus en matière de services à la personne. Je reste bien sûr à l'écoute de toutes les suggestions que pourriez me faire en matière de simplification et de suppression d'effet de seuil.
Plus de travail, et un travail mieux récompensé : c'est notre priorité et nous y consacrerons tous nos efforts. Mais nous ne devons pas oublier que la nature même du travail salarié est en train de se modifier profondément. Notre rôle est d'accompagner cette transformation et de lui permettre de se dérouler dans les meilleures conditions.


(II) Le deuxième principe, c'est donc « la conciliation de la mobilité et de la sécurité pour les salariés comme pour les entreprises. »
Nous entrons dans un monde où les carrières se ramifient, où les trajectoires personnelles se complexifient, où les destins ne se résument plus à un seul métier. Pour les salariés, c'est à la fois enthousiasmant et inquiétant. Nous devons donc faciliter leur mobilité tout en leur assurant une véritable sécurité à long terme. Ce sont moins les emplois qu'il faut protéger aujourd'hui, que les salariés eux-mêmes.
Cela suppose (1) de faire évoluer la relation individuelle au travail et (2) de réformer entièrement le Service public de l'emploi.
(1) Vous le savez, les partenaires sociaux se sont engagés, à la demande du Président et du Premier ministre, dans une négociation ambitieuse sur les parcours professionnels. Xavier Bertrand et moi-même suivons cette négociation avec attention. Elle doit permettre de moderniser en profondeur les relations entre salariés et dirigeants. Nous pourrons certainement en tirer les conséquences sur le plan législatif dès le début de l'année prochaine. Naturellement, ce chantier vous concerne au premier chef.
(2) Quant à laréforme du Service public de l'emploi, elle portera en priorité sur deux points : (a) pour ceux qui cherchent un travail, il faut repenser la structure qui les accompagne ; (b) pour ceux qui en changent, il faut renforcer la formation à laquelle ils ont droit.
(a) Le service public de placement a fait des efforts de modernisation importants, que je tiens à saluer ici, et auxquels vous avez activement contribués. Les liens avec les acteurs territoriaux (entreprises ou collectivités) ont été renforcés, des dispositifs nouveaux ont été expérimentés (comme le contrat de transition professionnelle ou le contrat de reclassement personnalisé), le suivi des demandeurs d'emploi s'est amélioré.
Mais il faut maintenant aller plus loin, en instaurant pour les demandeurs d'emploi et les entreprises un interlocuteur unique, apte à assurer orientation, placement et indemnisation. C'est le sens des propositions que je ferai dans les jours qui viennent au Président de la République et au Premier ministre pour fusionner l'ANPE et l'Unedic. Ce chantier sera important, certainement difficile. Vous aurez votre part de responsabilité à prendre sur le terrain.
En attendant, j'ai décidé de suspendre le déploiement des Maisons de l'Emploi. Il n'est pas question de remettre en cause celles qui fonctionnent bien, comme c'est le plus souvent le cas. Mais nous devons geler les projets encore en gestation, c'est-à-dire non conventionnés, le temps que le nouveau paysage institutionnel se stabilise, je l'espère début 2008.

Ce chantier en ouvrira d'autres , suivant l'avancement des négociations sur les parcours professionnels. Je pense à l'évolution du régime d'indemnisation des demandeurs d'emploi, ou à la redéfinition des obligations de recherche active d'emploi. La philosophie qui nous guide est celle d'un juste équilibre entre droits et devoirs du chômeur :

  • les droits, c'est d'être mieux accompagné, mieux orienté, mieux pris en charge sur le plan matériel.
  • les devoirs, c'est de rechercher activement d'un emploi, et d'accepter les évolutions d'une situation professionnelle après une rupture de parcours.

Le rôle de l'État, votre rôle à tous, est de veiller à cet équilibre.
(b) La formation professionnelle constitue un autre chantier de taille pour 2008, en vue de rendre le système plus efficace, et surtout plus juste. Les personnes les moins qualifiées devront bénéficier davantage du dispositif d'appui à la formation professionnelle continue. Cette réforme, qui pourra s'inspirer profitablement du rapport du sénateur Carle, sera une étape importante dans la sécurisation des parcours professionnels.
Cette combinaison de mobilité et de sécurité devrait bénéficier à tous, ceux qui ont un travail comme ceux qui en cherchent. Néanmoins, il ne faut pas se voiler la face : certains se trouvent aujourd'hui dans des situations plus difficile que d'autres.

(III) Pour ceux qui aujourd'hui connaissent des difficultés d'insertion dans le monde du travail, nous allons mettre en oeuvre le troisième principe, à savoir : « trouver le juste équilibre entre la responsabilité, qu'elle soit collective ou individuelle, et la solidarité ».
La solidarité concerne aussi bien ceux dont le travail est menacé par les évolutions du monde moderne, ceux qui ne parviennent pas à trouver ou à retrouver un travail, et ceux qui connaissent des problèmes spécifiques, liés à leur âge ou à leur lieu de résidence.

1. Quand je parle de ceux dont le travail est menacé par les évolutions du monde moderne, je pense aux salariés touchés par les mutations industrielles. Certaines entreprises, et même certains secteurs, connaissent en effet des situations de crise et doivent se restructurer. Il est alors du devoir de l'État de les accompagner dans ces moments difficiles, sans pour autant se substituer aux propriétaires ou aux actionnaires. Vous avez un rôle de premier plan à jouer dans ce domaine, et je sais que vous le faites déjà activement.
L'État doit également s'efforcer d'amener les acteurs à anticiper et non plus à subir les mutations industrielles, à travers des outils comme la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Des initiatives innovantes ont été lancées, notamment pour la filière automobile. J'en attends beaucoup.

2. Quand je parle de ceux qui ne parviennent pas à trouver ou à retrouver un travail, je pense bien sûr aux contrats aidés.
Pour les contrats marchands, la gestion 2007 a été satisfaisante, avec un ralentissement des prescriptions conforme à ce que j'avais annoncé en juillet dernier. Quand le marché de l'emploi s'améliore, les contrats aidés doivent être strictement réservés aux salariés qui en ont besoin pour accéder à l'emploi. Il n'est pas sain d'encourager les employeurs à réclamer des contrats aidés. L'aide, elle n'est pas destinée aux chefs d'entreprise, mais aux demandeurs d'emplois et seulement à eux.
S'agissant maintenant des contrats non marchands, leur consommation au 1er semestre a été très forte, et l'enveloppe prévue au départ sera largement dépassée à la fin de l'année. En juillet, je vous ai demandé de ralentir le rythme. Vous allez recevoir une instruction définitive fixant le montant des enveloppes pour les quatre derniers mois de l'année. Je compte sur vous pour la respecter scrupuleusement. Au total, le nombre de bénéficiaires en fin d'année sera sensiblement le même que l'année dernière.
L'ensemble des contrats aidés feront l'objet en 2008 d'une évaluation, prenant en compte les résultats du Plan de cohésion sociale, ainsi que les premiers enseignements que l'on pourra tirer de l'expérimentation du RSA (revenu de solidarité active). J'entends mener ce travail avec Martin Hirsch, en étroite association avec vous, pour que nous définissions ensemble les améliorations à apporter au dispositif. Un groupe de travail sera installé dans les tout prochains jours par le Délégué à l'emploi.
À propos de l'expérimentation du RSA, qui démarrera le 1er octobre prochain, je vous demanderais, quand vous établirez votre programmation des contrats aidés, de considérer les bénéficiaires du RSA comme les autres demandeurs d'emploi, sans privilège particulier. Cela vous sera précisé dans la circulaire relative à l'Enveloppe régionale unique pour 2008.
L'insertion par l'activité économique (IAE) reste certes une étape nécessaire pour beaucoup de demandeurs d'emploi très éloignés du marché du travail. Il convient cependant de s'assurer que les parcours d'insertion aboutissent bien à des emplois marchands. Les contrats aidés représentent une étape, pas une fin en soi.

3. Quand je parle de ceux qui connaissent des problèmes spécifiques, je pense essentiellement (a) aux seniors et (b) aux habitants des quartiers les plus déshérités. On n'est responsable ni de son âge, ni de son domicile. Aussi est-il du devoir de l'État de venir en aide à ces catégories injustement stigmatisées par les employeurs.
(a) Pour l'emploi des seniors, le plan national d'action lancé en juin 2006 est mis en oeuvre progressivement. Il fait naître un nouvel état d'esprit, où l'âge est considéré comme une preuve d'expérience plutôt que comme un risque de déficience. J'ai apprécié votre engagement lors des assises régionales pour l'emploi des seniors, et je compte bien dans l'avenir participer à l'une d'entre elles.
Nous devons aujourd'hui engager une phase d'approfondissement de ce plan. Le gouvernement a proposé dans le PLFSS pour 2008 des mesures fortes pour dissuader les entreprises de trop utiliser les préretraites. Leur nombre devrait donc fortement décroître l'année prochaine.
Décourager les préretraites, c'était une mesure d'urgence. A présent, il nous faut au contraire encourager les entreprises à recruter des seniors, et les seniors à postuler à des emplois. L'âge de dispense de recherche d'emploi va ainsi être progressivement repoussé.
(b) Pour ce qui est maintenant des quartiers en difficulté, j'inscrirai mon action dans le cadre du plan Respect et égalité des chances, annoncé par Fadela Amara au conseil des ministres de Strasbourg le 7 septembre dernier, et qui devrait être mis en route début décembre. Pour préparer ce plan, j'irai demain à Aulnay sous bois, avec Fadela Amara, à la rencontre des associations, des entreprises, et des acteurs du service public de l'emploi.
Parce que nous sommes convaincus que le retour à l'emploi est la méthode la plus efficace et la plus durable pour intégrer dans notre vie économique et sociale les habitants des quartiers, le plan Respect et égalité des chances sera fortement structuré par un volet économie et emploi. Je réunirai les grands opérateurs économiques dans la 2e moitié d'octobre pour échanger avec eux et obtenir des engagements en faveur de l'emploi des jeunes. La République doit pouvoir donner sa chance à tout le monde.
Plus de travail, plus de mobilité, plus de solidarité : voilà, Mesdames et Messieurs les directeurs, comment je pourrais résumer l'esprit des différentes mesures que nous allons mettre en oeuvre.
Ces réformes peuvent et doivent s'accompagner d'une gestion très rigoureuse de nos dépenses. Pour ne prendre qu'un exemple, nous allons réduire le nombre de contrats aidés dans le secteur marchand. Quant aux CIE, ils seront désormais réservés en 2008 aux jeunes et aux seniors.
Confiance, croissance, emploi, avais-je annoncé lors de la présentation du projet de loi TEPA devant le Parlement.
Le dernier volet de ce triptyque, l'Emploi, c'est avec vous, Mesdames et Messieurs les directeurs, que nous allons le mettre en oeuvre. Nous ne resterons pas, comme cet autre personnage d'Italo Calvino, perché sur un arbre tandis que le monde suit son cours. Nous allons nous battre pied à pied, pour chaque emploi, chaque salarié, chaque entreprise de ce pays.
Je vous remercie, et je vous donne rendez-vous dans six mois à Bercy.

Source http://www.minefi.gouv.fr, le 25 septembre 2007