Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, dans "Syndicalisme hebdo" du 26 septembre 2007, sur l'agenda social du gouvernement, les régimes spéciaux des retraites, la fonction publique et le pouvoir d'achat.

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Média : Syndicalisme Hebdo

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Q - Comment analyses-tu la stratégie du président de la République qui engage simultanément une multitude de réformes ?
R - Les chantiers ouverts sont essentiels pour l'évolution de notre modèle social et l'équilibre de nos systèmes de protection sociale. En revanche, leur complexité donne le sentiment que l'on risque de crouler sous les dossiers. En fait, aucun ne nous prend au dépourvu. La CFDT s'est préparée. Tous les thèmes à l'ordre du jour ont été débattus au congrès de Grenoble. Nous savions qu'une deuxième étape nous attendait pour l'évolution de nos systèmes de retraite et que la question des régimes spéciaux serait abordée. De plus, bien avant les présidentielles, les partenaires sociaux se sont livré à un état des lieux du marché du travail. Rappelons enfin qu'à Grenoble nous avons affirmé comme prioritaires les questions de la dette de l'État et de la protection sociale.
En revanche, nous reprochons au président les délais trop courts qu'il veut nous imposer. Cela comporte le risque, sur certains points, de prises de décisions unilatérales par le gouvernement. D'où le souhait de la CFDT d'un agenda social.
Q - Quel serait l'avantage de cet agenda social ?
R - La loi de modernisation du dialogue social prévoyait deux choses. Dans les domaines liés à l'évolution du Code du travail et de la formation professionnelle continue notamment, aucune décision ne pouvait être prise sans proposer préalablement une négociation aux partenaires sociaux. De plus, le gouvernement dispose de la possibilité d'élaborer un agenda social avec les partenaires sociaux pour donner de la clarté au travail de réforme. Cet agenda ne consisterait pas à dresser une liste des réformes auxquelles il faut s'attaquer les unes après les autres. Certaines, n'ayant pas de lien entre elles, peuvent être conduites de façon autonome. Je pense en particulier à l'évolution des régimes de retraite et à la réforme du marché du travail. En revanche, le président de la République soulève des sujets qui sont directement ou indirectement liés à la négociation de la modernisation du marché du travail. En particulier les conséquences du rapprochement ANPE-Unédic pour le suivi des chômeurs et la formation professionnelle, qu'il nous demande d'aborder dans les prochaines semaines. À force de nous dire « Je vous laisse négocier » et en même temps de nous demander de parvenir à tel ou tel résultat, il fait des intrusions dans la négociation. L'agenda ferait apparaître ces ambiguïtés et permettrait une clarification des relations entre l'action du gouvernement et le travail des partenaires sociaux tout en rendant visible le rythme des réformes.
Q - Comment la CFDT souhaite-t-elle aborder la reforme des régimes spéciaux ?
R - Nous nous sommes engagés clairement à Grenoble pour une harmonisation des régimes de retraite par répartition. Cela inclut les régimes spéciaux. Mais comment s'y prend-on ? À quel rythme ? Le gouvernement est favorable à une harmonisation avec le système de la fonction publique. Ce processus doit se décliner régime par régime, entreprise par entreprise, afin de tenir compte de l'histoire de la construction des systèmes de retraite et des réalités professionnelles. Ces régimes sont en effet issus de compromis qui ont permis de trouver des équilibres, parfois entre un bas niveau de retraite et une carrière courte. Aborder l'harmonisation, c'est donc aborder l'ensemble de ces problématiques, sans oublier la pénibilité de certains métiers. C'est bien pourquoi nous exigeons du temps afin que l'on tienne compte des réalités mais aussi un cadre national qui ne fige pas les négociations dans un carcan.
Que des équipes manifestent leur inquiétude face à l'incertitude du résultat, rien de plus normal. C'est une façon de montrer leurs exigences. La Confédération est en phase avec eux. Les fédérations concernées sont d'ailleurs représentées dans les délégations qui rencontrent le ministère.
Q - À propos des annonces concernant la fonction publique, que penser de la méthode et du fond ?
R - Le président a décrit une fonction publique manquant de souplesse de fonctionnement, avec des difficultés de mobilité chez les fonctionnaires, des évolutions de carrière trop figées. Ces constats, la CFDT les partage. Ce sont les solutions proposées qui posent problème. Comme pour la négociation du marché du travail, les orientations données par le président de la République tendent à favoriser des relations sociales de gré à gré.
La CFDT a toujours placé l'individu au centre de son action afin de trouver des moyens de répondre aux aspirations individuelles. Mais la réalisation de ces aspirations s'inscrit toujours, pour elle, dans un cadre collectif. C'est toute la différence avec l'approche présidentielle, dont les conceptions s'inscrivent dans une démarche libérale tant au plan économique que des relations sociales. Dans son discours sur la fonction publique, il n'a pratiquement pas évoqué le rôle des syndicats, pas plus d'ailleurs que le pouvoir d'achat des fonctionnaires. Et il n'a fait aucune allusion à la conférence sociale prévue sur le sujet.
Q - Justement, que faut-il attendre de la conférence sociale consacrée au pouvoir d'achat ?
R - Pas grand-chose pour le moment compte tenu des difficultés de la relance de l'économie. Comme nous le demandons depuis octobre 2005, nous souhaitons débattre des contreparties aux allégements de charges sur les salaires, dont la facture dépasse maintenant les 25 milliards d'euros. Nous voulons que le constat soit établi : les allégements de charges ont produit des trappes à bas salaires. Nous souhaitons que, à l'avenir, des contreparties soient demandées aux entreprises en termes de déroulement de carrière, de formation, de qualifications, etc.
Nous souhaitons aussi mettre sur la table d'autres éléments qui pèsent fortement sur le pouvoir d'achat et pour lesquels l'État peut avoir une politique active. C'est le cas, en particulier du logement. Nous demandons d'ailleurs un moratoire sur la hausse des loyers. Nous reparlerons de la généralisation de la complémentaire santé à l'ensemble des salariés. Et nous mettrons sur la table la question des transports. Une aide aux trajets domicile-travail, pour ceux qui n'en disposent pas, doit être mise en place, en encourageant les transports collectifs, le covoiturage...
Q - Que penses-tu de la nouvelle franchise médicale incluse dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale ?
R - Deux axes forts sont en totale rupture avec le principe « je paie en fonction de mes moyens et je suis remboursé en fonction de mes besoins ». Première rupture : le bouclier fiscal, dans lequel est incluse la CSG. Autrement dit, proportionnellement, les hauts revenus paient moins que les bas revenus. Deuxième rupture : l'instauration d'une franchise pour financer la lutte contre le cancer et la maladie d'Alzheimer. Dorénavant ce ne sont plus les bien portants qui sont solidaires des patients mais les malades qui paient pour les malades. On amorce ainsi une modification en profondeur de notre système de financement et de remboursement de notre protection sociale.
Avec la Mutualité française, nous estimons qu'une maîtrise réelle des dépenses de santé passe par une révision du système de soins, notamment de la médecine de ville, de l'installation des médecins, de la permanence de soins entre la médecine de ville et l'hôpital, etc.
Q - Comment réagis-tu à la proposition de financement de la dépendance par un recours à l'assurance privée ?
R - Il s'agit là d'une conception libérale du financement de notre solidarité. Le Président annonce la reconnaissance d'un cinquième risque Dépendance. Très bien. Mais comment le finance-t-on ? Avant même que l'on ait construit le dispositif de base et que l'on ait débattu de la prise en charge entre la solidarité nationale et les mutuelles, il privilégie l'assurance individuelle avec des produits financiers. On va droit vers une prise en charge à deux niveaux en fonction des revenus, car certains auront les moyens de constituer une épargne de précaution pour compléter leur retraite, et d'autres non. De même, avec les franchises médicales, la part individuelle va devenir importante. La direction prise ne va pas dans le sens des valeurs de la CFDT qui milite pour une démarche collective de solidarité nationale. Les retraités CFDT ont adopté à leur congrès une proposition de CSG destinée au financement de la dépendance, y compris sur les pensions. C'est une démarche autrement plus solidaire.
Q - Nous souhaitons un accord sur la modernisation du marché du travail. En quoi serait-il satisfaisant ?
R - La sécurisation des parcours professionnels est, pour nous, le fil rouge de ce vaste chantier. Et si elle se trouve au coeur de la négociation, c'est bien parce que la CFDT l'a voulu. Cela signifie faire en sorte que les ruptures dans la carrière soient des moments de rebond et d'évolution professionnelle. Nous devons rendre l'accès à l'emploi des jeunes plus aisé et en finir avec la dérive des CDD qui se substituent de plus en plus à la période d'essai. Nous proposons, pendant les périodes de rupture, un accompagnement fort par le service public de l'emploi. Cette période pourrait ainsi être mise à profit par le demandeur d'emploi pour se former, valider ses acquis, se réorienter... C'est un vaste et ambitieux projet qui touche le contrat de travail, l'accompagnement en cas de licenciement, la formation professionnelle continue, la transférabilité des droits (formation, complémentaire santé...). Rarement une négociation a abordé autant de sujets. L'important est de poser des actes décisifs pour conforter la dynamique impulsée par les partenaires sociaux et ensuite la compléter éventuellement par d'autres négociations sur le service public de l'emploi, la formation, etc.
Q - Les équipes sont prêtes pour la semaine de mobilisation d'octobre ? Peux-tu rappeler l'importance des sept meetings interrégionaux pour la CFDT ?
R - Depuis la rentrée, au cours des rencontres avec les organisations, je constate que les militants ont envie de se regrouper et de donner de la visibilité à nos revendications. Ils voudraient aussi parfois exprimer leur désaccord sur certaines mesures gouvernementales. Ces rassemblements ont donc plusieurs objectifs : montrer l'unité et la force de la CFDT et faire connaître nos propositions, en particulier concernant la négociation sur le marché du travail et la situation dans les fonctions publiques. Nous parlerons aussi du pouvoir d'achat, grande préoccupation des salariés du privé comme du public.
source http://www.cfdt.fr, le 26 septembre 2007