Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à LCI le 1er octobre 2007, sur les heures supplémentaires défiscalisées, le pouvoir d'achat des fonctionnaires et le contrat de travail unique.

Prononcé le 1er octobre 2007

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
C. Barbier.- J.-C. Mailly, bonjour. Les heures supplémentaires défiscalisées, cela commence aujourd'hui. Est-ce une bonne méthode pour relancer le pouvoir d'achat, notamment des salariés ?
 
R.- Non. Je ne pense pas que ce soit très efficace. Tout le monde est théoriquement concerné, mais finalement, peu de monde, en bénéficiera. Il y a des salariés qui vont en bénéficier. D'ailleurs, le Gouvernement table sur le même volume d'heures supplémentaires que l'année dernière, d'une certaine manière. Donc, cela notamment concerner ceux qui sont déjà à 39 heures et qui vont avoir 4 heures défiscalisées. Maintenant, cela va être très dur pour les salariés à temps partiel, ceux qui voudraient effectivement travailler plus et cela va être compliqués pour les cadres. D'ailleurs personne ne se risque en plus à prévoir un effet dynamique sur la croissance économique de la mesure. Je pense que, c'est autrement qu'il faut relancer le pouvoir d'achat.
 
Q.- Comment ?
 
R.- Par exemple, dans la limite où la loi sur l'immigration qui a été présentée par le Gouvernement, on exige demain d'un travailleur immigré s'il veut regrouper sa famille d'avoir 1,2 SMIC. Cela veut dire que le Gouvernement considère que le minimum nécessaire, c'est 1,2 SMIC : cela veut dire 20 % de plus pour le SMIC. A ce moment là, qu'on augmente le SMIC de 20%.
 
Q.- Vous connaissez le coût du travail en France. C'est un obstacle à la productivité. Vous allez encore faire peser sur les entreprises un coût insupportable ?
 
R.- Pourquoi le Gouvernement considère qu'un travailleur immigré pour pouvoir faire vivre sa famille doit avoir 1,2 SMIC ?
 
Q.- Cela vient de l'installation exceptionnelle ?
 
R.- C'est bien gentil tout cela. Sauf que, ce sont des conditions qui sont mises. Et un logement décent. Il y a beaucoup de travailleurs en France qui n'ont pas le SMIC, s'ils sont à temps partiel et qui n'ont pas de logement décent. Donc, il faut être logique. Quand au coût du travail, vous savez, cela dépend des statistiques que l'on prend. Si l'on prend les statistiques du bureau du travail américain, la France est en onzième position en coût horaire du travail. Et je rappellerais tout simplement que, [pour] un travailleur au SMIC aujourd'hui, il n'y a quasiment plus de charges patronales, quasiment plus de cotisations patronales. Donc, il faut relativiser le débat sur le coût du travail.
 
Q.- "Travailler plus pour gagner plus", c'est un slogan qui plaît aux adhérents de Force ouvrière ?
 
R.- Non, ce qui plaît aux adhérents de FO, c'est gagner plus. Travailler plus, pas obligatoirement. Quand il y a des heures supplémentaires, les salariés les font. D'ailleurs, ils n'ont pas tellement la possibilité de les refuser. Ils ne refusent pas de faire des heures supplémentaires. Par contre ce qu'ils avalent mal, c'est en gros un discours qui consiste à dire, "si demain vous voulez votre pouvoir d'achat, que votre pouvoir d'achat s'améliore, vous avez deux possibilités : ou vous bossez plus ou vous attendez que les prix baissent. Donc, c'est cela qui est contesté.
 
Q.- FO avait condamné un Conforama du Val-D'Oise qui ouvrait le dimanche. Voila que ce Conforama va rouvrir à la demande de ses salariés sans autorisation, parce que les salariés veulent là, travailler plus pour gagner plus.
 
R.- Que le salarié dans le magasin, parce que la fermeture du dimanche va lui faire perdre quelques dizaines d'euros, on peut comprendre la réaction. Maintenant, il y a des lois. Alors, est-ce que ces lois on les respectent ou pas ? Et FO, sur cette enseigne, comme sur d'autres dans le département - d'ailleurs, ce n'est pas la seule enseigne, qu'on se comprenne bien il y en a d'autres qui ont été condamnées également -, dans le Val d'Oise comme ailleurs on applique la législation sur l'ouverture des magasins le dimanche .Je veux dire maximum cinq par an.
 
Q.- La semaine dernière, les syndicats de fonctionnaires ont claqué la porte d'une réunion avec le Gouvernement sur les heures supplémentaires dans la fonction publique, parce que le projet de décret n'était pas prêt. Etes-vous sûr d'avoir le texte précis demain de ce décret d'application des heures supplémentaires de la fonction publique ?
 
R.- On verra bien demain. Je n'en sais rien pour le moment. Le Gouvernement dit que l'application des heures supplémentaires se fera aussi pour les fonctionnaires. Bah, on verra demain s'il est en situation de donner un texte ou pas.
 
Q.- L'Etat dit,"ce sera les heures supplémentaires faites par l'employeur principal". Alors beaucoup ont peur, parce que certains sont payés par l'Etat, mais par les collectivités locales pour les heures supplémentaires. Il y a une entourloupe ?
 
R.- Il y a surtout une volonté que cela coûte le moins cher possible sur le plan budgétaire. On voit très bien que le projet de budget qui a été présenté, comme Madame Lagarde le disait à juste titre - elle a peut être fait une erreur sur le plan de la communication gouvernementale, mais en tout les cas elle a dit la vérité -, c'est que c'est un plan de rigueur. Donc, y compris on serre les boulons, y compris sur les dépenses. Et cela pèse beaucoup dans le raisonnement du Gouvernement.
 
Q.- E. Woerth a provisionné 7 milliards. C'est de la bonne gestion ?
 
R.- Si cela lui ouvre une marge de manoeuvre pour négocier 2007 avec les fonctionnaires, cela peut être de la bonne gestion. Parce que, je rappelle que 2007 contrairement à ce qu'a réaffirmé le ministre hier, c'est une année blanche : cela veut dire qu'il n'y a eu aucune augmentation pour les fonctionnaires. La seule augmentation en début d'année correspondait à l'année 2006, l'année précédente. Pour 2007, il y a 0 % d'augmentation pour les fonctionnaires. Alors, si les 7 milliards cela peut permettre - cela ne coûterait pas 7 milliards d'ailleurs - une ouverture sur la négociation 2007, ce serait pas mal.
 
Q.- La conférence nationale sur les valeurs, les missions et les métiers de la fonction publique s'ouvre aujourd'hui. C'est F. Fillon qui l'inaugure. Vous en espérez beaucoup ?
 
R.- Ce n'est pas ce que nous avions demandé. Ce n'est pas ce que le président de la République nous avait accordé d'une certaine manière. Nous, ce que nous voulions, c'est une discussion pas uniquement entre le ministre chargé de la Fonction publique et les fonctionnaires, mais une discussion de caractère interministériel avec les fonctionnaires mais aussi avec les confédérations syndicales et les organisations patronales. Comme je le dis, moi, la caissière, elle est aussi intéressée, non pas sur la question du statut, mais sur quel rôle dans le service public, aujourd'hui, dans notre République ? Quelles missions à 5 ou 10 ans ? On pensait avoir ce débat, qui est plus large qu'un débat ministre de la Fonction publique/fonctionnaires. Là, cela se restreint : à une question entre le ministre chargé des fonctionnaires et les fonctionnaires. Donc, nous n'irons pas, confédéralement, dans ce débat. Nous ne sommes pas dans ce débat. Ce seront les fonctionnaires.
 
Q.- Les syndicats se réunissent ce soir pour tirer les premières leçons. Vous souhaitez qu'un mot d'ordre de grève soit lancé ?
 
R.- C'est à eux de décider. Ce n'est pas une confédération qui décide ou pour les cheminots ou pour EDF ou pour les fonctionnaires. Les fédérations de fonctionnaires décideront ce soir, les fonctionnaires de leur comportement. Et moi, je soutiendrai la position qui sera prise par les fonctionnaires FO.
 
Q.- Pour vous, le 18 octobre qui voit converger toute une série de mécontentements, c'est un important rendez-vous de lutte contre la politique du Gouvernement ?
 
R.- C'est d'abord le 18 octobre au départ, contre la remise en cause des régimes spéciaux, puisque c'est la SNCF, EDF, c'est la RATP, et les syndicats FO sont présents dans les trois conflits. C'est un premier conflit, oui avec le Gouvernement sur les régimes spéciaux. Alors est-ce que les fonctionnaires viendront se greffer là-dessus ou pas, eh bien, écoutez réponse rapide.
 
Q.- L'Assemblée nationale demain tient débat sur les régimes spéciaux sans vote. Vous espérez quelque chose de ce débat de la représentation nationale ?
 
R.- J'aimerais bien que l'Assemblée nationale se pose la question de son régime spécial. C'est cela que j'aimerais. Moi, je ne suis pas antiparlementariste, loin s'en faut, je considère même que encore plus aujourd'hui dans un régime présidentiel, le Parlement devrait être un vrai pouvoir au contre pouvoir. Ce qu'il n'est pas aujourd'hui ! Mais par contre les députés et les sénateurs devraient aussi se poser la question de leur régime spécial.
 
Q.- Qu'ils renoncent à leur avantage si l'on le demande aux salariés de renoncer.
 
R.- Pourquoi voulez vous que l'équité ce soit toujours dans le même sens ? Je rappelle qu'un mandat de cinq ans cela ouvre droit à une retraite de 1600 euros par mois à 60 ans. Donc, si on veut tout mettre sur la table, on met tout sur la table. La démocratie, ce n'est pas une démocratie sélective.
 
Q.- Le Gouvernement maintient l'objectif d'un fonctionnaire sur deux seulement remplacé à son départ en retraite. Vu l'état des finances publiques, vous reconnaissez que c'est nécessaire, l'équilibre ?
 
R.- Non. Parce qu'il n'y a pas de réflexion justement, on met la charrue avant les boeufs. Si on avait cette véritable réflexion, que nous demandons, sur quel rôle du service public - ce n'est pas simplement la fonction publique -, le service public dans la République à laquelle nous sommes tous attachés, si j'écoute tout le monde, après on peut discuter réformes de l'Etat. On peut discuter de l'articulation Etat/Régions/départements. Tandis que, là, c'est une vision budgétaire des choses : c'est "tant de fonctionnaires en moins, cela fait tant d'économie pour le budget de l'Etat". Et on va les supprimer où ? Alors, on sait : dans l'éducation nationale. Est-ce que par exemple il y a un lien entre supprimer des heures de cours à l'école primaire et puis vouloir réduire le nombre de postes ? La démarche est d'abord une démarche budgétaire. Alors qu'on devrait avoir une réflexion sur la place et sur le rôle des services publics dans notre société.
 
Q.- La justice enquête sur les 5,6 millions d'euros qu'aurait retiré en liquide D. Gautier-Sauvagnac, leader du MEDEF, entre 2000 et 2007. Il se susurre qu'une partie de ces fonds en liquide a servi à acheter les syndicats dans des négociations. C'est vrai ou c'est du fantasme ?
 
R.- Ne m sentant pas du tout concerné par ce dossier, je trouve cela plutôt déplaisant. Je n'en sais pas plus que ce que j'ai lu dans la presse. C'est vrai que c'est surprenant quand on lit cela dans la presse. Mais ceci étant, je n'ai aucune information précise sur ce dossier autre que les articles de presse que j'ai pus lire.
 
Q.- Quotidien des conflits sociaux, des négociations au plu haut niveau. Est-ce qu'il y a parfois échange d'argent, arrangement financier à la fin d'un conflit ?
 
R.- Ah non. Sauf, mais dans le cadre d'un accord, pour payer les jours de grèves par exemple, et cela, cela fait partie de l'accord. Non... Attendez, s'il y avait ce type d'arrangement financier comme vous dites, cela m'inquièterait beaucoup pour le syndicalisme.
 
Q.- Et FO est prête à ouvrir ses comptes aux enquêteurs s'ils le nécessitent réellement ?
 
R.- Pourquoi voulez-vous qu'il y ait des choses à cacher ? Une organisation syndicale, une confédération, cela vit de quoi ? Cela vit à la fois de ses cotisations, bien entendu et c'est un élément important, et cela vit de caractère de subventions qui sont publiques, qui sont à la fois votées dans le cadre des budgets de l'Etat ou dans le cadre d'organismes paritaires. Il n'y a pas de secret là-dessus. C'est connu.
 
Q.- On dit que Gautier-Sauvagnac a été lâché par le pouvoir. C'est ce qu'on raconte aussi à FO ?
 
R.- Moi j'en sais rien. Ecoutez, franchement je ne sais pas. Je découvre avec surprise - pour ne pas dire plus - ça dans la presse, et je n'ai aucune information précise sur le dossier.
 
Q.- Est-ce que vous souhaitez que le MEDEF retire Gautier-Sauvagnac des négociations ?
 
R.- Cela regarde le patronat. Ce n'est pas à moi de décider ce que le patronat doit faire. Je n'apprécierais pas que le patronat décide de savoir qui doit faire telle ou telle chose à FO. C'est de la responsabilité de chaque organisation. C'est au patronat de juger de son comportement. C'est à lui, c'est à personne d'autre.
 
Q.- Les discussions sont ouvertes entre patronat et syndicats sur le contrat de travail unique, sur l'entrée et la sortie du marché du travail. Est-ce que vous avancez bien ou est-ce que le Gouvernement va devoir faire une loi au bout de l'échec ?
 
R.- On verra. D'abord, la négociation ne fait que démarrer. Pour le moment, le patronat sur la question du contrat de travail se montre très pointilleux. Quand je dis pointilleux, très exigeant. S'il reste sur cette position, c'est évident que ce sera difficile de trouver un accord. Maintenant, est-ce qu'on est dans la phase où, en début de négociation, chacun montre ses muscles et après pourra trouver le compromis ? Alors c'est cela qu'on attend. Nous on est près à avoir effectivement un accord sur ces questions là, mais à condition que le patronat se montre ouvert. Pour le moment, il ne l'est guère. Est-ce qu'il voudra l'être ? On le souhaite. Mais on verra bien cela, au moment du déroulement de la négociation. S'il y a un accord à la fin, le Gouvernement devra en tenir compte. Et s'il n'y a pas d'accord, la démocratie veut que ce soit le Gouvernement et le Parlement qui reprennent le dossier.
 
Q.- Ce n'est pas un drame pour vous ? Une loi, ce n'est pas un drame ?
 
R.- Je préfère un accord. Par définition, je préfère un accord.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 1er octobre 2007