Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO à RMC le 3 octobre 2007, sur l'affaire EADS, la transparence sur le financement des syndicats et le syndicalisme.

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Texte intégral


 
 
J.-J. Bourdin.- L'info est tombée ce matin. La direction et les actionnaires du groupe EADS se sont rendus coupables d'un délit d'initiés massif et l'Etat connaissait la situation chez EADS et chez Airbus. C'est une note préliminaire de l'Autorité des marchés financiers révélée par notre confrère le Figaro. Comment réagissez-vous ?
 
R.- Je trouve cela scandaleux ! A divers titres d'ailleurs. Premièrement, on sait tous qu'il y a eu des erreurs de stratégie industrielle un moment donné chez Airbus de la part de la direction d'Airbus. Premier élément. J'aurais préféré qu'il s'occupe de stratégie industrielle que d'essayer de gagner de l'argent. S'il y a effectivement eu délit d'initiés, c'est donc inacceptable. Et tout cela se traduit par un plan chez Airbus qu'on appelle "Power8", avec des suppressions d'emplois qui sont difficiles. Nous avons toujours contesté ce plan, y compris sur sa stratégie industrielle. Mais on arrive à négocier quelques aménagements pour les salariés d'Airbus. Mais je pense aussi, moi, aux salariés de tous les sous-traitants d'Airbus qui sont exclus de ce plan et qui vont souffrir. Alors des erreurs de stratégie industrielle, des délits d'initiés, un Gouvernement à l'époque au courant du dossier, je trouve que cela fait beaucoup quand même.
 
Q.- Cela fait beaucoup. La justice va faire son travail, maintenant, puisqu'elle a été saisie. Nous verrons. Mais s'il y a confirmation de ce délit d'initiés, cela signifie que les hauts dirigeants du groupe ont mis beaucoup d'argent dans leur poche en vendant leurs actions, en connaissant les difficultés d'Airbus. Et cela signifie quoi ? Que le pouvoir politique aussi était au courant ? Il doit être sanctionné aussi ?
 
R.- Si j'ai bien compris, d'abord c'est les salariés qui trinquent dans cette affaire d'Airbus, et les sous-traitants. Et si j'ai bien compris et si c'est confirmé par la justice qu'y compris le Gouvernement et le ministre de l'époque étaient au courant, eh bien, à moment donné, il faut quand même se poser des questions. Est-ce que c'est normal de laisser faire cela, c'est tout ? Et moi je pense que ce n'est pas normal.
 
Q.- Est-ce que les responsables politiques doivent être poursuivis eux aussi ?
 
R.- A moment donné, s'ils ont couvert, à un titre ou à un autre, oui à un moment donné, il doit y avoir une sanction quelle qu'elle soit. Je ne sais pas laquelle mais quelle qu'elle soit.
 
Q.- Il y a plusieurs sujets que nous allons aborder avec vous, J.-C. Mailly : la fusion ANPE-Assedic, d'autres sujets encore, notamment les tests ADN pour les candidats au regroupement familial. Vous avez signé la pétition mise en ligne par SOS-Racisme et Charlie Hebdo. Pourquoi ?
 
R.- Parce que je considère que c'est rompre avec une tradition républicaine française : on ne mélange pas le droit du sol et le droit du sang. Premièrement. Deuxièmement, la filiation, ce n'est pas qu'une question génétique. Quand quelqu'un adopte un enfant, c'est une filiation pour moi. Donc, on rentre dans une mécanique que je trouve dangereuse. Mais ce n'est pas d'ailleurs le seul projet que nous critiquons. Dans ce projet de loi gouvernemental sur l'immigration, il y a l'aspect ADN, dont tout le monde parle mais il y en a d'autres également. Le fait par exemple qu'on exige demain d'un travailleur pour qu'il puisse faire venir sa famille, ce qu'on appelle le regroupement familial, qu'il perçoive au moins 1,2 Smic et qu'il ait un logement décent, ça conduit à quoi ? Cela veut-il dire que le minimum vital reconnu par le Gouvernement pour vivre en France, c'est 1,2 Smic ? Si c'est ça, il faut vite augmenter le SMIC de 20 %. Et il faut aussi avoir un vrai programme plus ambitieux de logement social, puisque il y a beaucoup de gens sur le territoire qui n'ont pas de logement décent. Donc, c'est la mécanique d'ensemble que je condamne, et que nous condamnons dans cette affaire.
 
Q.- Vous voulez dire qu'on demande aux travailleurs venus de l'étranger - travailleurs en situation régulière, je le précise - de gagner 1,2 Smic, ce qu'on ne demande pas aux travailleurs de souche ?
 
R.- Oui. Ou tous autres. Pour nous, les travailleurs doivent être considérés de la même manière, qu'ils soient étrangers ou français, avec les mêmes conditions de travail. Mais là, on crée une discrimination. Et cela n'est pas acceptable. D'ailleurs, quand nous avons rencontré Monsieur B. Hortefeux, - alors bien entendu, il nous a pas dit oui - nous lui avons dit :"Nous, nous nous considérons que quand un travailleur est en situation irrégulière mais qu'il travaille", cela veut dire qu'il est clandestin dans son entreprise. Nous, nous considérons que s'il saisit une confédération représentative pour dénoncer, il devrait avoir une protection administrative tant que le problème n'est pas réglé. Et ça, bien entendu, va complètement à contre-courant de ce projet de loi de durcissement. Et tout le monde sait, ou beaucoup de gens savent que dans les années à venir, la France va avoir besoin de travailleurs étrangers. Alors, à partir de là, je ne comprends pas cette logique, qui est vraiment une logique que je considère rétrograde sur le plan des valeurs républicaines, qui est mis en place. Donc, il y a l'ADN mais il y a aussi les conditions mises.
 
Q.- Autre affaire dont on a beaucoup parlé, l'affaire Gautier- Sauvagnac. D. Gautier-Sauvagnac, vice-président du Medef, président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie, est sous le coup d'une enquête pour détournement de fonds. Il aurait sorti en sept ans un peu plus de 5 millions d'euros des caisses de l'union des industries et métiers de la métallurgie, des retraits en liquide bien souvent. Où est allé cet argent ? Est-ce que les syndicats ont été financés par cet argent ? Je vous pose la question.
 
R.- Je l'ai déjà dit : non. Si certains avaient joué à cela, ce serait une faute. Non, non, bien entendu que non.
 
Q.- Aucun syndicat ? Dans tous les cas, FO ?
 
R.- Attendez ! Moi je ne pense que les autres non plus. Je ne m'imagine pas cela, en tout cas pas FO. Mais je ne m'imagine pas que les autres non plus soient tombés dans ce genre d'affaires. Je ne comprends pas, moi je suis comme tout le monde, enfin comme tout le monde... J'ai découvert cela dans la presse. Je n'ai pas plus d'information que ça. C'est un problème interne au patronat. Que le patronat règle son problème. Que voulez-vous que je vous dise, moi ?
 
Q.- Pourquoi les syndicats ne sont-ils pas tenus de publier leurs comptes ?
 
R.- Les syndicats relèvent d'une loi, qui est la loi de 1884. C'est une vieille loi.
 
Q.- Une vieille loi ! Peut-être il faudrait essayer de la changer.
 
R.- La loi sur les associations, c'est la loi 1901. C'est pareil. Il y a d'autres lois qui sont aussi anciennes que cela. [Cette loi] était une manière de protéger les salariés et les syndiqués de leur affiliation syndicale. C'était une garantie pour pas qu'il y ait d'immixtion dans les comptes des syndicats. Maintenant, quand les syndicats reçoivent des subventions publiques - cela c'est connu, c'est légitime, etc. - régulièrement, sur ces subventions publiques, on n'a pas à donner nos fichiers, si vous voulez. C'est cela que cela veut dire. Par contre, sur tout ce qui est subventions publiques que l'on reçoit, il y a des contrôles régulièrement, de la Cour des comptes.
 
Q.- Mais il y a moins de contrôle, par exemple, aujourd'hui que chez les politiques. Il y a moins de contrôle que dans les Partis politiques.
 
R.- On n'est pas dans la même logique entre démocratie politique et démocratie sociale.
 
Q.- Pourquoi ne pas jouer la transparence totale sur le financement ?
 
R.- Sur le financement, qui est le financement public des syndicats, il y a transparence. Je vous dis qu'il y a des contrôles de manière régulière.
 
Q.- Combien d'adhérents par exemple à Force Ouvrière ?
 
R.- On a dit que personne ne dit la vérité sur ce genre de choses. Tout simplement, je l'ai déjà expliqué mille fois...
 
Q.- Mais pourquoi ?
 
R.- J'ai déjà expliqué mille fois ce genre de choses. Qu'est-ce que c'est qu'un adhérant ? Est-ce que c'est quelqu'un...
 
Q.- C'est quelqu'un qui paye son adhésion !
 
R.- Théoriquement, c'est quelqu'un qui paye une carte à l'année avec douze timbres. Qu'est-ce qu'on retient comme moyenne ? Selon la moyenne, si vous retenez huit timbres, parce que tout le monde ne paye pas douze timbres, c'est évident, des gens à temps partiel par exemple, même s'ils travaillent à l'année, comme ils sont à temps partiel, le syndicat peut décider qu'ils paient huit timbres...
 
Q.- Cela représente combien les adhésions dans vos ressources aujourd'hui à FO ?
 
R.- C'est à peu près la moitié, parfois un peu moins.
 
Q.- Et le reste ?
 
R.- Le reste ce sont des subventions mais qui sont des subventions publiques.
 
Q.- Publiques ?
 
R.- Oui bien sûr, c'est voté. Il y a deux types de subventions : des subventions qui sont des subventions publiques dans le cadre de la formation des conseillers prud'homme, par exemple, et il y a après des subventions dans le cadre des organismes paritaires pour la formation des administrateurs. Mais tout cela c'est voté, ou dans les organismes. C'est clair.
 
Q.- Il y a quand même un conseiller d'Etat qui a publié un rapport sur le direct social, et qui a consacré une longue partie de ce rapport à la question des financements des syndicats et qui dit : "certaines ressources dont bénéficient les organisations syndicales relèvent de procédures dont la légalité pour le moins discutable".
 
R.- L'objectif de ce rapport n'est pas celui-là. C'est l'objectif de la représentativité syndicale, qui doit faire l'objet d'une négociation normalement...
 
Q.- Les syndicats sont quand les seuls organismes qui n'ont pas obligation de produire des comptes ?
 
R.- Des comptes si. On est obligé de produire des comptes pour les subventions. Et c'est normal bien entendu.
 
Q.- Pour les subventions et pas pour le reste ?
 
R.- Mais oui, parce qu'il y a dans l'histoire du mouvement syndical et on ne sait jamais ce que l'avenir peut réserver...
 
Q.- Est-ce qu'il faut changer les choses, franchement ?
 
R.- Sur la loi de 1884 ? Non. Sur le fondement...
 
Q.- Vous ne voulez pas revenir sur cette loi ?
 
R.- Ce n'est pas une question financière, la loi de 1884. Ce n'est pas cela le problème. La loi de 1884, c'est pour protéger qu'il n'y ait pas, qu'on n'ait pas à donner les fichiers. Vous savez, être syndiqué aujourd'hui, y compris dans une PME, vous risquez de "prendre la lourde" comme on dit, vous risquez d'être viré, parce que... Donc c'est une protection par rapport aux fichiers des organisations. Moi-même...
 
Q.- On dit que les syndiqués sont protégés dans les entreprises.
 
R.- Vous rigolez, non ! Dans les grandes entreprises, oui. Mais moi je peux vous donner des tas d'exemples, où le fait même de dire qu'on va se syndiquer ou on va créer une section, on n'a pas le temps de le faire qu'on est licencié. Cela existe encore dans notre pays. Moi-même, secrétaire général de la Confédération, je n'ai pas le fichier des adhérents. Moi-même, je ne l'ai pas. C'est une question de démocratie. Parce que je ne dois pas pouvoir m'adresser directement aux adhérents, je dois passer par les structures de l'organisation. C'est la démocratie, par échelons successifs, par mandats, comme on appelle cela. [...]
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 3 octobre 2007