Déclaration de M. François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, sur la proposition d'imposition de tests ADN pour prouver la filiation, à certains immigrés, en vue du regroupement familial, Paris le 14 octobre 2007.

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Circonstance : Meeting concert organisé par SOS Racisme en association avec Libération et Charlie Hebdo contre l'amendement Mariani sur les tests ADN, à Paris le 14 octobre 2007

Texte intégral

Pourquoi sommes-nous si nombreux, si différents, d'origines, d'opinions, de convictions si diverses, pour nous opposer à l'amendement qui a été voté, édulcoré nous dit-on, sur l'imposition de tests ADN pour prouver la filiation à un certain nombre d'immigrés ? Pourquoi sommes-nous si nombreux, alors qu'on nous explique que c'est un détail, que c'est sans importance, que de toute façon la portée en a été changée... et si on s'en tient à la lettre, en effet, on a raison. Parce que, après l'ensemble des manipulations et des changements que le Sénat a imposés à ce texte, il faut vraiment sortir un microscope pour savoir à qui va s'appliquer le test ADN. Parce qu'on nous dit, cela ne s'appliquera qu'aux ressortissants de pays où il n'y a pas d'état civil, qu'une fois qu'on aura vérifié qu'il n'y a pas d'état civil - c'est à dire absolument quelques centaines de personnes par an - alors, il faudra d'abord vérifier qu'il y a une vie de famille, et puis ensuite, c'est uniquement à la demande de cette famille, en passant par un juge, un juge unique qui est à Nantes, qu'on va adopter ce mécanisme là. Et en effet, si on s'en tient à la lettre, alors une question se pose: pourquoi, si ce texte a été à ce point réduit dans son application, alors pourquoi s'y sont-ils accrochés pendant des heures et des heures, des jours et des jours pour le maintenir dans la loi? La réponse à cela, c'est que si ce texte était ainsi réduit dans la lettre, c'est qu'ils voulait le maintenir dans l'esprit. Ils voulaient qu'il figure dans la loi une fois pour toutes, (...) pour que soit étendue un jour à d'autres cas, à d'autres situations, cette obligation ou cette possibilité de mettre en place la génétique pour prouver la filiation.
Et (...) en réalité, cela dit trois choses entre les lignes ; et je voudrais rappeler avec vous, ou lire entre les lignes ces trois choses.
La première chose qu'ils veulent dire, c'est que les immigrés sont des fraudeurs. Parce que si l'on veut bien se souvenir qu'il s'agit de rapprochement de familles, alors on constatera qu'il ne peut y avoir rapprochement familial que dans le cas où la personne a des papiers, est en règle, qu'elle a un travail et qu'elle a un logement. Si elle n'a pas de papiers, si elle n'a pas de travail et si elle n'a pas de logement, elle ne peut pas prétendre au rapprochement familial dans l'état des lois actuelles. Et ils veulent, entre les lignes, insinuer que ces gens là, naturellement, n'ont pas d'autre idée que se charger de femmes et d'enfants qui ne seraient pas à eux pour les faire prendre en charge par la République française. Et cela n'est pas digne de la vision que nous nous faisons de la France, (...).
La deuxième chose qu'ils disent entre les lignes, c'est que la famille pour ces gens là, et la famille pour les Français, ce n'est pas la même chose. Chez nous, non seulement on accepte, mais personne ne songerait à nier que les familles recomposées, que l'adoption, que l'accueil d'enfants même s'ils ne sont pas génétiquement ceux du couple en question, c'est désormais la manière même, affective et reconnue par tout le monde de composer une famille dans notre pays. Et bien, eux ils disent que pour les immigrés, cette famille affective est interdite, et que pour eux, (...) c'est la génétique qui fera la filiation. Et bien nous Français, nous considérons que le droit à la famille, qu'elle soit biologique ou qu'elle soit affective, c'est un droit de l'Homme, et nous ne le laisserons pas toucher par qui que ce soit.
La troisième chose qu'ils disent, c'est celle-ci : désormais ces tests génétiques qui étaient jusqu'à maintenant confinés, gardés dans le domaine de la médecine et dans le domaine des enquêtes policières, seront (...) utilisés pour des problèmes d'immigration.
Et bien ces trois choses là ne sont dignes, ni de la République, ni de la France. Et c'est parce qu'elles ne sont dignes ni de la République des Droits de l'Homme, (...) que j'espère que le gouvernement va changer d'avis (...) Et s'il ne le fait pas, alors il faudra que les parlementaires de toutes tendances saisissent le Conseil constitutionnel - je signerai ce recours - et que le Conseil constitutionnel rappelle qu'il y a des Droits de l'Homme au dessus des lois quand ces lois sont mal inspirées.
Je vous remercie.source http://www.lesdemocrates.fr, le 16 octobre 2007