Texte intégral
O. Nahum, E. Le Boucher et J.-M. Lech.- O. Nahum : On sait que les évolutions sont lentes en France, sans être d'ailleurs particulièrement polémiques. Alors, X. Bertrand, on est avec vous, vous êtes évidemment pour les femmes en politique, vous nous le confirmez, et pour une bonne raison évoquée par E. Le Boucher ?
R.- Oui, bien évidemment, et depuis longtemps, que ce soit dans mes fonctions d'élu local, d'élu municipal comme en tant que député. En 2002, c'est avec une suppléante que j'ai fait équipe et qui est aujourd'hui députée.
O. Nahum : Les nombreuses auditrices qui nous envoient des courriels à ce sujet sont rassurées. On va commencer, avant de parler du chapitre régimes spéciaux, par cette actualité politique, puisqu'on a vu que F. Goulard appelait à la démission en quelque sorte de B. Hortefeux, puisqu'il préfère que Hortefeux quitte le Gouvernement plutôt que F. Amara. Vous, vous ne vous inscrivez sans doute pas dans ce registre de vocabulaire ?
R.- Non, pas dans ce registre. Et puis, vous voulez que je vous dise une chose ? Si vous m'invitez ce matin, c'est pour quoi ? Pour parler du dossier qui intéresse l'ensemble des Français, qui intéresse tout particulièrement 1,5 million de Français concernés par les régimes spéciaux. Et vous savez quoi ? Je n'ai pas envie d'ajouter aux commentaires sur le commentaire du commentaire. Tout cela c'est de la petite politique. Moi, ça ne m'emballe pas trop, et je ne suis même pas certain que cela passionne vos auditeurs.
O. Nahum : Donc, cela veut dire que la polémique autour des tests ADN c'est une fausse polémique pour vous ?
R.- Je crois que c'est une polémique qui a été créée pour éloigner de la réalité du sujet. La réalité du sujet, c'est que nous avons tenu un engagement fort de la campagne présidentielle. C'est-à-dire que nous voulons aussi pouvoir choisir notre immigration, et nous l'assumons. Cela veut dire aujourd'hui que pour venir en France - et c'est le coeur du texte, ce qui a été présenté par B. Hortefeux - c'est qu'il faudra maintenant pouvoir disposer d'un revenu d'activités pour faire venir sa famille, avoir un logement pour savoir l'accueillir et aussi parler le Français, car si vous ne parlez pas la langue du pays dans lequel vous voulez aller, il n'y aura jamais d'intégration. Tout ceci nous l'avons dit pendant la campagne, nous l'avons fait voter. Voilà ce qu'il y a dans le texte sur l'immigration. Tout le reste ne vise justement qu'à faire oublier la réalité. Nous avons tenu notre engagement.
E. Le Boucher : Oui, mais dans le Gouvernement, il y a des débats. C'est un peu logique quand on a un gouvernement d'ouverture...
R.- Et F. Goulard n'est pas dans le Gouvernement.
E. Le Boucher : Oui, absolument, mais c'est à propos des débats au sein du Gouvernement qu'il s'est exprimé. Et vous trouvez qu'au fond, il y a un peu trop de débats qui sortent du Gouvernement, ou c'est logique tout ça et ça vous convient ?
R.- Non, je ne trouve pas qu'il y a trop de débats, parce que vous savez, l'ouverture que nous avons voulue, ça n'est pas pour faire bien sur le perron pour la photo le jour de la constitution du Gouvernement. En plus, je l'ai déjà indiqué, pour moi, un Gouvernement ça n'est pas un régiment. Si vous faites venir dans un Gouvernement des personnalités qui ont un profil différent, qui ont une histoire personnelle différente, une histoire politique différente, je trouve justement que cela enrichit le débat. Moi je suis un fervent partisan de l'ouverture, parce que nous avons bel et bien notre projet, celui que nous avons présenté aux Français, celui qu'ils ont validé en votant pour N. Sarkozy, et après, ce sont des personnalités différentes qui viennent nous rejoindre, sans que nous ayons rien renié de nos idées, de notre projet. Voilà pour moi ce qui est la condition de l'ouverture, et c'est pourquoi je pense qu'elle se pratique aujourd'hui dans des conditions très satisfaisantes. Et effectivement, il y a un débat, et moi je trouve cela plutôt bien.
J.-M. Lech : Vous savez deux chances, finalement, monsieur le ministre, d'être un rescapé du Gouvernement ou des gouvernements précédents, et vous n'êtes pas impopulaire, et ensuite, vous n'avez pas de marqueur...
R.- "Impopulaire" en un seul mot, vous voulez me dire ou en deux mots ?
J.-M. Lech : En un mot.
R.- Merci à vous.
J.-M. Lech : Et ensuite, vous n'avez pas de marqueur au cabinet présidentiel, c'est-à-dire que vous n'êtes embêté ni par Guaino ni par Paupol, ni par Robert... Comment expliquez-vous cela ?
R.- Attendez ! Est-ce que vous me le demandez par rapport à votre première question ou votre question ?
J.-M. Lech : Aux deux.
R.- Oh, la, la. Moi, monsieur Lech, je ne me pose pas de question existentielle, moi je fais mon boulot. Et quand vous êtes ministre du Travail, avec l'ensemble des dossiers qui sont aujourd'hui dans mon champ ministériel : j'ai eu le texte sur le service minimum à faire voter, il sera en application au 1er janvier 2008 seulement, mais ce texte a été voté, on en parlait depuis vingt ans ; il y a maintenant le dossier des régimes spéciaux, une réforme qui est attendue, qui est nécessaire. J'aurai ensuite le dossier de l'ensemble de la réforme des retraites de 2008, et la modernisation du marché du travail. Vous savez, tous ces dossiers là, moi les questions sur avec qui je travaille, je veux dire que je travaille en bonne intelligence, et avec le Premier ministre et aussi avec l'Elysée, avec le président de la République. J'ai des contacts à la fois avec le conseiller social à Matignon, aussi avec le conseiller qui est R. Soubie, que je connaissais depuis longtemps. Donc, vous savez, entre ce que je lis et ce que je vis, il y a parfois une grande différence.
J.-M. Lech : On peut vous jouer placé pour la succession de Fillon ?
R.- Ah là, là, attendez ! Vous n'allez pas commencer à me prendre la tête avec toutes ces idées-là. Là aussi, entre ce que je vis, moi, et ce que je ressens, vous voulez que je vous dise quelle est mon ambition ? C'est d'être un bon ministre du Travail. Et parce que je crois que ce qui intéresse les Français, c'est de savoir si dans les fonctions dans lesquelles on est, on est bon ou pas. J'ai été ministre de la Santé, je suis très fier, par exemple, d'avoir fait passer le décret sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Et le seul regard que portent les Français sur un homme politique : est-ce qu'il exerce bien ses fonctions ? Le reste, vous savez, s'appelle les plans de carrière. Je n'ai jamais fait de plan de carrière jusque là. Cela m'a plutôt porté chance. Je ne vais pas changer mes habitudes.
O. Nahum : Evidemment, il y a un autre registre qui nous a poussés à vous inviter ici, c'est les régimes spéciaux.
R.- Je me disais bien.
O. Nahum : Voilà, on va en parler. On va prendre le temps...
[Pause. Rappel d'infos]
O. Nahum : On est avec le ministre du Travail, X. Bertrand. Il y a évidemment cette réforme autour des régimes spéciaux. Si on vous a bien compris, ce serait 40 ans pour tous en 2012, voire 41 ans, cela est-ce possible, en termes de cotisations de retraite évidemment ?
R.- 40 ans en 2012, c'est-à-dire une progression au même rythme que la fonction publique. Cette réforme est indispensable, cette réforme est juste également, j'ai voulu qu'elle soit équilibrée, qu'elle soit progressive. Pourquoi cette réforme est-elle indispensable ? Tout d'abord, il faut que les Français soient sur un pied d'égalité en termes de retraites. Vous savez que les salariés du privé, depuis maintenant plus de 10 ans, près de 14 ans mêmes, exactement, la fonction publique en 2003, sont passés à 40 ans de cotisation. Il est important aussi que l'ensemble des Français, que les agents des régimes spéciaux soit aussi à 40 années en 2012. Par contre, je dis la vérité : si les salariés du privé, si les agents de la fonction publique passent ensuite à 41 ans, les agents des régimes spéciaux ne resteront pas à 40 ans, il y aura un calendrier particulier mais ils ne resteront pas à 40 ans. Deuxième sujet, pourquoi la réforme ? C'est que, si on ne mène pas cette réforme des régimes spéciaux, personne, personne ne peut garantir à ces agents qu'on saura leur payer leur pension de retraite dans cinq ans, dans dix ans, ou dans quinze ans. Si l'on veut justement leur garantir leur retraite, il faut réformer les régimes spéciaux.
O. Nahum : Donc, c'est la réforme indispensable. Est-ce qu'aujourd'hui, c'est jouable ? Vous ne voulez pas passer en force, vous l'avez dit maintes et maintes fois, on a toujours le spectre du spectre de Juppé, les grèves de 1995. Sentez-vous que le climat est différent, et que c'est jouable, qu'il n'y aura pas une épreuve de force ?
R.- La société de 2007, la société française de 2007 n'est pas une société bloquée. Ceux qui pensent que les Français sont des conservateurs se trompent. La société de 2007 n'a rien à voir avec la société de 1995. Les choses ont profondément changé, chacun a bien compris que l'allongement de la durée de cotisations c'était une vraie logique. Nous vivons de plus en plus longtemps ; travailler un peu plus longtemps c'est une forme de logique. Et puis aussi, on voit bien ce qui se passe dans tous les pays européens : dans tous les pays européens, on travaille aussi un peu plus longtemps. Donc, je crois que chacun comprend bien qu'il faut faire quelque chose, pour assurer l'avenir des régimes de retraites, quels qu'ils soient. Il y a ce que l'on appelle "le déséquilibre démographique" : vous avez beaucoup plus de retraités que de cotisants dans ces entreprises en question, que ce soit la RATP, la SNCF, EDF, GDF. Vous avez à peu près 1,1 million retraités, 500.000 cotisants. Vous voyez bien que si on ne fait rien, il y a un vrai problème de cotisation. Or en augmentant la duré de cotisation des actifs, on règle effectivement ces difficultés.
O. Nahum : Mais pensez-vous que cette réforme sera acceptée par les syndicats ? Parce qu'il y a évidemment cette grève, et il y a le spectre de la grève reconductible ?
R.- Chacun sait bien que le statu quo est impossible et que le statu quo fragiliserait, et ces régimes de retraites, et donc les retraites des agents concernés. Maintenant, ce que j'ai mis sur la table, c'est un document qui est un document d'ensemble, global, qui comprend à la fois, les mesures d'harmonisation pour s'harmoniser avec la fonction publique, et puis il y a ensuite de la place pour de vraies négociations d'entreprises, pour rentrer dans le détail, pour prendre en compte la spécificité des métiers, pour, notamment, savoir comment on va favoriser l'emploi des seniors. Parce que, si concrètement je demande aux salariés en question de travailler un peu plus longtemps, il faut imaginer la deuxième partie de carrière. Et là, très franchement, on a besoin d'être imaginatifs, on a besoin d'être très concrets et très rapidement. Parce qu'en France, il faut bien reconnaître que faire travailler les salariés âgés, que ce soit dans ces entreprises ou de façon plus globale, on a des progrès à faire en France, c'est le moins qu'on puisse dire.
E. Le Boucher : C'est-à-dire, par exemple, pour les conducteurs à la SNCF, à partir d'un certain âge, ils devront changer de travail à la SNCF et ne plus rester conducteurs, c'est cela que vous voulez dire ?
R.- "Ils devront changer", vous me posez cette question. C'est que, pour beaucoup, ils voudraient aussi pouvoir changer. Vous avez parlé des conducteurs, j'ai des exemples très précis en tête, parce que, vous savez, quand il y a une réforme de cette importance, je ne décide pas seul dans mon bureau, je vais à la rencontre notamment des agents. Et j'ai le souvenir, la semaine dernière, d'une femme contrôleur, qui avait eu une agression verbale, et qui me disait : "Moi, vous savez, déjà jusqu'à 55 ans, ce n'est pas facile d'imaginer aller jusqu'à 55 ans. Si on me demande d'aller au-delà, et je comprends la logique, il faut penser quand même à ma deuxième partie de carrière. Est-ce que pourrais faire autre chose ?". Et vous avez aussi un point qui, aujourd'hui, pénalise les agents des régimes spéciaux. C'est qu'aujourd'hui, que vous ayez 50 ou 55 ans, même si vous avez envie de rester, par exemple à la SNCF, vous ne pouvez pas rester. Même si votre pension de retraite sera incomplète, vous ne pouvez pas rester...
O. Nahum : Vous êtes obligé de partir ?
R.- Vous êtes obligé de partir. J'ai un exemple en tête, un autre exemple, parce qu'une réforme, vous savez, se forge aussi à partir d'exemples concrets pour bien comprendre les problèmes : un agent, chez moi, est conducteur à la SNCF, chez moi, à Saint-Quentin, il a 48 ans, deux enfants en facultés. Il dit : "moi, parti dans deux ans, je ne sais pas comment je ferai pour faire face à leurs frais". C'est un exemple, parce que le document que j'ai mis sur la table fait suite à plus de 80 heures de discussions, de rencontres aussi que j'ai pu avoir. Nous allons justement faire tomber ces clauses couperets, et permettre à un agent qui a 50 ans, qui voudrait continuer, de pouvoir le faire. Et d'imaginer aussi un aménagement de son poste de travail, s'il ne s'imagine pas continuer de la même façon.
J.-M. Lech : Vous sentez-vous à l'abri de la grève par procuration, c'est-à-dire, la démocratie de l'opinion qui fait qu'une majorité de Français, tout d'un coup, devienne solidaire de ceux qui défendent leurs avantages acquis ? Ou bien, est-ce que ça peut vous arriver ?
R.- C'est une question compliquée que vous me posez. Moi, vous savez...
J.-M. Lech : Pour moi sondeur, c'est assez simple.
R.- Les réponses semblent simples mais les questions sont parfois plus compliquées. Non, ce que je voudrais vous dire c'est que, je crois que ce qu'on a pu parfois reprocher, c'est que le Gouvernement donne l'impression de ne pas être suffisamment attentif aux vraies questions, aux vraies inquiétudes. Chacun a bien compris quelle est notre détermination. Mais mon rôle, en tant que ministre du Travail, c'est d'être attentif à toutes ces questions. Et quelles sont ces questions ? Est-ce que notre pouvoir d'achat sera garanti ? Voilà ce que nous disent ces agents. Et ce que je veux et ce que je peux leur dire, c'est que, s'ils font une carrière complète, ils auront une pension de retraite complète, je ne me contente pas de le déclarer. On a besoin aussi qu'ils puissent vérifier par eux-mêmes ce que je suis en train de vous dire. Or, la réalité aujourd'hui, c'est que pour beaucoup ils partent sans avoir une carrière complète et sans avoir une pension de retraite complète. Voilà pourquoi je veux leur montrer qu'en faisant cette carrière complète, ils auront même un pouvoir d'achat plus important. Mais j'ai bien conscience aussi que je demande un changement dans les habitudes. Et c'est cela. Je ne sais pas si je fais bien référence à la question que vous me posez. Et puis je crois qu'il est très important de montrer que ma logique c'est le dialogue, et c'est vrai, la détermination, je l'assume, mais aussi le dialogue, pour trouver la bonne voie de passage. Ma méthode, c'est vrai, ce n'est pas le passage en force, je n'aime pas le passage en force.
O. Nahum : Vous avez dit au début de votre intervention, là, à l'instant : "on a pu reprocher au Gouvernement peut-être le fait de ne pas faire assez attention". Cela veut dire que...
R.- Non, non, attendez, attendez ! Par le passé. Je vais vous donner deux exemples : deux lois, deux lois qui ont été votées, l'une par la gauche, l'une par la droite ; les 35 heures d'un côté, le CPE de l'autre. Ça a été des lois. La loi qui, normalement est le symbole de dialogue. Enfin, sacré symbole de dialogue que ces deux exemples, l'un de droite, l'un de gauche. Là, aujourd'hui, on est sur une logique de texte règlementaire. Vous savez, vous pouvez au final prendre des décrets qui auront été vraiment le fruit d'un dialogue, et vous pouvez parfois prendre des lois qui sont synonymes de passage en force. Moi je ne suis pas pour le passage en force.
E. Le Boucher : Les retraites seront calculées sur quels salaires dans ces régimes ?
R.- Comme pour la fonction publique. Si je parle d'harmonisation vers la fonction publique, c'est-à-dire sur les six derniers mois. Sauf pour ceux qui ont déjà...
E. Le Boucher : Au fond, quand vous dites "il faut mettre les régimes spéciaux sur un pied d'égalité avec les autres", cela reste différent du régime privé où les pensions sont calculées sur les salaires depuis 20 ans. Ce n'est pas du tout pareil.
R.- Il faut que l'on dise pourquoi aussi M. Le Boucher. Pourquoi sur les 25 meilleures années dans le privé ? C'est parce que dans le public, on n'intègre pas les primes. Ce sont les six derniers mois, parce que les primes ne sont pas intégrées. Or, on sait pertinemment que, si on intégrait les primes, ce serait effectivement une somme beaucoup plus importante pour le régime en question, et qu'en fin de compte, il faut savoir que les agents ne sont pas tant gagnants que cela avec les six derniers mois, parce que leurs primes ne sont pas prises en compte. Voilà la vérité.
E. Le Boucher : Les régimes spéciaux seront comme cela, de cette façon-là, équilibrés ? C'est-à-dire ? E. Le Boucher : Financièrement équilibrés ? La question se posait de savoir si on les ramène dans le régime normal de la fonction publique par exemple ? Mais, là, vous les avez gardés à part ?
R.- Si c'était le cas et si vous les faisiez rentrer du jour au lendemain dans le régime général, ce serait un coût très important pour le régime général, parce que si la réforme est progressive, il faut donc savoir qu'on ne va pas rayer d'un coup de plume, du jour au lendemain, le coût de ce que l'on appelle "la compensation démographique" de ces régimes spéciaux. On est bel et bien dans une réforme progressive, et l'on sait que la meilleure solution, c'est l'allongement de la durée de cotisations. Et ce n'est pas du jour au lendemain que disparaîtra la compensation démographique de l'Etat. Ou alors, il faudrait une réforme brutale, et j'ai le sentiment que personne n'en veut.
O. Nahum : A vous écouter, vous avez expliqué qu'il y a cette réforme qui est mise en route, qui est indispensable, vous parlez de ces agents qui veulent effectivement rester et travailler peut-être dans d'autres fonctions quand ils arrivent à certains âges. Mais le discours syndical est quand même de dire : nous, on n'est pas tout à fait d'accord avec les modalités de la réforme, on va faire grève. Est-ce qu'il y a une dichotomie entre ces gens, cette base qui travaille, et les voix syndicales que vous avez dans les négociations ?
R.- Ecoutez, déjà vous le dites, vous avez dit : "pas tout à fait d'accord". Ce qui montre bien qu'il n'y a donc pas de rejet, de rejet massif, parce que chacun comprend bien que, sans réforme, on fragilise les régimes spéciaux. Le deuxième aspect, et d'ailleurs vous l'avez vous-même entendu à la sortie de mon bureau, j'ai eu plus de 10 heures de discussions avec les syndicats mercredi dernier, c'est qu'ils ont même dit qu'il y a des espaces de discussion, il y a des espaces de concertation, notamment dans les entreprises. C'est concret les sujets en question. Quand je parle de prendre en compte la spécificité des métiers, l'emploi des seniors, la question aussi du complément de retraite pour les salariés, comme cela a été fait d'ailleurs pour le public, il y a des vrais espaces justement pour négocier dans les entreprises. Ce qui montre bien qu'on peut être déterminé, comme je le suis, mais qu'on peut être aussi attentif et ouvert à ce que les négociations dans les entreprises aillent jusqu'au bout. D'ailleurs, je l'ai indiqué, je le répète, les négociations dans les entreprises pour moi, il y a une obligation de résultat : elles doivent forcément aboutir. Je veux que le dialogue social... Nous l'avons dit, pour la fin de l'année, c'est dans trois mois. Là, on y verra vraiment clair.
J.-M. Lech : Je pense que vous avez fait le plus facile, finalement, Monsieur le ministre. C'est-à-dire que, le service minimum, les Français, sont pour. La suppression des régimes spéciaux, les Français sont pour. Mais il y a quand même un mauvais sondage qui est sorti avant hier, pas d'Ipsos mais de BVA, dans les Echos. Il indiquait que seulement 30 % des ouvriers pensent être concernés par les heures supplémentaires. Est-ce que c'est à ça l'équation "heures supplémentaires égalent travailler plus pour gagner plus" qui va éventuellement vous amener contre l'opinion publique ?
R.- La première des choses, monsieur Lech, c'est que c'était tellement facile, le service minimum et les régimes spéciaux que ça n'a pas été fait depuis vingt ans. D'ailleurs, je me demande pourquoi et si c'était si facile qu'aucun gouvernement, droite et gauche, l'a mené. Alors, bon, je veux bien tout ce que l'on veut, mais je veux relativiser et ce dossier des régimes spéciaux, aujourd'hui, il est lancé, c'est une étape-clé de la réforme que j'ai pu conduire mercredi, mais ce dossier il n'est pas terminé, il y a maintenant les négociations dans les entreprises, il y a aussi un dialogue qui se poursuit. Vous savez, dans ma logique, c'est de rester concentré, de rester attentif du début jusqu'à la fin. Maintenant, sur la question des heures supplémentaires, je voudrais aussi bien remettre les choses à leur place. Un salarié qui faisait des heures supplémentaires en septembre, du jour au lendemain, depuis le 1er octobre, il est gagnant, il est gagnant : il ne paye plus de charges sur ses heures supplémentaires, il ne paye plus d'impôts sur ses heures supplémentaires, et s'il est dans une entreprise de moins de vingt salariés, ses heures supplémentaires ne sont plus payées 10 % de plus mais 25 % de plus. C'est-à-dire que quelqu'un qui faisait 4 heures supplémentaires en septembre, en octobre, le même nombre d'heures supplémentaires, cela va être près de 800 euros de plus à l'année. Concrètement, 800 euros de plus qu'en septembre.
E. Le Boucher : Ce n'est pas de savoir s'ils gagnent plus, mais s'il y aura beaucoup de gens concernés. C'est ça la question que posait J.-M. Lech.
R.- Je ne pensais pas avoir cherché à éviter de répondre à la question. Mais vous avez quand même chaque année, pour l'instant, quasiment un million d'heures supplémentaires. Donc, c'est du concret ça. Cela veut dire que le million d'heures supplémentaires va maintenant profiter aux salariés concernés. Mais nous avons donc une logique de pouvoir d'achat, parce que si ces salariés gagnent plus, ça va aller aussi dans l'économie, et si ça va dans l'économie, ça fait du bien à la croissance, à l'activité économique, à l'emploi. Et puis, nous avons aussi une autre logique : c'est que nous n'attendons pas que la croissance vienne, nous allons la chercher. C'est toute la dynamique du texte sur l'emploi et le pouvoir d'achat voté cet été.
O. Nahum : Vous qui êtes ministre du Travail, qui évidemment, avez pour ambition de dire aux Français "travaillez plus pour gagner plus", vous êtes choqué justement par cette affaire EADS, puisque J.-P. Jouyet disait : ça donne l'impression qu'il y a d'un côté des actionnaires, qui sans travailler s'enrichissent, et des salariés qui travaillent et qui ne voient pas le fruit de leurs résultats.
R.- Très franchement, vous savez, si vous posez la question à un ministre du Gouvernement, qu'il n'a pas le droit de s'exprimer quand il y a un dossier en cours. Maintenant, vous vous doutez que moi, à titre personnel, je suis comme l'ensemble des Français, qui entendent la révélation de ces faits. Comme l'ensemble des Français qui, justement, voient la différence qu'il peut y avoir entre la pratique justement de certains et ce qu'ils peuvent vivre. Surtout en plus, EADS, je le vois, moi, je suis picard : on a le site de Méaulte où il y a aussi de véritables inquiétudes. Donc, vous vous doutez bien qu'un ministre ne peut pas vous répondre, et vous ne serez pas surpris. Mais vous vous doutez qu'à titre personnel, je n'ai pas un avis qui diverge. Un ministre n'est pas un robot, il a aussi des sentiments, vous savez.
O. Nahum : Alors, vous avez des sentiments, et sur la réforme des régimes spéciaux, est-ce qu'il y aura une campagne de communication auprès des Français ? Est-ce qu'il va y avoir des distributions de prospectus, ou dans ce genre de communication, autour d'une chose importante, qui va peut-être changer la donne ?
R.- C'est une idée que vous me soumettez ce matin ?
O. Nahum : C'est une question.
R.- Je crois, vous savez, que sur ce sujet, il y a un discours qui est clair vis-à- vis de l'opinion, c'est que nous tenons aussi là un engagement fort de la campagne. Vous savez, le dossier des régimes spéciaux, nous ne l'avons pas mis sur la table depuis un mois. Ce régime des régimes spéciaux, on en parle depuis longtemps, il a été au coeur de la campagne présidentielle. Maintenant, moi j'ai besoin d'expliquer en permanence, notamment aussi aux agents de ces régimes spéciaux, la réalité du texte. Et si nous avons mis ce document d'orientation sur la table, c'est aussi par respect, pour dire justement la vérité de ce que nous voulions faire, là où nous allions, et je vais continuer à expliquer, je vais en permanence aussi écouter et être attentif.
O. Nahum : Une précision importante par rapport à la grève qui s'annonce : il n'y aura pas encore de service minimum, il ne pourra pas être appliqué de toute façon, pour cette grève qui arrive.
R.- Pourquoi ? Parce que le service minimum s'appliquera le 1er janvier, c'est ce qui a été dit pendant l'été, parce que d'ici le 1er janvier, il y a des discussions dans les entreprises pour mettre en place ce qu'on appelle "l'alarme social", pour discuter et négocier avant la grève. Et d'autre part, il faut déterminer quelles sont les lignes de bus, les trains prioritaires. Cela demande du temps. Ceci étant, pour le 18, j'ai demandé aux entreprises concernées de faire une information comme jamais il n'y avait eu d'information, et qu'on ait aussi le souci de prendre en compte l'usager, l'utilisateur des transports.
O. Nahum : Merci beaucoup, monsieur le ministre d'avoir été avec nous. Et quand même ce mail d'une auditrice qui habite Saint- Quentin, cela ne s'invente pas, qui nous pose la question : pourriez-vous demander à monsieur le ministre pourquoi on n'arrive pas à capter Radio Classique dans sa ville. Voilà une madame Yvonne qui nous écrit de Saint-Quentin. Comme quoi...
R.- Ça c'est la perche que vous me tendez sur la question de vos fréquences ?
O. Nahum : Non, mais en tout cas, c'est le mail qui est arrivé en direct. Merci beaucoup, X. Bertrand, d'avoir été avec nous.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 12 octobre 2007