Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de l'UMP, à Europe 1 le 17 octobre 2007, sur les propositions de la commission Attali sur le commerce, le financement des syndicats par l'UIMM et les relations entre le Président de la République et le Premier ministre.

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Texte intégral

J.-P. Elkabbach .-  Bonjour J.-P. Raffarin et bienvenue.
 
R.- Bonjour J.-P. Elkabbach, merci de votre accueil.
 
Q.- Je vous en prie ! La commission Attali propose de supprimer la loi Raffarin qui n'a pas répondu à ses promesses. Or Raffarin c'est vous.
 
R.- On ne peut rien vous cacher ! Je vais vous dire, je ne suis pas très content quand même parce que je trouve que la commission Attali fait preuve d'une tendresse naïve à l'égard des hypermarchés. J'entends des commentaires qui sont pour moi des hérésies. Quand on me dit que, « naturellement le petit commerce souffre et c'est à cause des lois », mais s'il n'y avait pas les lois, le petit commerce aurait beaucoup plus souffert. Regardez d'autres pays, y compris européens, qui n'ont plus de centre ville, qui n'ont plus d'animations de quartier. Et nous avons besoin des PME, du commerce. Et aujourd'hui les hypermarchés étranglent très souvent les PME, il faut le dire, notamment dans l'agroalimentaire.
 
Q.- Vous êtes contre la concurrence, vous pensez que ça serait au contraire de la concentration ?
 
R.- Je suis pour la concurrence mais je suis pour que la concurrence permette à des PME de s'exprimer et qu'on n'étouffe pas les PME pour organiser la concurrence entre les mammouths de la distribution et de l'industrie.
 
Q.- La commission Attali dit : « réformer les lois Royer, Galland et Raffarin c'est permettre la maîtrise des prix, des relations simplifiées entre la distribution et l'industrie, une facilité d'accès au marché pour les PME, des effets sur l'emploi, beaucoup d'emplois, et sur la croissance ». Est-ce que la loi Raffarin n'aurait pas bloqué tout ça ?
 
R.- Mais c'est absurde ! Moi, je vais vous donner un exemple d'une petite PME de l'agro-alimentaire : la biscuiterie de Poitou-Charentes. Une belle marque, qui s'appelle Goulibeur. Eh bien ils viennent d'être virés d'une chaîne d'hypermarchés, vous savez, qui porte un nom où il faut faire un stop avant de passer. Eh bien cette grande chaîne elle vient de virer une petite entreprise parce qu'avec vingt salariés, ils sont obligés d'augmenter un peu leurs prix parce que le prix du lait, le prix du beurre augmentent. Et donc, quand je vois comment se comportent les hypermarchés vis-à-vis des PME et vis-à-vis du petit commerce, je dis "attention, à vouloir toujours écraser les prix on finit par écraser des emplois".
 
Q.- Alors, ça veut dire qu'on ne touche pas la loi Raffarin ?
 
R.- Je pense qu'on peut l'aménager, on peut l'adapter, mais il faut maîtriser ces flux. On ne peut pas laisser le commerce se développer dans des grands hangars à l'extérieur des villes pour asphyxier toutes nos petites villes, tous nos centres-villes, tous nos quartiers, qui ont besoin aussi qu'on défende les PME. Il y a les prix mais il y a aussi les emplois.
 
Q.- N. Sarkozy avait demandé à cette commission Attali de décoiffer, de secouer, eh bien elle est en train de le faire. Est-ce que le débat, les polémiques autour de toutes sortes de métiers ne sont pas nécessaires ?
 
R.- Ecoutez, je préfère les propositions de L. Chatel, notamment pour préserver le respect de la vente, notamment interdire la vente à perte. Je pense que ce qui est proposé, ce qu'on appelle le "triple net", qui est une mesure technique sur laquelle je ne reviens pas, les propositions du Gouvernement me paraissent raisonnables, celles d'Attali me paraissent trop liées finalement à l'esprit des hypermarchés.
 
Q.- Demain, la grève sera très suivie, monsieur Raffarin. La tension sociale monte. Est-ce que vous redoutez que les syndicats les plus durs reconduisent la grève ?
 
R.- Il y a quelque chose d'archaïque aujourd'hui à bloquer massivement toute l'activité d'un pays. Moi, je sais ce que ça coûte une journée de travail pour toute la France, parce que vous savez que j'avais créé cette journée nationale de solidarité pour financer...
 
Q.-... on s'en souvient, rassurez-vous on s'en souvient.
 
R.- Oui, mais c'est comme ça qu'on a pu dégager deux milliards de francs pour aider les personnes âgées, pour lutter contre la dépendance pour les personnes handicapées. Et donc, on appauvrit globalement le pays. Je comprends évidemment qu'il faille marquer le coup. C'est vrai que pour un certain nombre de personnes, le changement de statut quant à la retraite pour ces régimes spéciaux, ça va être un effort considérable. Je comprends qu'ils marquent le coup mais je ne pense pas que ça doive durer. Je pense que cette réforme est nécessaire. Je suis sûr qu'elle se fera. Et si la grève est un droit, le service public est aussi un droit.
 
Q.- Est-ce que vous voulez dire que réformer c'est ne pas céder ?
 
R.- Je pense qu'en l'occurrence cette réforme est possible, elle est juste, c'est pour ça qu'elle est possible. Nous avons fait en 2003 la réforme pour aligner le régime des fonctionnaires sur celui du secteur privé. Tout le monde doit cotiser 40 ans, les régimes spéciaux comme les autres. Et donc maintenant, tout le monde à 40 ans. Mais c'est parce que nous avons fait la réforme de 2003 que la réforme de 2007 est possible.
 
Q.- Mais vous n'aviez pas pu réformer régimes spéciaux quand vous étiez Premier ministre. Est-ce que votre successeur est en train de réussir ?
 
R.- Il est en train de réussir parce que, avec lui d'ailleurs, nous avons fait la réforme de 2003. C'est parce que tous les fonctionnaires sont aujourd'hui à 40 ans qu'il ne va y avoir cette solidarité sur les 37,5 ans qu'il y a eue en 95.
 
Q.- Et les régimes spéciaux ce n'est qu'une étape.
 
R.- Je pense que de toute façon, évidemment, ce n'est qu'une étape puisque nous avons rendez-vous en 2008. Dans la loi que j'ai fait voter en 2003, j'ai prévu une clause de revoyure de manière à ce qu'on puisse poursuivre cette réforme. Et, en 2008, il faudra poursuivre la réforme des retraites pour assurer nos retraites et donner de la pérennité à ces retraites.
 
Q.- Et 2008, c'est la revoyure ! Autre chose, l'affaire D. Gautier- Sauvagnac ou l'affaire Medef ou l'affaire UIMM. Chaque jour amène son lot de révélations, monsieur Raffarin, les unes les plus stupéfiantes que les autres. Vous, Premier ministre, est-ce que vous aviez des soupçons ?
 
R.- Aucun. Je trouve ces révélations troublantes et choquantes et je dis vraiment qu'il faut tout faire aujourd'hui dans notre pays pour sauver le dialogue social. Ce qui serait terrible c'est que finalement on trouve dans cette affaire des raisons de discréditer et les organisations professionnelles et les organisations syndicales. Il faut vite mettre en place un système de financement crédible et transparent pour qu'on puisse rétablir un dialogue social vivant dans notre pays. Il n'y aura pas de réforme sans dialogue social, et aujourd'hui notre dialogue est menacé.
 
Q.- C'est-à-dire sans financement public des syndicats ?
 
R.- Sans financement... Transparent. Avec des comptes certifiés.
 
Q.- Mais, restons un moment sur le sujet. Quand vous étiez à Matignon, monsieur Raffarin, est-ce que vous sentiez le poids, les moyens, les lobbies, les réseaux de l'UIMM ? Les valises peut-être aussi ?
 
R.- Jamais de valise, et je suis sans doute le Premier ministre qui n'a pas vu une seule valise, je dirais plus exactement un seul billet d'argent liquide à Matignon puisque les fonds spéciaux étaient arrêtés, que L. Jospin les avait arrêtés et j'étais le premier à être dans cette donne-là, ce dont je me réjouis.
 
Q.- Premier sans-le-sou.
 
R.- Ce dont je me réjouis tous les jours. Et donc, je suis vraiment très clair là-dessus, il n'y a pas eu sous mes yeux quelque intervention de cette nature. Cependant, je dois dire, évidemment, que l'on sent les fortes pressions et que j'ai eu des discussions très, très dures avec le Medef - à l'époque c'était monsieur Seillière - et qu'il y avait des pressions d'un côté comme de l'autre. Matignon c'est le lieu de toutes les pressions. Et justement, le ministre doit être ce résistant qui conduit sa voie juste au-delà de toute pression.
 
Q.- Et il faut qu'il ait du caractère.
 
R.- Absolument ! C'est une donnée de la fonction.
 
Q.- Aujourd'hui, d'autres patrons et d'autres bénéficiaires seront progressivement interrogés. A votre avis, qui alimentait ce fonds de réserve de la métallurgie ? A qui c'était destiné ? Qui en a bénéficié ? Est-ce que vous voulez que ces questions soient posées et en tout cas qu'on apporte des répondes ?
 
R.- Je pense qu'il faut qu'on sache tout de cette affaire et donc la justice va développer ses investigations et apporter les réponses que nous attendons. Il faut régler la question du dialogue social. Pourquoi, J.-P. Elkabbach ? Parce que vous savez qu'on a fait une loi pour dire que maintenant, avant que les députés ou sénateurs soient saisis d'un texte sur le social, il faudra du dialogue social au préalable. C'est-à-dire qu'on a fait du dialogue social une question institutionnelle. On ne peut pas faire d'un côté une question institutionnelle qui serait par ailleurs clandestine. Donc de la constance.
 
Q.- Mais d'abord il faut voir clair et balayer.
 
R.- Il faut voir clair, il faut faire en sorte qu'on sache tout de cette affaire.
 
Q.- Est-ce que D. Gautier-Sauvagnac, il n'est plus le négociateur social du Medef, garde des responsabilités à la tête du Medef et de l'UIMM, et est-ce que ça peut durer longtemps ?
 
R.- C'est au Medef d'apprécier. Moi, je trouve que c'est très choquant et je trouve qu'il y a sans doute un programme d'urgence à lancer pour éviter que soient aujourd'hui discréditées et les organisations professionnelles et les organisations syndicales. Donc, il faut valider le dialogue social et donc vite corriger la ligne.
 
Q.- D. de Villepin ne se prive pas de dire ce qu'il pense de la politique Sarkozy/Fillon, et parfois même de vous.
 
R.- J'ai noté ça, oui.
 
Q.- On lui répond sur le même ton. Est-ce que vous comprenez, vous, ce qu'il cherche, ce qu'il veut ?
 
R.- Pas toujours. Franchement, je pense que sur ces sujets... Je comprends qu'il explique la politique sur EADS et je pense que l'Etat semble avoir agi selon les règles de gouvernance en vigueur à l'époque, et donc je comprends que D. de Villepin puisse affirmer avec force, ça toujours été son style, ses convictions. Tout ça, je comprends. Je ne comprends pas toujours ses interventions...
 
Q.- Vous avez parlé d'EADS, pardon monsieur le Premier ministre, est-ce que les commissions parlementaires des finances, celle du Sénat de J. Arthuis, en particulier, auditionnent la plupart des protagonistes, est-ce que vous êtes choqué que votre successeur, D. de Villepin, y soit entendu ?
 
R.- Non, je trouve que c'est normal que la commission des finances du Sénat, elle a écouté T. Breton, elle veut entendre D. de Villepin, je trouve que c'est normal. Mais je pense que maintenant on arrive au terme d'un processus puisqu'il semble que les informations aujourd'hui rassemblées conduisent à penser que l'Etat a agi selon les règles de gouvernance en vigueur. Ce qui légitime pour moi une certaine énergie de la communication de D. de Villepin. Cependant, sur le plan politique je trouve qu'il va trop loin, ce n'est pas franchement parce que l'opposition est mal en point qu'il est vraiment nécessaire aujourd'hui de lui apporter une aide.
 
Q.- Et qu'est-ce qu'on lui veut à lui ? Et d'autre part, est-ce que s'il continue à vous critiquer avec autant d'indépendance, il peut garder sa place dans la majorité ?
 
R.- Je pense qu'il y a une solidarité minimale dans la majorité. N. Sarkozy, et nous lui en sommes reconnaissants à l'UMP, dit qu'il veut le débat, il doit y avoir débat mais avec un minimum de solidarité. Et donc il y a un certain nombre de lignes qu'il ne faut pas franchir.
 
Q.- Vous publiez chez Michalon Editeur, un livre comme un tract, « 10 questions sur la décentralisations + 1 ». Une : à quoi sert un Premier ministre ? Est-ce que vous aimeriez aujourd'hui être à la place de F. Fillon ?
 
R.- On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, et donc moi j'ai fait ça trois ans et je pense que c'est largement suffisant, et donc je n'ai pas la nostalgie de Matignon. Je me suis bien guéri de tout ça et je suis en bonne santé, cher Jean-Pierre.
 
Q.- Après trois ans ! Et à chaque Premier ministre sa croix, et comme vous dites, « le Premier ministre n'a pas d'autre légitimé que celle du Président, il doit donc s'adapter au Président ». Et vous estimez que ça dépend moins d'une évolution des institutions avec le quinquennat, ce qu'on est en train de voir, que le renouvellement de génération et du tempérament de N. Sarkozy. Vous pensez que ça lui passera, ou il restera comme ça ?
 
R.- Je pense que progressivement le quinquennat va se stabiliser et va s'équilibrer entre les différentes institutions, et notamment les postes institutionnels que sont le président de la République, d'une part, le Premier ministre, d'autre part. Pour moi, il est clair que c'est le chef de l'Etat qui donne toutes les impulsions, et notamment quand c'est un nouveau Président, qu'il a un programme qu'il a fait voter, et, dans ce cas, de N. Sarkozy, qu'il a fait largement voter, il est nécessaire qu'il s'engage personnellement pour pouvoir atteindre les résultats qu'il a promis aux Français. Le Premier ministre est là pour l'aider mais il est clair que le Premier ministre pilote l'action, notamment au Gouvernement, pour l'action au Parlement.
 
Q.- Après le comité Balladur, vous pensez que le Premier ministre peut garder sa fonction pilotage ?
 
R.- Mais je le pense vraiment et il faut qu'on maintienne cette fonction de Premier ministre. Pour moi, très franchement Jean-Pierre, sur ces questions-là, ce n'est pas la relation Président/Premier ministre qui change aujourd'hui avec le quinquennat...
 
Q.-... c'est la relation avec le Parlement.
 
R.- C'est la relation avec le Parlement, parce que le Président a toujours fait le Premier ministre. Mais maintenant, avec l'inversion du calendrier, c'est l'élection présidentielle qui détermine l'élection législative. Donc, c'est l'équilibre entre Parlement et Président qui est, à mon avis, la question institutionnelle majeure.
 
Q.- Je vous cite, J.-P. Raffarin, vous dites : « N. Sarkozy fait bouger les lignes, aboutir les dossiers par son engagement. Je ne crois pas qu'aujourd'hui cette énergie présidentielle soit une faiblesse. En revanche, il me semble qu'elle ne doit pas se développer au détriment des autres fonctions dont on a besoin ». Et vous parlez des conseillers du Président : « Ils n'ont pas le statut de Premier ministre et de ministres ; ils n'ont pas vocation, dites-vous, à participer à l'expression publique. Dans cette nouvelle gouvernance, chacun doit être à sa place. Il ne serait pas sain de dépolitiser les politiques en politisant les techniciens ». C'est-à-dire qu'un certain nombre de conseillers devraient se taire ?
 
R.- Vous avez bien compris. Je pense que N. Sarkozy aujourd'hui apporte beaucoup au pays par sa capacité de persuasion. Regardez, on va avoir jeudi un événement assez extraordinaire : d'un côté une grève en France, et de l'autre côté, l'Union européenne qui planche sur le Traité simplifié, c'est-à-dire qu'on va peut-être avoir jeudi cette grande victoire européenne que nous devons à N. Sarkozy de pouvoir débloquer cette situation d'impasse dans laquelle était l'Europe. Et donc, nous avons cette capacité de persuasion politique, mais je crois qu'il ne faut pas que les techniciens deviennent des politiques et que les ministres qui sont des politiques deviennent des techniciens. Dans la politique, il y a la parole, il y a la responsabilité. Le ministre doit avoir la parole, et le conseiller doit se tenir à son rôle de conseil.
 
Q.- Dernière remarque, on promettait aux Français la rupture. Elle est où la rupture ?
 
R.- Elle est naturellement dans l'énergie présidentielle, dans le fait que le président de la République s'implique sur tous les dossiers. J. Chirac choisissait les dossiers sur lequel il souhaitait s'impliquer, il y a des dossiers sur lequel il s'impliquait à fond, d'autres sur lesquels il laissait le Premier ministre agir complètement. N. Sarkozy a augmenté le nombre de dossiers sur lequel le président de la République agit.
 
Q.- C'est tout ! C'est ça la rupture, c'est tout ?
 
R.- C'est très important quand il s'agit de s'engager personnellement auprès des étudiants en médecine comme hier, auprès des ouvriers dans les usines, auprès de tous ceux qui aujourd'hui ont des choses à dire. C'est un Président qui est sur le terrain, au contact des Français, c'est-à-dire au fond, J.-P. Elkabbach - et pour la politique c'est très important - un Président qui tient ses promesses.
 
Q.- Bonne journée, merci d'être venu.
 
R.- Bonne journée à vous tous.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 17 octobre 2007