Interview de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, auprès du Premier ministre, à France Inter le 17 octobre 2007, sur la lutte contre la pauvreté et le rôle des associations.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand .- 7 millions de pauvres en France, un taux de pauvreté de 12,1%. Comment qualifiez-vous cette situation ?

R.- De dramatique. On a beaucoup de pauvres qu'on ne devrait en avoir dans notre pays. Une pauvreté qui s'est rajeunie, qui s'est diversifiée, qui s'est complexifiée, mais une pauvreté qu'on peut réduire.

Q.- "Les pouvoirs publics ne se rendent pas compte de l'ampleur de la précarité en France", a déclaré, hier, le président du Secours Catholique. Votre sentiment sur ce constat ?

R.- Je ne suis pas d'accord avec lui. Parce qu'il a dit cela en sortant d'une heure et demie d'une séance de réunion au cours de laquelle le président de la République a dit aux associations, et on le verra tout à l'heure : "J'ai parfaitement entendu ce que vous dites, je pense moi aussi que la situation n'est pas acceptable, je connais ces différentes formes de pauvreté". Et donc, je crois que les pouvoirs publics s'en rendent compte. Il y a 12 ans, je n'étais pas "pouvoirs publics", j'étais "pouvoir associatif", je me rendais compte de la pauvreté. En quatre mois, en ayant changé de fonction, je n'ai pas tout d'un coup gommé la conception qu'on a de la pauvreté. Donc, on s'en rend compte et on s'y attaque. Et c'est peut-être cela qui déstabilise un petit peu. C'est qu'il faut changer de disque. Le disque, qui consiste à dire "les pouvoirs publics ne s'en rendent pas compte, ils n'ont pas vraiment de volonté politique, ils ne vont pas vraiment le faire", eh bien, aujourd'hui on dit "on va le faire, on va se fixer une obligation de résultats, on va se donner les moyens de le faire". Et donc, il faudra que chacun adapte son discours à ce changement de cap.

Q.- Des objectifs, on en a souvent entendus, du type "zéro SDF, dans deux, trois, quatre cinq, six ans". Là, il y a un objectif chiffré, également, prononcé par le président de la République, fixé par le président de la République. Est-ce important pour vous de s'engager, de cette manière-là, avec un chiffre ?

R.- C'est absolument fondamental.

Q.- Pourquoi ?

R.- On est aujourd'hui la "Journée de la misère". On a entendu tellement longtemps dire qu'il fallait éradiquer la misère "demain matin", et que ceux qui disaient "après-demain", c'étaient des timorés, mais que, du coup, on voyait quand même, finalement, la misère continuer à augmenter, qu'il faut maintenant avoir les mêmes outils qu'on utilise pour les autres politiques. Je ne vois pas pourquoi pour les politiques économiques, pour toutes les autres politiques, il y aurait effectivement des indicateurs qui forceraient à agir et qu'il n'y en aurait pas sur la pauvreté. Donc, quand on dit qu'on doit concilier le fait que notre objectif à tous c'est de tendre vers l'éradication de la misère, dans la lignée des plus grands noms qui se sont impliqués dedans, mais il faut commencer par faire une partie du chemin, et dans des conditions contraintes. Quand je dis "contraintes", c'est qu'on se met nous-mêmes, j'allais dire, l'élément, la force de rappel, qui fera que, justement, les associations et les partenaires sociaux pourront dire à l'Etat : vous vous êtes engagés sur moins de 2 millions de pauvres au cours des prochaines années, où sont les compteurs aujourd'hui ? Où en est-on ? Combien y a-t-il, effectivement, de femmes et d'hommes, de visages, de situations qui se sont améliorés ?

Q.- Donc, on pourra faire plus facilement le bilan, c'est pour cela que c'est important de poser un objectif, pour bien vous comprendre ?

R.- Oui, non seulement le bilan, mais il pourra y avoir...Ce qu'on donne aux uns et aux autres, c'est un levier pour pouvoir nous demander de rendre des comptes.

Q.- Où en êtes-vous avec les associations précisément ? Vont-elles, ont-elles signé ou non, cet engagement justement que vous leur proposez ?

R.- Non, elles n'ont pour l'instant pas signé d'engagement. Je les vois, depuis longtemps on les voit, je pense qu'aucune ne réfute l'idée qu'il faille renverser les tendances, réduire la pauvreté. Ce qui m'a un peu surpris c'est que, finalement, c'est le plus dur qui a avancé le plus rapidement. C'est-à-dire que, il y a quelque temps, que se passait-il ? Nous, les associations - je dis "il y a quelque temps", j'étais dans l'association - on disait : mais quand même, les pouvoirs publics ne nous entendent pas, et puis, le patronat, les syndicats ont d'autres chats à fouetter que les sujets de pauvreté. Aujourd'hui donc, il y a un cap sur la pauvreté, il y a une obligation que se fixent le président de la République et l'ensemble du Gouvernement, il y a le patronat, la FNSEA, la CGPME, les artisans...

Q.- C'est-à-dire la prise de conscience avance, c'est cela ?

R.- Voilà... qui disent : nous, on voudrait s'engager, on est prêt à le faire, on est prêt à le traduire, on a des syndicats qui poussent. Et puis, il y a les associations qui sont dans une situation, je dirais, aujourd'hui un peu de scepticisme, de méfiance. Et moi je dis qu'il ne faut pas finasser, il ne faut pas faire du second degré sur la lutte contre la pauvreté.

Q.- Vous étiez, il y a quelques mois encore, du côté des associations, Emmaüs, en l'occurrence. Vous la comprenez cette méfiance, vous vous l'expliquez ? Pour quelles raisons existe-t-elle ?

R.- Je pense que cette méfiance existe parce qu'effectivement, on a eu l'habitude de se faire un peu payer de beaux mots, voilà. Et donc, je trouve cela assez logique qu'on y regarde à deux fois. Et puis peut-être qu'il y a des incompréhensions, c'est-à-dire, on n'est pas en train de dire aux associations, ou de leur demander de faire plus qu'elles font. On leur dit de jouer un rôle, on leur offre la possibilité d'avoir un troisième rôle. Elles ont un premier rôle, qui est le rôle de pouvoir hurler quand quelque chose ne va pas, et cela c'est normal. Elles ont un deuxième rôle, qui est de faire de l'action de terrain. Formidable. Et là, on leur dit, il y a un troisième rôle, qui est effectivement d'être une partie prenante de sujets de négociations, auxquels sont beaucoup plus habitués les syndicats, le patronat, les pouvoirs publics, et moins les associations. Donc, on leur dit : il faut que vous rentriez dans ce troisième rôle, pour nous aider nous-mêmes à faire force vis-à-vis des autres acteurs.

Q.- Comment pouvez-vous les convaincre ces associations, qu'elles ne seront pas payées de mots ?

R.- D'abord, parce que tous les jours on fait avancer des programmes. Parce qu'ensuite, quand on a oublié le moment où on se demande si on va être récupéré ou pas récupéré, qu'est-ce qu'on fait ? On va département par département, on avance nos sujets, on voit effectivement que se mobilisent dans les conseils généraux - toutes les associations locales sont là, toutes les associations d'insertion sont présentes - et puis, ces objectifs se déclinent localement. Donc, je pense que c'est cela ce qui fera avancer. Et puis, elles ne peuvent pas être absentes.

Q.- Pensez-vous qu'elles seront toutes présentes au "Grenelle de l'insertion" auquel vous travaillez activement et qui doit avoir lieu dans quelques semaines, quelques mois ?

R.- Elles sont toutes invitées et puis elles sont toutes demandeuses. Là, effectivement, c'est un autre exemple de choses très concrètes. C'est quoi "le Grenelle de l'insertion" ? D'abord, elles l'ont demandé, le président de la République a accepté en un quart de seconde, et on est en train de le mettre en oeuvre. C'est quoi ? C'est tout simple. Depuis 20 ans, on se lamente. RMI - "Revenu minimum d'insertion" - où est le "I" d'insertion ? Depuis 25 ans, on change de sigle tous les deux ou trois ans pour les contrats d'insertion - les TUC, les CES, les contrats d'avenir, les contrats d'accompagnement dans l'emploi, etc., etc. Et on ne sait toujours pas quel est le sens profond de l'insertion. Depuis 25 ans, on dit : et les entreprises, il faudrait peut-être qu'elles s'en mêlent ! Il faudrait, peut-être, elles aussi, qu'elles fassent de la place à des gens en insertion ! Et il n'y a toujours pas cette réponse-là. Et puis, on dit quelquefois : la formation, la qualification... Et quand on regarde où vont les fonds de formation et de qualification, ils ne vont jamais pour les gens les plus en difficulté. Voilà ce type de sujets qu'on va traiter. C'est du concret, ce sont des choses qui vont avoir des implications directes sur la situation des plus fragiles.

Q.- Vous avez les moyens de vos ambitions au sein du gouvernement Fillon, c'est ma dernière question ?

R.- Pour l'instant, je ne suis pas limité par rapport à ces ambitions-là. Et ce que je peux vous dire, et ce que je dis à tout le monde c'est que, la balle est dans notre camp. C'est-à-dire qu'on n'est pas là en train de réclamer des milliards pour ne rien faire, on est là pour nous dire : si, il faut qu'on soit suffisamment convaincant pour que, si nos programmes marchent, on peut vous dire que les moyens suivront.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 17 octobre 2007