Interview de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, à France-Inter le 22 février 2001, sur la libération sexuelle des années 1970, l'affaire de pédophilie soulevée par le livre de Daniel Cohn-Bendit et les droits des enfants sur l'obligation de signalement.

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Média : France Inter

Texte intégral

Y a-t-il eu une tyrannie de la libéralisation sexuelle dans les années 70 et a-t-elle concerné des enfants ? D. Cohn-Bendit se voit confronté à cette question. Dans un essai dont il est l'auteur, publié en 1975, alors qu'il était éducateur dans un jardin d'enfants autogéré à Francfort, il se décrit en situation scabreuse avec des petits. Cela n'avait pour but, dit-il aujourd'hui, que de transgresser les frontières et briser les interdits. 33 000 exemplaires de cet essai ont été vendus en 1975 ! A l'époque, pas de réaction. Est-ce à dire qu'en 26 ans, la culture et la vision ont à ce point changé qu'aujourd'hui, en effet, ce livre pose question ?
- "Heureusement que les choses ont beaucoup changé mais il est toujours utile de réfléchir à l'évolution des pensées et des idées. C'est vrai que dans les années 70, il y a eu, au nom d'une libération sexuelle fort mal comprise, une grande confusion des valeurs, des places et des générations. Aujourd'hui, je crois que les choses ont été remises sur pied et qu'il est clair qu'un enfant n'est pas un adulte en miniature et que son premier droit, c'est d'être protégé, d'être éduqué, d'avoir son corps respecté. Au fond, ce qui structure une société, c'est cette hiérarchie des générations au sein de laquelle se trouve l'interdit de l'inceste. C'est un interdit fondamental qui remet chacun à sa place dans l'ordre des générations pour que l'identité de l'enfant s'y retrouve. C'est vrai qu'il y a eu cette confusion, avec des écrits dangereux. Ces écrits ont été dangereux parce qu'ils ont théorisé et qu'ils ont justifié l'atteinte intolérable à l'intégrité physique des enfants."
J. Guillebaud, journaliste-essayiste, auteur de "La tyrannie du plaisir", qui est avec nous en ligne, propose que sa génération - la même que Cohn-Bendit - ait le courage de faire sur la libération sexuelle la même autocritique qu'elle a faite par exemple sur son maoïsme ou son gauchisme intempestif. "Sur la question du sexe, dit-il, on continue de parler une langue de bois, comme si, à propos de ce qui s'était passé il y a trente ans, il fallait tout accepter ou tout refuser... Il faut dire qu'on a déliré et on a totalement déliré." La question que je voudrais vous poser maintenant, c'est celle d'une forme j'allais dire d'immaturité à l'époque, lorsqu'on entend des slogans tels que "levons tous les interdits", "il faut que les enfants aussi aient droit au plaisir.".. Quand on relit ces écrits avec le recul, on se demande même si ceux qui disaient cela réfléchissaient vraiment à ce qu'ils disaient ou faisaient.
- "J'aurai peut-être une nuance par rapport à ce que vient de dire M. Guillebaud. Je crois que toute la société n'adhérait pas quand même à cette façon de voir les choses. J'observe d'ailleurs qu'il y a très peu d'écrits de femmes en particulier, qui n'ont jamais fait la confusion des valeurs entre les droits de l'enfant et la dignité qui leur est due. Cette autocritique peut être nécessaire. Ce qui m'intéresse, c'est l'actualité, c'est l'avenir."

Allez-vous faire cette réflexion ? Qu'allez-vous faire de ces questions posées par J.-C. Guillebaud ?
- "J'aurai l'occasion de redire prochainement, à propos de la réforme du droit de la famille, qu'il faut être bien au clair sur le devoir d'autorité et de responsabilité des adultes. C'est vrai que le slogan des années 70 sur "il est interdit d'interdire" a fait beaucoup de mal aux jeunes, puisque d'une certaine façon, les jeunes eux-mêmes sont en recherche de limites, car s'il n'y a pas de limites, il n'y a rien à transgresser. Donc, pour qu'un adolescent devienne un adulte, il a besoin de transgresser, de se construire avec ses propres valeurs et si les adultes n'ont pas le courage de lui imposer un certain nombre de limites - ce qu'une génération doit à la suivante, c'est cette notion de limites, de valeurs, de références - à ce moment-là, les adolescents sont perdus. Ils sont en recherche finalement de références. La responsabilité première d'un éducateur, qu'il soit parent, enseignant, ou animateur sportif, c'est d'apporter aux enfants ces références fondamentales."
Mais faut-il pousser la réflexion, comme suggère J.-C. Guillebaud à propos de ces années 70, et dire les choses vraiment pour qu'on puisse avancer sur un terrain qui soit sain ? C'est d'ailleurs la seule vertu de l'affaire Cohn-Bendit, à savoir nous conduire tous à nous poser ces questions ...
- "Oui. Cela dit, maintenant, vingt-cinq ans se sont écoulés. Ce qui est important aujourd'hui, c'est ce qui se passe. Si l'on revoit l'actualité par rapport à l'émergence des affaires de pédophilie, je crois qu'aujourd'hui, heureusement, la société est au clair. Ce qu'il faut retenir dans ces affaires, c'est que finalement le système d'alerte, d'accompagnement, de prise de conscience fonctionne bien. Il faut continuer à le faire fonctionner. Nous avons décidé, avec J. Lang, le ministre de l'Education, de saisir l'opportunité de cette douloureuse affaire pour que là aussi tout le monde soit bien remis au clair sur ces raisons d'agir, sur ces façons de faire, et sur l'obligation de signalement et de porter secours aux enfants."
(...)
A propos du devoir de réflexion et de mémoire sur les ces années 70, et du nécessaire débat qu'invoque J.-C. Guillebaud, qu'en pensez-vous ?
- "Je voudrais juste relever une expression qui vient d'être prononcé, sur le "bêtisier" de la pédophilie. Il faut être très au clair : la pédophilie est un délit, un crime, et elle est réprimée même lorsqu'elle a lieu par séduction. Une société gagne toujours à être au clair avec la loi, avec le droit. Ma préoccupation aujourd'hui, comme ministre de la Famille et de l'Enfance, c'est de rappeler sans cesse le droit. C'est pour cela aussi que j'ai mis en place une mission de prévention des violences en institution pour continuer à être au clair sur ces questions, que désormais les préfets vont mettre en place une commission départementale sur l'enfance en danger. Cela veut dire que la protection de l'enfance devient une affaire d'Etat, prise au sérieux, qui coordonne les différents acteurs. Une campagne nationale de lutte contre les violences sexuelles sera lancée à l'automne. Je crois qu'il n'y a pas de fatalité sur ce sujet-là. Les enfants sont à la fois acteurs de leur propre protection, mais tous les adultes qui les entourent doivent être au clair sur leurs responsabilités."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 23 février 2001)