Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, à "France Inter" le 23 octobre 2007, sur l'évolution de la consommation des ménages, le pouvoir d'achat, la hausse de l'euro face au dollar.

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Média : France Inter

Texte intégral


N. Demorand.- Tout à l'heure, démarre la conférence sur l'emploi et le pouvoir d'achat. Les Français sentent bien, C. Lagarde, que le coût de la vie augmente, et vous vous dites : l'inflation est bien maîtrisée en France. Est-ce que les Français se trompent ?

R.- L'inflation est bien maîtrisée en France, cela je le confirme, mais revenant de New- York où l'ensemble des questions relatives au pétrole, relatives au cours du change, relatives à l'inflation, relatives aux fondamentaux de l'économie ont été évoqués, je crois que nous les Français nous faisons figure un peu d'élève modèle, du point de vu de l'inflation en tout cas.

Q.- Mais comment expliquez la contradiction alors, si l'inflation est maîtrisée c'est que les prix n'augmentent pas ? Or on a quand même le sentiment et même des preuves, quand on achète une baguette de pain ou un litre de lait, que les prix augmentent bien !

R.- La consommation a énormément évolué au cours des dernières années, on s'aperçoit aujourd'hui que les dépenses qui représentaient à peu près 40 % du budget d'un ménage il y a une quinzaine d'années représente aujourd'hui à peu près 16 % ? Je parle là des dépenses alimentaires. Donc, dans ce secteur là, il y a des augmentations qui sont liées à l'augmentation du cours des matières premières, qui sont liées à l'augmentation des prix alimentaires actuellement, où il y a un peu d'augmentation, c'est vrai. Nous faisons avec L. Chatel tous nos efforts pour travailler avec les distributeurs, travailler avec les fournisseurs, et s'assurer que dans les filières en tout cas, on ne profite pas d'augmentations des produits alimentaires pour répercuter au-delà des hausses en question les hausses sur les prix pour que les consommateurs n'en subissent pas les conséquences. Voilà toutes les mesures que nous prenons actuellement.

Q.- Je vous montre une pleine page là dans le journal d'un distributeur justement. "Monsieur le Président, promettre la hausse du pouvoir d'achat c'est permettre la baisse des prix". Visiblement, c'est mal parti : le camembert + 20 %, les pâtes, les spaghettis + 32 %, l'eau minéral d'une certaine marque + 15,6 %, l'Ajax permet de nettoyer chez soi, + 20 %. Voilà...

R.- Cela, c'est une excellente page de publicité d'un grand distributeur qui veut obtenir plus en matière de marge de négociation avec ses fournisseurs. Ce que nous faisons, c'est que nous essayons d'instaurer un peu d'équilibre dans les relations fournisseurs/distributeurs. Et nous voulons, en particulier, permettre aux distributeurs de répercuter sur les prix de vente toutes les remises dont ils bénéficient de la part de leur fournisseur, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Donc, aujourd'hui les distributeurs - je ne m'apitoie pas sur leur sort parce que, vous savez, ils gardent un certain nombre de ce qu'on appelle les marges arrière, c'est-à-dire des remises qu'ils obtiennent des fournisseurs. Nous nous souhaitons que les marges arrière, ils puissent les faire passer devant pour que les prix à la consommation baissent.

Q.- "Mesurette", dit-il. C'est Monsieur Leclerc en l'occurrence !

R.- Monsieur Leclerc - c'est vous qui avez pris la responsabilité de le citer - évoque cette "mesurette", pourquoi ? Parce que lui voudrait avoir la négociabilité complète des tarifs et des conditions générales de vente.

Q.- Et pourquoi dont ?

R.- Et comme, ils sont en puissance de négociation très forte dans la mesure où, se sont de gros distributeurs, qui représentent parfois une part très importante des ventes d'un fournisseur, ils sont, à ce moment là, en mesure vraiment de coincer très fort les fournisseurs. Quand il s'agit de très grands fournisseurs, très bien équipés pour négocier, cela peut se comprendre, le rapport est équilibré. Quand il s'agit de tout un tas de petites PME, de petits fournisseurs qui eux n'ont pas l'habitude de ces grandes négociations, alors là, le rapport est totalement déséquilibré. Et il m'appartient, à moi, ministre de l'Economie et des Finances et de l'Emploi de m'assurer que le rapport reste équilibré.

Q.- Dans la conférence qui démarre tout à l'heure sur l'emploi et le pouvoir d'achat, les syndicats ont d'ores et déjà demandé que les aides aux entreprises soient conditionnées à une politique salariale ambitieuse, "donnant-donnant". Qu'en pensez-vous C. Lagarde ?

R.- C'est effectivement le bon débat. Que cherchons nous à faire avec cette conférence sur l'emploi et le pouvoir d'achat qui commence, je le rappelle, tout à l'heure ? Nous cherchons à engager un dialogue entre partenaires sociaux, qui engage également le Gouvernement, pour se concerter sur un certain nombre de points : premièrement, les salaires minima dans les branches en liaison avec le SMIC, parce qu'on s'est aperçu bien entendu au cours des années que grâce à l'augmentation progressive du SMIC, eh bien, les salaires minima dans les branches n'ont pas bien souvent évolué faute de négociations. Et ce que les organisations syndicales demandent à juste titre, c'est que des négociations s'engagent annuellement. Donc, nous allons évoquer ces questions là. Nous allons voir si les allègements sociaux doivent être conditionnés ou non dans le cadre de ces négociations.

Q.- Les chiffres de l'Insee : il n'y a jamais eu autant de smicards en France et en même temps, jamais, les 3.500 familles françaises les plus riches n'ont été aussi riches. Les inégalités sont flagrantes. Est-ce normal ?

R.- Tout l'objet de la politique que nous essayons de mener, actuellement, c'est que chacun puisse travailler plus pour gagner plus. Dans cette logique là, ceux qui vont être en mesure par exemple de faire des heures supplémentaires - ce qui est le cas depuis le 1er octobre - vont évidemment se trouver en situation, un de travailler plus ; deux de gagner plus, trois de gagner en pouvoir d'achat. Cet effectif depuis le 1er octobre, clairement, vise à réduire cet écart dont vous parliez tout à l'heure.

Q.- Mais, comment le jugez-vous cet écart ? Il n'a jamais été aussi large !

R.- Cet écart est large, et cela n'est pas souhaitable dans un souci de cohésion sociale. Et c'est précisément, au nom de la cohésion sociale que nous souhaitons engager ce dialogue entre les partenaires, et c'est aussi pour réduire cet écart que nous avons mis en oeuvre le principe du "travailler plus, gagner plus". Si un salarié peut aujourd'hui faire des heures supplémentaires, gagner + 25 %, ne pas payer de charges sociales, ne pas payer d'impôts, cela lui permet, bien entendu, d'augmenter son revenu net à la fin du mois. C'est le cas depuis le 1er octobre. Et nous allons dès la fin du mois, voir dans les bulletins de salaires de chacun de ceux qui ont pu faire des heures supplémentaires le résultat.

Q.- Vous revenez donc des Etats-Unis où les ministres des Finances du G7 se réunissaient. ¨Pendant la réunion, deux recors absolus ont été battus : le prix du baril du pétrole d'abord, et l'euro face au dollar. 1,43 pour 1 euros ! Quel est votre sentiment sur ce record C. Lagarde ?

R.- Il faut regarder l'ensemble des valeurs les unes pas rapport aux autres. On est aujourd'hui en présence d'un certain nombre de déséquilibres. Ne regarder que l'euro et le dollar, c'est faire preuve d'un peut d'étroitesse d'esprit. Il faut regarder le yuan, le yen, le dollar, l'euro. Et c'est dans le cadre de tous ces équilibres là, et dans la mesure où les Chinois, par exemple, participent beaucoup au commerce international, exportent massivement et se servent de leur monnaie, qui n'est pas flottante pas rapport à l'euro ou au dollar, qui le sont, que nous devons d'abord nous positionner. Et nous avons collectivement, tous ensemble, les pays du G7, demandé aux Chinois d'accélérer l'appréciation du Yuan. C'est un premier pas vers un meilleur rééquilibrage de toutes les monnaies européennes.

Q.- Et sur le dollar ?

R.- Le dollar, mon collègue Polson a redit que ce qui était bon pour l'économie américaine, c'est un dollar fort. J'observe au passage que lundi, il a légèrement remonté par rapport à l'euro. Donc, je suis contente de voir que les marchés commencent à l'entendre et j'espère qu'ils vont continuer.

Q.- Mais à 1,43 dollar pour 1 euro, est-ce que la situation est économiquement tenable pour nous, de ce côté-ci de l'Atlantique ?

R.- Ce qui est important, c'est qu'en matière d'exportation, en matière de qualité des produits, en matière de productivité, nos entreprises et tous ensemble nous fassions constamment des progrès. C'est à ce prix là, et c'est à force de recherche, de développement, d'innovation d'une part et d'une meilleure productivité que nous arriverons à être compétitifs.

Q.- Est-ce que vous avez encore du pouvoir comme ministre de l'Economie sur tous ces sujets ? On voit les monnaies, dont le taux de change évolue, qui battent des records, les prix des matières premières qui augmentent, le pouvoir d'achat qui s'érode même si l'inflation est maîtrisée. Qu'est-ce que vous pouvez faire ?

R.- On peut d'abord être d'accord entre nous. Ce qui est la condition absolument déterminante pour pouvoir agir un peu sur un certain nombre de facteurs. En présence d'éléments politiques à risque - et je crois qu'en ce qui concerne le pétrole, c'est vraiment les tensions entre la Turquie et l'Irak sur le sujet du Kurdistan qui ont amené une hausse du pétrole. Là, il faut évidemment tenter d'apaiser les situation et puis surtout d'éviter des mouvements spéculatifs trop importants.

Q.- Mais c'est une bonne chose sur le dossier pétrolier que l'euro soit aussi haut !

R.- Je vous demande pardon ? C'est une bonne chose...

Q.- C'est une bonne chose, considérant que le prix du pétrole est en dollar, que l'euro soit aussi haut !

R.- Bien entendu, cela nous permet d'acheter beaucoup plus de pétrole pour le même montant de dollar. Donc, on est en situation privilégiée à cet égard. J'ajoute au passage que la France est quand même aussi particulièrement mieux positionnée que ses voisins allemands, par exemple, puisqu'on a la maîtrise d'à peu près 80 % de notre énergie industrielle grâce à la filière nucléaire. Donc, on est bien servi par un euro fort d'un côté et en nécessaire recherche de productivité de l'autre côté.

Q.- Tout va très bien Madame la ministre alors ?

R.- Je crois qu'on fait des progrès et on innove. Je vais vous donner un exemple. C'est un dossier sur lequel je me suis mobilisée récemment, parce qu'il me parait de nature à pousser à la concurrence et à faire baisser les prix. Vous savez que la Banque postale existe depuis un certain temps, et je leur ai demandé il y a quelques jours de me faire des propositions pour vérifier dans quelles conditions je pourrais autoriser La Poste à faire du crédit à la consommation...

Q.- Et c'est acquis, donc ?

R.- C'est un exemple parmi d'autres des actions que nous pouvons engager. Je leur ai demandé de me faire des propositions. A la lumière de ces propositions que j'espère très rapides, je vais voir si oui ou non on peut demander à La Poste de faire du crédit à la consommation pour engager plus de concurrence. Ça aussi, c'est une des actions du Gouvernement que de faire souffler un vent de concurrence sur l'économie pour en libérer la croissance.

Q.- A défaut d'avoir de l'argent, on pourra en emprunter, si je vous comprends bien ?

R.- On pourra en emprunter, et puis, on pourra surtout en emprunter à des conditions qui seront plus favorables, puisqu'il y aura plus d'acteurs en concurrence. Cela me paraît une bonne chose.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 23 octobre 2007