Texte intégral
Monsieur le Président du CNOSF,
Monsieur le Président de l'Agence Mondiale Antidopage,
Monsieur le Président de l'Union cycliste internationale,
Mesdames et Messieurs,
Règle et confiance, chacun, je pense, aujourd'hui l'aura compris, se supposent l'une l'autre. Ce qui se vérifie d'un point de vue strictement utilitariste, puisque, conformément à un principe d'économie bien connu, la confiance nécessaire à tout marché exclue l'aléa discrétionnaire, constitue surtout le fondement même de toute éthique.
Certes, disons le, sans nous voiler la face : suivant la simple logique de l'intérêt bien compris, la sport a tout à gagner, en terme d'image, de crédibilité, à l'instauration de contrôles anti-dopage impératifs et contraignants.
Cependant, à mes yeux, bien entendu, l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est de promouvoir la valeur exemplaire du geste sportif qui suscite, notamment auprès des plus jeunes, ce sentiment qui élève et qu'on nomme : admiration.
Il faut pour grandir, en effet, être capable de redresser la tête, non pas de se prosterner et d'idolâtrer, mais être en mesure de reconnaître les marques du courage, de la probité, de la générosité, bref de l'excellence humaine qui parfois se manifeste de manière éclatante et exceptionnelle dans un exploit sportif, individuel ou collectif.
Je tenais, pour clôturer ces rencontres, à vous dire que j'ai bon espoir pour le sport qui devrait sortir grandi, plutôt qu'affaibli, de la lutte contre le dopage.
En imposant des règles de contrôle catégoriques, en les universalisant, non seulement nous consoliderons la confiance nécessaire à l'enthousiasme suscité, mais nous favoriserons l'avènement d'une ère nouvelle où le comportement sportif cessera de refléter nos moeurs chimiquées, d'en être la désolante copie, pour devenir le modèle qu'on voudrait imiter. Le sport de haut niveau a vocation, en effet, à promouvoir des manières d'être exemplaires et non à répéter jusqu'à la caricature notre appétence frénétique pour la rentabilité et nos travers consuméristes.
Le sport doit avoir pour effet d'élever ceux qui le pratiquent avec rectitude et générosité, sans faux semblants. Pour susciter notre passion, d'ailleurs, une épreuve sportive doit rester un jeu loyal et ouvert. Nous ne désirons pas applaudir quelques surhommes invulnérables, programmés pour gagner. Une compétition sportive cesse d'être authentiquement sportive et nous ennuie bien vite, quand elle n'offre que le spectacle d'une invincibilité factice. La beauté du sport, au contraire, suppose toujours l'audace et l'invention d'un style. Nous aimons sentir, en effet, qu'une liberté s'exprime dans l'espace pourtant contraint de règles géométriquement tracées, et s'incarne devant nous dans des gestes mémorables. Car c'est l'usage de cette liberté qui confère au geste sportif sa valeur singulière.
La beauté du sport consiste à nous laisser voir ce que chacun « peut » dans les limites de son propre corps. Le but du jeu n'est pas de transgresser les frontières du possible au risque de se détruire. Le sport est un beau combat s'il s'agit de découvrir en soi-même les ressources nécessaires à l'exploit.
Le sens essentiel de la lutte contre le dopage est donc bien de redorer les blasons du sport, d'en magnifier la valeur. Nous pouvons nous en donner les moyens. C'est une chance historique qu'il ne faut pas manquer. Nous disposons, en effet, aujourd'hui, des instruments qui nous permettent de mener efficacement le combat contre le dopage. A cet égard, nous pouvons d'ores et déjà tirer les leçons des efforts déjà accomplis par le cyclisme qui est aujourd'hui, de très loin, le sport le plus contrôlé. Ainsi, le cyclisme international, tel une sorte de laboratoire expérimental de la lutte antidopage, pourrait bien servir d'exemple à l'ensemble du sport français, européen, mondial. Le passeport sanguin, en ce sens, pourrait, après avoir été expérimenté, devenir pour tous les sports, une solution d'avenir.
La mise en place du passeport sanguin nous offre, en effet, bel et bien, l'opportunité d'amorcer un tournant historique dans la lutte contre le dopage. Il s'inscrit dans la continuité des nouvelles méthodes de contrôle (développées par l'AMA et l'AFLD...), dites méthodes de détection indirecte.
Contrairement à la détection couramment pratiquée, qui isole dans le sang ou l'urine du sportif la molécule interdite, la détection indirecte doit permettre de déceler des conduites dopantes sans recherche de substances. Le passeport sanguin se fonde sur l'observation d'évolutions anormales des données biologiques individuelles. Il permettra, ainsi, de détecter plus facilement les produits dopants qui échappent aux méthodes de détection classiques.
Le passeport sanguin permettra d'instaurer un suivi sanguin individualisé de chaque sportif. Comme l'ont montré vos discussions, lors de la deuxième table ronde d'hier, le passeport sanguin a fait l'objet de validations scientifiques, et offre ainsi une véritable garantie de résultats.
En outre, la proposition de révision du code mondial anti-dopage ouvre le champ à la reconnaissance des preuves indirectes. Une modification de l'article 2.2 du code a ainsi été proposée, et sera soumise à approbation lors de la conférence de Madrid du 12 au 17 novembre 2007. Cependant, comme toute méthode radicalement nouvelle, le passeport sanguin nécessite d'être testé dans la pratique. Un projet pilote qui nous fournira les bases sur lesquelles le passeport sanguin pourra être évalué en termes de ratio coût / efficacité.
Sur le fondement de l'expérience cycliste, nous trancherons, à l'automne 2008, sur le fait de savoir si l'utilisation du passeport sanguin doit être pérennisée et étendue aux autres sports. Les discussions menées au cours de ces deux journées ont permis de lever différentes difficultés liées à la mise en place du passeport biologique. Des difficultés d'ordre organisationnel ont tout d'abord été soulevées : mise en place de plusieurs milliers de contrôles, agrément d'un nombre limité de laboratoires, identification des préleveurs... L'implication forte de l'UCI et la mobilisation de son réseau transnational permettront de dépasser ces difficultés.
L'application de sanctions prévue par une telle mesure soulève également des questions d'ordre juridique, comme celle de la responsabilité en cas de contentieux. Sur ce point il semble pertinent d'opter pour un partage des responsabilités, et de privilégier un processus de prise de décision en deux temps :
D'abord, un examen médical et scientifique indépendant pourrait être rendu par une commission dont la composition sera validée par l'AMA et l'UCI
Puis viendrait la prise de décision fondée sur l'avis médical de cette commission, Enfin, les discussions ont permis de se demander si la soumission au suivi du passeport sanguin devait reposer sur le volontariat ou revêtir un caractère obligatoire. Vous avez décidé, à juste titre, il me semble, de doter le passeport sanguin d'un caractère contraignant, qui seul offre la garantie d'un pari réussi. Ainsi, le passeport sanguin deviendra une condition nécessaire à la participation aux épreuves cyclistes dont le Tour de France. Les anomalies qu'il permettra de détecter conduiront à des sanctions réglementaires (no-start notamment) ou disciplinaires.
L'instauration du suivi du passeport sanguin permettra de palier les insuffisances des contrôles antidopage traditionnels. Les contrôles traditionnels n'apparaissent, en effet, plus adaptés aux nouveaux protocoles de dopage, qui ont fait l'objet de raffinements permanents...
En outre, on peut leur reprocher une iniquité de traitement, puisqu'ils ne sont pas pratiqués de façon systématique sur la totalité des participants à une course, certains coureurs étant, de fait, dispensés de contrôle. La pratique de contrôles aléatoires est, en effet, susceptible de laisser des conduites dopantes impunies. C'est pourquoi il convient, comme il a été décidé aujourd'hui, que le suivi du passeport sanguin ait un caractère contraignant pour tous.
Ensemble, nous avons donné la preuve qu'aucune difficulté technique n'est insurmontable. Aussi, je tiens une dernière fois à vous remercier pour avoir rendu possible ce changement radical qui marquera l'Histoire de la lutte contre le dopage. Il est de notre responsabilité d'empêcher qu'un climat de suspicion généralisée ne s'installe. Du succès de ce combat, dont les enjeux moraux n'échappent à personne, dépend l'avenir du sport.
Je ferai donc un voeu pour finir : le voeu qu'à l'occasion de cette lutte contre le dopage, nous puissions, tous ensemble, sceller pour longtemps l'union sacrée de l'éthique et du sport. Si les dialogues ont pu être aussi efficaces et constructifs sur l'épineux sujet du dopage, pourquoi ne le seraient pas sur un champ plus large et plus prospectif comme le futur du cyclisme ? Nous avons vu que le travail ensemble était possible, ne nous arrêtons pas en si bon chemin !
Je vous remercie.
Source http://www.jeunesse-sports.gouv.fr, le 24 octobre 2007