Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Cette visite en Chine se passe très bien. Je suis le premier ministre français à visiter nos amis chinois après le grand succès du 17ème Congrès du parti communiste chinois. J'ai retrouvé avec plaisir mon ami le ministre des Affaires étrangères, M. Yang Jiechi, avec lequel j'ai déjà beaucoup discuté de l'Iran, du Darfour, de la Birmanie, et lui a voulu me parler de la Corée du Nord et d'autres problèmes, africains en particulier. Ce fut en tous points une visite intéressante. Nous n'étions pas toujours d'accord, mais il y a une convergence de vues sur les buts à atteindre, sinon sur la façon de les atteindre. Les relations sont excellentes entre nos deux pays, et le dialogue est extrêmement cordial, très ouvert.
Avec le Premier ministre, la conversation a été agréable et chaleureuse. Nous avons abordé plus précisément les problèmes bilatéraux, les problèmes qui concernent nos rapports industriels, les programmes à développer, et surtout bien entendu la visite du président de la République, Nicolas Sarkozy, à la fin de ce mois, sa préparation, et évidemment les perspectives qui en découleront, en termes d'accords comme en termes de discussions politiques. Tout cela fût extrêmement constructif, et ce n'est pas fini puisque demain nous avons encore de nombreux rendez-vous, nous développerons encore les projets.
J'ai rencontré aussi la communauté française et j'en étais très heureux, elle se développe, elle va bien, il y a plus de cent français qui demandent à travailler, à développer, à innover, à créer des entreprises chaque mois en Chine. Ce sont, au sens positif du terme, des aventuriers, et un beau visage de notre pays.
Il y a entre la France et la Chine des rapports très spécifiques, très différents, quelque chose d'un peu magique fondé sur l'histoire, sur notre histoire, sur leur histoire, sur la culture comme on dit au sens très général du terme, sur ce que la France représente, sur ce que la Chine représente pour la France. Il s'établit, c'est très visible pour des gens comme vous qui avez l'habitude des relations internationales, une place particulière pour la France, au moins dans le coeur et dans l'esprit des dirigeants chinois, et du peuple chinois, et je m'en suis réjoui avec mes interlocuteurs.
Q - Je vais vous poser une question un peu indirecte. Vous avez parlé avec vos interlocuteurs du Darfour, j'aimerai avoir votre sentiment sur ce qui se passe en ce moment avec l'Arche de Zoé ?
R - Je suis venu ici pour parler de la Birmanie, c'est un sujet pesant, qui a dure depuis vingt ans, il faut attendre d'avoir des images qui sont cruelles pour qu'on en parle, et aussi pour qu'on oublie. Je vous parlerai une autre fois de cette triste aventure au Tchad et de l'Arche de Zoé. Je trouve cela très malheureux pour les gens qui ont été ou sincères ou abusés, et pour la manière dont ça s'est déroulé.
Q - Vous avez parlé de convergences sur les buts à atteindre pour l'Afrique, pas forcément sur la manière de les atteindre, pourriez-vous être un peu plus explicite en prenant par exemple le Darfour ?
R - Je ne pensais pas tellement à l'Afrique lorsque j'ai dit des voies différentes pour des buts communs, je pensais surtout à la Birmanie, et je vous en parlerai bien volontiers. En Afrique en général et au Darfour en particulier, découvrant l'importance de l'engagement chinois en Afrique, avec leur force, leur détermination, la façon dont les projets sont menés à bien, sont achevés à temps, les opérations immobilières qui sont promises, l'investissement, l'efficacité, il y a eu deux sortes de réactions. On pouvait s'étonner : "qu'est-ce qu'ils font sur ce territoire ?" C'était une mauvaise attitude. Il faut travailler avec les Chinois. J'ai mis quelques mois peut être, pour considérer vraiment qu'il ne fallait pas s'opposer aux Chinois, mais être avec eux pour le faire ensemble. Nous avons une tradition en France fondée sur l'histoire, sur nos rapports, sur le colonialisme, la décolonisation, et nous nous sentons légitimes. Mais les Chinois le sont autant que nous, et ils ont des moyens et une efficacité. Travaillons ensemble, c'est ce que je voulais dire. Et c'est plutôt de notre part une réflexion que nous devons mener contre nous-même.
A propos du Darfour, c'est un bon exemple. Si nous étions ensemble, quelle force nous représenterions. Les Chinois sont acceptés et demandés partout, ils sont des investisseurs majeurs en Afrique, et nous-mêmes, avons une expérience différente.
J'ai rencontré mon homologue chinois ministre des Affaires étrangères, M. Yang Jiechi, à propos du Darfour, à Hambourg, il y a déjà de nombreux mois, et je l'ai convaincu de venir à la Conférence de Paris en juin. Il y a eu non seulement une convergence, mais aussi un vote à l'unanimité, qui a mené à une force hybride au Darfour. Il fallait être avec eux. Nous les accusions d'être du côté du général Béchir, mais ils s'en sont détachés et nous en avons fait une force positive. C'est un exemple supplémentaire. Je ne dis pas qu'au Darfour ce soit fini, bien au contraire. Néanmoins, nous avons fait un progrès, et cela faisait deux ans que nous voulions une résolution au Conseil de sécurité. C'est un exemple de convergence nécessaire, nous en avons parlé ce matin, notamment d'objectifs nouveaux, car ce n'est pas fini, des soldats arrivent. D'ailleurs, si on veut parler du Tchad, c'est une conséquence très directe. Une mission commune entre l'Union européenne et les Nations unies va être mise en place pour justement reconstruire les villages et pour que les enfants tchadiens au Tchad soient pris en charge par les familles elles-mêmes.
Q - Qu'attendiez-vous précisément de vos discussions avec les Chinois sur la Birmanie, et à quoi êtes vous parvenu ? Il semble qu'il existe encore une grande différence entre les espoirs et les résultats.
R - Il y a une grande différence entre les espoirs et les résultats. Je suis allé à Singapour où j'ai rencontré les responsables qui assurent la présidence actuelle de l'ASEAN. J'ai rencontré le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, j'étais aussi en Thaïlande. La France, mais aussi les nations de l'Union européenne, pensent qu'il appartient aux pays asiatiques, ainsi qu'à la Chine et à l'Inde, de faire quelque chose d'efficace sur cette question, sur ce problème, et sur la souffrance du peuple birman. Nous avons été choqués par la répression des manifestations pacifiques dans les rues de Rangoon. Maintenant, sans image, il n'y a plus d'indignation.
Nous étudions comment nous pouvons d'abord soutenir la mission d'Ibrahim Gambari, l'envoyé du Secrétaire général des Nations unies. Il y a un accord sur ce point, y compris avec nos amis chinois. Ils veulent soutenir la mission de M. Gambari. Les Chinois ont été très actifs pour soutenir cette mission, y compris au Conseil de sécurité. Nous étions à la présidence de ce Conseil à cette période fin septembre. C'est la première fois dans l'histoire des Nations unies que nous avons pu nous retrouver au sein du Conseil de sécurité sur un problème intérieur d'un pays et obtenir une déclaration de la présidence. Parce que les Chinois nous ont soutenus, ils n'ont pas exercé leur veto. Ce fut le premier pas. Ensuite, ils ont été très efficaces pour l'obtention du visa de M. Gambari, pour qu'il se rende en Birmanie. Maintenant, est-il possible de maintenir la pression ? Pas seulement celle de l'opinion publique, nous avons besoin de l'opinion publique internationale. A travers quels moyens, quels canaux, je ne sais pas, nous verrons. Je pense que M. Gambari va obtenir un second visa pour se rendre en Birmanie, mais je ne suis pas si sûr.
Second point positif, disons but clair : nous voulons si possible, c'est une idée, mettre en place une sorte de soutien international à M. Gambari, à sa mission, un groupe des "Amis de M. Gambari", car il n'y a pas de base légale à l'action de l'émissaire. Il n'est pas un envoyé spécial du Conseil de sécurité, ou du Secrétaire général, c'est un émissaire pour un problème intérieur. Certains pays asiatiques sont plus ou moins d'accord, la Chine accepte l'idée, et c'est un nouvel exemple de la manière dont nous pouvons converger, être ensemble.
Troisième point, l'Union européenne est en train de travailler sur de nouvelles sanctions. Il y a déjà des sanctions contre la junte : pas de visa, pas de possibilité d'investissements. Désormais nous visons le commerce, notamment des bois tropicaux, des bijoux, des minerais. En tant que Français, nous visons aussi Total, il n'y aura pas de nouveaux investissements. Est-ce suffisant ? Comme vous le savez, il y a depuis longtemps des discussions sur les sanctions, il y a un débat, mais je pense personnellement que ce n'est pas suffisant. Je crois que nous devons travailler sur des sanctions, mais aussi sur des incitations, pas en direction de la junte, mais en direction du peuple birman. S'il y a des progrès, si les débuts du dialogue entre Mme Aung San Suu Kyi et le général représentant la junte donnent des résultats, si nous sommes capables de soutenir ce dialogue entre l'opposition et la junte, nous devons aussi offrir notre aide au peuple birman.
Devons-nous établir une sorte de "trust fund", c'est une troisième idée. C'est difficile. J'avais l'habitude de mettre en place ce genre d'action, comme au Kosovo ou dans d'autres missions, mais il y avait une base légale.
Voilà les trois directions dans lesquels nous voulons travailler, et nos amis chinois ont compris que nous avions besoins de développer le dialogue politique. Il n'y a pas d'autre issue, d'autre solution qu'un changement politique. Cela ne veut pas dire un changement de régime. Mme Aung San Suu Kyi nous l'a dit elle-même, elle est prête à travailler avec l'armée, et nous devons développer cela. Il faut aussi expliquer à l'opinion publique que ce n'est pas un pays facile, que les minorités représentent 40% de la population, comparées aux 60 % de Birmans. Mais ce n'est pas la fin. Vous savez qu'il y a une réunion importante de l'ASEAN à la fin du mois de novembre à Singapour, et ce sera certainement un moment crucial, un tournant en termes de soutien au peuple birman.
Q - C'est votre première visite en Chine en tant que ministre des Affaires étrangères après les élections présidentielles. Nos deux pays ont des relations excellentes, dans quel sens vont-elles évoluer avec le nouveau président de la République, M. Sarkozy ?
R - Notre politique sera la même, en mieux. Il y a trop de domaines pour pouvoir tous les citer, de l'éducation à la recherche scientifique, des satellites à l'énergie, des transports aux projets de construction, de l'énergie nucléaire à l'énergie thermique habituelle. Il existe toute une liste de projets et d'accords qui seront signés pendant la visite du président de la République.
Q - Avez-vous évoqué la question du lycée français de Pékin avec vos interlocuteurs ?
R - Oui, mais ils ne m'ont pas donné de réponse tout de suite. Ils nous ont dit qu'ils allaient nous aider à trouver un nouveau terrain qui devrait être entre l'ambassade et l'aéroport. Nous comptons bien développer ce projet. Il y a plus de 1.000 élèves dans ce lycée, il y en a chaque année 100 supplémentaires, c'est un grand succès.
Q - Pour revenir sur la crise birmane, on a vu ces dernières semaines que l'information était très difficile à obtenir pour les journalistes, qu'Internet avait été coupé. Reporter sans frontière a condamné cela, on sait qu'en France vous êtes attaché à la liberté de la presse et de l'information, Reporter sans frontière condamne aussi la Chine sur la liberté de la presse et de l'information, est-ce qu'à quelques mois des jeux olympiques vous avez pu en parler avec vos homologues ?
R - J'en ai parlé très précisément, et j'ai parlé de la liberté de circulation des journalistes, avant les Jeux Olympiques. J'ai exprimé mon sentiment avec fraternité et force, et l'on m'a dit qu'il y aura des dispositions pour que les journalistes puissent circuler librement avant les Jeux Olympiques.
Je voudrais rajouter quelque chose concernant la question birmane. Il y a eu quelques prisonniers qui ont été relâchés en Birmanie, mais on ne connaît toujours pas le nombre de ceux qui sont restés en prison, et de ceux qui sont morts. Il semblerait que la Croix-Rouge internationale ait désormais accès à ces prisonniers, je n'en suis pas sûr. Et les informations sont vraiment difficiles à obtenir, sauf que quelques journalistes en demandant des visas de tourisme ont réussi à publier des reportages, bons, humains, sentis, documentés. Mais on ne connaît toujours pas le bilan de ces événements.
J'ai bien sûr parlé avec l'opposition birmane, j'ai rencontré de nombreux spécialistes dans les pays où je suis allé. Les représentants de l'opposition étaient très érudits, mais ils étaient très perdus. Envisager une solution facile et magique, sous prétexte que l'opinion publique s'est émue de voir que des bonzes aient manifesté pieds nus dans la rue, des bonzes pacifiques battus, tués, sans oublier l'image de ce reporter japonais. C'est très important, mais ce qui est important c'est de continuer à s'indigner, sinon la mobilisation va retomber.
Il faut vraiment continuer à informer, continuer à y aller, et demander aux pays de l'ASEAN, à nos amis chinois, à nos amis indiens, dont on ne parle pas. Parce que les sanctions, certainement nous les appliquerons, certainement c'est important, mais très franchement ce n'est pas suffisant. Parce qu'il y a très longtemps que l'on applique des sanctions pour des tas de pays, mais sans solution politique, sans solution véritablement voulue et conquise. Il y a des gens, spécialistes eux-mêmes, qui pense que la population birmane n'acceptera pas que l'on revienne à la situation antérieure, et qu'il y a même des jeunes officiers qui sont prêts à changer d'attitude. J'espère que c'est vrai.
Q - Quelle est la position du président Sarkozy sur l'embargo, qui est fondamental dans les relations bilatérales ?
R - La question de l'embargo sur les armes ? Je ne la juge pas complètement fondamentale, je pense que cela viendra en son temps, qu'il y a une position européenne, et que nous la suivrons. Il n'est pas nécessaire de vendre des armes pour avoir des amis, on n'est pas forcé d'avoir des amis sous prétexte qu'on leurs vend des armes.
Q - Permettez-moi de revenir sur la Birmanie, quand vous parlez à vos interlocuteurs chinois d'Aung San Suu Kyi qui est démocrate, qui est dissidente, qui est privée de ses libertés fondamentales, est-ce que vous pouvez leur faire part de la même indignation que celle dont vous nous avez fait part, et si oui comment réagissent vos interlocuteurs chinois ?
R - Mme Aung San Suu Kyi est une dissidente, à part qu'elle a gagné les élections démocratiques, et que ces élections n'ont pas été reconnues, qu'elle a été très longtemps emprisonnée. Bien qu'elle ait été prix Nobel de la Paix, cela n'a pas servi à lui épargner ce long séjour dans l'isolement. Mais honnêtement, Mme Aung San Suu Kyi est reconnue comme l'interlocuteur par nos amis chinois. Son nom n'a soulevé aucune objection, aucun jugement de valeur, au contraire. Lorsque nos amis chinois parlent de dialogue, c'est avec Mme Aung San Suu Kyi. Il peut y avoir d'autres parties, j'en ai rencontrées. Bien sûr il y a plusieurs partis à l'extérieur, il y a plusieurs partis d'opposition, mais la figure majeure, c'est Mme Aung San Suu Kyi. Pour une autre raison encore, il faut soulever la question des minorités. Les Karen, les Chan, tous ceux que l'on connaît, ont été en guerre et sont souvent encore en guerre contre le gouvernement central. Ceux qui constituent ces 40% de minorités reconnaissent majoritairement une personne comme seul interlocuteur possible : Aung San Suu Kyi. C'est avec elle qu'il faut parler, et même la junte a commencé, c'est ça le dialogue, avec des propositions qui viendraient de Mme Aung San Suu Kyi, et que le peuple birman, dans sa composition difficile, attend.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 novembre 2007
Cette visite en Chine se passe très bien. Je suis le premier ministre français à visiter nos amis chinois après le grand succès du 17ème Congrès du parti communiste chinois. J'ai retrouvé avec plaisir mon ami le ministre des Affaires étrangères, M. Yang Jiechi, avec lequel j'ai déjà beaucoup discuté de l'Iran, du Darfour, de la Birmanie, et lui a voulu me parler de la Corée du Nord et d'autres problèmes, africains en particulier. Ce fut en tous points une visite intéressante. Nous n'étions pas toujours d'accord, mais il y a une convergence de vues sur les buts à atteindre, sinon sur la façon de les atteindre. Les relations sont excellentes entre nos deux pays, et le dialogue est extrêmement cordial, très ouvert.
Avec le Premier ministre, la conversation a été agréable et chaleureuse. Nous avons abordé plus précisément les problèmes bilatéraux, les problèmes qui concernent nos rapports industriels, les programmes à développer, et surtout bien entendu la visite du président de la République, Nicolas Sarkozy, à la fin de ce mois, sa préparation, et évidemment les perspectives qui en découleront, en termes d'accords comme en termes de discussions politiques. Tout cela fût extrêmement constructif, et ce n'est pas fini puisque demain nous avons encore de nombreux rendez-vous, nous développerons encore les projets.
J'ai rencontré aussi la communauté française et j'en étais très heureux, elle se développe, elle va bien, il y a plus de cent français qui demandent à travailler, à développer, à innover, à créer des entreprises chaque mois en Chine. Ce sont, au sens positif du terme, des aventuriers, et un beau visage de notre pays.
Il y a entre la France et la Chine des rapports très spécifiques, très différents, quelque chose d'un peu magique fondé sur l'histoire, sur notre histoire, sur leur histoire, sur la culture comme on dit au sens très général du terme, sur ce que la France représente, sur ce que la Chine représente pour la France. Il s'établit, c'est très visible pour des gens comme vous qui avez l'habitude des relations internationales, une place particulière pour la France, au moins dans le coeur et dans l'esprit des dirigeants chinois, et du peuple chinois, et je m'en suis réjoui avec mes interlocuteurs.
Q - Je vais vous poser une question un peu indirecte. Vous avez parlé avec vos interlocuteurs du Darfour, j'aimerai avoir votre sentiment sur ce qui se passe en ce moment avec l'Arche de Zoé ?
R - Je suis venu ici pour parler de la Birmanie, c'est un sujet pesant, qui a dure depuis vingt ans, il faut attendre d'avoir des images qui sont cruelles pour qu'on en parle, et aussi pour qu'on oublie. Je vous parlerai une autre fois de cette triste aventure au Tchad et de l'Arche de Zoé. Je trouve cela très malheureux pour les gens qui ont été ou sincères ou abusés, et pour la manière dont ça s'est déroulé.
Q - Vous avez parlé de convergences sur les buts à atteindre pour l'Afrique, pas forcément sur la manière de les atteindre, pourriez-vous être un peu plus explicite en prenant par exemple le Darfour ?
R - Je ne pensais pas tellement à l'Afrique lorsque j'ai dit des voies différentes pour des buts communs, je pensais surtout à la Birmanie, et je vous en parlerai bien volontiers. En Afrique en général et au Darfour en particulier, découvrant l'importance de l'engagement chinois en Afrique, avec leur force, leur détermination, la façon dont les projets sont menés à bien, sont achevés à temps, les opérations immobilières qui sont promises, l'investissement, l'efficacité, il y a eu deux sortes de réactions. On pouvait s'étonner : "qu'est-ce qu'ils font sur ce territoire ?" C'était une mauvaise attitude. Il faut travailler avec les Chinois. J'ai mis quelques mois peut être, pour considérer vraiment qu'il ne fallait pas s'opposer aux Chinois, mais être avec eux pour le faire ensemble. Nous avons une tradition en France fondée sur l'histoire, sur nos rapports, sur le colonialisme, la décolonisation, et nous nous sentons légitimes. Mais les Chinois le sont autant que nous, et ils ont des moyens et une efficacité. Travaillons ensemble, c'est ce que je voulais dire. Et c'est plutôt de notre part une réflexion que nous devons mener contre nous-même.
A propos du Darfour, c'est un bon exemple. Si nous étions ensemble, quelle force nous représenterions. Les Chinois sont acceptés et demandés partout, ils sont des investisseurs majeurs en Afrique, et nous-mêmes, avons une expérience différente.
J'ai rencontré mon homologue chinois ministre des Affaires étrangères, M. Yang Jiechi, à propos du Darfour, à Hambourg, il y a déjà de nombreux mois, et je l'ai convaincu de venir à la Conférence de Paris en juin. Il y a eu non seulement une convergence, mais aussi un vote à l'unanimité, qui a mené à une force hybride au Darfour. Il fallait être avec eux. Nous les accusions d'être du côté du général Béchir, mais ils s'en sont détachés et nous en avons fait une force positive. C'est un exemple supplémentaire. Je ne dis pas qu'au Darfour ce soit fini, bien au contraire. Néanmoins, nous avons fait un progrès, et cela faisait deux ans que nous voulions une résolution au Conseil de sécurité. C'est un exemple de convergence nécessaire, nous en avons parlé ce matin, notamment d'objectifs nouveaux, car ce n'est pas fini, des soldats arrivent. D'ailleurs, si on veut parler du Tchad, c'est une conséquence très directe. Une mission commune entre l'Union européenne et les Nations unies va être mise en place pour justement reconstruire les villages et pour que les enfants tchadiens au Tchad soient pris en charge par les familles elles-mêmes.
Q - Qu'attendiez-vous précisément de vos discussions avec les Chinois sur la Birmanie, et à quoi êtes vous parvenu ? Il semble qu'il existe encore une grande différence entre les espoirs et les résultats.
R - Il y a une grande différence entre les espoirs et les résultats. Je suis allé à Singapour où j'ai rencontré les responsables qui assurent la présidence actuelle de l'ASEAN. J'ai rencontré le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, j'étais aussi en Thaïlande. La France, mais aussi les nations de l'Union européenne, pensent qu'il appartient aux pays asiatiques, ainsi qu'à la Chine et à l'Inde, de faire quelque chose d'efficace sur cette question, sur ce problème, et sur la souffrance du peuple birman. Nous avons été choqués par la répression des manifestations pacifiques dans les rues de Rangoon. Maintenant, sans image, il n'y a plus d'indignation.
Nous étudions comment nous pouvons d'abord soutenir la mission d'Ibrahim Gambari, l'envoyé du Secrétaire général des Nations unies. Il y a un accord sur ce point, y compris avec nos amis chinois. Ils veulent soutenir la mission de M. Gambari. Les Chinois ont été très actifs pour soutenir cette mission, y compris au Conseil de sécurité. Nous étions à la présidence de ce Conseil à cette période fin septembre. C'est la première fois dans l'histoire des Nations unies que nous avons pu nous retrouver au sein du Conseil de sécurité sur un problème intérieur d'un pays et obtenir une déclaration de la présidence. Parce que les Chinois nous ont soutenus, ils n'ont pas exercé leur veto. Ce fut le premier pas. Ensuite, ils ont été très efficaces pour l'obtention du visa de M. Gambari, pour qu'il se rende en Birmanie. Maintenant, est-il possible de maintenir la pression ? Pas seulement celle de l'opinion publique, nous avons besoin de l'opinion publique internationale. A travers quels moyens, quels canaux, je ne sais pas, nous verrons. Je pense que M. Gambari va obtenir un second visa pour se rendre en Birmanie, mais je ne suis pas si sûr.
Second point positif, disons but clair : nous voulons si possible, c'est une idée, mettre en place une sorte de soutien international à M. Gambari, à sa mission, un groupe des "Amis de M. Gambari", car il n'y a pas de base légale à l'action de l'émissaire. Il n'est pas un envoyé spécial du Conseil de sécurité, ou du Secrétaire général, c'est un émissaire pour un problème intérieur. Certains pays asiatiques sont plus ou moins d'accord, la Chine accepte l'idée, et c'est un nouvel exemple de la manière dont nous pouvons converger, être ensemble.
Troisième point, l'Union européenne est en train de travailler sur de nouvelles sanctions. Il y a déjà des sanctions contre la junte : pas de visa, pas de possibilité d'investissements. Désormais nous visons le commerce, notamment des bois tropicaux, des bijoux, des minerais. En tant que Français, nous visons aussi Total, il n'y aura pas de nouveaux investissements. Est-ce suffisant ? Comme vous le savez, il y a depuis longtemps des discussions sur les sanctions, il y a un débat, mais je pense personnellement que ce n'est pas suffisant. Je crois que nous devons travailler sur des sanctions, mais aussi sur des incitations, pas en direction de la junte, mais en direction du peuple birman. S'il y a des progrès, si les débuts du dialogue entre Mme Aung San Suu Kyi et le général représentant la junte donnent des résultats, si nous sommes capables de soutenir ce dialogue entre l'opposition et la junte, nous devons aussi offrir notre aide au peuple birman.
Devons-nous établir une sorte de "trust fund", c'est une troisième idée. C'est difficile. J'avais l'habitude de mettre en place ce genre d'action, comme au Kosovo ou dans d'autres missions, mais il y avait une base légale.
Voilà les trois directions dans lesquels nous voulons travailler, et nos amis chinois ont compris que nous avions besoins de développer le dialogue politique. Il n'y a pas d'autre issue, d'autre solution qu'un changement politique. Cela ne veut pas dire un changement de régime. Mme Aung San Suu Kyi nous l'a dit elle-même, elle est prête à travailler avec l'armée, et nous devons développer cela. Il faut aussi expliquer à l'opinion publique que ce n'est pas un pays facile, que les minorités représentent 40% de la population, comparées aux 60 % de Birmans. Mais ce n'est pas la fin. Vous savez qu'il y a une réunion importante de l'ASEAN à la fin du mois de novembre à Singapour, et ce sera certainement un moment crucial, un tournant en termes de soutien au peuple birman.
Q - C'est votre première visite en Chine en tant que ministre des Affaires étrangères après les élections présidentielles. Nos deux pays ont des relations excellentes, dans quel sens vont-elles évoluer avec le nouveau président de la République, M. Sarkozy ?
R - Notre politique sera la même, en mieux. Il y a trop de domaines pour pouvoir tous les citer, de l'éducation à la recherche scientifique, des satellites à l'énergie, des transports aux projets de construction, de l'énergie nucléaire à l'énergie thermique habituelle. Il existe toute une liste de projets et d'accords qui seront signés pendant la visite du président de la République.
Q - Avez-vous évoqué la question du lycée français de Pékin avec vos interlocuteurs ?
R - Oui, mais ils ne m'ont pas donné de réponse tout de suite. Ils nous ont dit qu'ils allaient nous aider à trouver un nouveau terrain qui devrait être entre l'ambassade et l'aéroport. Nous comptons bien développer ce projet. Il y a plus de 1.000 élèves dans ce lycée, il y en a chaque année 100 supplémentaires, c'est un grand succès.
Q - Pour revenir sur la crise birmane, on a vu ces dernières semaines que l'information était très difficile à obtenir pour les journalistes, qu'Internet avait été coupé. Reporter sans frontière a condamné cela, on sait qu'en France vous êtes attaché à la liberté de la presse et de l'information, Reporter sans frontière condamne aussi la Chine sur la liberté de la presse et de l'information, est-ce qu'à quelques mois des jeux olympiques vous avez pu en parler avec vos homologues ?
R - J'en ai parlé très précisément, et j'ai parlé de la liberté de circulation des journalistes, avant les Jeux Olympiques. J'ai exprimé mon sentiment avec fraternité et force, et l'on m'a dit qu'il y aura des dispositions pour que les journalistes puissent circuler librement avant les Jeux Olympiques.
Je voudrais rajouter quelque chose concernant la question birmane. Il y a eu quelques prisonniers qui ont été relâchés en Birmanie, mais on ne connaît toujours pas le nombre de ceux qui sont restés en prison, et de ceux qui sont morts. Il semblerait que la Croix-Rouge internationale ait désormais accès à ces prisonniers, je n'en suis pas sûr. Et les informations sont vraiment difficiles à obtenir, sauf que quelques journalistes en demandant des visas de tourisme ont réussi à publier des reportages, bons, humains, sentis, documentés. Mais on ne connaît toujours pas le bilan de ces événements.
J'ai bien sûr parlé avec l'opposition birmane, j'ai rencontré de nombreux spécialistes dans les pays où je suis allé. Les représentants de l'opposition étaient très érudits, mais ils étaient très perdus. Envisager une solution facile et magique, sous prétexte que l'opinion publique s'est émue de voir que des bonzes aient manifesté pieds nus dans la rue, des bonzes pacifiques battus, tués, sans oublier l'image de ce reporter japonais. C'est très important, mais ce qui est important c'est de continuer à s'indigner, sinon la mobilisation va retomber.
Il faut vraiment continuer à informer, continuer à y aller, et demander aux pays de l'ASEAN, à nos amis chinois, à nos amis indiens, dont on ne parle pas. Parce que les sanctions, certainement nous les appliquerons, certainement c'est important, mais très franchement ce n'est pas suffisant. Parce qu'il y a très longtemps que l'on applique des sanctions pour des tas de pays, mais sans solution politique, sans solution véritablement voulue et conquise. Il y a des gens, spécialistes eux-mêmes, qui pense que la population birmane n'acceptera pas que l'on revienne à la situation antérieure, et qu'il y a même des jeunes officiers qui sont prêts à changer d'attitude. J'espère que c'est vrai.
Q - Quelle est la position du président Sarkozy sur l'embargo, qui est fondamental dans les relations bilatérales ?
R - La question de l'embargo sur les armes ? Je ne la juge pas complètement fondamentale, je pense que cela viendra en son temps, qu'il y a une position européenne, et que nous la suivrons. Il n'est pas nécessaire de vendre des armes pour avoir des amis, on n'est pas forcé d'avoir des amis sous prétexte qu'on leurs vend des armes.
Q - Permettez-moi de revenir sur la Birmanie, quand vous parlez à vos interlocuteurs chinois d'Aung San Suu Kyi qui est démocrate, qui est dissidente, qui est privée de ses libertés fondamentales, est-ce que vous pouvez leur faire part de la même indignation que celle dont vous nous avez fait part, et si oui comment réagissent vos interlocuteurs chinois ?
R - Mme Aung San Suu Kyi est une dissidente, à part qu'elle a gagné les élections démocratiques, et que ces élections n'ont pas été reconnues, qu'elle a été très longtemps emprisonnée. Bien qu'elle ait été prix Nobel de la Paix, cela n'a pas servi à lui épargner ce long séjour dans l'isolement. Mais honnêtement, Mme Aung San Suu Kyi est reconnue comme l'interlocuteur par nos amis chinois. Son nom n'a soulevé aucune objection, aucun jugement de valeur, au contraire. Lorsque nos amis chinois parlent de dialogue, c'est avec Mme Aung San Suu Kyi. Il peut y avoir d'autres parties, j'en ai rencontrées. Bien sûr il y a plusieurs partis à l'extérieur, il y a plusieurs partis d'opposition, mais la figure majeure, c'est Mme Aung San Suu Kyi. Pour une autre raison encore, il faut soulever la question des minorités. Les Karen, les Chan, tous ceux que l'on connaît, ont été en guerre et sont souvent encore en guerre contre le gouvernement central. Ceux qui constituent ces 40% de minorités reconnaissent majoritairement une personne comme seul interlocuteur possible : Aung San Suu Kyi. C'est avec elle qu'il faut parler, et même la junte a commencé, c'est ça le dialogue, avec des propositions qui viendraient de Mme Aung San Suu Kyi, et que le peuple birman, dans sa composition difficile, attend.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 novembre 2007