Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur "Europe 1" le 8 novembre 2007, sur la force d'opposition du parti socialiste, le conflit des régimes spéciaux de retraite, la réforme des institutions, les rapports franco-américains ainsi que sur la ratification du traité européen.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Il y a six mois, c'était l'élection de N. Sarkozy, c'était aussi la défaite de votre candidate. Qu'avez-vous fait d'original de ces six mois ?

Nous avons redressé le Parti socialiste autant qu'il était possible, porté une parole d'opposition, commencé à avancer des propositions pour affirmer notre crédibilité, ça sera un travail long, mais je pense que nous devons être utiles aux Français. Ce n'est pas parce que nous avons perdu l'élection présidentielle que pour autant, nous aurions perdu le droit d'exercer notre fonction critique.

Effectivement, vous m'en coupez le souffle, mais votre opposition, elle n'existe que dans la dénégation et dans le refus. Vous êtes tout le temps contre. Est-ce que vous pouvez citer deux ou trois idées ou actes originaux qui prouvent la rénovation du Parti socialiste ?

Prenons un exemple, aujourd'hui quelle est la première préoccupation de nos concitoyens ? C'est la hausse du prix des carburants. Il peut y avoir deux attitudes : la première, c'est - j'ai entendu le Gouvernement dans toutes ses formes d'expression - de dire « il n'y a rien à faire. ». Une seconde attitude, c'est la nôtre, c'est de faire des propositions.

Il n'a pas dit tout à fait hier, monsieur Fillon, qu'il n'y avait rien à faire.

Aujourd'hui, vous me demandez des propositions, je les donne. Aujourd'hui, il faut absolument que les Français soient soulagés. Je ne dis pas qu'il faut empêcher ce qui se produit aujourd'hui sur les marchés. Une hausse du prix de l'énergie, elle s'impose à nous. Mais il faut rechercher une forme de modulation. Deux exemples : dans les milieux professionnels, il y a le cas des marins pêcheurs, il faut un carburant professionnel, qui puisse être pour partie détaxé, c'est très important pour des secteurs qui vivent avec le déplacement comme condition...

C'est-à-dire les transporteurs routiers ? C'est-à-dire les agriculteurs ?

...les taxis, les agriculteurs, les ambulanciers, toutes ces professions sont aujourd'hui, en très grand danger, carburant professionnel. Deuxième proposition...

C'est de la politique ou de la démagogie ?

C'est de la démagogie lorsque N. Sarkozy va voir les pêcheurs et fait des propositions dont on ne sait pas si elles sont compatibles avec nos engagements européens ? Donc quand on répond à des professions...

Ce sont des compensations nationales.

...Il faut essayer de le faire avec le souci de la cohérence et aussi de la conformité avec les engagements européens. Deuxième illustration, pour ceux qui se déplacent tous les jours, qui ne peuvent pas prendre le vélo ou y aller à pied, ceux qui se déplacent tous les jours pour aller travailler, eh bien, pour ceux-là, nous demandons qu'il y ait deux mesures : le ticket transport, le chèque transport, mesure qui avait été votée par la majorité précédente, qui est la majorité d'aujourd'hui. Un an après, rien, pas une disposition appliquée dans une entreprise sur les chèques transports. Deuxième proposition : rétablissement de ce qu'on a appelé la TIPP flottante. Qu'importe le mécanisme, il ne faut pas que les recettes supplémentaires obtenues sur la TVA par l'Etat, puissent rester dans les caisses de l'Etat. Il faut les restituer, si on ne le peut pas, si on dit qu'il n'y a pas suffisamment d'argent, alors nous faisons une proposition nouvelle : Total vient d'afficher 10 milliards d'euros de super profits, il serait normal, ça s'est déjà passé, il y a 7 ans sous le gouvernement de L. Jospin, il serait normal de faire un prélèvement exceptionnel sur les profits des compagnies pétrolières, justement pour soulager la surcharge qui s'impose à tous les particuliers pour leur chauffage ou pour leur déplacement.

F. Hollande, à la veille des grèves du 14 novembre, est-ce que vous recommandez au Gouvernement de faire comme beaucoup de ses prédécesseurs, renoncer, renoncer à sa réforme des régimes spéciaux de retraite ?

Je pense qu'il ne faut ni renoncer aux réformes, ni rechercher le conflit. J'ai entendu F. Fillon sur votre antenne...

Vous avez bien fait.

Il a dit : je suis un entêté.

Non, il n'a pas dit "entêté", il a dit « je n'ai pas l'habitude de céder. »

"Je suis entêté", vous reprendrez les propos qu'il a tenus à votre micro. L'objectif c'est bien sûr de faire passer les réformes nécessaires, les retraites doivent être corrigées, doivent évoluer dans la justice, dans l'équité, mais en même temps nous avons une espérance de vie qui s'allonge, il faut en tenir compte. Mais nous sommes à une semaine d'un conflit qui s'annonce important. Je ne sais pas ce qu'il sera, je ne sais pas ce que sera sa longueur, mais je dis quand on est chef du Gouvernement, président de la République, président de la République qui veut intervenir à tout bout de champ, on ne peut pas considérer comme fatal un conflit. J'ai entendu aussi ce que disait monsieur Chérèque, à votre micro aussi - vous voyez, je suis un fidèle de votre radio. Il disait : moi, je veux trouver des sujets de discussion, de négociation, je ne considère pas comme inévitable la grève qui va avoir lieu dans une semaine, qui pourrait peut-être durer précisément plusieurs jours, jusqu'à la grève de la Fonction publique et peut-être des grèves d'autres professionnels.

Le soir, à la fois F. Fillon et X. Bertrand lui avaient répondu.

Je dis aussi à votre micro : quand on a une semaine pour éviter un conflit, on utilise toutes les modalités de la discussion, de la négociation pour trouver les apaisements nécessaires.

Est-ce que vous croyez sincèrement que le Gouvernement cherche la division syndicale et l'épreuve de force pour que ses prochaines réformes passent plus facilement ?

Oui, je pense que le président de la République et le Premier ministre veulent l'épreuve de force. Veulent le conflit, veulent amener la tête...

Oui, quand on allume le feu, on déclenche un incendie, il faut faire attention ?

Mais je pense que c'est effectivement périlleux de se mettre dans cette disposition d'esprit. Je ne pense pas que le pays ait besoin d'un conflit généralisé et durable. Je pense qu'on doit précisément négocier, discuter et éviter le conflit. Donc nous avons une semaine. Il y a eu déjà un certain nombre d'avancées, vous voyez, je les reconnais, par rapport au premier texte de monsieur Bertrand. Donc il y a encore quelques modalités à changer...

Sans renoncer ?

Sans renoncer au principe de la réforme, des modalités - sur la décote, sur les primes, sur la prise en compte de la pénibilité. Eh bien, qu'on utilise les 7 jours qui nous séparent, puisqu'il y a un préavis de grève qui a été déposé, de l'ouverture du conflit, pour qu'on évite précisément à notre pays de subir - et ceux qui vont subir ce sont les salariés, ce sont ceux qui se déplacent - de subir un certain nombre de conséquences dommageables pour l'économie française.

N. Sarkozy rentre à Paris après 36 heures passées à Washington. Devant le Congrès américain, il a été ovationné à plusieurs reprises, par des élus républicains et en majorité démocrates. Est-ce que vous, vous retrouvez F. Hollande, dans sa volonté de reconquérir le coeur, l'amour de l'Amérique ?

Mais je me reconnais dans l'affirmation que la France est l'amie des Etats-Unis. Nous avons aussi une reconnaissance - N. Sarkozy l'a dit et je partage cet état d'esprit - une reconnaissance par rapport à ce qu'a été l'acte fondateur d'ailleurs de l'amitié franco-américaine. D'abord, la Révolution américaine qui a précédé la Révolution française, mais aussi la Libération de notre territoire, je n'oublie rien. Et en même temps, on peut être l'ami des Etats-Unis et ne pas être amoureux du modèle américain, c'est toute la différence. Je pense qu'on doit reconnaître cette amitié, indéfectible et, en même temps, être exigeant à l'égard du partenaire américain.

Mais sur le fond, quand N. Sarkozy dit : le désordre monétaire peut se transformer en guerre économique, la France restera en Afghanistan tant qu'il le faudra. L'Iran dotée de l'arme nucléaire est inacceptable pour la France. Est-ce que le Parti socialiste est en désaccord ?

Sur l'Iran, nous avons soulevé depuis longtemps le danger de la prolifération nucléaire. Je m'étonne d'ailleurs que N. Sarkozy qui, à juste titre, s'inquiète sur ce qui peut se passer en Iran, soit l'apologue, le promoteur du nucléaire civil à travers le monde, avec tous les dangers de la prolifération.

Civile, civile, qui ne conduit pas forcément au militaire.

C'est exactement l'argument des Iraniens, je vous le fais remarquer. Deuxièmement, je m'interroge sur la stratégie française par rapport à l'OTAN. Vous savez que nous sommes membres à part entière, et c'est bien qu'il en soit ainsi, de l'Alliance atlantique. Nous ne sommes pas dans l'organisation militaire. Je vois bien pas à pas, propos après propos, la volonté de N. Sarkozy de revenir dans l'OTAN militaire.

Et il dit : en contrepartie d'une acceptation de l'Amérique, d'une défense européenne indépendante ?

Je pense que ça supposerait un très large débat en France, car cette question au moins n'est pas réglée.

Eh bien, lançons-le.

Je pense qu'aujourd'hui, il n'est pas acceptable que le président de la République pas à pas, propos après propos, prépare l'opinion, mais surtout prépare nos partenaires à une entrée dans l'OTAN, dans l'invention militaire.

Voilà un débat lancé par F. Hollande sur Europe 1. Le Président français, au passage, peut s'exprimer devant tous les élus américains. Le rapport Balladur propose qu'il puisse s'adresser au Parlement français. Au passage, vous refusez ?

Mais franchement, vous ne pouvez pas faire cette comparaison. Il y a des chefs d'Etat qui viennent en France, qui s'adressent au Parlement français ! Mais nous sommes dans une République parlementaire, même si le président de la République a des compétences éminentes, est le chef de l'exécutif. Il n'est pas responsable devant le Parlement.

Quand vous dites « parlementaire », ça veut dire que le Parlement a déjà assez de pouvoir et que vous préférez le statu quo où le président de la République fait lire son message par le président de l'Assemblée devant des députés au garde-à-vue et muets ?

Que veut dire le régime parlementaire ? Le régime parlementaire, c'est que c'est le Premier ministre qui est responsable devant le Parlement. Si vous dites que c'est le président de la République qui est responsable devant le Parlement, alors oui, il pourra venir, mais il pourra être destitué par le Parlement. Vous voulez de cette République-là ?

Mais après un message éventuel du Président, vous savez mieux que moi, qu'un vote est possible, parce qu'il y a un droit de résolution qui existerait, c'est-à-dire que l'opposition pourrait déposer une demande de résolution...

Franchement, est-ce que vous pensez, J.-P. Elkabbach, que N. Sarkozy est interdit de parler dans notre pays ? Est-ce que vous n'avez pas vu, soir après soir à la télévision, N. Sarkozy s'exprimer sur tous sujets...

Ça ne m'échappe pas.

... avoir tout le temps de parole nécessaire, et vous pensez qu'il serait là, bâillonné, qu'il ne pourrait pas venir devant le Parlement et que ce serait une atteinte à la liberté d'expression du président de la République ? Vous avez une curieuse conception de la démocratie dans notre pays.

On pourrait discuter des institutions mais parlons de l'Europe. J'entendais tout à l'heure Madeleine, dans le journal de C. Charles, elle disait : le PS est cacophonique en interne, et silencieux en externe. Et que même les adhérents à 20 euros ne reprennent pas leur carte. Sur l'Europe, sur l'Europe, F. Hollande, le Premier ministre vous a félicité vous l'avez entendu hier, il vous a félicité pour le « oui ». Le PS approuve le traité européen, mais apparemment, vous n'en avez pas fini avec vos divisions. Parce que c'est un « oui » avec beaucoup de « non » contradictoires ?

Mais vous savez le Parti socialiste a toujours eu ce débat en son sein et ça ne vaut pas simplement pour les dernières années. C'était également vrai sous F. Mitterrand.

Exactement. Et ça recommence.

Mais nous avons une réponse à donner : est-ce que nous voulons un traité qui n'est pas le traité de N. Sarkozy qui est le traité proposé par les 27 pays après les rejets référendaires qui se sont produits en France et aux Pays-Bas ? Que disons-nous ? Nous disons : nous, si nous avions été aux responsabilité, nous aurions fait un référendum. C'eut été la logique. Et donc nous disons que la voie de ratification devrait être le référendum. Deuxièmement, qu'il y ait référendum ou qu'il n'y ait pas référendum, nous avons une position à prendre : faut-il adopter ce traité ou le refuser ? Très majoritairement, les socialistes disent : ce traité n'est pas parfait, mais nous voulons qu'il sorte justement l'Europe de l'impasse.

Mais le débat n'est pas terminé. Simplement, quand il y aura le Congrès à Versailles et le Parlement en janvier, est-ce qu'il y aura une discipline de vote des socialistes ?

Nous aurons une discussion entre nous et je pense que nous veillerons à donner la meilleure image pour à la fois l'Europe et pour le Parti socialiste.

Quand vous trancherez sur votre position, liberté de vote ou pas ?

Quand on aura la révision de la Constitution qui nous sera proposée. Pas avant le mois de décembre, vraisemblablement, puisque le traité va être signé le 13 décembre. Nous aurons à prendre une position sur le processus de ratification et nous aurons à prendre une position, elle est prise d'ailleurs sur la ratification elle-même du traité.

Sur le Tchad, j'ai envie de vous poser une question. Parce que dimanche, vous réclamiez du président de la République qu'il ramène du Tchad tous les ressortissants français. Comment un socialiste qui condamne le colonialisme de papa, la France-Afrique, peut-il faire fi de l'indépendance du Tchad et finalement de toute l'Afrique qui nous regarde ?

Tout simplement parce qu'il y a un accord de coopération judiciaire entre la France et le Tchad, qu'il y a une procédure judiciaire qui est ouverte au Tchad et c'est bien normal, compte tenu des infractions qui ont été commises, pour ne pas dire davantage. Il y a également une procédure qui est ouverte en France. Eh bien, il faut faire appel de cette coopération judiciaire auprès de la justice tchadienne et faire en sorte que nos ressortissants soient jugés en France.

Ça veut dire que vous avez peur qu'ils soient jugés par la justice du Tchad ?

Attendez ! Ce que j'ai dit le jour où N. Sarkozy s'est rendu au Tchad et a ramené - et c'était déjà bien - les journalistes, ce que j'ai dit qu'il devait effectivement faire en sorte que tous les ressortissants français reviennent en France, certains pour être libérés et félicités, d'autres pour être jugés parce que ça sera nécessaire, les acteurs de l'Arche de Zoé. Ce que j'ai dit, N. Sarkozy a été obligé de le dire, quelques jours plus tard.

Et vous l'avez critiqué parce qu'il a dit le lendemain, quand il a dit : sinon je vais aller les chercher. Mais vous ne m'avez pas répondu. Est-ce que la justice, vous acceptez qu'elle se fasse au Tchad, pays indépendant, ou vous en seriez choqué ?

J'accepte que les Tchadiens puissent rendre, heureusement la justice dans leur pays, c'est leur droit fondamental, c'est leur souveraineté. Mais quand il existe un accord de coopération judiciaire, que ce soit avec le Tchad, avec la Finlande ou avec l'Espagne, je demande que l'accord de coopération judiciaire soit appliqué.

Un mot, la Commission d'enquête de l'Assemblée, reçoit et entend les infirmières bulgares et les médecins palestiniens détenus en Libye et libérés il n'y a pas longtemps. Le PS souhaite-t-il en plus de l'audition du secrétaire général de l'Elysée, monsieur C. Guéant, l'audition de l'ex-épouse du président de la République ?

Je pense que la logique c'est d'entendre tous les acteurs, toutes les personnes qui ont pu jouer un rôle dans la négociation qui a conduit à la libération des infirmières bulgares.

Vous voulez entendre, le président de la République alors ?

Le président de la République dans un premier temps, puisque vous me faites cette observation, avait demandé lui-même à être entendu par la Commission d'enquête.

Et pourquoi on va chercher son ex-épouse ?

Il ne vous a pas échappé - ou alors vous n'avez pas eu cette information - qu'elle a elle-même déclaré qu'elle avait passé plusieurs heures dans le bureau de monsieur Kadhafi pour obtenir cette libération.

Donc vous voulez, au nom du Parti socialiste, qu'elle soit éventuellement entendue ?

Je dis que la logique voudrait qu'elle soit entendue.

Et la politique ?

Maintenant, il y a aussi le respect pour les personnes. Donc, il faut avoir ce souci-là, sans stigmatisation, sans volonté de je ne sais quelle personnalisation, eh bien faire en sorte que tous les acteurs, notamment elle, mais je pense qu'il faut respecter la situation qu'elle connaît aujourd'hui, il faut avoir quand même le minimum de délicatesse...

Je ne comprends rien, vous voulez qu'elle vienne ou qu'elle ne vienne pas ?

La logique, je vous l'ai dit serait qu'elle soit sollicitée à venir devant... Non, mais je pense qu'il faut le faire avec un minimum de délicatesse. On peut être à la fois ferme et polie, monsieur Elkabbach.

Merci, d'être venu.

Comme vous l'êtes.

Comme moi ? Merci, c'est vous qui l'avez dit. Bonne journée.

Vous auriez pu le dire de ma part.

Voilà, bonne journée.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 8 novembre 2007