Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat, porte-parole du gouvernement, à la revue "Think Tank" d'octobre 2007, sur l'importance des cercles de réflexion dans le processus de la prise de décision politique.

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Q - Après cinq ans à l'Assemblée nationale et quelques mois au gouvernement, quels sont les acteurs qui participent, selon vous, à la conviction des politiques ? De quoi et de qui, en dehors de leurs électeurs bien sûr, s'inspirent les politiques, et vous-même en particulier dans la construction de la décision publique ?
R - Le problème est politique ; c'est avant tout de pouvoir prendre le temps de réfléchir. J'aime beaucoup cette citation d'Henry Kissinger : "Gouverner c'est dépenser le capital intellectuel que l'on a acquis par ailleurs". Outre le temps, l'autre grande difficulté dans la construction de la décision politique est d'articuler les différentes dimensions de l'inspiration. L'inspiration du terrain d'une part, qui reste primordiale, et les remarques de nos concitoyens d'autre part sont une source inépuisable de bonnes idées. Mes combats sur l'ascenseur social ont été par exemple fortement inspirés par les familles que j'ai rencontrées dans ma circonscription de Haute-Loire. Cependant cette inspiration n'est pas suffisante et le politique a besoin d'expertises plus larges pour construire ses convictions.
Dans cette deuxième dimension, il faut faire face à un autre challenge : celui de décloisonner la société. Je garde en mémoire lorsque j'étais député, qu'au moment du débat sur le plan de cohésion sociale j'avais appelé un de mes anciens professeurs de droit pour échanger avec lui sur ce projet. Sa réponse a été symptomatique : "Je ne peux pas me corrompre à dialoguer avec des politiques".
Q - Plus précisément quelle est la place des think tanks dans les éléments qui fondent vos convictions et qui vous aident à la prise de décision ?
R - Au regard des cloisonnements dont je viens de parler, il existe une vraie difficulté à combiner de manière formelle ces sources d'expertises. Cela tient donc beaucoup à des relations personnelles avec des experts qui peuvent apporter leur valeur ajoutée intellectuelle à nos travaux en temps utile, mais aussi de manière spontanée. J'entretiens des rapports réguliers avec des personnalités comme Patrick Weil, chercheur et universitaire, Rémy Schwartz qui a produit d'excellents travaux sur la laïcité, Pierre Avril, constitutionnaliste ou Elisabeth Lulin de l'Institut Aspen.
En parallèle, après avoir participé et suivi leurs travaux, je m'attelle personnellement à entretenir un lien avec l'Institut Montaigne.
Q - Cette place est-elle suffisante, si non pourquoi ?
R - Cette place est évidemment insuffisante, et pèse sur la qualité du débat public en France. L'absence de dialogue entre économistes, intellectuels, universitaires et politiques est sans aucun doute une des raisons de la faiblesse de notre débat public. De ce point de vue, les intellectuels ont rompu avec la tradition intellectuelle française en refusant de plus en plus de prendre toute leur place dans le débat public et la construction des décisions publiques.
C'est dans ce dialogue que les think tanks ont un rôle majeur à jouer. A l'instar de ce qu'il se passe à l'étranger, les think tanks ont une capacité à être un catalyseur d'expertise et surtout un lieu d'échange entre toutes ces familles, essentielles au politique, mais qui malheureusement s'ignorent.
Par ailleurs, la vitalité de notre production intellectuelle sera un facteur essentiel pour permettre à la France de renouveler un modèle qui sera capable, comme il l'a déjà été, d'aspirer à l'universalité et d'inspirer à travers le monde.
Comme je le disais, la plus grande difficulté pour un politique est de prendre le temps de réfléchir et de s'abstraire du quotidien pour construire l'avenir. Le travail de certains think tanks favorise cette prise de recul nécessaire par les politiques. J'ai par exemple participé à un séminaire de l'Institut Aspen sur ce que l'on attendra des politiques à l'horizon 2015-2020. Ce type d'initiatives est primordial.
Q - Comment favoriser cette production intellectuelle au service de la décision publique ?
R - Je l'ai dit, le développement des think tanks est essentiel. Cependant ils ne peuvent être l'unique réponse aux besoins du débat public. Il s'agit sûrement d'une particularité française : la production d'idées n'est pas réservée à un groupe d'acteurs. Il faut s'appuyer sur les universitaires de haut niveau que nous avons : Sciences Po et Dauphine en sont d'excellents exemples. Je souhaite que la Sorbonne puisse à son tour se doter de structures du même ordre. La France possède également des grands corps d'Etat experts qui réfléchissent, produisent et sont des sources d'inspiration pour le politique. Parfois trop technos peut-être, mais sans aucun doute à considérer dans le panorama de la production politique.
Enfin je tenais à souligner la richesse de la production des partenaires sociaux en France. Les syndicats sont eux aussi des sources de propositions constantes. J'en ai vécu l'expérience lorsque je travaillais à mon rapport sur les aides sociales aux étudiants. Les remarques et propositions des syndicats étudiants m'ont été précieuses et d'un niveau très élevé. Les producteurs d'intelligence sont bien présents en France : nous devons mieux coordonner notre action pour les entendre et favoriser leur développement.
Q - On sort d'une campagne durant laquelle vous avez assumé des responsabilités auprès de Nicolas Sarkozy qui, dit-on, y a gagné la bataille des idées. Quelle a été la place des think tanks, en particulier de la Fondapol, dans la construction du programme et dans le dispositif de campagne en général ?
R - D'un point de vue personnel je me suis investi fortement dans la Fondapol dès sa création. La construction d'un centre de réflexion fondé sur un corpus politique bien identifié mais capable d'une ouverture aux experts de différentes sensibilités me semblait, et me semble toujours, être une chance pour le débat public. Je regrette que le rôle de la Fondapol n'ait pas été plus valorisé durant la campagne présidentielle. Cela démontre assez bien que les esprits n'ont pas encore atteint la maturité suffisante.
Il faut absolument lever certains préjugés. Nous sommes, en France, marqués par deux convictions : la première est un rejet systématique des lobbies auxquels les think tanks sont associés. La deuxième est que seul l'Etat serait garant de l'intérêt général. Ce sont deux verrous à faire sauter pour permettre à ce type de fondations de jouer leur rôle. L'Etat n'a pas le monopole de l'intérêt général ni du débat public. On constate cependant les mêmes limites de la part de la Fondation Jean Jaurès qui ne remplit pas à gauche son ambition de construire le projet politique du Parti socialiste. La défaite de la Gauche lors des dernières élections s'explique principalement par l'absence de débat intellectuel en son sein. Les intellectuels sont peut-être plus nombreux à Gauche, ce qui reste à prouver, mais ces dernières années c'est la Droite française qui a mené le débat.
Q - Dernière question, si je vous demandais de me citer quelques think tanks lesquels choisiriez vous ?
R - L'institut Montaigne, l'Institut Aspen, la Fondapol bien sûr et la Fondation Konrad Adenauer.
Source http://www.porte-parole.gouv.fr, le 13 novembre 2007