Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, sur les mesures à envisager pour lutter contre la hausse du prix des carburants et améliorer la situation des consommateurs, Bercy le 10 novembre 2007.

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Circonstance : Réunion avec les producteurs et les distributeurs de carburants à Bercy le 10 novembre 2007

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
« Il nous faudrait plusieurs planètes pour subvenir à nos besoins futurs », écrit Erik Orsenna dans un livre au titre frappant : Un monde de ressources rares. Oui, nous entrons dans un monde de ressources rares, alors que la consommation d'énergie ne cesse d'augmenter dans le monde. L'ère du tout-pétrole, l'ère du pétrole facile, se refermera dans quelques dizaines d'années, quand les réserves les plus accessibles seront épuisées. C'est cette réalité fondamentale que reflète la hausse des cours du pétrole brut depuis janvier dernier, le prix du baril ayant presque doublé, de 50 $ à près de 100 $. Quelles que soient les fluctuations à court terme, à la hausse ou à la baisse, nous devons prendre conscience de ce fait inéluctable : moins il restera de pétrole, plus il sera cher de manière générale, et plus les variations de prix seront imprévisibles au jour le jour.
Des solutions alternatives existent, nous les connaissons, et nous commençons à les mettre en oeuvre. Les derniers siècles ont inventé de nombreuses sources d'énergie : après le bois, il y a eu le charbon, puis le pétrole, et enfin le nucléaire. Le développement des nouvelles technologies de l'énergie nous permet d'entrer de manière progressive dans l'ère des énergies propres, renouvelables. Je sais que le Gouvernement tout entier a cet objectif en tête, et je fais confiance à Jean-Louis Borloo pour mener à bien la « révolution écologique » que le Président de la République a annoncée.
Dans le contexte actuel, j'aimerais préciser que la situation française est relativement privilégiée, au regard des comparaisons internationales. Le niveau historique de l'euro atténue l'envolée des prix du pétrole. Au sein même de l'Europe, les prix à la pompe en France restent inférieurs à la moyenne. Même si l'essence est chère, trop chère, il suffit de passer la frontière vers l'Allemagne ou l'Italie pour constater qu'elle peut être encore plus chère : le litre de super coûte près d'un tiers de plus de l'autre côté du Rhin.
De même, les prix des autres énergies traditionnelles restent modérés en France. L'État conserve un certain pouvoir de régulation sur les tarifs de l'électricité et du gaz, ce qui limite leur appréciation. Les tarifs de l'électricité sont ainsi inférieurs de 20 % à la moyenne européenne, en partie grâce à notre parc nucléaire, et ceux du gaz de 10 %, Gaz de France et les autres opérateurs gaziers ayant pu négocier avec les entreprises des pays producteurs des contrats de long terme très intéressants. La fusion de GDF avec le pôle énergie de Suez, en constituant un acteur de l'énergie d'envergure internationale, permettra de maintenir et d'accentuer cette pression sur les prix.
Naturellement, dans un contexte économique d'augmentation mondiale des prix du pétrole, nous devons redoubler d'efforts pour améliorer la situation des consommateurs. Il n'y a pas hélas de remède-miracle : nous ne pensons pas que la baisse de la fiscalité sur les carburants soit judicieuse, dans la mesure où nos finances publiques ne pourraient soutenir un manque à gagner supplémentaire. Je rappelle que l'augmentation des prix du pétrole ne rapporte pas un centime à l'État. Mais nous pouvons et nous devons trouver des moyens d'action appropriés. Je vous annonce sur ce sujet, en accord avec Éric Woerth, que la commission indépendante chargée d'évaluer l'impact de la hausse des prix du pétrole sur les finances de l'État se réunira dans les prochains jours afin de vérifier les chiffres actualisés qui sont en cours de collecte par l'inspection générale des finances.
C'est pourquoi j'aimerais aujourd'hui vous présenter les trois phases de notre stratégie : à court terme, c'est-à-dire dans les mois qui viennent ; à moyen terme, c'est-à-dire dans les années qui viennent ; et à long terme, c'est-à-dire dans les décennies qui viennent.
I/ À court terme, le problème, c'est le pouvoir d'achat.
Préserver le pouvoir d'achat, c'est (1) en amont de la chaîne de distribution, veiller sur l'évolution des prix, et (2) du côté des consommateurs, leur permettre de mieux choisir entre les différents concurrents.
(1) L'État peut faire pression à l'international sur les pays producteurs. Les négociations avec les pays producteurs de l'OPEP sont menées, comme vous le savez, par l'intermédiaire de l'Agence internationale de l'énergie, dont la France est membre. L'AIE a récemment plaidé pour une augmentation de la production, qui permettrait de limiter la hausse des cours. Le Gouvernement soutient fortement cette demande. J'ai l'intention d'en parler à mes collègues européens dès la semaine prochaine à Bruxelles, à l'Eurogroupe et à l'Ecofin. J'en parlerai aussi à mes collègues du G 20 lors de la prochaine réunion le 17 novembre en Afrique du Sud. Nous voulons également que les stocks commerciaux soient gérés avec une plus grande transparence, sur le modèle des États-Unis, qui publient l'état de leurs stocks tous les mercredis.
Sur le plan national, la réunion d'aujourd'hui avec les producteurs et les distributeurs prouve que l'on a toujours intérêt à se parler. Nos interlocuteurs ont pris l'engagement de poursuivre les politiques de prix qu'ils mènent depuis 2005, et qui permettent aujourd'hui aux Français de bénéficier de prix plus avantageux que dans les autres pays.
(2) Pour les consommateurs, nous avons mis en place depuis début 2007 un site Internet qui affiche les prix à la pompe des quatre cinquièmes des stations service françaises, permettant ainsi une plus grande liberté de choix. Je vous le présenterai à l'issue de cette conférence. Au-delà de la transparence de l'information, il faut sans doute davantage de concurrence entre stations-services, ce qui milite pour une plus grande liberté d'installation des grandes surfaces et une révision des lois Royer-Raffarin. J'en tiendrai compte dans les discussions en cours sur ce sujet.
J'ai également bien en tête la question du chèque-transport, aujourd'hui inutilisé. J'ai lancé il y a dix jours avec Dominique Bussereau une mission sur le sujet, qui me rendra ses conclusions d'ici la fin du mois.
II/ A moyen terme, nous avons reçus aujourd'hui la garantie que d'importants investissements vont être faits dans la production d'énergie - à la fois (1) pour l'énergie traditionnelle, et (2) pour les énergies nouvelles.
(1) Pour l'énergie traditionnelle, on peut compter sur 3,5 Md euros d'investissements dans le raffinage entre 2005 et 2010. Je suis en mesure de vous confirmer aujourd'hui, à la suite de notre réunion, que Total respecte son engagement d'investir sur la période 2006-2010 3 Md euros dans les capacités de production et de raffinage. Ces sommes contribueront bien entendu à réduire les tensions sur le marché français des carburants.
(2) Pour les nouvelles technologies de l'énergie, 500 M euros vont être investis dans le solaire, l'hydroélectrique et autres d'ici 2010, par Total.
Ce ne sont pas des promesses en l'air. Les investissements déjà réalisés par les différentes compagnies sont une preuve de leur bonne volonté. En maintenant le rythme, elles atteindront sans difficulté les objectifs annoncés.
III / À long terme, nous allons agir sur la demande.
Agir sur la demande, cela signifie : changer nos comportements, de manière progressive mais déterminée. Nous devons peu à peu adopter une nouvelle logique de vie.
- Quand nous achetons une voiture, choisissons une des moins polluantes.
- Quand nous rénovons notre appartement, utilisons des matériaux plus isolants.
- Quand nous allons faire une course tout près de chez nous, allons-y à pied ou à vélo, plutôt que de systématiquement prendre nos clés de voiture.
Ces réflexes sont déjà familiers pour beaucoup d'entre nous. Les experts constatent ainsi que la consommation de carburant, après avoir continuellement augmenté au cours du siècle précédent, a commencé à diminuer depuis 2001. Je suis certaine que cet état d'esprit gagnera au fil des ans un nombre de plus en plus important de nos concitoyens.
Pour accélérer et encourager ce mouvement, des propositions ont été formulées par les participants au Grenelle de l'environnement, et reprises par le Président de la République. Jean-Louis Borloo devrait annoncer les premières mesures d'ici la mi-décembre, telles que la prime à la casse ou la rénovation thermique des logements.
Vous le voyez, nous avons voulu combiner mesures d'urgence et réflexion de long terme. Certes, l'État ne peut pas tout faire. Mais il doit faire le maximum.
J'aimerais à présent vous présenter notre site internet, www.prix-carburants.gouv.fr. Il permet de comparer les prix des différentes stations-services et, depuis le début du mois, de calculer les économies possibles sur un itinéraire donné.
Source http://www.minefi.gouv.fr, le 12 novembre 2007