Conférence de presse de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, notamment sur l'aide européenne au développement, l'Union européenne et la question du réchauffement climatique et sur les relations euro-africaines, à Lisbonne le 7 novembre 2007.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement à Lisbonne à l'occasion des Journées européennes du développement, le 7 novembre 2007

Texte intégral

Q - Le commissaire européen au Développement a aujourd'hui fortement critiqué la façon dont l'Union européenne apporte son aide aux pays sous-développés. Vous partagez son avis ?
R - Je partage souvent son avis, car Louis Michel est quelqu'un que je respecte et que j'apprécie, qui connaît bien l'Afrique et qui a souvent des idées pertinentes.
La France, comme premier financeur, encore aujourd'hui, du Fonds européen de développement, est donc un partenaire de M. Michel et de ses services.
Il faudrait que vous me disiez exactement le détail de sa critique que je puisse vous dire si je suis d'accord ou pas.
Q - Il a critiqué le rapport entre les pays riches qui donnent aux pays pauvres et le fait qu'on ne s'en sorte pas, disant qu'il faut créer une nouvelle dynamique...
R - Je suis complètement d'accord avec sa critique, et cette critique du commissaire Michel sur le type de relation que l'on a avec les pays du Sud et les pays africains notamment, c'est un peu l'esprit du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy. Au-delà des deux ou trois phrases qui ont suscité controverse et sur lesquelles je ne reviendrai pas, l'esprit même du discours : c'est à la fois un très grand respect de l'histoire, de l'âme, des valeurs et des potentialités de l'Afrique, et c'est un appel à la responsabilité partagée.
C'est très important parce que d'abord j'ai la conviction - et je pense que le commissaire Michel la partage - que l'Afrique, qui souvent apparaît aujourd'hui comme la "terra incognita", l'endroit où on se pose la question de savoir si c'est vraiment la peine d'y être, et de "que peut-on y faire", c'est le continent à très fort potentiel de demain. Où peut donc se passer ou le meilleur, ou le moins bon. Si le potentiel de l'Afrique c'est simplement la sur-exploitation avec des méthodes modernes, alors qu'avant c'était avec des méthodes traditionnelles, de ses ressources ; si c'est dans certains cas une aide qui ne fait qu'encourager les vieux réflexes, alors l'Afrique risque de passer à côté de ce formidable mouvement que de toutes façons elle vivra, c'est de toutes façons là que ça va se passer.
L'autre manière de voir les choses, c'est effectivement que ce soit une opportunité pour l'Afrique et les Africains de réussir un développement soutenable, permettant aux générations suivantes de trouver également leur place sur ce continent, et c'est en ce moment que cela se joue. Cela se joue à la fois sur les questions de gouvernance, sur les questions de relations étatiques, économiques, ONG et autres, entre nos pays et les pays africains ; cela se joue aussi sur la manière dont on saura prendre en compte les enjeux climatiques majeurs, sans oublier les populations. Ce ne sont pas les enjeux climatiques sans les populations, je ne dis même pas contre, ce sont les enjeux climatiques de développement durable avec les populations. Développement durable cela veut dire bien sûr environnement mais aussi un développement soutenable sur le plan économique et social.
Il est vrai que par rapport à ces enjeux-là, le commissaire Michel a raison de considérer qu'aujourd'hui, malgré les efforts réels, malgré les réussites, et il y en a beaucoup, je ne fais pas dans le catastrophisme, nous n'avons pas encore collectivement, nous les pays européens, y compris la France, marqués les ruptures et les tournants qui permettraient d'avoir une vision différente du développement.
Mais en même temps je ne vais pas non plus faire dans l'auto-flagellation. La responsabilité est partagée, la prise de conscience de ces enjeux, elle doit aussi exister, elle existe d'ailleurs de plus en plus, mais sûrement pas encore assez, du côté des pays africains et des organisations régionales.
C'est donc véritablement une responsabilité partagée, et nous avons aussi d'autres responsabilités je le dis surtout en termes de potentiel, d'évolution et d'amélioration, plutôt qu'en termes de lamentation sur le passé.
Q - Si l'on aborde maintenant la question du réchauffement climatique et de l'engagement de la Commission à cette alliance avec les pays les plus menacés par le réchauffement climatique, est-ce que la France va abonder ce nouveau fonds et rapidement ? Parce que la Commission a mis 50 millions d'euros sur la table...
R - Il y a actuellement un fonds qui existe déjà, qui est le Fonds mondial pour l'environnement. Nous ne sommes pas favorables, nous l'avons dit notamment à nos amis britanniques, à une multiplication de fonds. Parce que cela ne favorisera pas l'objectif que vous évoquiez tout à l'heure, d'avoir la meilleure cohérence possible dans la démarche d'engagement sur ces enjeux de développement durable et climatique.
Q - Donc vous êtes en contradiction avec la proposition de la Commission européenne ?
R - Je ne connais pas cette proposition, donc je ne peux pas être en contradiction avec quelque chose que vous ne m'avez pas développé...
Q - L'alliance entre la Commission européenne et les pays les plus menacés par le réchauffement climatique. Elle a mis 55 millions d'euros sur la table et engage les pays européens à apporter leur aide.
R - Ecoutez, sur ce point précis nous sommes ouverts à regarder cela, ce sont des discussions qui sont encore devant nous. Ce que je peux vous dire, c'est que notre niveau d'engagement dans le fonds européen pour le développement nous met forcément autour de la table pour voir ce qui, dans cette démarche, doit relever des efforts que nous faisons déjà, qui doit relever éventuellement d'une démarche multilatérale voire bilatérale, mais je ne peux pas vous dire sans être rentré dans le détail de cette négociation de quelle manière nous la soutiendrons. Je ne vais pas non plus vous dire qu'on ne la soutiendra pas, naturellement.
Sur ce que nous faisons déjà, avec tous les partenaires à la fois des pays européens et les pays concernés en matière climatique en Afrique, c'est ce que vous avez pu voir sur certains stands comme celui de la France ici ou celui de la Belgique que j'ai vu tout à l'heure, c'est ce que nous faisons ensemble dans la forêt du bassin du Congo. Où nous avons sur une part importante du continent un enjeu majeur, sur lequel nous sommes engagés ensemble dans l'esprit non pas d'opposer la défense de cette forêt, dont on connaît le rôle planétaire en termes de capacité d'absorption des gaz à effet de serre, nous ne pouvons pas opposer cet enjeu planétaire climatique représenté par la forêt du bassin du Congo au devenir des populations. C'est l'enjeu d'une exploitation durable, soutenable et acceptable de cette forêt, et non pas sauvage, clandestine et destructrice. On ne peut pas se contenter de faire la morale, on ne peut pas se contenter de postures d'occidentaux arrogants : nous devons aussi savoir concrètement ce que vivent ces habitants, quels sont les besoins de ces familles, ce sont des millions d'habitants, peut-être 65, 80 millions, qui vivent là.
Nous avons donc là un enjeu majeur, à la fois d'éducation - comment faire vivre sa famille, créer des projets agricoles, forestiers, respectueux de cet environnement qui est leur avenir aussi ; comment préserver la biodiversité, la faune ; des aspects qui paraissent peut-être mineurs, mais comment concilier ce que vit une famille du bassin du Congo, qui souvent ne sait pas de quoi demain sera fait, pour nourrir les enfants, et la question de la survie des primates, notamment de certaines espèces extrêmement menacées. Est-ce que nous devons opposer cet enjeu majeur de biodiversité aux enjeux de survie des habitants, ou est-ce que nous ne devons pas au contraire, avec les pays concernés, avec les ONG présentes sur le terrain, avec des programmes d'éducation, et bien entendu de soutien et de développement, permettre que les deux objectifs soient conciliables dans l'intérêt à la fois de la planète, donc de nous tous, dans l'intérêt bien sûr de l'Afrique, face à tous les risques de désertification, et en tenant compte aussi de cette dimension humaine, sociale, économique.
Là nous avons un sacré challenge. Je peux vous dire que j'ai présidé à Paris la réunion où on a transmis la facilité, c'est-à-dire le travail d'organisation de tout cela, qu'avaient les Français, après les Américains, aux Allemands, qui vont donc prendre maintenant le pilotage de cette affaire avec bien sûr notre soutien à tous, et bien sûr tous les pays africains étaient là, et à des niveaux importants, et bien sûr l'Europe était présente également.
Voilà un exemple parmi tant d'autres de ce qu'on doit faire, de ce qu'on a commencé à faire, de ce qu'on ne fait pas encore suffisamment.
Q - A très court terme va avoir lieu le Sommet UE-Afrique. Pour la France, qu'est-ce qu'on doit attendre de ce sommet précisément ?
R - Il y a des enjeux politiques, bien sûr. Ce sommet sera politiquement très important pour vérifier où on en est des objectifs du Millénaire pour le Développement, vous savez que c'est en Afrique qu'on est le plus loin de les atteindre. Donc c'est une interpellation forte, commune, à la fois aux pays européens qui sont des partenaires importants mais aussi aux pays africains, et aux organisations régionales. Comment faire mieux ensemble ? Comment améliorer la gouvernance ? Comment lutter contre la corruption ? Comment améliorer également la démocratie, les Droits de l'Homme, la décentralisation, la gouvernance locale. Je tiens à vous dire d'ailleurs, mais ce sera évoqué lors de ce sommet des chefs d'Etat, que les prochaines Journées européennes du développement se tiendront l'année prochaine en France, je l'espère à Strasbourg, c'est un point sur lequel nous avons eu une discussion très constructive avec le commissaire Michel. Ces questions de gouvernance locale en particulier seront le thème principal de ces journées.
Pour revenir au Sommet Europe-Afrique, il y aura une dimension politique, ensuite il y aura déjà du point de vue de la France la préparation de la Présidence française, avec la priorité que ne manquera pas d'exprimer le président français, sur justement les enjeux climatiques, et le fait d'intégrer enjeux climatiques, enjeux humains, enjeux économiques, de ne pas les opposer, car c'est la condition de la réussite. Je peux vous dire d'ailleurs à ce propos que je serai à la fin de ce mois à la réunion ministérielle de la Francophonie qui se tiendra à Vientiane au Laos, et parmi les thèmes que nous traiterons, il y aura les enjeux climatiques. Nous préparons une réunion des chefs d'Etat de la Francophonie à Québec début 2008, où le thème central sera aussi on est à peu près tous d'accord là-dessus, les enjeux climatiques.
Ensuite il y aura des points plus politiques, la paix, le Darfour, toutes les zones de crise, dans lesquelles l'Europe, la France particulièrement, mais aussi d'autres pays européens, sont très fortement engagés.
Q - Ne craignez-vous pas que la venue du président Mugabe risque de plomber l'atmosphère du sommet ?
R - C'est un vrai sujet, que j'ai évoqué avec mes homologues britanniques lorsque j'étais à Londres il y a quelques semaines pour voir leurs outils de coopération. Nous avons aussi évoqué bien sûr, tant avec le ministère du Développement international qu'avec le ministre délégué du Foreign Office, cette question. Je connais la position britannique, je la comprends.
La position française, c'est que nous ne pouvons pas, sur cette question du président Mugabe, avoir, dans un sommet Europe-Afrique, une position occidentale. Nous pouvons penser ce que nous pensons de ce qui se passe là-bas, de ce qu'il fait, et nous comprenons tout à fait l'attitude britannique. Nous la comprenons, nous le disons publiquement, un chef d'Etat, quoi qu'il fasse, est un chef d'Etat. C'est un chef d'Etat africain, nous ne pouvons pas faire fi de la position africaine, des Etats africains.
C'est par rapport à la question d'accepter sa venue ou pas. La France ne peut pas avoir une position unilatérale, y compris d'ailleurs par rapport à la Présidence portugaise.
Deuxièmement, s'il vient, la question que nous pouvons évoquer c'est : qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on dit ? Parce qu'il ne s'agit pas non plus de ne rien dire et de tout accepter. C'est une deuxième question qui fait l'objet actuellement de discussions préparatoires.
Q - Vous croyez que la Présidence portugaise a bien fait de dire que c'est un chef d'Etat et qu'il fallait qu'il soit convié comme tous les autres ?
R - La présidence portugaise, je n'ai pas à dire si elle a bien fait ou pas bien fait. Elle a eu l'attitude que je viens de développer qui est celle de la France, qui consiste à dire : nous ne pouvons pas décider, nous les occidentaux, de manière unilatérale, quoi qu'on puisse penser par ailleurs, et tout en comprenant totalement la position britannique - qui serait probablement la nôtre si nous étions concernés comme ils le sont par ce qui se passe avec leurs ressortissants. Mais en tant qu'Europe, en tant, s'agissant du Portugal, que de pays hôte, je comprends tout à fait qu'ils aient une position qui tienne compte aussi de la position des Etats africains qui seront là.
C'est une réalité, cette année elle est posée avec M. Mugabe, peut-être une autre année se posera-t-elle avec un autre chef d'Etat. Si nous commençons à décider que nous marquons une interdiction de laisser venir des chefs d'Etat qui posent problème de manière unilatérale - si c'était une position unanime et très majoritaire côté européen et côté africain ce serait une autre situation - mais tant qu'on n'est pas pour des raisons x ou y sur une telle unanimité, il faut que nous gardions cette attitude. Quels que soient les problèmes qu'elle posera, et naturellement ce n'est pas neutre, mais là aussi il convient de préparer la manière dont nous expliquerons en la circonstance.
Q - (peu audible) réchauffement climatique
R - L'idée qu'il puisse y avoir à Bali de bonnes coalitions pour faire passer un certain nombre de messages à l'ensemble des pays de la planète qui seront présents, notamment montrant qu'il y a sur ces questions un partenariat qui peu à peu s'est accentué entre les pays de l'Union européenne, et l'Union européenne elle-même et un certain nombre de pays africains, notamment sur les enjeux climatiques, est une bonne idée.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 2007