Déclaration de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, sur la maîtrise des dépenses de santé, la politique de prévention en matière de santé, l'accès aux soins et la recherche, Paris le 14 novembre 2007.

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Circonstance : 13ème Forum international de l'économie de la santé à Paris le 14 novembre 2007

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Les politiques de santé publique sont, avec les politiques éducatives, au nombre de celles dont le coût pour la collectivité est plus souvent invoqué par la presse que les bénéfices réels qu'elles produisent au long cours.
Nous savons bien pourtant que la santé constitue, au même titre d'ailleurs que l'éducation, un des déterminants essentiels de notre compétitivité.
Sans doute faut-il, ici d'emblée, distinguer les finalités et les conséquences, et rappeler que notre objectif premier est bel et bien d'assurer à nos concitoyens la possibilité effective de bénéficier, en toute sécurité, de soins de qualité.
Notre mission est de garantir pour l'avenir, pour nous-mêmes, et pour nos enfants, la pérennité d'un édifice de santé qui constitue comme une de ces maisons communes que la République se doit d'entretenir. Il convient bien ici, en effet, d'agir en tentant de faire prévaloir, malgré les forces de l'inertie, l'intérêt général.
C'est pourquoi, si l'on voulait comparer la santé à une entreprise, c'est moins à une entreprise de fabrication qu'il faudrait songer qu'à une administration d'un tout autre type, comme celle, par exemple, des eaux et forêts. La première est tributaire au jour le jour de la conjoncture et de la sensibilité du marché, tandis que la seconde doit tenir compte de la nature et de la vie, de leurs exigences permanentes, en vue d'établir des prévisions à long terme. Et si, par exemple, on commet l'imprudence, en pays méditerranéen, de planter des résineux pour répondre à des besoins immédiats et parer au plus pressé, on risque de les voir bientôt flamber et ainsi de devoir tout reprendre sur de nouvelles bases. En matière de politique de santé aussi, la précipitation dévore les fins, sacrifie l'avenir et ne laisse que ruines.
La durée entre ici dans la substance même de nos institutions. Aussi, travailler pour la santé publique, c'est nécessairement oeuvrer en regardant loin devant, c'est adosser toute décision à une visée résolument prospective. Comment puis-je donc définir, après les six premiers mois passés à la tête de ce ministère, le sens de notre action ?
En quelques mots, tout peut être dit : nous donner les moyens de mieux soigner.
Si tout peut ainsi tenir en une seule phrase, c'est que la bonne gestion et la qualité des soins se supposent l'une l'autre.
Il nous revient donc de mener une politique dont le bon sens nous dit qu'elle est la seule souhaitable mais dont notre pays attend depuis trop longtemps la mise en chantier effective. C'est en ce sens que le Président de la République, élu pour apporter des réponses concrètes aux préoccupations des Français, m'a expressément demandé de « rendre dès maintenant beaucoup plus efficace la démarche dite de maîtrise médicalisée ».
Ce n'est pas, en effet, parce que certains effets des décisions qu'aujourd'hui nous prenons se feront sentir à plus long terme, ce n'est pas, non plus, parce que nous agissons pour un avenir dont peut-être nous ne serons pas, qu'il nous est possible de faire payer à notre descendance le prix de notre inconséquence et de nos procrastinations.
Aussi, je ne ménagerai pas ma peine pour mener à bien ce difficile combat pour la vie qui ne se livre pas sur deux fronts séparés, économique et budgétaire d'un côté, sanitaire de l'autre, mais sur un seul et même front.
Car, si nous gérons mal nos moyens, nous ne saurons bientôt plus en mesure de soigner bien. Et si nous parvenons à mieux soigner, en améliorant notamment la prévention, le dépistage, la cohérence des parcours de soins, la cohérence prescriptive, alors nous aurons su éviter autant de redondances inutiles ou de diagnostics tardifs dont chacun connaît pour le patient, aussi bien que pour la collectivité, le coût.
Dans cette perspective, notre première mission de santé publique, protectrice par principe, solidaire par définition, est d'améliorer l'efficience de notre système de soins. Notre politique, à cet égard, ne saurait obéir à une logique strictement comptable. Les gains ici escomptés ne valent, en effet, que par la plus juste distribution de l'offre qu'ils impliquent. Efficacité économique et équité ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Car c'est bien pour éviter la pénurie en un endroit que nous voulons combattre le gaspillage par ailleurs.
Le deuxième axe de notre mission obéit plus généralement à l'impératif de prévention.
Je souhaite ici engager une politique innovante, plus offensive et audacieuse, qui satisfasse, la double exigence de protection des populations contre le risque et de responsabilisation des individus, mieux informés et mieux formés, capables de prendre en main leur santé de manière plus éclairée et plus autonome.
Sur la question de la protection contre le risque, la puissance publique a, sans conteste, beaucoup à apprendre de la théorie économique. Les derniers développements concernant les phénomènes dits d'aléa moral nous enseignent, en effet, la difficulté qu'il peut y avoir à protéger sans déresponsabiliser et à responsabiliser sans surexposer au risque les individus les plus vulnérables.
Ces politiques de santé publique seront scrupuleusement menées dans le cadre clairement défini d'un budget responsable et animé par le constant souci d'assurer aux dépenses engagées tout leur effet de levier.
C'est dans cet esprit que j'ai souhaité élaboré un PLFSS réaliste et équilibré et proposé un budget 2008 conçu pour nos missions de santé avec la même ambition.
Il est réaliste car il obéit au principe de réalité budgétaire qui, en l'occurrence, nous oblige à repenser nos façons de faire et nos objectifs. Il est ambitieux car il suppose que nous dégagions les marges de manoeuvre nécessaires au financement de nouveaux besoins. Notre politique sera donc pragmatique et réformatrice en son principe, dans la mesure où elle suppose de financer par redéploiement nos objectifs.
L'efficience constitue donc une des grandes arches qui soutient notre édifice de santé, celle qui permet d'en garantir l'équilibre général et la vitalité au long cours.
Les gains que nous pouvons espérer des progrès de l'efficience sont pour nos concitoyens très concrets, puisqu'il s'agit de mieux assurer dans l'avenir la permanence des soins, de garantir une répartition plus harmonieuse et sécurisée de l'offre de soins sur tout le territoire. Les Français ont besoin, dans les villes et dans les campagnes, des médecins, des pharmacies à proximité.
Il convient aussi d'assurer une meilleure coordination entre la ville, l'hôpital et le médico-social.
Cependant, l'amélioration de cette efficience ne se décrète pas. Elle suppose au contraire la participation active des soignants et des personnels. Nous ne comptons pas imposer une réforme venue d'en haut.
Si nous voulons, notamment, gagner le combat de l'efficience hospitalière, nous devons compter sur l'engagement responsable des professionnels de santé, des soignants qui doivent recevoir les marques de notre considération. Eux aussi savent bien, en effet, pour en pâtir à leur tour, que la dispersion des moyens est non seulement inefficace du point de vue du patient, mais aussi préjudiciable pour le personnel hospitalier.
Comment piloter cette réorganisation tant attendue ? La création des Agences Régionales de Santé devra constituer un des moyens de répondre plus efficacement aux besoins de santé. C'est ainsi que nous voulons instituer une structure transversale ayant suffisamment d'autorité pour faire appliquer de nouveaux outils, des outils qui visent, dans un même mouvement, à mieux satisfaire les besoins de santé des patients et à mieux gérer l'efficience du système, tant hospitalier qu'ambulatoire. Ainsi, les premiers éléments d'arbitrage du périmètre des futures ARS seront connus à la fin de cette année, de manière à favoriser leur mise en place dès 2009.
Cependant, toute réforme, pour s'incarner dans les faits, suppose le concours actif de personnels solidaires et motivés. A cet égard, il est grand temps de rendre plus attractifs les métiers de l'hôpital, de soutenir les vocations, d'encourager les efforts de tous ceux qui contribuent, par leur engagement quotidien, à assurer un service hospitalier de qualité.
Dans le même esprit, il conviendra de dégager les moyens nécessaires pour inciter les jeunes médecins libéraux à exercer leurs fonctions là où les besoins de la population ne sont pas satisfaits.
Soignants et praticiens seront, de toute évidence, les acteurs principaux d'une restructuration globale dont la visée est clairement qualitative. En ce sens, la qualité de la formation des professionnels de santé constitue un déterminant essentiel de l'efficience du système. Ainsi, les crédits consacrés à cette formation atteindront pour 2008 un montant de 69 millions d'euros. La revalorisation de la médecine générale qui constitue, comme chacun sait, un pivot essentiel du système, mérite bien, à cet égard, d'être favoriser comme il se doit.
Pour se donner les moyens de mener à bien toutes ces actions visant à améliorer l'efficience de l'édifice de santé, mon ministère s'est résolument engagé dans l'exercice de révision générale des politiques publiques qui devrait nous permettre de redéfinir clairement nos objectifs prioritaires.
L'élaboration d'une politique de prévention innovante et ambitieuse constituera, à cet égard, une des priorités majeures de ma politique de santé.
Il est temps, en effet, d'initier dans notre pays une politique de prévention audacieuse. Comment offrir à chaque citoyen les moyens d'opérer des choix réfléchis, éclairés et autonomes en matière de santé ? A ce titre, la réflexion engagée sur les programmes patients, conçus pour permettre l'accompagnement de ceux qui sont atteints de maladies chroniques, ouvre des perspectives particulièrement intéressantes.
De manière générale, nos politiques de prévention devraient subir quelques adaptations utiles et nécessaires. Les attentes des patients, en effet, ont évolué. De mieux en mieux informés, ils sont parfois même désireux de pouvoir prendre en charge leur inconfort passager sans avoir à consulter un médecin. Notre manière de mener les politiques de santé publique ne peut ignorer ces mutations psycho-sociologiques, bouleversements toujours plus rapides dans les pratiques que ceux que nous anticipons parfois.
Ainsi, je serai favorable à la mise à disposition de médicaments dits « d'automédication », devant le comptoir, en valorisant, bien entendu, le conseil pharmaceutique associé.
Décider de sa santé, c'est opérer des choix de vie. Certes, pour être en mesure d'opérer ces choix, il faut disposer des moyens nécessaires en termes de connaissance et d'information.
En ce sens, toute politique de prévention n'est pas seulement un combat pour la vie : elle est aussi, en même temps, un combat pour la liberté. Le combat pour la vie, en effet, implique parfois de défier le préjugé, de vaincre les forces de l'habitude qui résistent au changement. Ce combat pour la liberté, ministre en charge de la Santé et militante pour l'émancipation des femmes, je le poursuivrai en conduisant notamment une politique de santé des femmes qui permette à chacune de s'émanciper des contraintes qui peuvent porter préjudice à sa santé ou encore obérer ses chances de guérison.
Dans cet esprit, nous engagerons les moyens nécessaires pour que l'information diffusée puisse toucher tous les publics, et notamment les femmes qui vivent dans les situations les plus précaires, ou celles qui sont les plus vulnérables. Il nous faudra alors briser certains tabous, convaincre, faire circuler partout l'information et se donner les moyens d'établir les conditions effectives d'un accès universel à la pratique gynécologique.
De manière générale, les progrès de la prévention devrait permettre de favoriser la diminution de la morbidité évitable dans notre pays. S'agissant du cancer du sein, le défaut d'information, l'ignorance, parfois aussi la peur, sont les causes qui font qu'un trop grand nombre de femmes sont soignées trop tard.
Pourtant, nous savons bien quel est le meilleur moyen d'accroître nos chances de guérison quand un cancer du sein se déclare : le dépistage précoce. Il faut donc mieux informer et donner au dépistage organisé les moyens qui lui permettront de toucher 70% des femmes de 50 à 74 ans. Pour ce faire, je propose notamment que la mammographie réalisée dans le cadre du dépistage organisé puisse bénéficier, au même titre que celle pratiquée dans le cadre du dépistage individuel, de la technologie numérique.
Ainsi, 3 Meuros seront spécifiquement consacrés à la généralisation du dépistage du cancer du sein et la mise en place du dépistage du cancer colo-rectal dans chaque département.
Les missions de santé de la puissance publique, conçues dans leur dimension préventive, sont donc protectrices autant qu'émancipatrices. C'est dans le même esprit que je compte engager une politique de santé des jeunes plus offensive. Les politiques de prévention sont, en effet, d'autant plus efficaces qu'elles parviennent à promouvoir, dès le plus jeune âge, les bonnes habitudes.
Ainsi, je ferai de la lutte contre les habitudes addictives, contractées de plus en plus tôt, une autre de mes priorités. La prévention contre les conduites à risque sera organisée avec la détermination qui s'impose, en étroite collaboration avec l'éducation nationale et l'enseignement supérieur, compte tenu de la gravité des enjeux. Le programme d'actions 2005-2008 de lutte contre le SIDA orienté vers les populations et territoires prioritaires sera, bien entendu, poursuivi. La recrudescence des conduites à risque, notamment chez les plus jeunes, nous oblige à ne pas relâcher nos efforts. Ainsi, le ministère continuera de soutenir les structures de prise en charge des personnes malades et d'aide à domicile, gérées localement par les associations. Les crédits VIH / SIDA ont ainsi été revalorisés à 37,3 Meuros (+2%).
L'efficience de notre système de soins et le dynamisme de nos politiques préventives déterminent ainsi pour une large part la pérennité de notre édifice de santé. L'évolution de la pyramide des âges et l'apparition consécutive de nouvelles maladies nous obligent à engager pour l'avenir les efforts nécessaires.
Ainsi, nous donnerons en 2008 la priorité au renforcement des moyens de lutte contre les maladies neuro-dégénératives avec le déploiement d'actions pour les malades et leur entourage. Un nouveau plan Alzheimer, priorité présidentielle, doit être mis en place en 2008.
Ces crédits à hauteur de 3,4 M euros serviront au financement des premières mesures issues des propositions du comité de préparation du plan qui doit rendre son rapport au dernier trimestre 2007. Les premières orientations ont été présentées par le président de la République lors de la journée mondiale Alzheimer.
Il apparaît, d'ores et déjà, que les progrès de la recherche dans toutes ces dimensions (fondamentale, appliquée et épidémiologique) devront être activement soutenues.
Je ne saurai conclure ici cette présentation, à grands traits, de nos politiques de santé sans insister sur la nécessité de favoriser dans notre pays les progrès conjugués de la médecine et de la recherche.
Sans conteste, l'innovation doit être, à double titre, soutenue. L'innovation est non seulement un gage de progrès et un facteur d'espoir pour les patients, mais elle constitue aussi un des leviers essentiels de notre compétitivité.
A cet égard, il convient de rappeler que le dynamisme de l'innovation dépend de la mobilisation conjointe des acteurs publics et privés. Ainsi, j'attends beaucoup des travaux fort utiles engagés par le CSIS (Conseil stratégique des industries de santé). Je veillerai, d'ailleurs, à ce qu'ils se poursuivent dans le cadre d'un partenariat exigeant entre les industriels et les pouvoirs publics. Je sais que les services des différents ministères concernés, ainsi que les industriels et les chercheurs, oeuvrent à la mise en forme d'un programme qui, je l'espère, sera à la hauteur des enjeux. Je l'espère d'autant plus que mon action s'inscrit dans la perspective de la prochaine Présidence française.
La France a souvent montré l'exemple en la matière. Les bonnes pratiques partenariales entre public et privés, doivent constituer peu à peu une forme d'habitus national.
A cet égard, la politique du médicament que je veux conduire s'inscrit résolument dans cette logique. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de la frilosité ou du repli si nous voulons renforcer l'attractivité de notre pays.
Néanmoins, nous ne pouvons pas nous permettre de dépenser sans discernement. L'obligation à laquelle nous sommes tenus de maîtriser les coûts de la santé peut, à cet égard, constituer pour nous une contrainte vertueuse.
Sans aucun doute, la promotion de la recherche et de l'innovation, parce qu'elle stimule la croissance, augmente nos recettes. Nul n'ignore l'existence de ce cercle vertueux qui permet de générer de nouvelles cotisations par l'effet d'investissements porteurs d'emplois.
Cependant, chacun sait aussi que l'augmentation des dépenses de santé ne se justifie qu'au regard des bénéfices attendus pour la collectivité solidaire.
Nous poserons donc sans tabou quelques questions que d'aucuns ont su formuler, à leur tour, de manière très explicite. Qu'on en juge, en effet, par le constat établi par la Cour des Comptes, concernant le niveau de consommation très élevé de médicaments en France par rapport aux autres pays. Ce tropisme national se traduit-il réellement par une amélioration de la qualité de vie de nos concitoyens ? En d'autres termes, les dépenses sont-elles véritablement adaptées aux besoins ?
Là encore, cette question n'est pas d'inspiration strictement comptable. Elle constitue plutôt, pour moi, une des questions structurantes de la politique qualitative que je compte mener. C'est dans cette seule perspective que je veux penser et promouvoir l'innovation.
Le problème doit être distinctement posé si nous voulons nous donner les moyens d'optimiser nos dépenses : à quelle aune doit-on mesurer l'opportunité d'une innovation ?
C'est d'abord l'intérêt du patient et le souci d'améliorer la qualité des soins dans notre pays qui devront guider nos choix.
En ce sens, si nous voulons continuer à offrir à tous les patients un accès rapide aux innovations, il nous faudra disposer de référentiels scientifiques plus performants et plus nombreux. Ainsi, nous devrions pouvoir mieux définir, en amont, éclairés par des données objectives et actualisées, les populations-cibles qui peuvent tirer d'une innovation un réel bénéfice. Dans le même esprit, il faudrait être en mesure d'identifier également les patients pour lesquels les anciens médicaments sont au moins aussi efficaces.
Les enjeux de la politique de santé, consubstantiellement liés, sont donc économiques aussi bien que médicaux.
Cependant, notre action n'est réellement normée que par les seuls impératifs de santé publique.
La ministre de la qualité des soins que je veux être, consciente de l'ampleur des chantiers qui nous attendent, mènera donc cette politique, en étant portée par la conviction qu'il est désormais nécessaire d'élaborer, pour tenir le cap, un projet global et cohérent, un véritable projet de société.
Je vous remercie.Source http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr, le 15 novembre 2007