Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, à France Inter le 22 octobre 2007, sur les négociations avec les syndicats sur la réforme des régimes spéciaux de retraite et le pouvoir d'achat.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Les syndicats de la SNCF se réunissent aujourd'hui pour déterminer la suite du mouvement. Quel message souhaitez-vous leur faire passer ce matin ?
 
R.- Le message est simple : c'est qu'aujourd'hui, dans notre pays, chacun doit être persuadé qu'on a plus à gagner dans la négociation que dans le conflit. J'ai mis sur la table, voilà maintenant dix jours, un document d'orientation qui fait suite à 80 heures de discussions ; je ne suis pas du genre à décider tout seul dans mon bureau. Et maintenant, j'attends des propositions des différentes organisations syndicales, pour faire part de leur position, des précisions à apporter. Certaines l'ont déjà fait, j'attends cela des autres organisations, que je recevrai à partir de mercredi, de mercredi jusque vendredi.
 
Q.- La CGT a dit que ce n'était pas une "vraie" négociation. La "vraie" négociation commence-t-elle cette semaine ?
 
R.- Non, ne jouons pas sur mots. Et je crois aussi qu'il faut que l'on change un peu de regard sur la façon dont cela se passe dans notre pays. Quand vous jouez le jeu de la concertation, cela ne veut pas dire que vous êtes forcément d'accord sur tout avec chacun de vos interlocuteurs, il faut aussi le reconnaître. Ou alors, cela voudrait dire qu'on peut se contenter du statu quo. Or, le statu quo aujourd'hui, en matière de retraites ou de régimes spéciaux n'est pas possible. Le statu quo, cela veut dire quoi ? Cela veut dire les retraites en danger, et cela veut dire "leurs" retraites, à ces agents, en danger. Parce que, quand vous avez, dans les régimes spéciaux, 1,1 millions retraités, et que vous avez 500.000 actifs qui cotisent, vous avez quand même un problème de financement. Alors, bien évidemment, c'est l'Etat qui assure ce financement. Mais seulement, dans les années qui viennent, si on ne fait rien, et si on ne travaille pas plus longtemps, ce que l'Etat mettra pour financer les régimes spéciaux, l'Etat ne pourra pas le mettre pour financer d'autres points importants de la solidarité, il faut aussi le dire, au nom de la vérité.
 
Q.- Alors, dans une négociation, on arrive en général avec un certain nombre de concessions possibles ou d'avancées possibles. Vous êtes prêt à aller jusqu'où dans cette deuxième phase de négociations ?
 
R.- Ce que je veux, c'est répondre à l'inquiétude des agents, je l'ai vue avec la grève de jeudi dernier, je l'ai vue aussi en les rencontrant à de très nombreuses reprises, vendredi encore, à Reims, avec des agents de la SNCF ; samedi, à Porcheville, avec des agents d'EDF. Et quel est aujourd'hui leur sentiment, ce que j'essaye de bien ressentir ? C'est pour eux, le passage de 37,5 ans à 40 ans est inévitable, ils l'ont bien compris, parce que cela fait bien longtemps qu'on en parle, pour les agents du privé, pour la fonction publique, et ils le sentent bien. Par contre, leur inquiétude touche au montant des pensions. Ils veulent savoir si, en travaillant plus longtemps, leurs pensions vont baisser, oui ou non. Première véritable inquiétude que je dois prendre en compte. Et le deuxième sujet c'est : mais si on nous demande de travailler 40 ans, est-ce qu'on aura quand même la liberté de choisir les conditions ou l'âge de départ à la retraite ? Est-ce qu'on pourra s'organiser, ou est-ce que cela va nous être imposé ? Message bien reçu également. Voilà pourquoi...
 
Q.- Donc, oui, sur ces deux interrogations ?
 
R.- Bien évidemment. Attendez ! Le montant des pensions, on est avec une logique de pouvoir d'achat. Je dois leur expliquer qu'en jouant le jeu de la réforme, et qu'en travaillant plus longtemps, il faut bien évidemment maintenir leur pouvoir d'achat. La première réponse c'est : s'ils font une carrière complète, ils auront une retraite complète. Mais cela vaut la peine de rentrer dans le détail, de bien comprendre les choses. Et puis les négociations d'entreprises, je veux que les négociations d'entreprises soient des négociations sérieuses. Est-ce qu'il faut donner davantage de contenu à ces négociations d'entreprises ? Dans le document d'orientation qui est aujourd'hui sur la table, la pénibilité des métiers, il est prévu qu'on en parle. Et si vous parlez de la pénibilité des métiers à la SNCF, où est-ce qu'il vaut mieux en parler ? Dans mon bureau au ministère ou à la SNCF pour être le plus concret possible ? L'emploi des seniors, l'évolution des carrières, voilà des sujets qui sont dans la discussion. Les compléments de retraite, on l'a fait pour la fonction publique en 2003. Pourquoi ce serait interdit pour les régimes spéciaux ? Voyez, autant de sujets qui, au final, peuvent donner à un agent la possibilité de mieux maîtriser les conditions de son départ à ma retraite. Mais attention, attention, parce qu'il faut dire aussi la vérité, les négociations dans les entreprises ne sont pas là pour annuler le passage à 40 années, mais pour donner davantage de souplesse aux agents concernés, parce qu'on n'est pas là pour leur imposer quelque chose, ils sont là aussi pour avoir du pragmatisme pour eux.
 
Q.- En tout cas, les conducteurs gardent bien un régime spécial ?
 
R.- Allez dans le détail, s'il vous plaît.
 
Q.- Donc, ils vont travailler cinq ans de plus, mais cinq ans de moins que les autres ?
 
R.- Non, mais il y a aujourd'hui la question des bonifications. Parce que la pénibilité...
 
Q.- Mais cela s'appelle "un régime spécial" ?
 
R.- On peut jouer ou pas sur les mots. La question c'est donc, pour eux, ils vont garder ce que l'on appelle des "bonifications". Pourquoi ? Parce que, pour ceux qui sont aujourd'hui en activité, même si la pénibilité n'est pas la même aujourd'hui qu'il y a 30 ans, quand l'agent en question a commencé à travailler, vous ne savez pas, vous, quelle était sa pénibilité. Elle était supérieure à aujourd'hui. Voilà pourquoi les droits acquis cela compte et cela doit être pris en compte. Voilà pourquoi pour ces agents, notamment pour les conducteurs, ils vont être amenés à travailler plus longtemps, ce qu'ils ont reconnu, mais ce que je vous ai indiqué tout à l'heure, on va passer aux travaux pratiques, la possibilité d'avoir un compte épargne-temps, c'est-à-dire le conducteur qui ne prend pas ses RTT, et qui ne veut pas se les faire payer, eh bien il les garde, il les capitalise, et au bout du compte il peut partir plus tôt.
 
Q.- Il ne faut pas jouer sur les mots mais les mots sont importants tout de même. C'est un régime spécial ?
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R.- Mais oui, oui, c'est un régime spécial, mais la seule chose c'est que nous nous donnons la possibilité en travaillant plus longtemps de pouvoir assurer l'avenir de leurs retraites, voilà.
 
Q.- Donc, les conducteurs sont contents et le Gouvernement n'était pas mécontent non plus de trouver un accord tout de même avez une catégorie de personnels qui était très mobilisée ?
 
R.- Attention, il n'y a pas que les conducteurs à la SNCF, et il n'y a pas non plus que la SNCF dans les régimes spéciaux d'entreprises publiques. N'oubliez pas GDF, EDF, la RATP, et même les clercs de notaire, l'Opéra de Paris, la Comédie Française.
 
Q.- Les députés ?
 
R.- Attendez, je suis très à l'aise là-dessus. Ce n'est pas la première fois que j'exprime sur ce sujet à votre micro : il faut aussi une exemplarité et une transparence complètes. Un pas important a été fait en 2003 pour assurer la réforme des régimes des parlementaires. Je ne suis pas sûr que tout le monde le sache bien. Si on met tout sur la table, au moins il n'y aura pas de fantasmes et il n'y aura pas de rumeurs. Juste un point sur les conducteurs, vous en avez parlé : aujourd'hui, il n'y a pas d'accord signé avec les conducteurs. Les conducteurs ont la garantie que les négociations d'entreprise seront sérieuses, et qu'on a les moyens d'aboutir. Il n'y a rien qui est signé aujourd'hui, sinon la confirmation que les négociations ne seront pas...
 
Q.- En tout cas, la grève n'est pas finie ce matin, on le voit, il y a encore des perturbations.
 
R.- Je pense aussi aux perturbations. D'ailleurs, vous savez, jeudi a été une journée sans quasiment de transports, mais c'est la journée de vendredi qui a causé encore le plus de perturbations, parce que, quand il y a même une journée de "grève carrée", eh bien derrière, le temps que le trafic reprenne il y a bien évidemment des perturbations supplémentaires. Mais à ceux qui sont aujourd'hui encore avec la volonté de ne pas reprendre le travail, je leur dis : cette semaine, je vois les organisations syndicales ; cette semaine, on va discuter sérieusement, avec les propositions des organisations. Il y a plus à gagner dans la négociation que dans le conflit. Cela vaut donc la peine d'être dans cette logique de reprise pour que l'on puisse parler, avec aussi une responsabilité collective vis-à-vis des usagers et des agents des entreprises.
 
Q.- Demain, démarre la grande conférence sur le pouvoir d'achat. Quelles propositions concrètes allez-vous faire sur cette question-là, qui est une question cruciale ?
 
R.- Vous ne m'avez pas invité le bon jour, parce que, justement c'est demain, et comme je ne suis pas... non, mais je n'ai pas vocation à faire un effet d'annonce 24 heures avant... Bon, déjà la question du pouvoir d'achat, on en a effectivement parlé pendant la campagne ; N. Sarkozy était le seul à aborder le sujet aussi clairement. Une première réponse a été apportée avec les heures supplémentaires, je dis bien "une première réponse". Celui qui faisait des heures supplémentaires en septembre, du jour au lendemain, à partir du 1er octobre, il est gagnant : les heures supplémentaires sont mieux payées, il n'y a plus de charges à payer, et il n'y a plus d'impôts à payer. Et il y a quand même, ne l'oublions pas, 1 million d'heures supplémentaires qui sont faites et qui sont donc payées chaque année. Le deuxième point, c'est la question des salaires ; et j'ai effectivement quelques idées demain et des propositions à faire pour que, justement, sur la logique des salaires on ne soit plus à parler d'éventuelles "augmentations" de salaires, mais que l'on se donne les moyens d'être opérationnels et efficaces. Je ne peux pas être plus concret ce matin, je m'en excuse, tout simplement parce que je veux réserver la primeur de ces annonces aux organisations syndicales. J'en suis désolé pour vous et pour vos auditeurs, mais je ne suis pas le champion du monde de l'effet d'annonce, je le reconnais.
 
Q.- Mais bon, en tout cas la question de la hausse des salaires est éventuellement sur la table, si je vous comprends bien ?
 
R.- Bien évidemment. Parce que vous avez aussi, très clairement, des branches dans lesquelles vous vous rendez compte, les minima sont encore inférieurs au Smic. Cela va durer combien de temps cela ? Pas très longtemps, je peux vous le garantir.
 Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 22 octobre 2007