Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à France 2 le 16 octobre 2007, sur le financement des syndicats par l'UIMM et l'appel à la grève le 18 octobre contre la réforme des régimes spéciaux.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Bonjour à tous, bonjour B. Thibault.
 
R.- Bonjour.
 
Q.- On va bien sûr parler de la grève de jeudi, qui vise à protester contre la réforme des régimes spéciaux de retraite. Mais je voudrais d'abord que l'on revienne sur ce que l'on appelle "l'affaire Gautier-Sauvagnac", ce responsable du Medef qui est accusé d'avoir retiré des sommes très importantes de son organisation, et on dit que ces sommes auraient servi à financer les syndicats. Alors, est-ce que les syndicats - est-ce que la CGT - ont été financés par le Medef ?
 
R.- Ce serait une sacrée nouvelle de s'apercevoir que l'UIMM, qui est une des organisations, historiquement qui s'est structurée, organisée...
 
Q.- L'UIMM c'est l'organisation de Gautier-Sauvagnac, l'Union des industries des métiers de la métallurgie.
 
R.- C'est ça. [Elle] s'est organisée, s'est positionnée, en permanence, en opposition résolue au syndicalisme salarié incarné par la CGT. Alors, il est un fait que dans cette affaire, si je peux dire, on s'est efforcé - beaucoup se sont efforcés - de pointer du doigt, d'abord les organisations syndicales de salariés. Moi, je voudrais rappeler que l'origine de cette affaire repose sur le maniement d'argent liquide, dans des proportions très importantes, de la part de l'organisation patronale. Et maintenant, on entend des dirigeants du Medef assumer pleinement, revendiquer, voire, un scandale, un véritable scandale national, en tout cas moi je le qualifie comme tel, à savoir que de l'argent des entreprises, au-delà des cotisations à une organisation patronale, de l'argent d'entreprises est prélevé, sans transparence, c'est-à-dire que des salariés de la branche de la métallurgie, cotisent par leur travail, indirectement, au Medef, dans des proportions et pour des sommes considérables, de l'argent d'entreprises...
 
Q.- C'est une autre affaire.
 
R.- Oui, mais c'est...
 
Q.- C'est une autre affaire dans l'affaire, si j'ose dire.
 
R.- Pour moi, c'est la même affaire.
 
Q.- Il y a des entreprises qui cotiseraient plus que nécessaire au Medef, c'est ça que vous dites.
 
R.- Pour moi, une entreprise c'est aussi fait des salariés qui travaillent dans cette entreprise. Et j'attire l'attention sur le fait que des centaines de milliers d'entre eux, sans doute, s'aperçoivent aujourd'hui qu'une part de leur travail est détournée pour alimenter des caisses noires du patronat. Il va falloir faire des clarifications sur ce sujet.
 
Q.- Mais alors, sur la première affaire, sur ce qui est dit à propos du financement par le Medef des syndicats, vous dites « c'est vrai » ou vous dites « ce n'est pas vrai » ? Qu'est-ce que vous répondez ?
 
R.- Je pense qu'il est assez facile pour le patronat, pour ne pas avoir d'autres justifications à présenter ou peut-être pour ne pas avoir à avouer d'autres utilisations de cet argent liquide, de pointer les organisations syndicales, comme étant a priori les bénéficiaires des ces sommes très importantes. Mais, pour ce faire, il faut que le patronat apporte des preuves. Je remarque que depuis le début de cette affaire, jamais un responsable patronal n'a apporté jusqu'à présent le plus petit début d'une preuve étayant cette affirmation. Je pense donc que c'est un moyen, aussi, pour tenter de décrédibiliser l'action syndicale, dans une période où la mobilisation sociale, le mécontentement social, les revendications, sont à l'ordre du jour.
 
Q.- Mais vous dites, vous : la CGT n'a pas touché un sou du patronat.
 
R.- Certainement pas !
 
Q.- Alors, il y a une autre hypothèse qui est évoquée ce matin par Les Echos et qui dit que cet argent aurait pu servir aussi à aider les patrons dans certains cas à tenir, en cas de grève. Comment vous réagissez à ça ?
 
R.- C'est éventuellement aux enquêteurs ou aux membres mêmes du Medef, d'être plus attentifs à l'utilisation de leurs moyens. Maintenant, nous avons bien que le patronat, et ça n'est pas nouveau, a chaque fois cherché à s'organiser pour contrer des actions, des luttes, voire des grèves. Si d'aventure, il l'a fait en prélevant encore une fois des sommes très importantes, sur les ressources des entreprises, pour agir contre les intérêts des salariés, là on est sur un autre type de débat que les sources de financements.
 
Q.- Sur la grève de jeudi, est-ce que vous vous attendez à une grève massive ?
 
R.- Oui, je l'ai déjà dit et le niveau de préparation actuel nous fait dire qu'il y aura une bonne participation, voire une très bonne participation, et c'est souhaitable. C'est souhaitable, puisque le Gouvernement, sur la réforme des régimes spéciaux, mais ça n'est pas le seul motif de la mobilisation du 18 octobre, j'y insiste, y compris dans le secteur public ; par exemple, les cheminots vont aussi mettre en exergue le fait qu'il est inacceptable que l'on assiste aujourd'hui à des fermetures de gares pour le transport de marchandises, à un moment où le Gouvernement convoque un "Grenelle" consacré à l'environnement, alors que le transport ferroviaire devrait être un des modes de transport, comment dire, privilégié, en quelque sorte, pour améliorer nos moyens de lutter contre les atteintes à l'environnement. Dans le secteur privé, nous recensons à peu près une centaine d'entreprises de la métallurgie - on y revient à ce secteur - qui vont décider d'actions pour les évolutions de salaires dans ce secteur-là. Mais s'agissant de la défense des régimes spéciaux, il est un fait que nous avons tous besoin d'un fort degré de mobilisation, dans la mesure où le Gouvernement dit avoir calé les principes de sa réforme et ne pas vouloir en négocier les aspects les plus importants.
 
Q.- Est-ce que vous comptez, par ce mouvement, faire reculer le Gouvernement ?
 
R.- Bien évidemment. Nous en appelons à la mobilisation, et tous les syndicats des secteurs professionnels concernés, en ont appelé à la mobilisation le 18, pour contraindre le Gouvernement à s'asseoir de nouveau à la table des négociations, après cette journée de mobilisation. C'est la raison pour laquelle nous espérons qu'elle sera la plus large possible.
 
Q.- Tous les syndicats appellent à la grève pour le 18, mais tous les syndicats n'appellent pas à la grève reconductible. La CGT, par exemple, vous, vous dites : grève simplement le 18 ; Force ouvrière dit : grève reconductible. Pourquoi cette différence ?
 
R.- Les principaux syndicats ont considéré qu'il fallait, pour le 18 octobre, avoir une organisation d'une grève, ce que nous appelons "carrée", de 24 heures, la plus massive possible, permettant de faire une vraie démonstration devant le Gouvernement et nous permettant aussi de le réinterroger sur ses intentions. Si après cette mobilisation, il ne comprend pas le désaccord fondamental qui existe sur cette réforme, parce que je voudrais dire qu'une des conséquences... on masque parfois les conséquences de cette réforme. Nous avons regardé très précisément les choses. D'ici quelques années, pour les intéressés, c'est une baisse de l'ordre de deux mois de retraite par an, pour les intéressés d'ici 2015. Alors, nous savons que le Gouvernement prépare un troisième étage de la réforme des retraites, pour l'ensemble du régime général et plusieurs...
 
Q.- C'est-à-dire 41 ans de cotisations ?
 
R.- Plusieurs déclarations ont laissé entendre quelles étaient déjà les logiques qui devaient prévaloir à cette réforme, d'ailleurs c'est prévu dans le texte qui est soumis pour les régimes spéciaux, c'est 40 ans de cotisations aujourd'hui, 41 demain et 42 ans après demain. Ça veut dire que l'on veut condamner dans notre pays l'ensemble des salariés, du public comme du privé, à une baisse drastique du niveau des pensions, versées par le système de retraite par répartition. Il est de la responsabilité des syndicats de ne pas accepter une telle perspective.
 
Q.- En 1995, ce qui avait fait reculer le Gouvernement sur la même question des régimes spéciaux de retraite, c'est la durée de la grève. Pourquoi, là, vous ne faites pas une grève reconductible, vous, à la CGT ?
 
R.- Evitons les comparaisons qui n'ont pas lieu d'être, et en plus je voudrais rappeler que la grève longue, effectivement, de 95, avait été précédée de journées d'action de 24 heures. J'ai en mémoire par exemple la date du 10 octobre, qui avait précédé une grève très longue, du fait de l'intransigeance du Gouvernement, qui, elle, avait débuté plutôt fin novembre. Mais, la période n'est pas la même qu'en 95, le contexte n'est pas le même. Il y a des questions et des problèmes de financement, posés, pour assurer la pérennité des systèmes de retraite, c'est dans le contexte de 2007 que nous devons en discuter avec le Gouvernement qui est en place aujourd'hui.
 
Q.- Vous savez ce que l'on va vous reprocher, on va vous dire : c'est une fois de plus les usagers qui vont trinquer. Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
 
R.- Eh bien, d'une part, redire que dans le secteur des transports, comme dans d'autres secteurs -il n'y a pas que le secteur des transports qui va se mobiliser le 18 - personne ne fait grève par plaisir et encore une fois, et nous allons essayer d'en faire la démonstration cette semaine, que l'ensemble des salariés comprenne et perçoive qu'en fait ce qui se joue à propos de l'avenir des régimes spéciaux, est une anticipation de la troisième réforme des retraites, que le Gouvernement ne veut pas afficher dès à présent pour essayer de cliver les salariés, mais ce dont il s'agit, c'est bien de savoir si à l'avenir les retraites vont continuer à diminuer dans des proportions très importantes et pour notre part, nous pensons que d'autres réponses sont possibles.
 
Q.- Merci B. Thibault.
 
Merci.
 Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 16 octobre 2007