Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le projet de loi de finances 2008 pour le ministère des affaires étrangères et européennes, Paris le 8 novembre 2007.

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Circonstance : Allocution de Bernard Kouchner sur le budget 2008 de son ministère à l'Assemblée nationale le 8 novembre 2007

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères,
Madame,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames, Messieurs les Députés,

J'ai écouté avec un intérêt passionné vos interventions et j'y retrouve beaucoup de mes propres préoccupations. En définitive, vos observations se résument à une interrogation simple et forte : quelle présence et quels moyens pour notre diplomatie ? Quels sont nos objectifs ? Quels doivent être nos modes d'action ? Je vais bien entendu m'efforcer de répondre aussi précisément que possible à vos différentes interventions, aux dernières en particulier, mais je voudrais d'abord regrouper vos préoccupations autour de différents thèmes autour desquels notre débat de ce matin s'organise.
J'ai noté cinq principales têtes de chapitre : notre réseau et son avenir ; l'évolution de nos moyens et de nos effectifs, notamment dans le contexte du contrat de modernisation que nous avons conclu avec le ministère du budget ; le dossier de nos contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix ; la problématique des affaires consulaires et la question, toujours sensible, de la politique des visas ; enfin, l'important dossier, qui me tient à coeur, de notre diplomatie culturelle et de nos orientations en ce domaine.
Premier point : notre réseau et notre présence dans le monde. Plusieurs d'entre vous l'ont rappelé, le réseau diplomatique français est le deuxième par la taille, après celui des Etats-unis. Faut-il le conserver en l'état ? En avons-nous les moyens ?
La géographie de notre présence correspond-elle bien à celle de nos intérêts ? Votre rapporteur spécial, Jean-François Mancel, que je veux remercier pour la qualité de son travail a dressé sur ce dossier un constat et avancé des pistes que j'approuve très largement. Je reviens d'une longue tournée qui, durant ces dix derniers jours, m'a fait voyager en Asie, en Turquie, à Lisbonne, et aux Etats-unis dont je rentre à peine.
J'ai pu mesurer dans chacun de ces pays tout à la fois la nécessité absolue de notre présence, nos atouts et les progrès possibles. Je voudrais partager avec vous quelques réflexions que m'inspire la question, centrale pour le Quai d'Orsay, de l'évolution de notre réseau diplomatique.
Je suis, en premier lieu, convaincu qu'il nous faut préserver une présence universelle.
La France ne peut pas en effet vouloir s'adapter à la mondialisation et en même temps se rétracter. Il nous faut au contraire pouvoir analyser, anticiper et répondre dans toutes les zones du monde aux évolutions qui sont à l'oeuvre et qui auront une incidence directe sur nos intérêts politiques, économiques et culturels. Je crois donc profondément que nous devons préserver une présence mondiale, tout en la modernisant.
Cela étant, nous ne pouvons être présents partout de la même manière, et je rejoins sur ce point l'analyse développée par M. Mancel et, pour une part, par Mme Filippetti. C'est la limite de notre dispositif actuel : une rigidité certaine dans les formes de notre déploiement, des difficultés à faire évoluer nos dispositifs, notamment, vous l'avez tous dit, vers des grands pays émergents - même si j'ai pu constater, lors de mon déplacement en Chine, combien nous avons su accroître significativement notre présence en ouvrant de nombreux consulats dans cet immense pays. Mais que dire de l'Inde ? Nous ne sommes à l'évidence pas assez représentés dans ce grand pays. Tel est le défi que nous devons relever : définir et mettre en oeuvre un réseau souple, adaptable, modulable. Nous avons besoin de déplacer nos agents. Or même lorsque c'est possible, cela s'avère extraordinairement difficile.
Il faut donc réorganiser ce réseau pays par pays, en fonction de la nature réelle de nos intérêts - qui eux-mêmes évoluent.
Il faut aussi concevoir notre présence à l'étranger, non plus comme la juxtaposition de structures propres à chaque administration, mais comme une véritable "équipe de France" interministérielle - ce qui est bien difficile. J'ai avancé l'idée que nos ambassades deviennent non seulement des bureaux-conseils venant en aide à nos entreprises, à nos ONG, à nos collectivités locales et à nos universités, mais aussi des maisons des Droits de l'Homme.
Monsieur Poniatowski, vous avez évoqué les ambassades communes. Bien entendu, vos préoccupations doivent être prises en compte. Gardons-nous de toute systématisation et privilégions une approche pragmatique, qui s'adapte à la situation des pays, à leurs évolutions et à nos besoins. Prenons le cas du Timor oriental, que j'ai déjà évoqué. Vous vous êtes félicité des succès des missions de l'ONU : en voilà un qu'il convient de saluer tout particulièrement, après tant d'années d'efforts et tant de difficultés surmontées. Faut-il ouvrir une ambassade de France au Timor oriental ? M. Ramos Horta, prix Nobel de la paix et président nouvellement élu de ce pays, nous le demande. Mais devons-nous accepter ? Ne vaudrait-il pas mieux ouvrir avec nos partenaires une maison européenne, dont nous serions les promoteurs, plutôt que la première ambassade - si l'on excepte celle du Portugal, qui tient aux liens particuliers liant ce pays au Timor ? Et pourtant, on nous le demande instamment - et il convient de saluer l'existence de ce nouvel Etat !
Voilà un exemple qui donne matière à réflexion.
Nos partenaires allemands - que nous ne pouvons ignorer - ne sont pas les seuls à nous proposer de telles réalisations communes : les Espagnols et les Italiens aussi. Peut-être pourrions-nous coordonner nos efforts.
Se pose aussi, comme vous l'avez rappelé, Monsieur Mancel, la question de la présence française en Europe, à la fois dans les capitales d'Etat et dans les grandes régions. Essayons de nous entendre au moins là-dessus.
Je suis convaincu que, contrairement aux idées reçues, nous avons encore besoin de grandes ambassades en Europe.
Encore faudrait-il qu'elles soient organisées différemment. Demandez aux ambassadeurs concernés : tous disent qu'il faudrait procéder à des ajustements de personnel, et transférer une partie des agents vers d'autres contrées. Ce n'est pas chose facile : il ne faut pas pénaliser ces agents, tenir compte de leurs liens familiaux et de leurs obligations personnelles. Néanmoins, dès lors que nos ambassades travaillent dans un cadre interministériel, je pense qu'il faut redéployer nos effectifs afin de relayer nos intérêts et renforcer nos positions en fonction de nos pôles de compétence.
S'agissant de l'évolution de nos représentations consulaires en Europe, le moment est venu, Madame Colot, de tirer les leçons de la construction européenne en la matière, notamment en ce qui concerne les prestations de service public offertes à nos compatriotes installés dans l'Union européenne - dont on dit qu'ils sont les plus assistés d'Europe. En revanche, il convient de renforcer la présence de la France dans les grandes régions, là où se dessine la future Europe des régions, là où émergent de nouveaux territoires.
Ces réflexions, qui engagent l'avenir de notre outil diplomatique, sont au coeur de la rédaction du Livre blanc de la politique étrangère et européenne, qui m'a été confiée par le président de la République et le Premier ministre. Pour conduire ce chantier, j'ai constitué une commission spécifique, dont la présidence a été confiée à MM. Alain Juppé et Louis Schweizer et qui rendra d'ici à l'été ses conclusions et ses recommandations. Son ambition est de reformuler nos objectifs et nos priorités - rien de moins ! Aussi ai-je souhaité que votre assemblée y soit représentée ; et je me félicite que le président de votre Commission des Affaires étrangères, M. Axel Poniatowski, et votre collègue François Loncle participent activement à ses travaux.
J'en viens au deuxième thème : la question des moyens. Je ne peux qu'approuver vos observations face à l'ampleur croissante des missions qui, tandis que les crises se multiplient dans le monde, sont confiées à notre diplomatie, nos moyens restent trop modestes. Je suis le premier à le déplorer, croyez-le !
J'accueille avec satisfaction vos critiques. Cependant, il ne suffit pas de critiquer : il faut ensuite passer aux actes - ce qui est autrement difficile.
C'est une autre des questions fondamentales auxquelles devra répondre la commission du Livre blanc - et M. Juppé l'a parfaitement formulée : avons-nous encore les moyens de notre ambition ? Ou plutôt devrais-je dire : de nos ambitions - sinon, j'approuverais les critiques de M. Giacobbi. Car la France n'a pas qu'une seule ambition, mais plusieurs !
Comme vous l'avez noté, notre pays consacre environ 1,5 % du budget de l'Etat à sa diplomatie.
Le budget que je vous propose pour 2008 sera, à structure constante, en croissance d'environ 1,5 % par rapport à 2007. Votre assemblée ayant déjà examiné et approuvé les crédits de la mission "Aide publique au développement", présentés par le secrétaire d'Etat à la Coopération et à la Francophonie, Jean-Marie Bockel, je ne reviendrai pas, faute de temps, sur ce dossier - ce que je regrette, car je l'aurais fait volontiers. L'autre mission dont le Quai d'Orsay est le chef de file - "Action extérieure de l'Etat", dont je vous demanderai tout à l'heure d'approuver les crédits - voit ses moyens croître de plus de 3,5 %, ce qui représente une augmentation significative dans le contexte général des finances publiques.
Plusieurs orateurs l'ont regretté, le budget prévoit de nouvelles diminutions d'effectifs. Vous avez dit, Madame Colot, que 234 postes équivalent temps plein seront supprimés en 2008, soit une baisse de 1,5 % des effectifs du ministère des Affaires étrangères et européennes. A juste titre, vous avez relevé que les emplois de ce ministère avaient déjà connu une baisse continue ces dernières années, de l'ordre de 12 % en dix ans.
M. Mancel a quant à lui très justement souligné l'encombrement du sommet de la pyramide des emplois au ministère. Ce problème trouvera un début de solution avec la publication - dans quelques jours, je crois - d'un décret nous permettant de modifier déjà quelques dizaines de postes ; nous poursuivrons ensuite dans cette voie - nous n'avons d'ailleurs pas attendu la publication officielle de ce décret pour proposer d'autres affectations à ces agents. Si, à réseau constant, cette solution risque, j'en suis bien conscient, de montrer rapidement ses limites, une autre approche est cependant possible, en redéfinissant, comme je viens de le proposer, la présence de notre pays dans le monde. Car ne nous leurrons pas : comme l'ensemble des administrations de l'Etat, le ministère des Affaires étrangères et européennes sera soumis, dans les prochaines années, à la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux.
Il faut donc anticiper cette évolution, organiser les redéploiements et concevoir une nouvelle carte, souple et modulaire, de notre réseau d'implantations.
Plusieurs intervenants m'ont interrogé sur le contrat de modernisation signé en 2006 entre le Quai d'Orsay et Bercy et sur le bilan qui pouvait en être dressé. Ce contrat, qui garantit sur trois ans les moyens de fonctionnement du ministère et planifie l'évolution des effectifs, arrivera à terme fin 2008. Il a permis d'assouplir la gestion des services du ministère, tout en produisant d'importants gains de productivité grâce à la restructuration mise en oeuvre - et qui est loin d'être terminée. C'était indispensable : que l'on songe à l'amélioration des primes pour le personnel de l'administration centrale ! La lettre de mission que j'ai reçue du président de la République et du Premier ministre me fixe comme objectif de préparer un nouveau contrat de modernisation pour les années 2009 et suivantes. Je souhaite qu'il soit plus ambitieux encore et qu'il intègre notamment l'évolution de notre réseau. Je me tiens évidemment à la disposition de l'Assemblée pour lui présenter, le moment venu, le bilan complet de ce contrat.
S'agissant de la gestion du parc immobilier de l'Etat à l'étranger - qui est d'une taille considérable -, vous avez raison, Monsieur Mancel et Madame Colot : les progrès à accomplir sont importants, surtout au regard de ce qui s'est passé en France. Arrivé trop tard, je n'ai pu, hélas que m'en étonner. Mais nous travaillons à l'élaboration d'un dispositif différent pour l'étranger. S'il faut, certes, s'adapter au marché, le dit marché varie d'un pays à l'autre : on ne peut pas demander aux ambassadeurs d'être experts en immobilier, ce n'est pas leur métier. Il convient donc de trouver une solution souple et efficace, à l'instar de ce qu'ont déjà expérimenté d'autres ministères, afin de réaliser de meilleures opérations. Soyons extrêmement attentifs aux exemples qui nous sont donnés.
J'ai déjà informé votre Commission des Affaires étrangères de ma volonté de réformer entièrement ce secteur. J'envisage ainsi de confier la gestion du patrimoine du ministère des Affaires étrangères à l'étranger à un opérateur extérieur, sous le contrôle de l'Etat.
Le recours à cet opérateur permettrait d'améliorer les travaux de construction, de maintenance et d'entretien de notre parc, tout en les laissant sous le contrôle de l'Etat.
C'est la solution adoptée par les Anglais et je pense qu'elle est parfaitement adaptée à la spécificité de nos implantations immobilières à l'étranger.
A Mme Colot, qui m'a plus précisément interrogé sur le financement de nos opérations dans le cadre du contrat de modernisation, j'annonce que le ministère des Affaires étrangères a décidé de renoncer jusqu'en 2008 à l'essentiel de ses crédits d'investissement, et de financer ses projets grâce au produit de la vente des immeubles qui ne lui sont plus utiles. Plus d'une centaine de millions d'euros seront ainsi dégagés entre 2006 et 2008, grâce à d'importantes cessions immobilières à Monaco, New York, Athènes ou Tokyo. Cela étant, vous avez raison de souligner que le compte d'affectation spéciale connaît quelques difficultés de fonctionnement ; nos services s'efforcent de les régler avec ceux de Bercy, ce qui n'est pas toujours simple.
L'externalisation de notre immobilier doit être mise en oeuvre dès que possible, en souplesse et en toute transparence. Si elle devait s'avérer inefficace et se traduire par des pertes financières, il n'y aurait pas de quoi pavoiser.
M. Mancel a évoqué le dossier - que je suis avec grande attention - du regroupement des services centraux, qui nous permettra de réduire nos implantations sur Paris de neuf à deux. Avouez que c'est un progrès !
Ce chantier est très important pour le ministère et ses agents, dont nous améliorons considérablement l'outil de travail. Le personnel s'en réjouit, je crois - je le rencontre fréquemment. En outre, les gains de productivité seront importants. Il n'y aura plus qu'un seul site, pourvu de toutes les facilités pour le personnel, garde d'enfants incluse ! Je vous engage d'ailleurs à visiter le chantier de la Convention.
S'agissant des conditions de ce rachat, je suis là encore d'accord avec vous. Cependant la différence est grande - et c'est là l'essentiel, n'est-ce pas ?
Bien que le chantier ne soit pas encore terminé - il reste encore à réaliser l'aménagement intérieur, soumis à un appel d'offre - c'est un bien bel outil de travail qui a été installé dans les locaux de l'ancienne Imprimerie nationale.
S'agissant maintenant de la maison de la Francophonie, je souhaite vous rassurer, Monsieur Rochebloine : la France tiendra ses engagements. Un site avait été pressenti, avenue de Ségur - je m'en souviens fort bien, puisque j'étais chargé, à l'époque, d'un ministère proche. On a contesté la pertinence de ce choix, ce que je comprends.
Une mission conjointe de l'Inspection des Finances et de l'Inspection des Affaires étrangères a été mandatée pour étudier toutes les formules de localisation possible, sans tabou - l'important est que le projet aille à son terme. Le gouvernement arrêtera, je l'espère, sa décision d'ici à la fin de l'année ou au tout début de l'année prochaine.
Troisième point : la contribution aux organisations internationales. M. Poniatowski et M. Mancel ont à juste titre relevé l'écart important qui existe entre les crédits affectés à notre participation au financement des organisations internationales et des opérations de maintien de la paix d'une part, et les besoins réels de financement de l'autre. Une telle situation n'est pas tenable et votre assemblée a eu raison de s'en inquiéter. Le rattrapage a été lancé, et sera poursuivi en 2008. Ce n'est certes pas suffisant, mais votre assemblée aura à approuver une mesure nouvelle de 40 millions d'euros supplémentaires. Il faudra, si possible, achever le processus en 2009.
Comme l'a relevé Mme Colot, l'année 2008 restera marquée par une incertitude budgétaire liée à l'opération au Darfour, dont le financement n'a pas encore été soumis à l'Assemblée générale des Nations unies. Mais nous savons très bien que cela va coûter très cher : c'est la plus grande opération de maintien de la paix, ou plutôt "d'imposition" de la paix - je ne trouve pas de meilleur terme, et M. Myard me reprocherait un anglicisme - jamais entreprise par les Nations unies.
Certes, l'affaire a été lente à se mettre en place, puisque cela fait plus de trois ans qu'on y pense, mais je suis indigné lorsque j'entends que la diplomatie française est immobile. Nous cherchions depuis longtemps à faire voter une résolution par l'assemblée générale, mais surtout par le Conseil de sécurité des Nations unies. Il y a deux mois, alors que nous sommes en place depuis seulement six mois, la décision a enfin été prise de déployer une force hybride de 26 000 hommes. Or c'est à la France que l'on doit ce grand succès, car tout s'est dénoué à la conférence de Paris, si décriée, où les Chinois, que l'on jugeait alliés au président du Soudan, non seulement ont accepté le principe d'une force internationale, mais se sont engagés à y contribuer. Ce fut un changement décisif. Après le vote à l'unanimité de cette résolution - adoptée dans le cadre du chapitre VII, la chaîne de commandement devrait se mettre en place dans les jours qui viennent, grâce à un effort conjoint de l'ONU et de l'Union africaine, avec le soutien de M. Konaré.
Nous ne savons pas encore combien cela coûtera, mais le budget de l'intervention devrait être voté avant la fin de l'année. L'opération étant gérée en trésorerie par les Nations unies, le déploiement de la force hybride ne sera pas affecté par ce calendrier.
Parallèlement, une force conjointe, européenne et internationale, sera déployée à l'est du Tchad et en République centrafricaine, en tant que second pivot de l'action internationale en vue de stabiliser la région. On a beaucoup parlé du Tchad ces temps-ci. Je tiens à souligner que ces fameux "enfants du Tchad", en tant que personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, ne bénéficieront que d'une seule aide internationale, celle que nous venons de mettre en place pour eux, avec l'accord des pays européens. Le financement en est assuré.
L'opération organisée dans le cadre de la Politique européenne de Sécurité et de Défense commune est un élément de confort très important. Même les pays les plus réticents au début ont fini par participer à cette manifestation de la défense européenne. L'opération de police est menée par les Nations unies dans les camps de réfugiés.
Il y aura, d'un côté, une opération de police conduite par les Nations unies avec le soutien de gendarmes africains et, de l'autre, une opération militaire et de développement, destinée à protéger les zones toujours sous la menace des milices venues du Darfour, afin de permettre aux Tchadiens de reconstruire leurs villages. C'est une opération européenne, sans Américains.
C'est très compliqué, je le reconnais. Je tiens à saluer publiquement la position du président tchadien Idriss Deby, qui a confirmé au président de la République son attachement à la mise en oeuvre de cette opération. Vous avez raison, Madame Colot : plus tôt nous en connaîtrons le coût, mieux cela vaudra. Une première estimation fait état de 110 millions d'euros pour la quote-part française à l'opération du Darfour. J'informerai votre assemblée dès que j'aurai connaissance d'un chiffre précis. Avec M. Woerth, nous sommes tombés d'accord sur le principe d'une couverture complémentaire.
Je remercie Axel Poniatowski d'avoir souligné que les opérations des Nations unies ne sont pas toujours des échecs. Au contraire, les échecs sont bien plus rares que les succès. Sans ces opérations auxquelles la France participe pleinement, non seulement au point de vue financier, mais par l'apport de ses soldats, je ne sais pas ce que nous ferions.
J'en viens à mon quatrième point : les questions relatives aux Français de l'étranger et aux étrangers en France. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt l'intervention de Mme Colot, que je tiens à remercier pour la qualité de son rapport. Comme vous l'avez souligné, Madame la Députée, le budget pour 2008 traduit un réel effort au profit de notre dispositif d'enseignement à l'étranger. Nous étions hier à Washington, en présence des Français établis là-bas. Il va sans dire que la décision de rendre gratuite la scolarité en classe terminale est unanimement saluée. Il faut bien sûr aller plus loin, et étendre la gratuité à la première en 2008, ainsi qu'à la seconde en 2009.
Evidemment, cela coûte cher : 20 millions d'euros de crédits supplémentaires seront donc mobilisés.
Je serai attentif à l'effet d'aubaine qui peut en résulter, ainsi qu'au risque d'éviction des élèves étrangers. Le problème se pose, en effet, et nous l'avons écarté un peu rapidement - je le dis avec précaution, ne voulant viser personne. C'est pourquoi il nous faut revoir les modalités du dispositif. Comme l'a très justement remarqué Mme Filippetti, certaines personnes n'ont pas besoin que l'Etat les aide à financer la scolarité de leurs enfants, ne serait-ce que parce que les entreprises le font. En outre, il convient de respecter un équilibre entre les inscriptions de Français et les inscriptions d'étrangers. Reste que c'était une promesse du président de la République, et nous commençons à la tenir.
Nous engageons par ailleurs en 2008 un réel effort de rénovation immobilière de nos lycées. Des crédits à hauteur de 8,5 millions y sont consacrés, inscrits dans le programme 185 "Rayonnement culturel". C'est la première tranche d'un travail indispensable et trop longtemps différé, certains établissements vétustes posant des problèmes de sécurité.
Au cours de mes nombreux déplacements - trop nombreux, peut-être - j'ai pu mesurer l'importance que nos compatriotes accordent à ce dossier de la scolarité à l'étranger. C'est peut-être la condition essentielle d'une expatriation réussie. Nous avons la chance de disposer d'un réseau incomparable par sa densité et sa qualité. Nos lycées ont également vocation à former des élèves étrangers, contribuant ainsi de manière décisive à la diffusion de la francophonie. Je me félicite, à ce titre, de l'annonce par le président de votre commission des Affaires étrangères de la constitution d'une mission d'information sur cette grande priorité.
Comme plusieurs d'entre vous l'ont relevé, les besoins à satisfaire sont importants. Tel qu'il existe, notre réseau n'est plus en mesure de répondre à l'afflux des demandes de scolarisation d'enfants français ou étrangers. En outre, nous ne sommes pas assez présents dans les grands pays émergents. J'ai ainsi pu constater, lors de mon séjour à Pékin, l'importance cruciale que revêtait la présence d'un lycée français dans la ville, mais aussi la saturation de l'établissement. Un second lycée est indispensable, et j'ai donc sollicité du Premier ministre chinois la cession d'un nouveau terrain, situé entre l'ambassade de France et l'aéroport - comme vous le savez, la ville est en extension permanente. Reste à trouver les financements nécessaires.
Toutes ces raisons m'ont conduit à convoquer des états généraux de l'enseignement français à l'étranger, afin que l'ensemble des acteurs, parents d'élèves, enseignants, entreprises, associations, partenaires étrangers, puissent réfléchir à l'avenir de ce système et aux moyens de le développer, sans forcément faire appel au budget de l'Etat, compte tenu de nos contraintes. Je souhaite pouvoir lancer officiellement ces états généraux au cours des prochaines semaines.
J'en viens à notre politique des visas. Le budget pour 2008 tire les conséquences de la création du ministère de l'Immigration, et transfère à ce ministère des moyens jusque-là inscrits au budget des Affaires étrangères au titre de l'asile et du service des visas, à Paris et à Nantes. Je considère qu'en la matière, le ministère des Affaires étrangères et européennes doit conserver une responsabilité importante, et même décisive.
Nous allons le faire grâce à la cogestion. Nous l'avons déjà expérimentée. Mais certaines décisions politiques nous appartiennent. Ne croyez pas que je me désintéresse de ces questions ; nous nous sommes bien débrouillés pour qu'elles ne nous échappent pas. En effet, elles ne concernent pas seulement les problèmes migratoires, mais touchent à nos relations politiques, voire à la sécurité nationale. Avec M. Hortefeux, nous sommes parvenus à un bon équilibre, fondé sur le principe d'une responsabilité conjointe sur la politique des visas.
Cela étant, il est de ma responsabilité de veiller à ce que nos consulats disposent des moyens nécessaires à leur action. Les pressions sont très fortes, et les conditions d'accueil parfois médiocres, même si nous les avons beaucoup améliorées. Les équipes restent surchargées.
En 2008, nous allons poursuivre la mise en place de la biométrie dans une quarantaine de consulats supplémentaires, après les 62 consulats d'ores et déjà équipés. Pour répondre plus précisément à votre question, Madame Colot, nous devons accompagner cette introduction de la biométrie de procédures d'externalisation, ce qui implique en effet une validation par la Commission nationale informatique et libertés, avec laquelle nos services sont en contact. En 2008, les premières expériences de prises de données biométriques externalisées seront menées. Un décret sera préparé à cette fin.
J'encourage les membres de votre assemblée, lorsqu'ils se rendent en mission à l'étranger, à visiter nos consulats, afin de se rendre compte de la réalité des conditions de travail, de la limite de nos moyens, mais aussi de l'ampleur des modernisations effectuées. A Moscou, tout a changé : alors qu'il fallait quinze jours pour obtenir un rendez-vous, un seul suffit désormais, plus trois jours pour l'obtention du visa. Ce n'est pas si mal. Je remercie M. Mancel de s'être déplacé à Istanbul et d'y avoir mesuré les progrès que nos services ont réalisés dans ce domaine.
Cinquième et dernier thème : notre diplomatie culturelle.
Vos rapporteurs, Mme Filippetti et M. Rochebloine, ont très justement souligné l'originalité de nos actions dans ce domaine, mais aussi la nécessité de clarifier nos priorités et notre organisation. En réponse à leurs observations, je tiens tout d'abord à souligner l'importance que j'attache à la politique culturelle qui constitue l'originalité de notre diplomatie autant que son indispensable accompagnement. Je suis convaincu que nous avons un intérêt fondamental, je dirai même stratégique, à maintenir une présence culturelle forte, à promouvoir dans la mondialisation notre conception de la diversité culturelle, à valoriser nos idées, nos concepts et nos savoirs - bref, à accompagner nos intérêts politiques par ce que j'appelle une diplomatie publique d'influence.
Les enjeux sont clairs : faire de notre pays et de son système d'enseignement supérieur un lieu d'attractivité pour les étudiants étrangers ; mettre en place de véritables partenariats dans le domaine culturel et scientifique avec une forte priorité sur les pays émergents ; promouvoir, grâce à un outil d'audiovisuel extérieur, une conception française et francophone de la culture et de l'information.
Vos deux rapporteurs ont souligné avec raison les avantages, mais aussi les limites, de notre organisation actuelle. Les moyens que nous consacrons à cette ambition française inscrits sur le programme 185 "Rayonnement culturel et scientifique", de l'ordre d'une centaine de millions d'euros - soit l'équivalent de la subvention de l'Opéra de Paris - sont limités. Je remercie Mme Filippetti et M. Rochebloine, de l'avoir souligné, estimant même - et je ne puis dire le contraire - que nos moyens en ce domaine ne sont pas à la hauteur de nos ambitions.
La réorganisation de notre réseau culturel, sa capacité à générer davantage d'autofinancement, son évolution vers des partenariats de tous ordres avec des institutions étrangères, par exemple, constituent les orientations de la politique que je compte mettre en oeuvre dans ce domaine.
Le suivi des étudiants étrangers en France, Madame Filippetti, est en effet un grand chantier. Mais nous ne le découvrons pas. Plusieurs associations d'anciens étudiants par pays se sont déjà constituées, notamment en Inde, et ont mené des expériences très positives. Nous avons intérêt à maintenir une part des bourses allouées par le gouvernement français au niveau local. Les ambassadeurs, qui appréhendent mieux la situation et connaissent les familles où l'influence française est grande, ont une influence politique incomparable, à condition que les jurys universitaires et scientifiques locaux soient mis en place, ce qui est souvent le cas. Par ailleurs, comme vous le proposez, nous augmentons, en accord avec nos universités, le nombre de bourses.
Une nouvelle agence, CampusFrance, a été créée par le ministère des Affaires étrangères et de l'Enseignement supérieur et par les conférences d'établissements d'enseignement supérieur. Nous travaillons, bien sûr, avec le nouveau ministère chargé de l'immigration, dès lors qu'il est désormais chargé d'attribuer les visas. Je rappelle, à ce titre, Monsieur Moscovici et Monsieur Loncle, que la politique des visas reste aussi suivie et décidée par notre ministère. Je suis particulièrement attaché au développement de notre politique d'attractivité pour les étudiants étrangers d'Asie et d'Amérique latine, sans pour autant abandonner notre action en Afrique.
Sur un plan plus général, Madame Filippetti, vous avez raison d'affirmer que, malgré la création de CampusFrance qu'il nous faut développer, il est opportun de procéder à une évaluation et à une amélioration du dispositif existant, y compris sous l'angle de la collecte et de l'analyse des informations. J'ai d'ores et déjà décidé, avec mes collègues du gouvernement concernés, de confier une mission à plusieurs experts de haut niveau.
Enfin, Mme Filippetti a évoqué la carte de nos établissements culturels à l'étranger. Ce réseau ne doit pas être figé. Nous devons parfois ouvrir des alliances françaises en mesure de s'autofinancer - effort qu'il convient de saluer, car il soulage l'Etat, sans évidemment diminuer ses responsabilités - et étendre le réseau dans certaines régions dynamiques des pays émergents. Je suis très favorable aux centres culturels européens. Il ne s'agit pas simplement de partager des locaux, mais de porter des projets culturels communs. Ce n'est tout de même pas impossible ! Cela ne nuit ni à l'influence de la France ni à notre culture ! Je citerai, à titre d'exemple le centre franco-allemand de Ramallah.
M. Rochebloine a évoqué CulturesFrance. Sa création était nécessaire, même s'il faut aujourd'hui amener cet opérateur à concentrer ses activités sur un nombre de priorités bien définies. C'est l'objet d'un contrat d'objectifs et de moyens passés avec nos services cette année. Je rejoins votre analyse selon laquelle son statut de simple association de loi 1901 limite probablement ses capacités d'action.
Faut-il dès maintenant passer au régime de l'établissement public ? Au moment où nous réfléchissons intensément à la réorganisation de nos dispositifs dans le contexte de la revue générale des politiques publiques, il est prudent d'attendre les décisions qui seront prises d'ici au mois de mars prochain.
Je dirai un mot de la réforme de notre politique audiovisuelle extérieure, même si les crédits correspondants ne figurent pas sur la mission "Action extérieure de l'Etat", mais sur la mission "Médias", qui n'est pas l'objet de notre débat budgétaire d'aujourd'hui. Cela étant, cette question de l'audiovisuel extérieur ne peut être détachée de notre diplomatie et de ses moyens d'action.
Il n'est pas question de tuer TV5. Nous travaillons avec acharnement avec tous les pays partie prenante à TV5. Deux réunions internationales se sont déjà tenues. Il y en aura une troisième. Il n'est pas question d'abandonner cet outil, tout au plus de l'améliorer. Je pense à ceux qui se rendent à l'étranger et suivent TV5. Nous conserverons une chaîne culturelle dans notre réseau d'information...
La nécessité de disposer d'outils puissants me semble chaque jour plus évidente dans la bataille des idées qui se gagne aujourd'hui également par les images. Votre assemblée déplore, à juste titre, année après année, l'éparpillement de nos moyens, le manque de lisibilité de nos opérateurs et l'absence de direction stratégique. Le président de la République et le Premier ministre m'ont donné mandat, ainsi qu'à Mme Christine Albanel, de présenter les éléments d'une réorganisation en profondeur. Ce très intense travail de fond est actuellement entrepris pour identifier les schémas possibles. Les orientations sont aujourd'hui tracées : nécessité de mettre en place une instance de pilotage stratégique ; complémentarité à trouver entre RFI et France 24 pour doter nos opérateurs chargés de l'information d'une masse critique suffisante ; ouverture de l'audiovisuel extérieur avec de nouveaux médias par Internet ; préservation du caractère francophone d'une chaîne de culture et de divertissement, comme peut l'être TV5.
Tels sont les principaux axes d'une réforme que je vous soumettrai d'ici à la fin de l'année, après l'avoir présentée au président de la République. Je serai, bien évidemment, disposé à l'expliquer et la commenter devant vos commissions spécialisées. Je propose d'ailleurs à tous les parlementaires présents de nous retrouver au ministère des Affaires étrangères et européennes une fois par mois. Nous pourrions organiser ces rencontres à l'occasion d'un déjeuner, soit à une heure qui vous conviendra, en fin de journée, par exemple. Je m'en entretiendrai avec le président de la commission. Nous fixerons alors une date précise pour commencer à discuter de l'évolution de ce dossier.
Permettez-moi maintenant, Monsieur le Président, de répondre aux questions très précises soulevées par chacun des intervenants.
Monsieur Rudy Salles, vous avez raison de souligner le caractère interministériel de l'action de notre ministère. L'enseignement du français augmente dans le monde, mais, vous l'avez précisé, nous connaissons une situation spécifique et délicate en Europe et nous devons nous battre pour généraliser l'enseignement d'une deuxième langue vivante dans les systèmes nationaux d'enseignement. Ce n'est pas simple. Les crédits consacrés au rayonnement culturel augmentent, à périmètre constant, de 2,3 %. Ce n'est certes peut-être pas assez.
Je vous remercie, Monsieur Garrigue, d'avoir souligné l'importance de la conclusion d'un traité simplifié pour relancer l'Europe. Maintenant qu'il est plus ou moins accepté par certains - et je les en remercie - je peux vous dire que ce n'était pas gagné d'avance.
Ce succès, comme vous l'avez fait remarquer, n'a pas été la seule activité européenne de notre pays ces derniers mois. Nous avons engagé, avec Jean-Pierre Jouyet, les préparatifs de la présidence française de l'Union européenne. Je détaillerai plus longuement le budget qui y sera consacré, en réponse à M. Moscovici. Le Premier ministre réunira prochainement sur ce thème le Gouvernement et plusieurs responsables étrangers, dont mon collègue et ami allemand Frank Steinmeier.
Les Slovènes commencent leur présidence à partir du 1er janvier. Cent dix ambassadeurs de France seront chargés de soutenir la présidence slovène dans les pays où la Slovénie n'est pas encore représentée. C'est cela, l'Europe... mais c'est aussi cela, le budget !
Donc notre présidence ne commencera pas en juillet, mais, d'une certaine manière, sous la présidence slovène, car nous les assisterons à partir du 1er janvier. Le problème n'est pas de comparer l'Union à vingt-sept et l'Union à quinze, mais de prendre en considération le fait que nous sommes loin de posséder les moyens dont disposait la présidence allemande !
Le président de la République a déjà clairement annoncé les grandes priorités de la présidence française : l'énergie, l'environnement, le développement de la politique européenne de sécurité et de défense dont il a parlé à New York et, bien entendu, les politiques de maintien de la paix.
Je suis heureux que vous ayez salué le projet d'union de la Méditerranée, qui me paraît essentiel. Développé par le président de la République à Tanger, il se fonde sur la solidarité de fait entre les pays riverains, tant sur la rive nord que sur la rive sud de la Méditerranée. Il est de nature à compléter - et non à supplanter - les processus déjà en cours, en particulier celui de Barcelone. Nous avons assisté, avant-hier à la réunion de l'euro-Méditerranée. Peut-être imaginez-vous l'accueil rencontré par cette idée de l'Union européenne ! Nous rencontrerons, bien sûr, des difficultés administratives et politiques. Il est évident que nous devrons convaincre les pays du nord de l'Europe, ceux-là même qui ont su mettre au point, et de la meilleure des manières, je vous le rappelle, une union de la Baltique ! Un de nos ambassadeurs, M. Alain Le Roy, travaille à ce projet. Il est entouré à Paris d'une équipe de cinq à dix personnes "thématiques", car nous pensons que l'Union européenne doit se bâtir sur de grands projets, y compris d'entreprises, entre la rive sud et la rive nord. Des cellules semblables ont été mises en place en Italie, en Espagne et au Portugal, et très prochainement au Maroc. Nous procédons pays par pays, suivant la politique de proximité prônée pour le reste de l'Europe par Mme Benita Ferrero-Waldner.
Vous avez évoqué, Monsieur Garrigue, des structures hospitalières du Sud. Je ne saurais m'y opposer. Nous avons d'ailleurs créé un groupement d'intérêt public d'associations et de jumelages entre les hôpitaux : ESTHER. Je lancerai en 2008 une nouvelle initiative sur le développement des systèmes locaux d'assurance maladie, car on ne peut parler de l'amélioration de l'outil sans parler du financement. Le financement de la santé, c'est le grand péché. Personne ne s'en est soucié depuis que ces pays sont indépendants. On croit que cela tombe du ciel et on se tourne vers les organisations charitables... Même si la fondation de Bill Gates est d'une dimension colossale, cela ne peut pas continuer ainsi. Il faut un financement propre. Nous allons voir comment développer des assurances maladie à un niveau très ??lémentaire dans les communautés, parfois par la microfinance.
Monsieur Moscovici, vous avez raison, nos moyens sont insuffisants, ce n'est pas moi qui dirai le contraire. Et, croyez-moi, je me suis beaucoup battu pour les avoir.
La question des recrutés locaux est très difficile. Nous sommes probablement allés trop loin dans le remplacement d'agents titulaires par des recrutés locaux... notamment dans les services des visas.
Cela soulève la question de leur protection sociale, qui varie avec chacun des pays. Parfois, il n'y en a pas du tout. Parfois, l'ambassadeur doit faire un effort personnel. De toute façon, il faut maintenir la plus grande égalité possible. Vis-à-vis des recrutés locaux comme de ses agents, l'Etat doit être un employeur irréprochable, et nous essayons d'y parvenir, qu'il s'agisse de protection sociale, de fiscalité ou du niveau de rémunération.
S'agissant du partage des compétences avec M. Hortefeux, vous connaissez ma position, en particulier sur les tests ADN : je suis favorable au codéveloppement, mais on ne peut pas l'isoler de notre politique de développement en général. Oui, il y a eu un transfert de 25 millions pour le codéveloppement, et nous allons continuer à travailler dans ce sens.
Au Bénin, par exemple, peut-être dois-je toucher du bois et être moins présomptueux, nous menons une mission pour l'école. Le président du Bénin ayant décrété la gratuité de l'inscription, on assiste à un afflux formidable d'élèves. Il faut évidemment trouver des maîtres, mais il faut aussi des locaux, plusieurs centaines. Nous avons développé un grand projet pour les bâtir, et c'est par le codéveloppement que nous voulons agir. Dans ces conditions, il y aura de l'argent fourni par les deux ministères - je crois d'ailleurs savoir que M. Hortefeux se rend au Bénin dans quelques semaines.
Nous essayons de développer au mieux cette collaboration, notre politique en ce domaine devant à mon avis prendre une orientation plus bilatérale qu'auparavant. Il faudrait évidemment plus d'argent, vous avez raison.
Je crois avoir répondu sur les crédits ouverts sur le programme de la présidence française de l'Union européenne. Il faut les rapprocher de ceux de la présidence allemande du premier semestre de 2007. L'exercice des présidences tournantes est devenu année après année de plus en plus coûteux. Devons-nous réduire la voilure pour ce qui sera, je crois, la dernière présidence de l'aventure européenne ? Nous aurons ensuite un président de l'Union pour deux ans et demi, et il faudra régler la question des rapports entre les deux présidences. Mais il fallait d'abord régler le problème de ce qui fut un traité constitutionnel, remplacé maintenant par ce qui sera le Traité de Lisbonne.
La Cour des comptes avait critiqué la dispersion des dépenses consacrées à la présidence de 2000. Ses recommandations ont été scrupuleusement prises en compte, avec le regroupement de l'ensemble des dépenses de la présidence, tous ministères confondus, sur un programme unique, gage d'une meilleure maîtrise des coûts. Nous contribuons très largement aux dépenses de la présidence slovène qui commencera le 1er janvier.
Sur nos liens avec les Etats-Unis, Monsieur Moscovici, Monsieur Lecoq, évitons les faux procès. Lisez le discours du président et ce qu'en dit la presse américaine. J'y ai assisté et avec un certain bonheur ; non, ce n'est pas un pays aligné sur les Etats-Unis qui était ainsi accueilli par le peuple américain, aussi bien par les démocrates que par les républicains, au Congrès, et de façon aussi spectaculaire.
Lorsque le président a développé l'idée d'une défense européenne comme condition d'une réorientation de l'OTAN, c'était très clair. Lorsqu'il a rappelé avec force ce qu'il pensait de la position américaine sur le changement de climat, tous les démocrates se sont levés comme un seul homme, certains républicains sont restés assis. Lorsqu'il a dit : "Amis, oui, mais debout, alliés, oui, mais pas alignés", c'était clair - d'ailleurs, les plus perplexes dans les tribunes, c'étaient les journalistes français... Je n'ai pas eu le temps de lire ce matin ce qu'ils en ont dit puisque je viens d'arriver, mais ce qui se reflétait, je vous l'assure, c'était une attitude amicale, une confiance retrouvée, un soutien réel, mais parfois critique. Le mot "Irak" n'a pas été prononcé, a-t-on dit. C'était tout de même un peu normal, mais je vais vous en parler puisque j'y suis allé récemment.
Pas de procès d'intention, considérez les faits, lisez les textes, et vous verrez qu'il s'agit au contraire d'une affirmation extrêmement forte de nos positions et de celles de l'Europe par rapport à celles des Etats-Unis.
La dernière fois qu'un président français est allé au Congrès, il y avait cent personnes. Là, il y en avait plus de mille. Cela fait une petite différence et, pour faire passer des idées, il vaut mieux qu'il y en ait mille que cent - qui, de toute façon, étaient déjà hostiles.
S'agissant de l'Iran, il y a un texte que je connais encore mieux que celui du président de la République, c'est celui que j'ai prononcé. Je n'ai jamais dit que j'étais partisan de la guerre ; j'ai dit que le pire serait la guerre, ce qui n'est pas exactement pareil. Je n'ai jamais appelé à la guerre. J'ai passé ma vie, qui est assez longue maintenant, à m'occuper de la paix, j'ai même reçu, avec une organisation dont vous avez entendu parler, le prix Nobel de la Paix. On a sorti un mot de mon discours et on a glosé dessus. L'instant d'avant, j'avais dit qu'avec l'Iran, il fallait une négociation permanente, sans crainte des rebuffades, avais-je même ajouté. C'est précisément ce que nous faisons.
Le président de la République a réaffirmé très clairement notre position hier au cours de sa conférence de presse à Washington. Nous travaillons à des sanctions européennes, les sanctions de l'ONU s'étant révélées inopérantes. Parallèlement, nous développons par tous les moyens une politique de la main tendue. Il n'est pas question que la seule alternative soit d'accepter la bombe iranienne ou de bombarder l'Iran. Ce fut réaffirmé encore fortement hier à Washington.
Notre attitude est très cohérente. Il faut évidemment des sanctions : avant un conflit, il n'y a pas d'autre moyen. C'est ainsi dans le système des Nations unies. Est-ce productif ? N'allons pas en débattre maintenant. Cela dépend des occasions. Il y a des pays pour lesquels ça l'a été, bien peu d'ailleurs à mon avis. En tout cas, on n'a rien inventé d'autre. À côté, il faut un dialogue avec le peuple iranien, qui vaut mieux que son président. Après cette explication avec le président Bush, nous allons développer encore plus cette politique.
Ne croyez pas que ce soit nouveau, c'est ce que nous avons toujours fait. Depuis six mois, nous avons eu de nombreux contacts avec les Iraniens, vous avez d'ailleurs remarqué qu'ils ne s'en plaignaient pas vraiment. C'est la position que le président de la République a adoptée, en particulier dans son discours devant les ambassadeurs mais bien avant. Ce n'est pas une politique univoque, unilatérale, ce n'est pas du tout une politique de tension, de sanction et de menace. Nous travaillons aux sanctions pendant que nous travaillons à l'amélioration de nos relations avec l'Iran. Vous savez que ce n'est pas un pays monolithique et que, même à l'intérieur de sa direction, il y a des différences, et nous en tenons très largement compte.
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'après trois résolutions des Nations unies, dont deux accompagnées de sanctions, l'effet n'est pas probant. Il faut donc tenter autre chose.
Nous attendons le rapport de M. Mohamed Al Baradeï, qui doit venir à Paris, ainsi que celui de Javier Solana. Un premier rapport de l'agence internationale de l'Energie atomique devrait arriver à la fin du mois de novembre. Il faudra alors que nous adoptions une attitude commune avec nos partenaires. Je vous rappelle que nous avons maintenu à New York un texte commun avec la Chine, la Russie, les Etats-Unis, l'Angleterre et l'Allemagne sur cette décision commune de nous adresser aux Nations unies, et la France n'y est pas pour rien. Le multilatéral est donc préservé.
Monsieur Moscovici, la diplomatie par coups d'éclat, c'est mieux que la diplomatie par coups d'Etat. Obtenir la libération des ressortissants bulgares n'exclut pas, bien au contraire, le développement d'une nouvelle stratégie, dont le projet d'union méditerranéenne. Au demeurant, les Roumains et les Bulgares en feront-ils partie ? Ils considèrent en tout cas qu'ils doivent en faire partie, et cela va s'étendre... C'est là un problème que je ne saurais régler avec vous pour le moment.
Notre relation avec la Libye est sans complaisance, mais elle permet le développement d'un partenariat. Le président de la République l'a affirmé avec force : il n'y a aucune raison que les pays qui ont renoncé à l'arme atomique n'aient pas accès au nucléaire civil, surtout ceux qui voient diminuer leurs réserves de pétrole, souvent leur seule richesse. C'est, comme pour la Corée du Nord, un exemple de négociations bien menées puisque la Libye a abandonné ses prétentions et est bien surveillée par l'Agence internationale de l'Energie atomique.
J'aurais bien aimé parler des trois journalistes que l'on est allé chercher au Tchad, mais vous n'avez pas soulevé la question et je ne vais pas l'aborder maintenant. Dommage d'ailleurs...
Un mot de l'Irak. Hier, il a été clairement réaffirmé que, pour la France, hostile à l'intervention américaine sous la forme qu'elle a prise, l'unité et l'intégrité de cette démocratie naissante devaient être préservées, sans éclatement de la région.
Nous y tenons absolument. L'Irak a déjà, vous le savez, Constitution plus ou moins fédérale ; faut-il ou non renforcer ce fédéralisme, en mettant au milieu un gouvernement central très fort ? Cela se discute, les Irakiens eux-mêmes se posent la question. Quoi qu'il en soit, en tant que ministre des Affaires étrangères, je suis allé à Bagdad constater l'ampleur du désastre, qui n'est pas niable. Nous approuvons la résolution des Nations unies d'août dernier, qui propose que la communauté internationale prenne progressivement en charge une administration et des services publics, aussi bien de santé que d'instruction. C'est dans cet esprit que s'inscrit la réouverture d'un bureau diplomatique, appelé à devenir consulat, à Erbil, ainsi que notre proposition de travailler à mettre en place avec les Irakiens - et non avec les Etats-Unis, j'insiste sur ce point - un système de santé. Nous faisons ce que nous pouvons également dans le domaine de l'éducation. Voilà comment nous concevons notre rôle.
Pour le reste, c'est aux Alliés, à qui une résolution des Nations unies a confié la charge d'administrer le pays pour le moment, de proposer un calendrier de retrait des troupes, et non à nous de l'imposer : ce serait en ce moment parfaitement ridicule. Cela a été très clairement indiqué lors de la conférence de presse commune du président de la République française et du président Bush.
L'accueil des Irakiens a été exceptionnel : on avait le sentiment d'ouvrir une petite brèche dans leur isolement. Le ministre des Affaires étrangères suédois, M. Carl Bildt, s'y est rendu à son tour, et j'espère que d'autres pays européens, en particulier le Portugal, s'inscriront dans cette ligne pour mettre en oeuvre de la meilleure manière la résolution des Nations unies.
Telle est notre conception : l'ensemble du dispositif administratif et politique actuellement en construction doit être à la disposition des Irakiens, il ne s'agit pas de se substituer à eux.
Ne soyons pas plus Palestinien que les Palestiniens, ni plus Israélien que les Israéliens. Nous apportons notre soutien au processus de paix et aux discussions engagées entre M. Ehud Olmert et M. Abou Mazen. Nous avons reçu M. Abou Mazen dès les premiers jours et nous lui avons demandé ce que nous pouvions faire de plus positif : d'abord favoriser le dialogue, ensuite abriter la conférence des donateurs. Après la réunion d'Annapolis, qui doit se dérouler fin novembre, Paris accueillera la conférence des donateurs, pour mettre en oeuvre le programme qui sera proposé dans quelques jours par le Premier ministre palestinien, M. Salam Fayad, ainsi que le financement de ce programme. Cette conférence se tiendra dix ou quinze jours après celle d'Annapolis, au cours de laquelle sera proposé le programme de pacification, de sécurisation et de réforme administrative de ce que j'espère être l'Etat palestinien. Vous voyez que nous ne sommes pas du tout absents de ce processus, avec la participation pleine et entière des Palestiniens.
Quant au problème de la bande de Gaza, ce n'est pas à nous de le régler, mais aux Palestiniens. Nous nous bornons à maintenir notre aide aux Palestiniens de Gaza - c'est d'ailleurs une des seules qui leur parviennent - par l'intermédiaire de l'Europe.
Je l'ai dit : ne soyons pas plus Palestiniens que les Palestiniens. Ils sont en mesure de dire eux-mêmes ce qu'ils ont à dire, ils ne manquent du reste pas de le faire savoir, et c'est aux Israéliens de leur répondre. N'apportons pas de complications supplémentaires. Il y a déjà eu plusieurs tentatives pour établir un dialogue - Oslo, Madrid, etc. - mais c'est peut-être cette dernière tentative entre les deux Premiers ministres qui va réussir, tous deux y ayant personnellement intérêt. Cela ne signifie pas que je méconnaisse le problème du moratoire.
En ce qui concerne le Sahara occidental, la proposition du Maroc a été, pour la première fois, qualifiée de positive et d'utile par le Conseil de sécurité des Nations unies. S'agissant d'un conflit qui dure depuis bientôt trente ans, et alors que tout a été essayé, bien malin qui sait comment régler un tel problème. Pour la première fois une proposition marocaine a été qualifiée de positive : c'est une initiative qu'il faut laisser s'épanouir et c'est pourquoi nous la soutenons - d'autant qu'il n'y en a pas d'autre...
Sur le traité simplifié, je crois que tout a été dit, pour le refuser ou pour l'accepter. Remarquons simplement que nous avons obtenu quelques garanties en matière sociale, en particulier sur le maintien des services publics, ce qui n'était pas gagné, ainsi que sur le fait que la concurrence ne sera pas posée comme un but mais comme un moyen de développement, entre autres. Le processus n'est pas terminé.
Nous tenons à la défense européenne, non pas comme à un symbole, mais comme une exigence. Connaissant chaque phrase du rapport d'Hubert Védrine, non seulement parce que c'est un ami, mais parce que ce rapport sera un élément du Livre blanc, je sais exactement ce qu'il demande : pas d'alignement - cela tombe bien, il n'y en a pas -, un peu de construction européenne...
En ce qui concerne les colocalisations franco-allemandes, Monsieur Poniatowski, il est vrai que les moyens sont modestes.
Personne ne prétend, Monsieur Giacobbi, être le juge universel. Nous ne pensons pas que la France soit l'arbitre des élégances : nous n'avons pas cette prétention ni cette arrogance.
Mais nous pensons que la voix de la France peut et doit se faire entendre, et on nous le demande. C'est notre devoir, et nous ne le faisons pas si mal que ça. Nous acceptons évidemment les critiques ; elles sont même les bienvenues. Mais je ne pense pas que nous ayons mal agi en l'occurrence. Nous le saurons bientôt puisqu'une commission d'enquête sur ce qui s'est passé en Libye vient d'être créée - dommage que son président ait dû s'absenter...
Même si ce dossier avait été pris en main par le président de la République - lequel, vous me l'accorderez, était hiérarchiquement très compétent en la matière -, je vous assure que j'y ai pris ma part. La seule promesse que j'ai faite concerne l'hôpital de Benghazi, et elle sera tenue.
Je n'ai pas le temps d'aborder ce problème de l'action humanitaire. C'est dommage... mais j'en reparlerai très volontiers avec vous. Certes, le dispositif que nous avons créé il y a quinze ans mériterait d'être modernisé pour redevenir performant. Mais ce qu'on appelle l'humanitaire à la française, voire l'humanisme à la française, a fait la preuve de son efficacité en dépit de quelques dérives, comme celle à laquelle nous venons d'assister. Je suis convaincu que nombre de gens ont été abusés dans cette dernière affaire, qui étaient tout à fait sincères.
Nous ne nous prenons donc pas pour la lumière du monde, mais nous pensons qu'un petit éclairage de temps en temps n'est pas inutile.
Comment pouvez-vous, Monsieur Loncle, me reprocher un manque de transparence dans la nomination des ambassadeurs, alors que je viens de créer un conseil de sélection qui garantit la transparence de la procédure ? Qui plus est, celle-ci sera étendue aux postes de directeurs au ministère. A l'exception de la nomination de notre ambassadeur à Dakar - exception dont je suis fier -, j'ai suivi absolument les recommandations, non pas celles qui avaient été adressées à mes prédécesseurs et qui avaient été agréées par eux, mais toutes celles qui m'avaient été faites, et je crois que le comité de sélection en est plutôt satisfait.
Le président de la République m'a autorisé, à ma grande satisfaction, à ouvrir un peu la fenêtre lors de chaque mouvement afin d'aérer notre dispositif diplomatique. C'est ce qui m'a permis de nommer à Dakar Jean-Christophe Ruffin. Le choix comme ambassadeur à Dakar d'un homme qui, non seulement connaît un tout petit peu l'Afrique pour y avoir déployé ses talents de médecin pendant bien longtemps, mais qui en plus est prix Goncourt, me paraît de bon aloi. C'est le seul cas où je me suis permis de m'écarter de cette procédure pour le proposer au président de la République, qui signe toutes les nominations d'ambassadeurs. Pour le reste, j'ai suivi scrupuleusement les recommandations du conseil, en choisissant dans les trois noms qu'il propose pour chaque poste.
Je vous ai bien entendu sur le Kosovo, mais je ne peux me prononcer avant le 10 décembre, date à laquelle la troïka doit normalement remettre au groupe de contact, qui le transmettra au secrétaire général des Nations unies, un rapport sur l'avancée des négociations entre les Albanais du Kosovo et les Serbes. Il reste peut-être 5, ou 10, voire 20 % - en tout cas fort peu - de chances de trouver un compromis. Faute de quoi, il faudra prendre une décision, mais je ne saurai en préjuger pas avant que ce rapport ne soit remis. J'attends donc les conclusions de la troïka où l'Europe est représentée par Wolfang Ischinger. Je n'ai rien proclamé jusqu'ici, à la différence de certains, qui s'étaient laissés aller à des promesses. Moi qui ai été près de deux ans envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies au Kosovo, je n'ai jamais, ni en public ni en privé, préjugé du statut final de cette province de la Serbie.
Vous étiez, Monsieur Boucheron, le dernier à intervenir, mais certainement pas le moins intéressant. Je partage bon nombre de vos réflexions. Je souhaite comme vous qu'il n'y ait pas d'alignement sur la politique de M. Bush, et il n'y en a pas : il y a en certains cas des convergences, voire une vraie unité de vues, et il y a dans d'autres cas des divergences profondes. On l'a vu hier, et pour avoir assisté à toutes les discussions entre M. Bush et le président de la République française, je vous assure qu'il nous en sait gré. Que nous ayons affaire à une administration finissante, c'est vrai. Qu'il nous faille parler aux démocrates, c'est évident et cela a été fait ; je crois que vous aurez une bonne surprise à cet égard. Ne vendons pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué, comme vous dites. En attendant, nous parlons au président des Etats-Unis, comme nous parlerons à celui ou celle qui lui succédera.
Nous ne sommes pas alignés : je le maintiens, je le prétends, je l'affirme. Le multilatéralisme reste notre credo. Nous venons encore de le prouver avec cette mission au Tchad qui, avec l'aide de tous les Européens et des Nations unies, apportera un secours à ces enfants tchadiens parmi les populations déplacées.
En ce qui concerne la Russie, je suis d'accord avec vous. Je m'y suis rendu avant que le président de la République ne s'entretienne avec le président Poutine, et j'ai senti comme vous que ce pays voulait retrouver toute sa place. Ce grand pays, qui a effectivement joué un rôle essentiel dans notre histoire, il se sent pour l'heure quelque peu assiégé. Il sent en particulier que ses rapports avec l'Union européenne ne sont pas suffisamment clairs, simples, fraternels. Il trouve que les décisions lui sont imposées, qu'il s'agisse de l'OTAN ou des batteries antimissiles des Etats-Unis. Tout cela est vrai, et je pense qu'il faut corriger cette impression et tenter de maintenir nos liens avec ce partenaire exigeant. Il ne faut pas nier cependant que le ton a changé, et M. Poutine a lui-même fait preuve d'un franc-parler et d'une véhémence qu'il condamne pourtant chez les autres. Il faudra donc être vigilant quant à la suite des événements. Vous savez qu'il y aura bientôt une élection, et que M. Poutine risque - si c'est un risque - de ne pas s'éloigner du pouvoir. Nous devons maintenir des relations cordiales avec ce grand pays.
Sur la Turquie, Monsieur Boucheron, les positions ont évolué. Celle du président de la République est très claire et très simple, et il l'a évoquée plusieurs fois. En attendant, l'ouverture des chapitres de négociation avec l'Union européenne a été maintenue et j'espère que d'autres chapitres seront ouverts à la fin de l'année, dès que la commission des sages, dans laquelle ne figurera aucun Français, sera acceptée par nos partenaires. Je me suis rendu en Turquie où j'ai rencontré le président de la République, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères. Nous avons très clairement exprimé nos points de vue.
Le but de la Turquie est d'entrer dans l'Union européenne - les Turcs, loin de le cacher, l'affirment. Le nôtre est de discuter point à point avec eux, sauf sur cinq chapitres. Il y en a trente à ouvrir : nous avons le temps et l'évolution se fera au cours des années.
Quant au problème qui se pose à la frontière de la Turquie avec l'Irak, nous avons mis en garde nos amis turcs en les invitant à la retenue, bien que le PKK soit une organisation terroriste et bien qu'il leur faille certainement réagir pour ne pas laisser la population en butte à des agressions permanentes. Reste qu'une intrusion de l'autre côté de la frontière irakienne serait une catastrophe pour la stabilité de ce pays meurtri qu'est l'Irak. Une intrusion des troupes turques - 100.000 hommes sont actuellement massés à la frontière - seraient extrêmement dangereux. C'est ce que nous avons dit et rappelé ; les Américains eux-mêmes partagent tout à fait cette position, malgré leur proximité avec la Turquie.
A propos de la Syrie enfin, qui faisait l'objet de la dernière question, notre position est très claire et tient, vous le savez bien, monsieur le député, à notre attitude face au problème libanais.
Nous voulons, nous affirmons, nous nous battons pour que l'élection présidentielle libanaise ait bien lieu à la date fixée, c'est-à-dire avant le 23 novembre, et conformément au processus constitutionnel en vigueur. La France est l'amie de toutes les communautés libanaises. Je vous rappelle, Mesdames et Messieurs les Députés, que nous avons invité à La Celle-Saint-Cloud tous les représentants de toutes les communautés - Hezbollah compris, ce qui nous a valu force critiques. Or, si l'on ne parle pas avec le Hezbollah, on ne parle pas avec tous les Libanais. Il fallait le faire et nous l'avons fait. L'un des invités, Antoine Ghanem, qui était l'un des plus ouverts, le plus fraternel vis-à-vis des autres, a été assassiné depuis lors, avec quatre membres de sa famille et de son entourage... Ne faisons pas semblant de fermer les yeux. Il faut faire preuve de beaucoup de prudence et exiger qu'il n'y ait ni intrusion, ni ingérence, ni pression exercée par aucune des parties sur le processus libanais ni sur l'établissement d'une liste de nominés présentée par le patriarche. Nous avons clairement exprimé notre position à nos amis comme à tout le monde, parce que nous voulons un Liban uni, indépendant, aussi intègre territorialement et aussi démocratique que possible. Certes, l'inter communautarisme est difficile à maintenir, mais un succès ferait du Liban un exemple déterminant, en montrant qu'il est possible à plusieurs religions et plusieurs communautés de travailler et de vivre ensemble dans un même pays au Moyen-Orient.
Pour ce qui concerne la Syrie, nous avons dit très clairement que nous reprendrions des relations normales dès lors que le processus électoral libanais se déroulerait de manière correcte ; cette position, nous la maintenons et nous l'affirmons.
Je ne le crois pas. La clé consiste à laisser les Libanais déterminer entre eux leur candidat. Attendons le résultat du processus électoral. Que l'élection se fasse aux deux tiers ou à 51 % des suffrages, c'est leur affaire.
Monsieur Bapt, ne soyez pas plus libanais que les Libanais ! Ils approuvent notre attitude. Vous connaissez la conjonction de difficultés que présente ce pays, du Sud chiite à Tripoli. Lorsqu'il y a trop d'oppositions au Liban, elles dégénèrent en affrontements civils qui durent des années. N'oublions pas que, sur trente ans, ce pays a connu dix-huit ans de guerre. C'est cela que nous voulons éviter. Qu'on ne m'accuse pas de faire la guerre : je fais la paix depuis quarante ans.
Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs les Rapporteurs, j'aime discuter avec vous. Nous prolongerons ce dialogue tous les mois, si vous le voulez bien, et je vous invite tous très cordialement pour cela au Quai d'Orsay.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 novembre 2007