Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Dans une délibération du 16 mai 2006, le Conseil Municipal de Paris a décidé d'attribuer le nom de Pierre Laroque à cette place, située en face du Ministère chargé de la sécurité sociale.
Ce ministère avait déjà rendu hommage à Pierre Laroque en donnant son nom à la salle de conférences. Mais il est particulièrement heureux que la mémoire de Pierre Laroque soit aussi célébrée à l'extérieur du ministère, car il est peu d'oeuvre plus que celle de Pierre Laroque dont l'impact nous concerne autant. Comme Jean Monnet, Pierre Laroque fait partie de ses immenses personnages qui après guerre, ont contribué à poser les fondements de constructions politiques et sociales audacieuses qui structurent encore aujourd'hui la vie publique de notre pays.
Cette décision rend donc hommage à l'homme qui est considéré comme le « père fondateur de la sécurité sociale ».
Les orateurs précédents ont retracé les principales étapes du parcours de Pierre Laroque qui disait « il ne suffit pas d'être un technicien, il faut être un apôtre ».
Dès son entrée au Conseil d'État, il participa à la mise en place des lois sur les assurances sociales en 1930 et 1932.
Pendant la guerre, il s'engagea dans les Forces françaises libres à Londres auprès du Général de Gaule et participa au débarquement de Normandie. Après la Libération, le Gouvernement fit appel à lui pour dresser un premier plan français de protection sociale.
Directeur général de la Sécurité sociale de 1944 à 1951, il élabora et mit en oeuvre les grandes ordonnances de 1945 et 1946 qui posèrent les fondations du système actuel.
A partir de 1951, il reprit sa place au Conseil d'État et occupa notamment, de 1964 à 1980, la présidence de la Section sociale.
Sa connaissance des affaires sociales l'amena à prendre de nombreuses responsabilités extérieures au Conseil d'État. Il fut par deux fois président de la Caisse nationale de Sécurité sociale entre 1953 et 1967. En 1960, il fut nommé président de la commission d'étude des problèmes de la vieillesse. A ce titre, il rédigea un rapport, en 1962, connu sous le nom de « Rapport Laroque » qui fit autorité tant en France qu'à l'étranger. Dès 1970, il s'inquiéta, dans un rapport destiné au Commissariat au Plan, de la chute démographique et préconisa des mesures favorables à la famille.
Pierre Laroque a donc été, pendant 50 ans, un acteur essentiel de la genèse et des évolutions de la sécurité sociale.
Sa bibliographie riche de plus de 300 publications et les témoignages de ceux qui l'ont connu permettent d'essayer de comprendre quelle a été sa vision de la sécurité sociale.
Les analyses de Pierre Laroque paraissent aujourd'hui autant d'actualité qu'hier, car elles s'appuient sur des démarches à la fois globales, précises et prospectives, s'inscrivant dans une vision humaniste d'ensemble et dans la prise en compte des spécificités françaises. Pierre Laroque, c'est allier un grand dessein avec une approche pragmatique et progressive, illustrée par ces propos : « La priorité absolue à reconnaître le droit à la dignité fournit un élément essentiel à l'orientation des politiques sociales. (...) Le souci d'affirmer au maximum le droit à la dignité (....) doit conduire à choisir les solutions et les méthodes qui contribuent à rapprocher, plutôt qu'à distinguer, à affirmer, même artificiellement, la solidarité égale entre tous les éléments de la population, plutôt qu'à discriminer même en faveur de ceux qui ont le plus de besoins. »
Cette approche se combinait avec une analyse globale de la sécurité sociale, qui est une partie intégrante de l'ensemble des politiques sociales, ainsi soulignait-il que : « la sécurité sociale apparaît ainsi comme un élément dans une politique d'ensemble beaucoup plus vaste, englobant : la garantie à tous de la possibilité de trouver un emploi rémunérateur, donc le plein emploi et l'élimination du chômage ; une rémunération assurant à chacun les moyens de vivre et de faire vivre sa famille dans des condition décentes ; la sécurité de l'emploi, et donc des garanties contre l'arbitraire patronal dans les embauchages et les licenciements ; une organisation médicale permettant de conserver à chacun l'intégrité physique et intellectuelle par des soins appropriés, et, plus encore, par la prévention de la maladie et de l'invalidité, notamment par l'hygiène et la sécurité du travail ; enfin, dans les cas où un travailleur ou sa famille se trouve privé en tout ou partie du gain provenant du travail, par le chômage, la maladie, la maternité, l'invalidité la vieillesse ou voit son niveau de vie diminuer par la présence de jeunes enfants au foyer, l'attribution d'un revenu de substitution ou de complément ».
Cette importance du social allait au-delà des politiques spécifiques, puisque qu'il considérait à la fois que « L'économique et le social sont indissolublement liés » et que « La fin de l'économie est l'homme, dans son bien être physique et mental, matériel et moral ».
Pierre Laroque , attachait une importance égale à la maladie, la vieillesse et la famille avec une vision prospective d'une qualité exceptionnelle.
Concernant l'assurance maladie, son analyse est lumineuse « L'aspect le plus élémentaire de l'égalité des chances, bien qu'en fait il représente un degré relativement poussé dans l'évolution sociale, est l'égalité devant la vie elle-même, devant le droit de naître, de vivre et de survivre, qui s'exprime pratiquement dans l'égalité devant la médecine au sens le plus large du terme. », écrivait-il en 1953.
Ainsi Pierre Laroque avait clairement mis en évidence les difficultés de concilier les impératifs de santé publique avec le fonctionnement d'une médecine purement libérale, et sur la nécessité de trouver, notamment dans ce domaine, un équilibre entre liberté et contrainte.
Concernant les retraites Pierre Laroque a laissé son nom à un Rapport de 1962 de la commission d'étude sur les problèmes de la vieillesse. Ce rapport a été à la base de l'augmentation du niveau des retraites dans les années 60 et 70 qui a permis de mettre fin à la « paupérisation » de la majorité des personnes âgées. Il posait également les bases de l'aide sociale en faveur des personnes âgées, et notamment celle du maintien à domicile.
Mais déjà, ce rapport considérait que « l'essentiel est, sans doute, d'assurer l'adaptation la meilleure possible des personnes âgées à la société française de demain et d'adapter aussi cette société à la présence et aux caractères physiques et psychiques d'une masse croissante de personnes âgées. »
Il considérait en effet que, déjà, le vieillissement de la population, lié à l'augmentation de la durée de vie, rendait nécessaire que les personnes puissent travailler plus longtemps. Et que pour cela il fallait organiser l'accès au travail de ceux que nous appelons aujourd'hui les seniors. Et donc pour cela adapter les entreprises et leur offre de travail, et adapter les personnes par la formation continue, et explorer des pistes nouvelles comme la retraite progressive.
Ces analyses restent d'une actualité aigüe, car elles sous-tendent toutes les réflexions actuelles liées au vieillissement de la population et à l'évolution de nos régimes de retraite.
La famille est le troisième axe essentiel des politiques de sécurité sociale. Pierre Laroque l'exprimait d'une façon extrêmement simple : « Les problèmes sociaux auxquels nous sommes confrontés ne sauraient pour la plupart trouver de solutions satisfaisante si l'on fait abstraction de la famille. (...) Sous un angle strictement pragmatique, les problèmes sociaux sont, pour l'essentiel, non des problèmes individuels mais des problèmes familiaux. »
On sait que la politique familiale française avait des objectifs natalistes, et que ces objectifs ont en grande partie été atteints par rapport aux autres pays développés. Mais il considérait que, fondamentalement, il s'agissait de réduire les inégalités de niveau de vie résultant de l'inégalité des dimensions de la famille.
Cette dimension sociale et cette nécessité de redistribution étaient évidentes pour Pierre Laroque, ainsi que son corollaire, l'importance du rôle de l'Etat dans cette redistribution.
La vision de Pierre Laroque des transferts sociaux correspond à la spécificité de la protection sociale française.
Fondamentalement, il rejette l'idée d'une protection sociale réservée aux seuls démunis. Il s'appuie pour cela sur la nécessité du respect de la dignité des hommes et des groupes sociaux que j'évoquais plus haut : « on crée artificiellement, ou en tout cas on renforce, en lui donnant l'estampille officielle, une inégalité de dignité entre deux groupes sociaux, celui qui aide et celui qui est aidé. La ségrégation sociale qui en résulte porte par elle-même atteinte à la dignité de toute une fraction de la population. ».
Pour éviter cette ségrégation, la sécurité sociale doit donc s'adresser et bénéficier à l'ensemble des Français.
CONCLUSION
Ce n'est pas trahir Pierre Laroque que de dire que le modèle social français doit profondément évoluer. Il ne l'a jamais conçu comme une construction figée. Ce qui doit être gravé dans le marbre ce sont les principes fondateurs.
Une protection sociale qui ne tiendrait pas compte des évolutions démographiques, sociales, économiques, sociétales et internationales dans son évolution viderait de leur force ces principes fondateurs. La protection sociale a remarquablement contribué à réduire la pauvreté et les inégalités pendant les premières décennies de son existence. Quand la pauvreté prend de nouvelles formes, quand les inégalités réelles cessent de se réduire et quand un pays connaît à la fois un chômage élevé et un grand nombre de travailleurs pauvres, il faut savoir le faire évoluer, si on ne veut pas simplement cultiver la nostalgie des belles années de la protection sociale.
La protection sociale doit être, plus que jamais, un projet d'avenir, qui révolutionne les mentalités, et non pas un objet de culte d'un passé révolu.
Cela signifie d'abord de pouvoir mieux concilier le travail et la solidarité. Le sujet est sur la table depuis vingt ans en ce qui concerne le financement de la protection sociale. Il faut poursuivre cette mutation et engager la même mutation pour les prestations sociales. Elles doivent compléter les revenus du travail, pas s'y substituer. Il est temps de faire le lien entre la conception classique de la protection sociale et celle de l'aide sociale. C'est un chantier majeur. C'est cela que doit permettre la profonde réforme des minima sociaux.
Cela signifie également de reposer dans de nouveaux termes les questions d'équité. On le voit quand il s'agit des retraites, comme de l'assurance maladie. Quand on propose de mettre en oeuvre un bouclier sanitaire, plafonnant le reste à charge pour les assurés, n'est-on pas fidèle à la conception de Pierre Laroque de protection de l'ensemble de la population ?
Cela signifie aussi de faire vivre la démocratie sociale, dans un contexte qui a profondément changé, où les collectivités territoriales ont des compétences sociales qu'elles n'avaient pas quand la sécurité sociale a été créée et où la société civile s'est organisée sous des formes nouvelles pour faire entendre sa voix.
Cela signifie enfin d'inscrire notre protection sociale dans la perspective d'un modèle social européen. La sécurité sociale est née à partir de réflexions entre les principaux pays européens. Il est indispensable, plus que jamais, de prendre ce qu'il y a de meilleur et de plus efficace dans l'union européenne pour consolider et promouvoir un modèle social européen.
Pierre Laroque disait : « il ne suffit pas d'être un technicien, il faut être un apôtre ». Il a été les deux. Nous avons besoin de nouveaux apôtres en ce début de vingt et unième siècle. C'est ainsi que nous pouvons lui rendre le plus bel hommage.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 22 novembre 2007
Dans une délibération du 16 mai 2006, le Conseil Municipal de Paris a décidé d'attribuer le nom de Pierre Laroque à cette place, située en face du Ministère chargé de la sécurité sociale.
Ce ministère avait déjà rendu hommage à Pierre Laroque en donnant son nom à la salle de conférences. Mais il est particulièrement heureux que la mémoire de Pierre Laroque soit aussi célébrée à l'extérieur du ministère, car il est peu d'oeuvre plus que celle de Pierre Laroque dont l'impact nous concerne autant. Comme Jean Monnet, Pierre Laroque fait partie de ses immenses personnages qui après guerre, ont contribué à poser les fondements de constructions politiques et sociales audacieuses qui structurent encore aujourd'hui la vie publique de notre pays.
Cette décision rend donc hommage à l'homme qui est considéré comme le « père fondateur de la sécurité sociale ».
Les orateurs précédents ont retracé les principales étapes du parcours de Pierre Laroque qui disait « il ne suffit pas d'être un technicien, il faut être un apôtre ».
Dès son entrée au Conseil d'État, il participa à la mise en place des lois sur les assurances sociales en 1930 et 1932.
Pendant la guerre, il s'engagea dans les Forces françaises libres à Londres auprès du Général de Gaule et participa au débarquement de Normandie. Après la Libération, le Gouvernement fit appel à lui pour dresser un premier plan français de protection sociale.
Directeur général de la Sécurité sociale de 1944 à 1951, il élabora et mit en oeuvre les grandes ordonnances de 1945 et 1946 qui posèrent les fondations du système actuel.
A partir de 1951, il reprit sa place au Conseil d'État et occupa notamment, de 1964 à 1980, la présidence de la Section sociale.
Sa connaissance des affaires sociales l'amena à prendre de nombreuses responsabilités extérieures au Conseil d'État. Il fut par deux fois président de la Caisse nationale de Sécurité sociale entre 1953 et 1967. En 1960, il fut nommé président de la commission d'étude des problèmes de la vieillesse. A ce titre, il rédigea un rapport, en 1962, connu sous le nom de « Rapport Laroque » qui fit autorité tant en France qu'à l'étranger. Dès 1970, il s'inquiéta, dans un rapport destiné au Commissariat au Plan, de la chute démographique et préconisa des mesures favorables à la famille.
Pierre Laroque a donc été, pendant 50 ans, un acteur essentiel de la genèse et des évolutions de la sécurité sociale.
Sa bibliographie riche de plus de 300 publications et les témoignages de ceux qui l'ont connu permettent d'essayer de comprendre quelle a été sa vision de la sécurité sociale.
Les analyses de Pierre Laroque paraissent aujourd'hui autant d'actualité qu'hier, car elles s'appuient sur des démarches à la fois globales, précises et prospectives, s'inscrivant dans une vision humaniste d'ensemble et dans la prise en compte des spécificités françaises. Pierre Laroque, c'est allier un grand dessein avec une approche pragmatique et progressive, illustrée par ces propos : « La priorité absolue à reconnaître le droit à la dignité fournit un élément essentiel à l'orientation des politiques sociales. (...) Le souci d'affirmer au maximum le droit à la dignité (....) doit conduire à choisir les solutions et les méthodes qui contribuent à rapprocher, plutôt qu'à distinguer, à affirmer, même artificiellement, la solidarité égale entre tous les éléments de la population, plutôt qu'à discriminer même en faveur de ceux qui ont le plus de besoins. »
Cette approche se combinait avec une analyse globale de la sécurité sociale, qui est une partie intégrante de l'ensemble des politiques sociales, ainsi soulignait-il que : « la sécurité sociale apparaît ainsi comme un élément dans une politique d'ensemble beaucoup plus vaste, englobant : la garantie à tous de la possibilité de trouver un emploi rémunérateur, donc le plein emploi et l'élimination du chômage ; une rémunération assurant à chacun les moyens de vivre et de faire vivre sa famille dans des condition décentes ; la sécurité de l'emploi, et donc des garanties contre l'arbitraire patronal dans les embauchages et les licenciements ; une organisation médicale permettant de conserver à chacun l'intégrité physique et intellectuelle par des soins appropriés, et, plus encore, par la prévention de la maladie et de l'invalidité, notamment par l'hygiène et la sécurité du travail ; enfin, dans les cas où un travailleur ou sa famille se trouve privé en tout ou partie du gain provenant du travail, par le chômage, la maladie, la maternité, l'invalidité la vieillesse ou voit son niveau de vie diminuer par la présence de jeunes enfants au foyer, l'attribution d'un revenu de substitution ou de complément ».
Cette importance du social allait au-delà des politiques spécifiques, puisque qu'il considérait à la fois que « L'économique et le social sont indissolublement liés » et que « La fin de l'économie est l'homme, dans son bien être physique et mental, matériel et moral ».
Pierre Laroque , attachait une importance égale à la maladie, la vieillesse et la famille avec une vision prospective d'une qualité exceptionnelle.
Concernant l'assurance maladie, son analyse est lumineuse « L'aspect le plus élémentaire de l'égalité des chances, bien qu'en fait il représente un degré relativement poussé dans l'évolution sociale, est l'égalité devant la vie elle-même, devant le droit de naître, de vivre et de survivre, qui s'exprime pratiquement dans l'égalité devant la médecine au sens le plus large du terme. », écrivait-il en 1953.
Ainsi Pierre Laroque avait clairement mis en évidence les difficultés de concilier les impératifs de santé publique avec le fonctionnement d'une médecine purement libérale, et sur la nécessité de trouver, notamment dans ce domaine, un équilibre entre liberté et contrainte.
Concernant les retraites Pierre Laroque a laissé son nom à un Rapport de 1962 de la commission d'étude sur les problèmes de la vieillesse. Ce rapport a été à la base de l'augmentation du niveau des retraites dans les années 60 et 70 qui a permis de mettre fin à la « paupérisation » de la majorité des personnes âgées. Il posait également les bases de l'aide sociale en faveur des personnes âgées, et notamment celle du maintien à domicile.
Mais déjà, ce rapport considérait que « l'essentiel est, sans doute, d'assurer l'adaptation la meilleure possible des personnes âgées à la société française de demain et d'adapter aussi cette société à la présence et aux caractères physiques et psychiques d'une masse croissante de personnes âgées. »
Il considérait en effet que, déjà, le vieillissement de la population, lié à l'augmentation de la durée de vie, rendait nécessaire que les personnes puissent travailler plus longtemps. Et que pour cela il fallait organiser l'accès au travail de ceux que nous appelons aujourd'hui les seniors. Et donc pour cela adapter les entreprises et leur offre de travail, et adapter les personnes par la formation continue, et explorer des pistes nouvelles comme la retraite progressive.
Ces analyses restent d'une actualité aigüe, car elles sous-tendent toutes les réflexions actuelles liées au vieillissement de la population et à l'évolution de nos régimes de retraite.
La famille est le troisième axe essentiel des politiques de sécurité sociale. Pierre Laroque l'exprimait d'une façon extrêmement simple : « Les problèmes sociaux auxquels nous sommes confrontés ne sauraient pour la plupart trouver de solutions satisfaisante si l'on fait abstraction de la famille. (...) Sous un angle strictement pragmatique, les problèmes sociaux sont, pour l'essentiel, non des problèmes individuels mais des problèmes familiaux. »
On sait que la politique familiale française avait des objectifs natalistes, et que ces objectifs ont en grande partie été atteints par rapport aux autres pays développés. Mais il considérait que, fondamentalement, il s'agissait de réduire les inégalités de niveau de vie résultant de l'inégalité des dimensions de la famille.
Cette dimension sociale et cette nécessité de redistribution étaient évidentes pour Pierre Laroque, ainsi que son corollaire, l'importance du rôle de l'Etat dans cette redistribution.
La vision de Pierre Laroque des transferts sociaux correspond à la spécificité de la protection sociale française.
Fondamentalement, il rejette l'idée d'une protection sociale réservée aux seuls démunis. Il s'appuie pour cela sur la nécessité du respect de la dignité des hommes et des groupes sociaux que j'évoquais plus haut : « on crée artificiellement, ou en tout cas on renforce, en lui donnant l'estampille officielle, une inégalité de dignité entre deux groupes sociaux, celui qui aide et celui qui est aidé. La ségrégation sociale qui en résulte porte par elle-même atteinte à la dignité de toute une fraction de la population. ».
Pour éviter cette ségrégation, la sécurité sociale doit donc s'adresser et bénéficier à l'ensemble des Français.
CONCLUSION
Ce n'est pas trahir Pierre Laroque que de dire que le modèle social français doit profondément évoluer. Il ne l'a jamais conçu comme une construction figée. Ce qui doit être gravé dans le marbre ce sont les principes fondateurs.
Une protection sociale qui ne tiendrait pas compte des évolutions démographiques, sociales, économiques, sociétales et internationales dans son évolution viderait de leur force ces principes fondateurs. La protection sociale a remarquablement contribué à réduire la pauvreté et les inégalités pendant les premières décennies de son existence. Quand la pauvreté prend de nouvelles formes, quand les inégalités réelles cessent de se réduire et quand un pays connaît à la fois un chômage élevé et un grand nombre de travailleurs pauvres, il faut savoir le faire évoluer, si on ne veut pas simplement cultiver la nostalgie des belles années de la protection sociale.
La protection sociale doit être, plus que jamais, un projet d'avenir, qui révolutionne les mentalités, et non pas un objet de culte d'un passé révolu.
Cela signifie d'abord de pouvoir mieux concilier le travail et la solidarité. Le sujet est sur la table depuis vingt ans en ce qui concerne le financement de la protection sociale. Il faut poursuivre cette mutation et engager la même mutation pour les prestations sociales. Elles doivent compléter les revenus du travail, pas s'y substituer. Il est temps de faire le lien entre la conception classique de la protection sociale et celle de l'aide sociale. C'est un chantier majeur. C'est cela que doit permettre la profonde réforme des minima sociaux.
Cela signifie également de reposer dans de nouveaux termes les questions d'équité. On le voit quand il s'agit des retraites, comme de l'assurance maladie. Quand on propose de mettre en oeuvre un bouclier sanitaire, plafonnant le reste à charge pour les assurés, n'est-on pas fidèle à la conception de Pierre Laroque de protection de l'ensemble de la population ?
Cela signifie aussi de faire vivre la démocratie sociale, dans un contexte qui a profondément changé, où les collectivités territoriales ont des compétences sociales qu'elles n'avaient pas quand la sécurité sociale a été créée et où la société civile s'est organisée sous des formes nouvelles pour faire entendre sa voix.
Cela signifie enfin d'inscrire notre protection sociale dans la perspective d'un modèle social européen. La sécurité sociale est née à partir de réflexions entre les principaux pays européens. Il est indispensable, plus que jamais, de prendre ce qu'il y a de meilleur et de plus efficace dans l'union européenne pour consolider et promouvoir un modèle social européen.
Pierre Laroque disait : « il ne suffit pas d'être un technicien, il faut être un apôtre ». Il a été les deux. Nous avons besoin de nouveaux apôtres en ce début de vingt et unième siècle. C'est ainsi que nous pouvons lui rendre le plus bel hommage.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 22 novembre 2007