Texte intégral
Monsieur le directeur du Stockholm Institute for Transition Economics,
Mesdames et messieurs,
C'est un grand honneur pour moi de m'exprimer dans cette prestigieuse école supérieure de commerce, dont je veux saluer le président, le professeur Lars Bergman.
Il y a entre la France et la Suède une très ancienne amitié. Nous sommes deux vieilles nations, situées presque chacune à l'une des extrémités de l'Europe. En apparence, beaucoup de choses pourraient nous opposer : nos climats, nos paysages, le tempérament de nos populations, nos langues, nos religions...
Mais jamais, pourtant, nos deux pays n'ont cessé de se parler, jamais nos deux pays n'ont cessé de s'envoyer des émissaires, de se séduire, de se féconder l'un l'autre. Le paradoxe, c'est que la France et la Suède ont eu rarement l'occasion de réaliser de grandes oeuvres communes. Notre histoire est plutôt une succession d'aventures individuelles, à l'image de celles de Fersen et de Bernadotte. Il y a pourtant aujourd'hui un très grand potentiel de développement et d'amélioration de nos relations, comme en témoigne, par exemple, la très forte augmentation du nombre des échanges d'étudiants, marquée par la présence de 3 000 jeunes Français en Suède.
Depuis des années, la Suède a l'habitude de voir venir des dirigeants du monde entier qui étudient ses réformes et son fameux "modèle suédois". D'ailleurs, moi-même, je n'ai pas manqué à cette tradition, puisque ministre des Affaires sociales, en 2003, je suis venu à Stockholm accompagné de tous les syndicats français pour leur montrer ce que c'était qu'une belle réforme des retraites, réussie, dans un cadre consensuel.
Et d'ailleurs, la réforme des retraites de 2003, que j'ai conduite, s'inspire sur quelques aspects de la réforme suédoise, et en particulier, elle a repris cette géniale idée de l'enveloppe orange qui a simplement changé de couleur en France.
La vérité, c'est que, bien souvent, ceux qui viennent vous voir pour admirer le modèle suédois, en tout cas s'agissant des dirigeants français, rentraient chez eux et continuaient à réfléchir aux réformes mais sans jamais les faire. La nouveauté, et c'est de cela que je suis venu vous parler, c'est qu'en 2007, il y a en France un Gouvernement et une majorité et une opinion publique qui sont tout à fait décidés à mettre en oeuvre les réformes. Nous n'en sommes plus aux voyages d'études, nous n'en sommes plus à la réflexion théorique, nous sommes en train de mettre en oeuvre des réformes profondes dans notre pays.
Au fond, l'élection du président de la République, Nicolas Sarkozy, et de la nouvelle majorité a été un tournant dans l'histoire récente de notre pays. Nous venions de vivre une vingtaine d'années de crise politique, de crise sociale, de crise de confiance.
Cette crise de confiance était liée, pour une large part, au fait que les majorités qui se succédaient, de droite et de gauche, ne tenaient jamais leurs engagements. Et au fil du temps, les Français ont fini par considérer que ça ne servait plus à rien de voter, puisque de toute façon, ceux que l'on désignait ne faisaient jamais ce qu'ils avaient promis de faire.
Je vais prendre deux exemples. En 1997, la gauche gagne les élections sur un programme qui est très à gauche, et c'est le gouvernement de gauche de monsieur Jospin en 1997 qui va faire le plus de privatisations de toute l'histoire de la Ve République française.
Naturellement, les électeurs de gauche ne s'attendaient pas à ce qu'un gouvernement de gauche privatise. Quelques années plus tard, lorsque nous-mêmes nous avons gagné les élections, en 2002, nous les avons gagnées en particulier sur un slogan, la réhabilitation du travail, et pendant cinq ans, il faut bien dire que nous avons fait assez peu de choses pour réhabiliter le travail.
Et cette incapacité des gouvernements et des majorités à tenir leurs engagements a provoqué une vraie crise de confiance, que certains d'ailleurs ont qualifiée de "dépression nerveuse", qui a conduit en particulier, en 2002, à ce coup de tonnerre qui a été la présence de l'extrême droite au deuxième tour de l'élection présidentielle française.
Eh bien, l'élection de 2007 a balayé cette situation. Les Français ont massivement participé à l'élection ; ils ont voté à une majorité forte pour un candidat qui avait un projet clair et qui l'affirmait de la manière la plus franche qui soit.
Et ainsi s'enclenche dans notre pays un cycle de réformes qui me permet et qui m'a permis de dire à votre Premier ministre, il y a quelques instants, que la France qu'il avait en face de lui n'était plus exactement la même que celle d'il y a quelques années ; qu'au fond, la France qui veut se moderniser, qui veut gagner de la croissance, qui veut réduire le chômage, qui veut améliorer la compétitivité de son entreprise, était de retour, comme elle était de retour sur la scène européenne où la France, après avoir largement participé à la solution de la crise institutionnelle européenne, se prépare à la Présidence de l'Union au deuxième semestre de 2008.
Pourquoi est-ce qu'il y a beaucoup de réformes à faire en France ? Parce que la situation économique et sociale n'est pas satisfaisante. Notre pays était à la 14e place en termes de richesse par habitant, il y a quelques années ; il est tombé à la 17e.
Nous avons grosso modo un point de croissance de moins que les meilleurs pays européens, et ceci depuis vingt ans.
Notre taux de chômage est historiquement bas par rapport à la situation intérieure, puisqu'il est aujourd'hui au niveau de 1982, mais même avec cette performance-là, nous sommes au 24e rang des pays européens, ce qui, naturellement, n'est pas conforme au potentiel que représente la France, alors que, pendant le même temps, le chômage suédois a chuté de plus de 10 %, dans les années 1990, à aujourd'hui autour de 5 % ! Notre endettement public n'a cessé de croître, le dernier budget en équilibre voté en France, c'était il y a 33 ans ! Tout cela a créé un profond malaise dans notre pays.
Il était temps de mettre un terme à cette spirale dangereuse, et c'est ce que nous sommes en train de faire. La première chose que nous avons entreprise avec le président de la République, c'est de réenclencher la confiance.
Et pour nous, réenclencher la confiance, cela passe d'abord par le respect absolu des engagements que l'on a pris. Cela passe ensuite par un langage de franchise et cela passe enfin par une ouverture politique et sociale. Nous tenons tous nos engagements.
Nous tenons un langage de franchise. Je veux dire par là que nous ne disons pas aux Français que tout va s'arranger sans effort. Nous ne leur disons pas que l'on peut réformer notre pays sans réduire la dette et sans retrouver l'équilibre des finances publiques. Nous ne leur disons pas que l'on peut améliorer leur pouvoir d'achat sans leur demander de travailler plus et je pense que ce langage de franchise est aujourd'hui une des conditions du rétablissement de la confiance.
Et puis enfin, nous avons ouvert le Gouvernement, la majorité, à la fois à quelques-uns de nos adversaires politiques, en faisant venir à l'intérieur du Gouvernement des hommes et des femmes de gauche qui ont accepté, sans rien renier de leurs convictions, de venir participer à l'effort de modernisation que nous avons engagé.
Je pense que c'est une grande innovation dans la vie politique française. Rien ne nous y obligeait ; les résultats des élections nous donnaient une majorité suffisamment large pour gouverner seuls, mais en pratiquant cette ouverture, je pense que nous avons démontré aux Français que nous n'étions pas dans une démarche partisane, que nous n'étions pas dans une démarche de zapping électoral, que nous étions dans une vraie démarche de modernisation et de reconstruction de l'économie et du système social français.
Et puis nous avons voulu ouvrir le Gouvernement à des minorités qui n'y avaient jamais accès, et puis nous avons voulu faire la parité. En Suède, il y a longtemps que vous aviez progressé sur cette voie ; en France, nous avions énormément de retard. J'ai l'honneur de diriger un Gouvernement dans lequel il y a autant de ministres hommes que de ministres femmes. Ce n'est pas tout à fait vrai, il y a un homme de plus, mais enfin, je ne pouvais pas arriver à la parité absolue sauf à couper en deux l'un de mes ministres.
La deuxième chose que nous avons entreprise, c'est d'ouvrir la France sur l'extérieur et sur les enjeux de la mondialisation.
On dit parfois, et j'imagine que c'est une idée qui doit bien être présente dans vos esprits, que la France est un pays replié sur lui-même, que la France est un pays qui se méfie de la mondialisation. C'est vrai qu'il y a des interrogations, philosophiques, politiques, sur l'objectif de la mondialisation, où est-ce que nous conduit la mondialisation, mais la vérité, c'est que nous sommes le 5e pays exportateur de biens, que nous sommes le 3e pays exportateur de services, que nous sommes la 1ère destination touristique mondiale et que nous sommes le 3e pays d'accueil des investissements dans le monde !
Et d'ailleurs, vous en savez quelque chose, car il y a une très forte présence suédoise en France. La Suède est le 4e créateur étranger d'emplois en France ! Depuis 1993, les entreprises suédoises ont réalisé 200 projets d'investissement et, aujourd'hui, il y a 700 établissements suédois en France, dont près de 300 sites de production, qui emploient près de 100 000 salariés français.
Comme vous, nous pensons que l'ouverture des marchés est la clé de la prospérité de l'Europe et de son développement. Mais nous pensons aussi que cela n'exclut pas un langage de fermeté quand les conditions de la concurrence sont faussées : nous voulons faire davantage pour lutter contre les obstacles aux échanges et aux investissements, contre les pratiques commerciales contraires aux règles de l'OMC, contre la violation des droits de propriété intellectuelle.
Nous sommes pour l'ouverture des marchés, mais nous voulons qu'elle soit vraiment réciproque. Quand l'entreprise canadienne Bombardier obtient, contre une entreprise française, les marchés des trains de l'Ile-de-France, et que, dans le même temps, l'entreprise française qui n'a pas obtenu les marchés en France, se voit interdire l'accès du marché canadien, parce que la ville de Montréal n'est pas obligée de soumettre à appel d'offres ses investissements, nous disons qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans l'ouverture des marchés ; de la même façon, lorsque nous constatons que le Canada, les Etats-Unis, le Japon ont mis en place des règles restrictives pour permettre à leurs petites entreprises d'accéder plus facilement aux marchés publics, et qu'on nous empêche de faire la même chose au motif que c'est contraire à la liberté des échanges, nous disons qu'il y a une réciprocité qu'il faut rétablir.
J'apprécie le pragmatisme dont font preuve les Suédois dans leurs débats sur la mondialisation. Je sais que votre pays dépend beaucoup du commerce international : ses exportations de biens et services représentent 50 % de votre produit intérieur brut. Ces dernières années, la Suède a réalisé un effort très important d'adaptation pour tirer profit des opportunités de la nouvelle économie mondiale. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas un hasard si c'est un économiste suédois, Johan Norberg, qui a écrit l'un des livres les plus vendus dans le monde en faveur de la mondialisation.
En même temps, je suis convaincu que la Suède n'ignore rien des immenses défis que la mondialisation engendre, notamment en matière sociale et en matière environnementale. Et elle a choisi de les regarder en face, sans tabou. Elle a mis en place des politiques ciblées pour réguler les effets les plus durs de la mondialisation.
C'est un fait, la concurrence et le mode de développement de certains pays émergents posent des questions décisives à nos économies européennes, même dans des secteurs comme les équipements de télécommunications, où la Suède est pourtant numéro un mondial. Face à cela, votre pays a fait le choix d'une analyse lucide, en évitant les dogmes et les slogans faciles. C'est ce que montre l'expérience de votre "conseil de la mondialisation" qui permet d'étudier les grandes problématiques pour déboucher sur des politiques publiques adaptées. J'ai envie de dire : voilà le pragmatisme que nous voulons nous-mêmes adopter face aux défis de la mondialisation.
On dit souvent, à l'étranger, que la France promeut sans discernement ses champions nationaux au détriment des entreprises étrangères. Eh bien, je veux vous dire que c'est faux !
Notre économie est une économie ouverte, avec un droit boursier qui est particulièrement respectueux du droit des actionnaires. Plus de 46 % de la capitalisation des grandes entreprises françaises est détenue par des investisseurs étrangers, ce qui n'est pas d'ailleurs sans poser parfois quelques problèmes.
Mais, ceci étant dit, nous pensons que dans certaines circonstances exceptionnelles, l'Etat ne peut pas et ne doit pas se désintéresser du sort de certaines entreprises ou de certains secteurs d'activité. Jouer le jeu du libre marché et du capitalisme ne doit pas empêcher de veiller aux activités stratégiques du pays et à ses grands équilibres économiques et sociaux. Il s'agit là, me semble-t-il, d'une conception normale du rôle de la puissance publique dans une économie de marché ouverte.
Cette préoccupation n'est d'ailleurs pas exclusivement française, elle est mondiale. Si on prend l'exemple du débat sur les fonds souverains détenus par des pays tiers, ce débat, qui est né en Allemagne et aux Etats-Unis, est aujourd'hui à l'ordre du jour des discussions du G8, de celles du FMI ou de l'OCDE.
Il y a une autre question que les observateurs de notre pays se posent : est-ce que la France va enfin réaliser les réformes dont elle a besoin, et est-ce qu'elle va respecter ses engagements européens en matière de finances publiques ? Ma réponse est oui.
Notre première priorité, c'est de réformer et de libérer l'économie française pour lui permettre de trouver le point de croissance qui lui manque. Notre méthode est simple : nous voulons encourager les Français à travailler plus et à investir davantage.
Nous avons pris, dès l'été dernier, des mesures pour stimuler l'usage des heures supplémentaires, pour sortir des réglementations aberrantes qui avaient réduit d'une façon absurde la durée légale du temps de travail en France.
Nous avons renforcé les protections sur les revenus des particuliers contre l'alourdissement de la pression fiscale. Nous avons adopté une règle simple : personne ne doit, dans notre pays, donner à l'Etat plus de la moitié de ce qu'il gagne, ce qui ne paraît pas une décision d'une ambition exceptionnelle. C'est le bon sens, même si cela a valu beaucoup de débats animés. Nous avons allégé les droits de succession et de donation, nous avons facilité les conditions d'acquisition des logements.
Après cette préparation de terrain, nous avons lancé plusieurs grandes réformes structurelles.
D'abord, une réforme des relations sociales. Nous sommes en train de débattre avec les partenaires sociaux de la modernisation de notre système de relations sociales. Nous voulons réformer les règles de représentativité des organisations syndicales. Nous voulons réformer les règles de négociation des accords pour aller vers des accords majoritaires. Nous voulons que toutes les réformes législatives fassent d'abord l'objet d'un avis des partenaires sociaux. Enfin, nous essayons d'entrer dans une logique de négociation sociale qui est celle qu'un pays comme la Suède connaît depuis longtemps.
Mais pour y arriver, il faut obtenir tranquillement la mutation des partenaires sociaux français. Les syndicats français sont très différents des syndicats suédois. Ils ont peu d'adhérents ; ils sont le plus souvent les interprètes du secteur public et ils mènent souvent encore un combat beaucoup plus frontal que pragmatique. Et les plus modernes d'entre eux sont souvent bousculés par ceux qui justement privilégient la confrontation au dialogue.
Pourtant, des syndicats forts et représentatifs sont indispensables dans une économie libérale qui doit être en permanence équilibrée par des compromis sociaux.
Nous avons donc lancé une réflexion pour concevoir de nouvelles règles de représentativité des syndicats, pour moderniser nos relations sociales. Nous voulons responsabiliser les partenaires sociaux, nous voulons redonner toute sa place au contrat plutôt qu'à la loi. C'est une réforme fondamentale dont les récents événements en France montrent bien à quel point elle est nécessaire, et qui doit conduire à la mise en place d'une démocratie sociale plus vivante et plus consensuelle.
Les grèves qui ont eu lieu ces derniers jours en France sont, vous le savez, liées à notre projet de réforme des régimes spéciaux de retraite. On a réformé en 1993 le régime général de retraite. On a réformé en 2003 le régime des fonctionnaires. Et il restait le régime des agents des transports ferroviaires, des métros, des bus, de l'électricité et du gaz.
On a proposé une réforme toute simple : elle consiste simplement à harmoniser les durées de cotisation et les règles de mise en oeuvre de la retraite sur le secteur public et sur le régime général. Cette réforme est en train de se faire. La grève qui a duré neuf jours s'est terminée aujourd'hui, et les discussions qui ont commencé dans les entreprises de transports sont des discussions qui ne portent pas sur le fond de la réforme mais qui portent sur les conditions de son application.
En tout cas, cet épisode a révélé quelque chose de très, très important, c'est le soutien massif des Français à la réforme, et ça, c'est une nouveauté, parce que jusqu'à maintenant, les Français, habitués qu'ils étaient de voir les gouvernements reculer à chaque fois que la situation devenait difficile, ne soutenaient pas l'effort de réforme.
Eh bien, cette fois-ci, on a vu qu'une immense majorité de Français, près de 70 %, était en faveur de la modernisation, en faveur de la réforme, et même quand ces Français-là étaient extrêmement handicapés par la grève des transports publics.
Nous avons aussi commencé à réformer notre marché du travail. Et, d'ailleurs, les pistes que nous suivons rejoignent celles adoptées en Suède : nous voulons encourager l'effort, le mérite, la créativité, le goût d'entreprendre.
Nous avons lancé une concertation sur la modernisation des règles qui régissent notre marché du travail. Nous avons un des droits du travail les plus protecteurs du monde, et pourtant nous avons un des taux de chômage les plus élevés des pays développés, ce qui montre bien que notre droit du travail, finalement, n'est pas protecteur.
Et donc, nous voulons simplifier les règles, assouplir le contrat de travail, et nous voulons mettre en place des parcours professionnels plus sécurisés. Autrement dit, nous voulons mettre en place une sorte de "flex-sécurité" à la française.
Nous avons lancé un processus de fusion entre l'organisme qui a la responsabilité d'indemniser les chômeurs et celui qui a la responsabilité de leur trouver un travail, pour améliorer notre taux d'encadrement des demandeurs d'emploi, qui est trop faible. C'est une problématique similaire à celle qui a amené la Suède à fusionner, au 1er janvier 2008, son agence nationale pour l'emploi et ses agences régionales.
Nous avons engagé une réforme des minima sociaux, pour que l'activité soit toujours plus rémunératrice que l'assistance. Et nous sommes, comme le gouvernement suédois, en train de mettre en place des outils de lutte contre les fraudes aux prestations sociales.
Enfin, nous voulons augmenter le taux d'emploi des seniors, qui est chez nous extrêmement bas, et qui est une des causes de nos difficultés, aussi bien en termes de croissance que de déficit de nos comptes sociaux.
Nous sommes en train de réformer nos universités en leur donnant beaucoup plus d'autonomie, pour qu'elles aient davantage de souplesse de gestion, pour qu'elles puissent assurer les qualifications qui soient mieux adaptées aux enjeux économiques et culturels.
C'est une réforme majeure, c'est une réforme que la France attendait depuis 25 ans, et que les gouvernements successifs avaient tous renoncé à mettre en oeuvre devant la crainte de voir les étudiants descendre dans la rue pour empêcher la réforme de se mettre en place. Eh bien, nous l'avons fait !
Si la Suède a largement réussi à adapter son économie à la mondialisation, c'est parce qu'elle a su lui faire prendre le virage de l'économie du savoir : la Suède consacre près de 4 % de son PIB à la R&D, ce qui est le meilleur score de l'OCDE.
C'est pour nous un modèle, et nous voulons aussi que notre économie soit fondée sur l'intelligence. Nous avons décidé de tripler les incitations fiscales en faveur de la recherche. Nous avons enfin ratifié le protocole de Londres sur les brevets.
Nous avons engagé la fusion de nos instruments publics de soutien à la recherche et à l'innovation. Et nous avons augmenté considérablement le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche. En réalité, nous allons l'augmenter de 10 % tous les ans, pendant les cinq années qui viennent, alors même que tous les autres postes du budget de l'Etat sont quasiment stabilisés, puisque nous sommes en train de réduire notre déficit.
La Suède est un pays précurseur en matière de politique de clusters industriels. Nous nous sommes engagés dans une voix similaire, en développant sur notre territoire des pôles de compétitivité. J'ai proposé ce matin à M. Reinfeldt que nos deux pays prennent le leadership de la politique européenne des clusters.
Enfin, notre économie est trop souvent bridée par des réglementations anciennes, des réglementations malthusiennes, ainsi que par une fiscalité inadaptée qui dissuade le travail, qui dissuade l'investissement, qui dissuade la prise de risque. Il était urgent de surmonter ces obstacles. Nous sommes en train de le faire.
Nous prenons parallèlement des mesures pour renforcer la liberté d'entreprendre, pour renforcer la concurrence (ce qui aura, d'ailleurs, une influence positive sur le pouvoir d'achat, qui est un problème pour beaucoup de catégories de Français). Je sais que la Suède l'a fait, dans les années 1990, par exemple en matière d'électricité, de transports ferroviaires, de taxis, de transport aérien domestique, de télécommunications, de services postaux.
Nous préparons une réforme d'ensemble de notre fiscalité, et notamment celle des entreprises, pour la rendre à la fois moins complexe et moins lourde. Cette réforme, là aussi, tout le monde l'attend depuis des années, nous sommes déterminés à la mener à bien.
Mais bien sûr, et je voudrais en terminer par là, aucune de ces réformes structurelles n'aurait vraiment d'impact si nous ne parvenions pas en même temps à assainir nos finances publiques et à réformer notre Etat.
A cet égard, ce que la Suède a réussi est exemplaire. Alors que dans les années 1990, vous aviez atteint des déficits publics supérieurs à 11 % du PIB et une dette publique qui était proche de 80 % de ce PIB, vous avez maintenant un solde positif de 2,4 % et un endettement public de 47 % du PIB.
Il y a juste un indicateur sur lequel nous faisons mieux que vous, c'est celui des prélèvements obligatoires, qui représentent 45 % du PIB chez nous, contre 48 % en Suède. Mais nous n'avons pas de quoi nous vanter, parce que le vôtre diminue depuis plusieurs années, et vous avez pu reconstituer d'importantes marges de manoeuvre budgétaire, ce que nous, nous n'avons pas encore réussi à faire.
Alors, notre objectif est très simple : nous voulons retrouver l'équilibre des finances publiques dans cinq ans, pendant la durée du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Et pour cela, nous avons décidé de geler les dépenses de l'Etat et les concours aux collectivités locales. On va les geler pendant cinq ans, on va engager une réforme profonde de l'organisation de l'Etat, en supprimant un certain nombre d'organismes qui n'ont plus leur utilité, notamment du fait de la décentralisation, en fusionnant des organismes qui sont en compétition.
Et puis en supprimant des postes de fonctionnaires, puisque nous avons décidé de ne pas remplacer un départ sur deux à la retraite dans la fonction publique, à la fois pour améliorer le statut des fonctionnaires, pour réduire la dépense publique et pour obliger à la réorganisation des services de l'Etat.
Enfin, nous avons lancé un processus d'examen totalement inédit de toutes nos politiques publiques, une revue générale de toutes les politiques publiques, pour voir comment on peut faire mieux en en dépensant moins, quelles sont les politiques qui sont utiles, celles qui ne le sont pas, celles qui peuvent être améliorées, et sans attendre le résultat de cette révision générale des politiques publiques, nous avons déjà lancé des fusions d'administrations comme par exemple celles de la Direction des impôts et du Trésor, ou celle des implantations territoriales de la justice.
La Suède a réussi sa réforme institutionnelle en rendant son Etat plus efficace, en procédant à des délégations de services publics, en rationalisant la structure de ses collectivités locales. Tout cela, nous sommes en train de l'engager, mais c'est évidemment plus compliqué et plus long dans un pays de 60 millions de personnes, où la nation s'est longtemps organisée autour des structures et des symboles de l'Etat, et où, pendant des décennies, les réformes nécessaires ont été ajournées.
Autre changement fondamental en France : nous sommes en train de réconcilier l'économie et l'écologie. Pour vous Suédois, c'est quelque chose d'acquis. Mais pour nous, c'est une grande nouveauté. Nous avons vécu ces vingt dernières années une sorte d'affrontement permanent entre ceux qui voulaient la croissance et ceux qui voulaient la protection de l'environnement.
Eh bien, nous venons, à la suite d'un processus original qui a associé l'Etat, les collectivités locales, les organisations syndicales et les associations non gouvernementales, de définir un programme qui remet au fond la croissance au service du développement durable et de la protection de l'environnement.
Et d'ailleurs, nous avons décidé ce matin, avec votre Premier ministre, de mettre en commun nos expériences dans ce domaine, et pour la France, de s'inspirer en particulier de l'avance que connaît la Suède dans la maîtrise des technologies en matière d'environnement.
Voilà, je voudrais vous dire un mot, pour terminer, de l'Europe et des projets de la Présidence française de l'Union. L'Europe était en panne, il y a six mois ; elle était en panne parce qu'elle n'avait pas pu se doter des nouvelles institutions dont elle avait besoin pour assumer sa gouvernance après son élargissement.
La France a une part de responsabilité dans cette panne, puisque les Français ont voté "non" au Traité constitutionnel. Ils n'ont pas été les seuls : les Hollandais ont voté "non" aussi, et puis peut-être certains peuples n'ont -ils pas été consultés sur le Traité constitutionnel et qui sait quel aurait pu être le jugement des uns ou des autres. Mais en même temps, nous sommes bien conscients que nous avons une grosse part de responsabilité, ou nous avions une grosse part de responsabilité, dans cette panne.
Donc, nous avons tout mis en oeuvre pour aider l'Europe à sortir de cette impasse. Nous l'avons fait en proposant un Traité simplifié, qui donne à l'Europe des institutions fonctionnelles qui vont lui permettre de repartir de l'avant, qui vont lui permettre de fonctionner d'une meilleure façon après son élargissement, notamment en la dotant d'une présidence stable de l'Union, en la dotant d'institutions plus efficaces.
Mais nous avons aussi proposé qu'un groupe de sages réfléchisse au projet européen à long terme. Parce que nous pensons que si les peuples sont dubitatifs, ou certains d'entre eux en tout cas, à propos de l'Europe, c'est parce qu'ils ne voient pas quel est le projet européen. Ils ne voient pas où on veut les conduire. Ils ne voient pas jusqu'où peut aller l'élargissement de l'Europe. Il faut bien que l'Europe soit un projet, il faut que l'Europe ait une identité, il faut que l'Europe ait des frontières. On peut discuter un jour de ces frontières, mais il faut bien un jour les fixer. Et nous souhaitons que s'engage maintenant cette réflexion sur l'identité, le projet européen des frontières de l'Union européenne pour le long terme.
En attendant, la France prendra, peu de temps avant la Suède, la Présidence de l'Union européenne au deuxième semestre de 2008. Nous avons choisi quatre priorités qui sont la lutte contre les changements climatiques, la question de la politique énergétique et de l'indépendance énergétique de l'Europe, les politiques d'immigration en Europe, et la sécurité de l'Europe, et en particulier, la question de la défense européenne.
Nous avons préparé, nous allons préparer cette Présidence française en coopération très étroite avec le gouvernement suédois. J'ai d'ailleurs eu la joie d'accueillir le ministre suédois des Affaires européennes à Paris, samedi dernier, pour un séminaire qui rassemblait tout mon Gouvernement autour de la Présidence française.
Je veux vous féliciter pour la qualité du français de Madame Maelstrom, qui a fait un remarquable discours devant ses collègues français, en français, et vous dire que nous n'avons guère de différences quant aux priorités de la Présidence française et de la Présidence suédoise.
Voilà, Mesdames et messieurs, quelques mots pour vous dire que la France n'a pas changé, la France est éternelle. Mais enfin, quand même, il s'est produit quelques modifications, qui permettent aujourd'hui d'espérer que la France va tenir toutes ses responsabilités dans la conduite du développement de l'Union européenne. Je vous remercie.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 28 novembre 2007