Texte intégral
J.-P. Elkabbach.- F. Chérèque, bonjour.
R.- Bonjour.
Q.- Le Président de la République a multiplié, hier, les hommages aux partenaires sociaux dont il a besoin pour réussir le programme de ses réformes. D'abord, est-ce que vous y êtes sensible ? Est-ce que c'est utile ?
R.- Ah, que dans notre pays on ait les responsables politiques qui disent très clairement : « on a besoin des syndicats pour réformer », ça n'a pas toujours été le cas. Donc c'est toujours intéressant, à condition, évidemment, qu'on nous laisse des espaces pour négocier sur les différents sujets que le Président de la République a annoncés et qu'il n'annonce pas lui-même la conclusion des négociations avant même qu'on les ait ouvertes.
Q.- Alors, c'est vrai qu'il propose une conférence sociale à la mi-décembre, un "Elysée social" qu'il présenterait lui-même. D'abord, c'est une idée de la CFDT. Est-ce que vous étiez prévenu, F. Chérèque ?
R.- On m'avait prévenu dans la journée qu'il ferait cette proposition-là. Je fais depuis maintenant trois mois la proposition de construire ce que j'appelle "un agenda social", qui est prévu par la loi : c'est-à-dire se réunir entre le Gouvernement, le patronat et les syndicats, pour définir les sujets de négociations et pour dire qu'est-ce que les syndicats et le patronat vont pouvoir négocier dans les mois qui viennent.
Q.- Donc, ça se passerait dans quinze jours. Vous allez y participer évidemment.
R.- Evidemment, oui !
Q.- Et la méthode est inattendue, inédite, elle a été proposée par vous, elle vous convient ?
R.- Oui, mais je tiens à préciser que je l'ai proposée tout simplement parce que dans la loi de modernisation du dialogue social qui avait été votée en janvier 2007, cette possibilité était donnée au Gouvernement et c'est intéressant que pour la première fois un Gouvernement la reprend.
Q.- Alors, l'agenda social 2008 - "l'Elysée social" -, les grandes réformes, les grands enjeux, qu'est-ce que vous y mettriez vous, F. Chérèque ?
R.- Le président de la République nous propose un certain nombre de sujets dont certains sont déjà sur la table des négociations. Il a parlé de la sécurisation des parcours professionnels, nous négocions déjà depuis trois mois sur ce sujet-là. Il a parlé de la représentativité syndicale, du financement des organisations syndicales : on a déjà décidé d'ouvrir ce sujet-là. Donc, tous les sujets qu'il a proposés, y compris le sujet du temps de travail et des sujets qui peuvent être discutés, je proposerai moi un sujet supplémentaire, puisqu'on a des grandes difficultés aujourd'hui dans les banlieues, en particulier avec les jeunes, qui ont des problèmes de formation, est-ce qu'on ne peut pas réfléchir à l'occasion de cet agenda sur un suivi, un accompagnement de tous ces jeunes pour la formation et pour l'emploi.
Q.- C'est intéressant parce que c'est la première fois aussi que de cette manière publique et forte un syndicat s'en occupe.
R.- Je vais partir, là, je suis sur la route de Sarcelles parce que j'avais décidé d'y aller depuis plusieurs mois. Il y a des problèmes d'emploi dans ces endroits-là, des problèmes de chômage fort, 30 % de chômage pour les jeunes à Villiers-le-Bel. Il faut qu'on donne une solution individuelle à chaque jeune pour qu'il ait un retour à l'emploi.
Q.- Alors, à partir de la stratégie du Président de la République avec F. Fillon, X. Bertrand pendant les récentes grèves, est-ce que sur le plan des principes, vous faites confiance à cet exécutif ?
R.- Je n'ai pas à choisir et à faire confiance ou pas à cet exécutif, c'est les Français qui l'ont choisi, donc je fais avec l'exécutif que les Français ont choisi, à condition évidemment, je l'ai répété, qu'il nous laisse des espaces de négociations. Je prends l'exemple des 35 heures dans les entreprises. Le Président de la République dit : « on va pouvoir y revenir ». Mais attention, on pourra y revenir à condition d'une part qu'on se mette d'accord au niveau national avec le patronat sur ces négociations-là, à condition qu'il y ait des sections syndicales dans les entreprises et qu'il y ait des accords majoritaires dans les entreprises.
Q.- Et quand il n'y aura pas de section syndicale dans l'entreprise, dans les moyennes et les petites, comment on fait ?
R.- Eh bien, il n'y aura pas d'accord. Je pense que dans notre pays, on ne peut pas d'un côté dire : « les syndicats sont responsables et je le reconnais », et de ne pas exiger que ces négociations se fassent avec des syndicats. A condition, pour la CFDT qu'on ne débatte pas uniquement des 35 heures, que l'on parle de l'emploi et qu'on réfléchisse sur un choix : « est-ce qu'on embauche ou est-ce qu'on augmente le temps de travail ? » parce qu'on ne veut pas augmenter le temps de travail contre l'emploi.
Q.- Là, c'est aussi le rôle des chefs d'entreprise. Et N. Sarkozy propose, je le cite, que « les entreprises qui rempliront les garanties requises puissent s'exonérer des 35 heures en échange d'une augmentation de salaires ». Cela veut dire échanger la réduction du temps de travail contre du revenu. Cela vous va sur le principe ou pas ?
R.- Mais, je viens d'en parler, c'est exactement de ça dont je parle. D'une part, nous ne souhaitons pas que les négociations salariales ne se fassent qu'autour des 35 heures. Je rappelle que dans toutes les petites entreprises, celles qui sont oubliées dans les propositions du Président de la République, qui n'ont pas les 35 heures, qui n'ont pas de compte épargne temps, qui n'ont pas de participation, il ne pourrait pas y avoir ces négociations-là, et on ne souhaite pas que la négociation sur les salaires se fasse uniquement sur le "travailler plus, gagner plus". Et on souhaite en plus qu'on réfléchisse au problème de l'emploi. On ne va pas augmenter le temps de travail contre l'emploi, c'est-à-dire qu'on laisserait de côté tous les chômeurs.
Q.- Dans cet Elysée social, on voit bien que vous allez parler aussi de la représentativité des syndicats, de leur financement, mais est-ce que vous voyez, F. Chérèque, dans ce catalogue de mesures précises une cohérence économique pour remettre, comme il dit, « du carburant à la croissance » ?
R.- La critique que je fais sur... il y a une cohérence évidemment, le Président de la République met sa démarche uniquement sur la relance de l'économie par la croissance. Or, nous savons très bien que cette relance par uniquement la croissance favorise les importations, c'est-à-dire la Chine, tous ces pays qui nous vendent des produits à bas prix. La critique que je fais et qui est principale sur la cohérence économique, c'est de ne pas assez investir dans notre pays sur l'investissement, la formation, l'innovation. La France a quinze ans de retard sur ces sujets-là, depuis quinze ans on ne fait pas les choix qui sont essentiels pour notre économie et notre industrie : l'investissement et la formation des salariés. Et ça, le Président de la République n'est toujours pas allé dans cette démarche-là.
Q.- Oui, on peut vous demander si les 3 % d'EDF, du capital d'EDF, consacrés à l'université, c'est bon ou ce n'est pas bon ? Cela jouera justement sur la recherche, l'innovation, l'encouragement aux chercheurs ?
R.- C'est la raison pour laquelle la CFDT ne s'est pas opposée à la loi sur l'autonomie des universités. Des investissements des entreprises dans les universités, dans la recherche, c'est une bonne chose, mais il faut aller d'une part beaucoup plus loin parce que c'est un retard massif que nous avons, et insister sur la formation des salariés. L'évolution des salaires doit se faire principalement par une meilleure qualification et un meilleur déroulement de carrière.
Q.- Merci F. Chérèque. Une dernière remarque : que le social soit ainsi traité à un niveau important et à cette place-là, est-ce que c'est inédit en France, est-ce que c'est un bon signe ou de bonne augure ?
R.- A partir du moment qu'on parle du social, c'est toujours un bon signe.
Q.- Ah oui !
R.- Et cette conférence, en tout cas cet agenda social que je réclamais depuis longtemps, le construire avec le Gouvernement et le président de la République, c'est une bonne démarche. Je répète, nous allons nous y investir. Mais attention, monsieur le Président de la République, ne décidez pas de la conclusion des négociations avant même de les avoir ouvertes.
Q.- Bonne visite alors dans les banlieues.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 novembre 2007