Déclaration de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques, sur des propositions de mesures incitatives à l'emploi des seniors, Paris le 29 novembre 2007.

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Circonstance : Colloque du Conseil d'orientation des retraites "Augmenter le taux d'emploi des seniors : les enseignements des expériences étrangères" à Paris le 29 novembre 2007

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d'ouvrir ce matin ce colloque du Conseil d'Orientation des Retraites consacré à l'activité des seniors. Sur un sujet aussi structurant, aussi sensible, aussi lourd de conséquences pour l'avenir, il est bon que les pays européens (qui affrontent tous le même défi démographique) confrontent leurs expériences. Il est bon en particulier que la France regarde un peu comment certains de ses voisins abordent la question.
Le défi démographique européen est bien connu -et ses causes sont bien identifiées :
. Taux de natalité en baisse -encore qu'il faille ici faire exception pour la France, qui affiche une natalité plus vive que celle de ses voisins !
. longévité accrue (de 5 à 10 ans pour les deux sexes par rapport à 1960) ;
. « papy-boom ».
Les conséquences économiques et sociales du phénomène se déduisent immédiatement :
. tensions sur les systèmes de retraites et de santé - et donc un accroissement des dépenses publiques sur ces postes ;
. risque de pénurie de main d'oeuvre, à terme.
Une fois posées les données du problème, nous le savons tous, il n'y a que trois leviers pour le résoudre :
- Le taux de cotisations - mais peut-on encore prendre le risque de renchérir le coût du travail ? Même si, à titre personnel, je suis convaincu qu'il nous faudra réfléchir à l'avenir du financement de la protection sociale.
- Le montant des prestations - mais personne ne peut envisager de réduire le montant des prestations et le pouvoir d'achat.
- Bref, il est clair que seul le troisième levier (la quantité de travail) est utilisable sans dommage pour l'économie : il faut travailler plus et plus longtemps !
C'est précisément l'action sur ce troisième levier qui nous porte à vouloir augmenter le taux d'emploi des seniors.
Car, avant même d'évoquer l'âge légal de la retraite, avant même de parler de l'allongement de la durée de cotisation, il faut commencer par se demander si le plus grand nombre de personnes ayant plus de 55 ans travaillent ! Nous savons tous que ce n'est pas le cas en France. Nous avons certes fait des progrès ces dernières années, mais il reste encore beaucoup de chemin.
Avec un taux d'emploi de 37,8 % pour les 55-64 ans en 2005, notre pays se situe très en dessous de la moyenne européenne (42,5 %) et loin de la cible de 50 % en 2010, fixée au niveau communautaire (sans parler d'un certain nombre de pays, par exemple la Suède avec 69 %!)
Mais je ne voudrais pas, en tenant ce propos, laisser s'installer une ambiance de contrainte, de douleur et de sacrifice autour de la question de l'emploi des seniors !
Je crois que le travail des seniors n'est pas seulement une exigence économique ni un impératif comptable ! C'est aussi et avant tout une grande chance.
Car au fond, ce qui nous réunit ce matin, c'est une bonne nouvelle : nous vivons plus longtemps, et en bonne santé !
Naturellement, il s'agit d'une moyenne, qui masque des écarts et des inégalités. Je n'oublie pas que la pénibilité des professions fait une grande différence. Ainsi l'espérance de vie d'un ouvrier à 35 ans, est de 7 ans inférieure à celle d'un cadre !
Mais il n'en demeure pas moins vrai que nos mentalités ont avancé moins vite que notre espérance de vie.
Nous gardons en tête les anciens repères chronologiques, qui voulaient qu'à soixante ans, on ne pouvait être que retraité. Mais c'était il y a 30 ans ! Depuis, nous avons gagné 7 ans d'espérance de vie. Et nous continuons de gagner un trimestre tous les ans.
Pendant de longues années, nous avons fait fausse route, en encourageant le départ anticipé des seniors, en prônant l'idée qu' « un senior de moins c'est un jeune de plus », bref, que la solution au chômage résidait dans une réduction de l'activité. Notre décrochage en matière d'activité des seniors date d'ailleurs des années 80, où nous avons appliqué cette logique.
Désormais nous le savons bien : le départ en retraite d'un salarié n'est pas la condition du recrutement d'un jeune. Maintenir un salarié dans l'emploi, c'est accroître la richesse produite et c'est créer du pouvoir d'achat.
C'est dans cet esprit qu'ont été conçus la réforme des retraites de 2003 et le Plan national d'action pour l'emploi des seniors, qui fixe à la France des objectifs ambitieux.
Pour les atteindre, le gouvernement est déterminé à supprimer tous les verrous fiscaux, sociaux et réglementaires qui pénalisent ceux qui veulent continuer à travailler et qui incitent les entreprises à négliger une gestion intelligente et prévisionnelle de leurs ressources humaines.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 en témoigne :
. il décourage fiscalement les préretraites
. il pénalise fiscalement les mises à la retraite d'office.
Car les Français ne comprendraient pas que l'on augmente la durée de cotisation, alors même que l'on empêche les plus de 60 ans de continuer à travailler, et que les quinquagénaires sont encore trop souvent écartés des entreprises (ou ont les plus grande difficultés à y rentrer quand ils ont connu le chômage) !
Pour éviter cette contradiction, nous devons réfléchir aux meilleurs moyens de lever les verrous que j'évoquais il y a un instant. Pour cela, la réflexion que vous allez mener ce matin nous sera très précieuse. Il importe en effet d'observer comment s'y prennent les pays qui réussissent, quels sont les dispositifs transposables chez nous, quelles sont les limites, aussi, des solutions étrangères.
Je me bornerai ce matin, sans préjuger de vos travaux, à suggérer quelques pistes, tirées d'expériences étrangères. Elles me paraissent de trois catégories :
. les réformes administratives ;
. les incitations financières ;
. les campagnes visant à changer les mentalités.
Quelques réformes administratives efficaces :
. Éliminer toute politique discriminatoire : en pratique, ceci signifie notamment que les offres d'emploi ne devraient plus contenir de mention d'âge, comme aux Pays-Bas.
. limiter au maximum les entraves au cumul emploi-retraite après l'âge officiel de la retraite (c'est ce qu'a fait la Suède).
. Créer des régulations flexibles du travail, adaptées aux seniors, comme chez nos partenaires nordiques (sur ce point nous pourrions nous interroger sur le peu de succès du « CDD senior » français (d'une durée maximale de 3 ans) réservés aux plus de 57 ans - la mesure partait a priori d'une bonne intention, pourquoi ne fonctionne-t-elle pas ?)
Quelques exemples d'incitations financières :
. augmenter le montant de la retraite pour les départs différés (jusqu'à 40 % supplémentaires pour ceux qui choisissent de prendre leur retraite après 65 ans en Finlande, et jusqu'à 52 % en Suède), ou bien encore réduire les taux de prélèvement pour les travailleurs seniors (comme aux Pays-Bas).
. Introduire des incitations financières pour les employeurs : réduire les charges d'assurance maladie pour chaque employé de plus de 55 ans qui aura été embauché (comme aux Pays-Bas), réduire les charges sociales de 50 % au moment de l'embauche d'un senior de plus de 60 ans (comme en Espagne). Et je ne cite que pour mémoire la mesure plus radicale encore, prise aux Pays Bas et en Espagne, qui consiste à exempter les employeurs de toutes charges sociales pour l'embauche d'un senior de plus de 65 ans.
Faire évoluer les mentalités
. Changer les attitudes des employeurs : lancer des programmes de promotion spécifiquement adressés aux employeurs (en tant que créateurs d'emplois) ; ces programmes consistent à informer d'une manière détaillée des bénéfices pour l'entreprise d'un employé senior (cela se fait en Suède, Pays-Bas et Royaume-Uni).
Enfin,
. Stimuler l'apprentissage à tous les âges, ce que nous appelons la formation tout au long de la vie : lancer de nombreux programmes d'éducation et d'apprentissage à plusieurs niveaux (diplômes primaires et secondaires pour adultes, cours de langue, apprentissage spécifique pour changer de métier - comme le font les Suédois) et supprimer l'âge maximal pour l'adhésion à de tels programmes (comme en Finlande).
Pour accélérer le changement des mentalités, le gouvernement devrait d'ailleurs lancer, début 2008, une grande campagne de sensibilisation sur l'emploi des seniors.
Mais je ne voudrais pas empiéter sur le temps que vous allez passer aujourd'hui à approfondir toutes ces pistes.
Je vous remercie et souhaite une pleine réussite à cette journée de travail !Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 3 décembre 2007