Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, à "RMC" le 3 décembre 2007, sur les relations franco-algériennes de la colonisation à aujourd'hui, les Français de l'association "Arche de Zoé" détenus au Tchad et sur l'audiovisuel extérieur français.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- J.-M. Bockel bonjour. Vous partez à 13 heures pour l'Algérie avec le président de la République N. Sarkozy. On parlera tout à l'heure de la "Gauche moderne", on parlera de S. Royal, on parlera des rapports S. Royal et F. Bayrou, on parlera... enfin bon, de beaucoup de sujets. Mais je voudrais que nous commencions avec l'Algérie. Oui ou non, la France doit-elle faire preuve de repentance vis-à-vis de l'Algérie ? Oui ou non, doit-on fournir des excuses à l'Algérie sur ce qui s'est passé entre 1830 et 1962 ?
 
R.- Bien sûr que non, il faut arrêter avec ça. Le crois que le président de la République a la bonne attitude consistant, comme il l'avait fait à Dakar, à dire tout ce qu'il y a pu avoir de négatif dans la colonisation, et tout en considérant que cette page d'histoire, que ce soit avec l'Algérie, que ce soit avec le reste de l'Afrique, enfin tous les pays qui ont été colonisés, c'est à la fois donc une condamnation claire de tout ce que la colonisation a pu avoir de négatif, et en même temps considérer que maintenant c'est l'histoire et c'est une histoire partagée, chacun doit prendre sa part de cette histoire. Vous savez, pour la petite histoire, mon père...
 
Q.- En quoi c'est gênant de faire acte de repentance J.-M. Bockel ?
 
R.- Je pense que passer sa vie à...
 
Q.- L'Allemagne, par exemple, a bien fait acte de repentance !
 
R.- C'est une autre question. Les précédents et le précédent président a fait également ce qu'il fallait par rapport à Vichy. C'est une autre question. Mais s'il faut dire par-là que tout ce qui s'est passé depuis 1830 relève de crimes, bien sûr que non. Je crois que le président de la République, chaque fois qu'il s'est exprimé là-dessus, a dit clairement ce qu'il fallait condamner, ce qu'il fallait considérer comme extrêmement négatif, ça c'est fait, ça a été fait. Ensuite, vouloir considérer comme négatif ou comme mettre à notre débit tout ce qui s'est fait pendant cette période, mais les Algériens eux-mêmes... laissons de côté un certain nombre de discours convenus, laissons de côté un certain nombre de discours politiciens ou même des tensions internes à tel ou tel pays, mais les Algériens eux-mêmes, et y compris les Algériens qui vivent en France ou les Français d'origine algérienne, ils font la part des choses. Et je pense qu'aujourd'hui, il faut faire la part des choses tout simplement. Une chose est la colonisation, une autre chose est ce qu'ont pu apporter de génération en génération un certain nombre d'enseignants, un certain nombre de paysans, d'administrateurs qui ont apporté des choses...
 
Q.- C'est de l'histoire ancienne pour vous ?
 
R.- Non, ce n'est pas de l'histoire ancienne, c'est une histoire partagée, c'est une histoire récente. Mon père a fait partie de l'armée d'Afrique, donc il a débarqué à Saint-Tropez en août 44, et il était avec des soldats - lui c'était un jeune chef de section dans le génie - qui étaient tous ou pieds-noirs ou nord africains. Ils ont libéré la France, c'est une histoire partagée. Mon grand-père a été entre 43 et 45, parce qu'il n'était pas Pied-noir mais il a été chassé par les nazis d'Alsace où il était homme politique, il était de 43 à 45 premier adjoint au maire d'Oran. Et moi, j'étais un jeune garçon dans les années 60, 62, ma grand-mère a recueilli quelqu'un de famille qu'on avait connu pendant la guerre qui était revenu avec les Pieds-noirs. Donc, je veux dire c'est notre histoire récente, c'est des choses qui nous lient aussi aujourd'hui.
 
Q.- Lors pourquoi des relations encore difficiles parfois avec l'Algérie, selon vous J.-M. Bockel, pourquoi ?
 
R.- Parce que d'abord, l'histoire est récente, ensuite parce qu'il y a eu quand même cette période de guerre d'indépendance côté algérien, il y a eu la tragédie pied-noire, donc c'est une histoire qui est faite aussi de tragédies, de déchirures, de moments extrêmement durs. Il y a eu également le drame des Harkis...
 
Q.- Toujours pas de traité d'amitié entre la France et l'Algérie, toujours...
 
R.- Ecoutez, je veux dire de deux choses l'une : ou bien l'Algérie demande un traité d'amitié et on peut discuter, ou elle considère que ce n'est pas une bonne idée, et à ce moment-là on peut faire des choses ensemble sans signer un traité. Ce qui compte c'est la réalité de l'amitié, et aujourd'hui la visite d'Etat du président N. Sarkozy, accompagné de responsables politiques, d'élus, de chefs d'entreprise, eh bien ça va être la réalité de cette amitié d'aujourd'hui.
 
Q.- Donc aujourd'hui on passe à autre chose, si j'ai bien compris J.- M. Bockel ?
 
R.- Ça fait un certain temps déjà, mais je pense qu'aujourd'hui on le fait de manière claire, décomplexée, respectueuse. Je pense que ce qui compte aujourd'hui dans cette nouvelle relation, c'est un état d'esprit qui ne nie pas l'histoire mais qui regarde vers l'avenir.
 
Q.- Ce qui compte aujourd'hui, c'est que l'Algérie est riche, c'est que l'Algérie produit beaucoup de pétrole et beaucoup de gaz surtout, et qu'on a besoin de ce gaz aussi, J.-M. Bockel !
 
R.- Oui, l'Algérie a aussi besoin...
 
Q.- Que les choses soient claires...
 
R.- Non mais c'est normal, c'est nos intérêts. Nous avons besoin d'eux, ils ont besoin de nous.
 
Q.- Exactement. Parlons du Tchad, et je voudrais quand même vous poser une question à propos de l'Arche de Zoé, ces militants de l'Arche de Zoé et pas qu'eux puisque parmi eux, il y a par exemple un médecin qui n'était pas membre de l'Arche de Zoé qui sont toujours retenus au Tchad. Le président de la République avait dit « j'irai les chercher ». On va aller les chercher ou pas ?
 
R.- Déjà, on ne les laisse pas tomber, déjà nos diplomates qui sont présents N'Djamena...
 
Q.- On n'en parle plus...
 
R.- On n'est pas obligé d'en parler tous les jours, franchement la surmédiatisation de cette affaire a duré ce qu'elle a duré. Il est préférable aujourd'hui pour les aider, quelles qu'aient pu être leurs fautes et leurs erreurs, et elles furent grandes, ce qui compte aujourd'hui c'est que nous puissions travailler tranquillement, dans la sérénité. Tous les jours, on est à côté d'eux. Le moment venu, il faudra qu'ils aillent en France ou qu'ils soient jugés, on n'en est pas encore là...
 
Q.- Jugés en France ?
 
R.- On n'en est pas encore là, on verra ce qu'on peut faire. Moins on en parle mieux c'est, mais on ne les laisse pas tomber et on est à leur côté et leurs proches le savent.
 
Q.- Pas toujours, pas toujours parce que j'avais ce matin la femme du médecin, Van Winkelberg, qui est sur place et qui nous disait qu'elle n'avait plus de nouvelles des autorités françaises...
 
R.- Des autorités françaises, je peux vous dire que les diplomates français qui sont sur place, les médecins également qu'on a mis y compris psychiatres, etc., on s'est occupé de la question des repas, enfin je veux dire on en est à s'occuper des moindres détails...
 
Q.- Vous avez amélioré leurs conditions de détention !
 
R.- Voilà, mais on ne fait pas que ça naturellement, on est également en contact avec les autorités. Mais c'est un pays compliqué le Tchad, je veux dire, si on est sous les projecteurs, si on fait des grandes déclarations, c'est un pays souverain aussi, on ne fait pas avancer les choses...
 
Q.- L'opposition tchadienne qui vous reproche d'appuyer l'armée tchadienne, vrai ou faux ?
 
R.- Ecoutez, nous...
 
Q.- Est-ce que les militaires français interviennent, appuient l'armée tchadienne dans...
 
R.- Là, nous sommes sur un autre sujet que l'Arche de Zoé, on est d'accord, donc l'armée française est à N'Djamena, l'armée française est dans un certain nombre de régions d'Afrique une force de paix, une force de stabilité. Il faut savoir qu'il y a dans les pays subsahariens, que ce soit le Tchad ou d'autres pays proches, des facteurs de guérilla, de déstabilisation, nous avons des accords, nous les respectons, l'armée française respecte un certain nombre de principes, donc l'armée française ne fera jamais n'importe quoi. Nous avons également des accords avec l'armée tchadienne, nous les respectons et nous souhaitons que le Tchad aille dans la voie du développement, de la démocratie et du respect des droits de l'homme.
 
Q.- J.-M. Bockel, je change complètement de sujet, je vous parle de l'audiovisuel extérieur français : France 24, TV5 Monde, RFI vont donc se rapprocher dans une holding qui va pouvoir mutualiser tous les moyens. Comment va s'appeler cette holding, vous savez comment... France Monde ?
 
R.- France Monde, ce qui dit bien ce que ça veut dire sur l'objectif de cette démarche. Nous avons un double souci : si l'audiovisuel extérieur français ne se modernise pas, il meurt, avec les nouveaux médias, les nouvelles technologies qui sont en train de se développer, TV5 Monde, si on ne bouge pas, si on ne se modernise pas, dans 3, 4, 5 ans, on va mourir en bonne santé. C'est ce que j'ai dit lors de la réunion de Lucerne début novembre à nos partenaires canadiens, québécois, Communauté française de Belgique, je leur ai dit... Les Suisses. Suisses bien sûr, parce que c'est eux qui nous accueillaient, et je leur ai dit et ils en sont d'accord : nous allons respecter la spécificité de TV5 Monde, son titre, sa gouvernance car c'est une réussite, mais nous devons évoluer et c'est l'ensemble de notre audiovisuel extérieur qui doit évoluer. Donc ça aura des incidences sur TV5 Monde, notamment cette marque holding dont vous avez parlé. Nous allons avancer de manière consensuelle, étape par étape, mais on ne peut pas avoir un consensus qui nous empêche de bouger. Donc c'est le message que j'ai fait passer...
 
Q.- Pour créer un CNN à la française...
 
R.- Ce n'est pas seulement ça, il y a plusieurs aspects, par exemple RFI a sa spécificité, c'est un réseau extraordinaire, on se rend bien compte que là aussi nous devons peut-être nous recentrer sur un certain nombre de continents davantage, on ne peut pas trop se disperser. Mais en même temps il faut garder cette force avec la dimension également Internet. TV5 Monde c'est formidable, c'est apprécié, mais on ne peut pas non plus forcément porter toute une série de journaux de manière distincte et autonome sans, à un moment donné, mettre en réseau tous les moyens humains, toutes les capacités que nous avons. Il faut également qu'on s'adresse davantage à certains publics, aux jeunes, il faut qu'au niveau de France 24, nous ayons la possibilité de développer d'autres langues, on est très peu présent en langue arabe alors que c'est une opportunité, que nous sommes attendus, c'est un exemple parmi d'autres... et comme nos moyens ne sont pas illimités, comme le potentiel est important, eh bien ! Il faut évidemment faire évoluer tout ça, et je crois que les choses maintenant avancent résolument.
 
Q.- J.-M. Bockel, notre invité ce matin, on vous retrouve dans deux minutes. [...]
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 décembre 2007