Déclaration de Mme Fadela Amara, secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville, sur les trois axes principaux pour aider les quartiers dits "sensibles" : l'accès à l'emploi, l'ouverture des quartiers, l'éducation, Perpignan le 12 novembre 2007.

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Circonstance : Rencontres territoriales de Perpignan le 12 novembre 2007

Texte intégral

Monsieur le Sénateur-Maire, Mesdames, Messieurs les élus, Mesdames, Messieurs les responsables d'associations, membres de la société civile et agents publics, Mesdames Messieurs, Très chers amis,
Avant toute chose, je veux vous dire combien je suis heureuse d'avoir pu répondre à votre invitation, Monsieur le Sénateur Maire, et de me retrouver parmi vous aujourd'hui, à Perpignan, pour participer à cette journée de travail consacrée à la politique de la ville.
Je tenais à être parmi vous aujourd'hui et ce, pour plusieurs raisons. .D'abord pour vous rendre hommage, Monsieur le Sénateur Maire. Vous rendre hommage pour toute votre action, tant au niveau local que national, au service de la politique de la ville.
En tant que maire, vous vous êtes engagé de toutes vos forces dans une politique volontariste de rénovation urbaine de vos quartiers et d'amélioration du lien social dans l'intérêt des habitants. Deux années après les événements douloureux que la ville a connus dans le quartier Saint-Jacques, les plaies commencent à être pansées et le vivre ensemble redevient une réalité grâce à vos efforts.
En tant que membre du Conseil national des Villes, vous avez contribué à faire avancer la réflexion sur cette politique noble, utile, mais devenue au fil des années trop complexe et trop diluée, par manque de priorité politique. J'y reviendrai dans quelques instants. Je veux, d'ores et déjà, vous dire que dans ce domaine, votre expertise et votre pragmatisme d'élu de terrain doivent être pris en compte à leur juste valeur.
En tant que Président de l'Agence Nationale de rénovation Urbaine, vous avez contribué à ce que j'appelle l'aventure la plus ambitieuse de ces dernières années en matière de politique de la Ville. Le programme national de rénovation Urbaine est une grande réussite. On le doit au génie de jean-Louis BORLOO, à l'efficacité et à la force de travail de son Directeur Général, Philippe VAN DE MAELE, mais aussi à votre engagement et à votre mobilisation à la tête de cette agence.
Pour tout cela, je veux publiquement vous remercier et vous dire que le combat n'est pas terminé.
Il n'est pas terminé parce que, vous le dîtes vous même depuis longtemps, et de nombreux rapports l'ont souligné, le dernier en date étant celui de la Cour des Comptes, la politique de la ville doit être rénovée en profondeur.
La politique de la ville concerne en effet des quartiers, des habitants (plus de 5 millions dans tout le pays, soit 8% de la population française) qui relèvent de dispositifs spécifiques depuis plus de 20 ans. Beaucoup a été fait, mais regardons les choses en face : la paupérisation a progressé ; l'exclusion n'a pas reculé. Dans ces quartiers, ils sont deux fois plus nombreux qu'ailleurs à être au chômage, à connaître l'échec scolaire à ne pas avoir de perspectives d'avenir.
Au fil des années, on a empilé des dispositifs sans faire de vrais bilans, sans se fixer de priorités, dans le seul but de montrer qu'on s'occupait de ces quartiers.
Les résultats, on les connaît depuis trop longtemps :
Une politique de la ville compliquée, illisible : des sigles en pagaille, faits par et pour des énarques.
Des zonages superposés qui ne veulent plus rien dire, tellement nombreux qu'on ne sait pas quels sont les sites prioritaires sur lesquels il faut mettre le paquet.
Des acteurs trop nombreux qui se marchent sur les pieds.
Une culture de l'évaluation et du résultat quasi inexistante, etc etc.
Ce rapport de la Cour des Comptes, le deuxième en cinq ans, pose question. Il est sévère. Il ne me surprend pas. Cela fait longtemps qu'en tant que militante associative, je dénonce tout cela. Maintenant en situation de responsabilité, je dois agir. Il y a urgence. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut, pour autant, faire l'impasse sur la concertation.
L'avenir des villes et, surtout, l'avenir des quartiers que l'on dit « sensibles » - je préfère dire « prioritaires » - passera par les premiers concernés : par les habitants, par les associations, par les entreprises, qui ont choisi d'y prospérer, par les élus qui vous accompagnent ; bref, par le terrain.
C'est pour cela que je veux entendre votre avis, connaître vos bonnes pratiques, en allant, à chaque fois que possible, vers vous, chez vous.
Vous le savez, le Président de la République veut engager un vaste plan Marshall pour les quartiers.
Il nous a demandé, à Christine BOUTIN, Ministre du Logement et de la Ville, et à moi-même, de travailler sur ce projet, ce que nous faisons déjà depuis deux mois.
Tous les Ministres sont déjà mobilisés et quelques idées font leur chemin. Trois axes principaux ont été arrêtés :
- L'accès à l'emploi ; il faut mobiliser tous les dispositifs d'aide à l'emploi qui existent ; il y en a beaucoup, plus d'une vingtaine ! Tout cela doit être simplifié et adapté à la situation des demandeurs. Il faut aussi que les entreprises et les demandeurs d'emploi des quartiers se trouvent. Mon objectif, ce n'est pas de donner un emploi aidé à un jeune qui est déjà passé par toutes les formes possibles et imaginables d'insertion. Ce que je veux, c'est convaincre les entreprises qu'elles gagnent à embaucher ces jeunes qui ont un potentiel, malgré leur couleur, leurs origines ou leur adresse ; et convaincre tous ces jeunes qu'ils ont une place à prendre et qu'aucune porte ne leur est fermée.
- L'ouverture des quartiers ; c'est ce que j'ai appelé au Conseil des Ministres du 7 septembre dernier le désenclavement. Trouver un boulot, c'est une chose, mais ça ne sert à rien si on ne peut pas s'y rendre. Le besoin de mobilité des jeunes des quartiers, qui sont souvent loin de tout, est réel. Agir dans ce sens, c'est aussi casser l'enfermement des quartiers, casser la dynamique de l'entre soi. C'est, au bout du compte, casser les frustrations, les rancoeurs et les préjugés, d'un côté comme de l'autre.
- L'éducation ; c'est essentiel. Cela veut dire la formation, initiale, qualifiante. Cela veut dire l'éducation au respect, pour que le vivre ensemble redevienne un plaisir et une réalité. Cela veut dire l'implication des parents dans la construction de leur enfant et dans sa bonne préparation de sa vie d'adulte.
Et on peut aussi parler de la santé, du droit à la sécurité pour tous, ou de la lutte contre toutes les formes de discrimination, autant de chantiers qui sont loin d'être terminés.
Pour ma part, je suis convaincue que l'uniformité n'existe pas. La réalité est différente d'un quartier à l'autre. En m'appuyant sur les bonnes pratiques, je veux faire une politique de la ville sur mesure, je veux faire « de la dentelle ».
Déjà, pour entendre ceux qui échappent la plupart du temps aux circuits traditionnels, j'ai ouvert, en collaboration avec la radio Skyrock, un blog dédié aux plus jeunes, les 16/25 ans, ceux qui aujourd'hui et demain, ont le plus besoin d'écoute, de soutien, d'accompagnement vers l'autonomie.
Je peux vous dire que les plus de 130.000 visites et 12.000 commentaires que j'ai reçus sur ce blog depuis son ouverture me confirment que la jeunesse de ce pays a une voix à faire entendre. Elle a des idées, des peines, des espoirs, que nous tous, responsables politiques, devons prendre en compte.
Comprenez moi bien : il ne s'agit pas pour moi d'écrire un énième plan qui colmatera les brèches et justifiera ma nomination au gouvernement.
Je veux véritablement changer la donne. Le désespoir est trop lourd. Beaucoup, dans ces quartiers, n'y croient plus. Beaucoup ont perdu confiance, se sont résignés. La République est en train de perdre une partie de ses enfants et, si rien n'est fait, ils se retourneront contre elle, comme ils l'ont fait, il y a quasiment deux ans jour pour jour, poussant un véritable appel au secours, dont je ne veux pas croire qu'il n'a pas été entendu.
C'est pour cela que j'ai engagé ce que certains appellent «le tour de France des banlieues». Pas pour faire une énième concertation. Non. Pour entendre ceux que l'on a trop souvent négligés. Pour mobiliser au delà des interlocuteurs habituels de l'Etat. Pour montrer que si l'on veut faire bouger réellement les lignes, il faut que tout le monde s'engage.
En faisant cela, je suscite beaucoup d'espoir. J'en ai conscience. Je n'envisage pas une seule seconde de décevoir cette attente.
Le plan définitif devra être à la hauteur de cette espérance. Depuis maintenant presque deux mois que je parcours le pays, j'ai acquis une certitude : si chaque quartier a sa particularité, les mêmes causes provoquent les mêmes effets.
J'entends vos propositions : sur la simplification des aides à l'embauche, sur le rapprochement de l'offre et de la demande d'emplois, sur le renforcement de la médiation sociale, sur la facilitation de la création d'entreprise, sur l'adaptation des méthodes de travail de l'éducation nationale, sur l'effort à porter sur le désenclavement des quartiers... J'entends tout cela. Et je le prendrai en compte dans mon projet.
Je le dis tout net : le futur plan s'inscrira dans une logique de continuité, mais aussi de simplification et d'efficience. Après la rénovation urbaine, je veux engager la rénovation sociale des quartiers.
Nous ferons ce qu'il faut pour que les jeunes éloignés de l'emploi soient suivis au plus près de leurs besoins, jusqu'à l'emploi.
Nous ferons ce qu'il faut pour que l'éducation des enfants des cités soit orientée vers l'excellence.
Nous ferons ce qu'il faut pour que les cités ne soient plus enclavées et bénéficient de transports en commun au même titre que les autres quartiers.
Mais en plus de tout cela, je veux agir sur la gouvernance, et en finir avec cette politique de la ville sclérosée.
Je veux une politique de la ville réellement pilotée au niveau national, impliquant au premier chef tous les membres du Gouvernement et, avant tout, les administrations de droit commun.
Je veux une politique de la ville pilotée efficacement au niveau local, autour du binôme « préfet-maire ». C'est en renforçant leurs pouvoirs que l'on arrivera à lutter efficacement contre les égoïsmes territoriaux et les lobbies de toutes sortes. Le maire et le Préfet doivent pouvoir agir sur l'augmentation des loyers des logements sociaux, sur les affectations de logement et la mixité sociale, etc. Ils doivent avoir plus de moyens, pour coordonner l'action des services sociaux sur le territoire, pour lutter efficacement contre les marchands de sommeil, etc etc.
Je veux, comme la Cour des Comptes, en finir avec la fixation territoriale. Je veux un zonage simplifié, compréhensible et, surtout, qui favorise la sortie du ghetto. Nous sommes en 2007 et il y a autant de Zones Urbaines Sensibles qu'en 1996, année de leur création. Dans le même temps, on a créé les ZFU, les ZUP, les ZRU, les zones ANRU, les zones CUCS,... On a augmenté le nombre de ZEP... Et pourtant, la situation des gens de ces Z.E.E. - Zones Etiquetées Eternellement -, et bien leur situation n'a pas évolué. Vous trouvez cela normal ? Moi, non. C'est pour cela que je propose de créer un code couleur pour les quartiers. Un code qui permette de mettre le paquet sur les sites les plus difficiles et d'en mesurer l'évolution, jusqu'à la sortie de la politique de la ville. Loin de stigmatiser, ma proposition vise au contraire à en finir avec les étiquettes.
Je veux respecter les acteurs associatifs. Je veux contractualiser avec ces piliers du vivre ensemble, qui tricotent le lien social au quotidien ; systématiser les conventions d'objectif, pluriannuelles pour leur éviter de courir la moitié de l'année derrière les subventions. Mais je veux aussi les responsabiliser davantage en contrepartie ; renforcer l'évaluation annuelle et le partenariat.
Vous le voyez, j'ai mes propres idées. Mais ce ne sont que les miennes. Moi, ce sont les vôtres que j'attends. Ce sont vos propositions que je veux entendre. C'est pour cela qu'ici, à Perpignan, comme partout en France, depuis un peu plus d'un mois et jusqu'à la fin novembre, les habitants et forces vives des quartiers sont appelés à s'exprimer.
Les plus de 300 rencontres territoriales que j'ai demandé aux préfets d'organiser d'ici la fin du mois dans tout le pays, en métropole et outre mer, doivent être l'occasion d'une grande expression populaire.
C'est après cette phase de concertation que les axes prioritaires du futur plan seront présentées au Président de la République, dans le cadre d'une grande conférence associative, qui pourrait se tenir au début de l'année prochaine.
Le Plan définitif, auquel vous aurez contribué, pourra alors être approuvé.
Il s'agira d'une première étape d'un grand mouvement de réforme qui nous engage tous. Après l'approbation du plan et des grandes lignes de cette nouvelle politique, je reviendrai vous voir, pour examiner avec vous, la manière dont votre ville s'appropriera les nouveaux dispositifs.
C'est cela, faire du sur mesure : agir au plus près des besoins.
Par sa méthode, par le contexte dans lequel il s'inscrit, par la dynamique de réforme engagée par le gouvernement, nous pouvons saisir là une formidable occasion de rendre la politique de la ville encore plus efficace, ici dans les Pyrénées Orientales comme ailleurs.
Je vous remercie
source http://fadela-amara.net, le 28 novembre 2007