Texte intégral
Q - Une rencontre exceptionnelle entre le président de la République, M. Jacques Chirac, et le chancelier fédéral, M. Gerhard Schröder, a eu lieu mercredi dernier. Les relations franco-allemandes après le Sommet de Nice sont-elles tellement dégradées qu'il en devient nécessaire de s'expliquer ?
R - Je crois qu'après la Présidence française de l'Union Européenne il était temps de dresser un état des lieux. Les relations entre les deux pays sont bonnes, mais il est également important de discuter clairement des choses qui ne vont pas très bien. Ou encore, pour reprendre une expression du chancelier Schröder : Nous devons essayer de redéfinir notre relation sur une base raisonnable et loyale.
Q - A quoi cette nouvelle définition doit elle ressembler concrètement selon vous ?
R - Il faut avant tout discuter de la manière d'aborder les questions essentielles concernant l'avenir de l'Union européenne. L'Allemagne et la France doivent essayer d'harmoniser leurs positions sur ce point. Les thèmes importants de l'Europe de demain sont bien sûr l'élargissement de l'Union et la Politique agricole commune qui y est liée. Le problème de l'ESB montre justement qu'un recentrage pragmatique est inévitable. Ensuite, se posent, bien entendu, de nombreuses questions de politique étrangère : quelle position l'UE doit-elle adopter face à la Russie ou face à la nouvelle administration américaine ? Il y a donc de nombreux domaines dans lesquels il est nécessaire de travailler en commun. Je suis toutefois persuadé qu'il sera possible de rapprocher les points de vue, sans négliger les intérêts spécifiques de l'Allemagne et de la France.
Q - L'un des domaines que vous venez d'évoquer a-t-il été abordé lors de la rencontre de Strasbourg ? A-t-on discuté de voies concrètes pour l'avenir ?
R - Tel n'était pas le rôle de la rencontre. Il ne s'agissait pas de travailler sur certains thèmes, mais il s'agissait d'une explication, disons d'ambiance. Il était question de l'esprit que nous devions donner à cette nouvelle définition des relations. Les deux parties ont perçu la discussion de Strasbourg comme le premier contact ouvert et chaleureux. C'est pour cela que nous avons décidé, à la demande du chancelier, d'entretenir cette relation en nous retrouvant ainsi toutes les 6 à 8 semaines.
Q - Qu'est ce que cela signifie pour la pratique des relations entre Paris et Berlin ?
R - Cela signifie que lors de la prochaine rencontre nous aborderons peut-être un peu plus les problèmes en soi. Mais il s'agit surtout pour l'instant de dissiper de nombreux doutes. Il faut se parler franchement. Peut-être qu'une nouvelle dynamique de travail se développera ainsi. Toutefois, nous devrions éviter d'aborder trop rapidement les thèmes trop délicats. Pour cela, un travail préparatoire commun est nécessaire des deux côtés.
Q - Le chancelier Schröder réclamait récemment de Paris la reconnaissance d'une "Europe de l'intégration", cela signifie également une répartition des compétences en faveur de Bruxelles. La France privilégie toutefois une "Europe des nations". La confrontation est inévitable sur ce point.
R - Je ne le crois pas. Si nos amis allemands parlent d'une Europe intégrée, ils n'en négligent pas pour autant les intérêts de l'Allemagne ou ceux de leurs propres Länder. Je trouve cela tout à fait normal. Cela ne me pose aucun problème. Et quand les français demandent la prise en compte des spécificités nationales, ils ne récusent pas pour autant la composante fédérale de l'Europe de demain. Je pense que l'on peut aborder cette grande discussion autour de l'architecture future de l'UE sans tabous.
Q - La discussion autour d'une constitution européenne également ?
R - Je dis oui sans hésiter à une constitution européenne, dont le préambule pourrait se constituer de la charte des droits fondamentaux adoptée à Nice. Mais attention ! Une constitution peut être tout ou rien. Pour les uns il ne s'agit que d'une simple reformulation des traités, pour les autres il s'agit d'une véritable redéfinition des compétences.
Q - On parle beaucoup en Europe de l'approfondissement politique de l'union, d'une part. D'autre part, c'est l'élargissement qui est à l'ordre du jour. Peut on solutionner cette contradiction selon vous ?
R - En fait, nous connaissons ces contradictions depuis le début des années 90. Nous ne devons pas oublier que l'élargissement de l'Union est un devoir historique dont le succès nous apportera à tous des avantages. D'un autre coté, il nous faut voir que l'élargissement change l'identité de l'Union et qu'il comporte un danger d'affaiblissement. Et c'est justement pour cela qu'il va nous falloir réfléchir à une nouvelle architecture pour l'Union. Il y a déjà plusieurs concepts prêt à ce sujet. On parle d'un noyau dur avec certains points fort ou une géométrie variable. Nous essayons de réussir les deux : approfondissement et élargissement.
Q - Et si cela ne fonctionne pas ?
R - Si nous nous satisfaisons des règles et des dispositions actuelles à l'avenir, sans aucune volonté de réforme même pour une Europe à 30, alors Mme Thatcher aura en quelque sorte gagné à posteriori. L'Europe ne serait plus alors qu'un grand marché intégré, une zone de libre-échange. Je ne considérerais pas cela comme un progrès.
Q - L'Allemagne souhaite qu'après le sommet de Nice, on reparle rapidement des problèmes pendants, tels que le fédéralisme et les décisions à la majorité. Cette précipitation rencontre peu d'écho en France. Comment vous imaginez-vous concrètement le processus post-Nice ?
R - La perception que Paris essaie de retarder le processus est certainement fausse. Je dois faire deux remarques à ce sujet. Premièrement, Nice ne remonte qu'à peine à 6 semaines et ce sommet était l'aboutissement d'environ 10 ans de travail institutionnel. Deuxièmement, nous avons déjà décider d'une nouvelle conférence pour 2004, conformément au souhait des allemands. En définitive, nous ne devons pas dire en 15 jours ce que nous prévoyons. Si nous devons discuter, faisons-le. Mais, cette discussion ne doit pas se limiter au niveau gouvernemental. Il faut qu'il y ait un débat important au sein de la société. Nous souhaitons ce débat à tout prix sans lui imposer de contraintes temporelles.
Q - De l'extérieur, on peut avoir la sensation que les Français se bloquent justement eux-mêmes. Les élections communales auront lieu en mars et un nouveau président sera élu en 2002. Lionel Jospin et Jacques Chirac seront alors rivaux.
R - Je ne pense pas que la politique européenne sera bloquée par Paris à cause des élections. En France comme en Allemagne des élections ont lieu en 2002. En ce qui concerne l'Europe, Schröder et Edmund Stoiber ne sont pas la même chose, et bien Jospin et Chirac non plus. Il est vrai que les populations des deux pays auront à s'exprimer dans l'année à venir sur les grandes orientations de la politique. La France n'en sera pas plus bloquée que l'Allemagne.
Q - On a également spéculé à Nice que le tandem franco-allemand risquait de se dissoudre à l'avenir et que Paris s'orienterait plus vers l'Espagne, l'Allemagne vers la Pologne.
R - Cela ne me semble pas être une vision concrète. Je considère qu'on ne peut pas renoncer au moteur franco-allemand. Ce qui ne veut pas dire que Paris ou Berlin ne travailleront pas de façon plus étroite avec d'autres gouvernements sur certaines questions. Il est bon que le chancelier se soit retrouvé avec Tony Blair à la veille de la rencontre de Strasbourg et il me semble tout à fait normal que nous ayons eu une rencontre avec les italiens comme lundi dernier. Ce qui est important c'est que le moteur fonctionne, car quand il fonctionne, le reste suit. Quand le moteur bégaie, alors la construction européenne bégaie également. Il est important de ne pas perdre de vue les grands projets : la construction d'une Europe qui peut devenir un pouvoir politique et économique.
Q - C'est exactement ce qui est arrivé aux deux pays. En fait, ce qu'il manque c'est le projet unificateur.
R - Je ne le crois pas. Je crois que nous avons peut-être perdu au cours des années passées une certaine discipline de travail. Durant les présidences française et allemande, nous avons incontestablement eu des différends au sujet du futur financement de la politique agricole, ou encore de la répartition des voix au Conseil. Mais nous allons tenter de faire mieux à l'avenir et nous allons renouer avec les anciennes habitudes. C'est-à-dire que nous allons essayer de présenter une position franco-allemande commune au Conseil. Cela me paraît absolument essentiel à l'avenir.
Q - Les problèmes entre Paris et Berlin ne proviennent-ils pas également du fait que Chirac et Schröder ne s'entendent pas aussi bien que Mitterrand et Kohl auparavant ? Que la chimie ne fonctionne pas ?
R - Je n'y vois pas de problème. On ne devrait pas faire de la psychologie à tout va. Peut-être que les temps ont changé, tout simplement. Nous n'avons plus aujourd'hui à ériger et à développer des symboles. Nous avons désormais des dossiers sur la table. Nous nous occupons moins du passé, mais plus du présent et de l'avenir. Les responsables du moment appartiennent pour l'heure à une autre époque. Schröder et Fischer représentent la génération d'après la seconde guerre mondiale, l'Allemagne est réunifiée. Nous ne voulons pas nous réconcilier à nouveau 55 ans après la fin de la guerre, nous l'avons déjà fait.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2001)
R - Je crois qu'après la Présidence française de l'Union Européenne il était temps de dresser un état des lieux. Les relations entre les deux pays sont bonnes, mais il est également important de discuter clairement des choses qui ne vont pas très bien. Ou encore, pour reprendre une expression du chancelier Schröder : Nous devons essayer de redéfinir notre relation sur une base raisonnable et loyale.
Q - A quoi cette nouvelle définition doit elle ressembler concrètement selon vous ?
R - Il faut avant tout discuter de la manière d'aborder les questions essentielles concernant l'avenir de l'Union européenne. L'Allemagne et la France doivent essayer d'harmoniser leurs positions sur ce point. Les thèmes importants de l'Europe de demain sont bien sûr l'élargissement de l'Union et la Politique agricole commune qui y est liée. Le problème de l'ESB montre justement qu'un recentrage pragmatique est inévitable. Ensuite, se posent, bien entendu, de nombreuses questions de politique étrangère : quelle position l'UE doit-elle adopter face à la Russie ou face à la nouvelle administration américaine ? Il y a donc de nombreux domaines dans lesquels il est nécessaire de travailler en commun. Je suis toutefois persuadé qu'il sera possible de rapprocher les points de vue, sans négliger les intérêts spécifiques de l'Allemagne et de la France.
Q - L'un des domaines que vous venez d'évoquer a-t-il été abordé lors de la rencontre de Strasbourg ? A-t-on discuté de voies concrètes pour l'avenir ?
R - Tel n'était pas le rôle de la rencontre. Il ne s'agissait pas de travailler sur certains thèmes, mais il s'agissait d'une explication, disons d'ambiance. Il était question de l'esprit que nous devions donner à cette nouvelle définition des relations. Les deux parties ont perçu la discussion de Strasbourg comme le premier contact ouvert et chaleureux. C'est pour cela que nous avons décidé, à la demande du chancelier, d'entretenir cette relation en nous retrouvant ainsi toutes les 6 à 8 semaines.
Q - Qu'est ce que cela signifie pour la pratique des relations entre Paris et Berlin ?
R - Cela signifie que lors de la prochaine rencontre nous aborderons peut-être un peu plus les problèmes en soi. Mais il s'agit surtout pour l'instant de dissiper de nombreux doutes. Il faut se parler franchement. Peut-être qu'une nouvelle dynamique de travail se développera ainsi. Toutefois, nous devrions éviter d'aborder trop rapidement les thèmes trop délicats. Pour cela, un travail préparatoire commun est nécessaire des deux côtés.
Q - Le chancelier Schröder réclamait récemment de Paris la reconnaissance d'une "Europe de l'intégration", cela signifie également une répartition des compétences en faveur de Bruxelles. La France privilégie toutefois une "Europe des nations". La confrontation est inévitable sur ce point.
R - Je ne le crois pas. Si nos amis allemands parlent d'une Europe intégrée, ils n'en négligent pas pour autant les intérêts de l'Allemagne ou ceux de leurs propres Länder. Je trouve cela tout à fait normal. Cela ne me pose aucun problème. Et quand les français demandent la prise en compte des spécificités nationales, ils ne récusent pas pour autant la composante fédérale de l'Europe de demain. Je pense que l'on peut aborder cette grande discussion autour de l'architecture future de l'UE sans tabous.
Q - La discussion autour d'une constitution européenne également ?
R - Je dis oui sans hésiter à une constitution européenne, dont le préambule pourrait se constituer de la charte des droits fondamentaux adoptée à Nice. Mais attention ! Une constitution peut être tout ou rien. Pour les uns il ne s'agit que d'une simple reformulation des traités, pour les autres il s'agit d'une véritable redéfinition des compétences.
Q - On parle beaucoup en Europe de l'approfondissement politique de l'union, d'une part. D'autre part, c'est l'élargissement qui est à l'ordre du jour. Peut on solutionner cette contradiction selon vous ?
R - En fait, nous connaissons ces contradictions depuis le début des années 90. Nous ne devons pas oublier que l'élargissement de l'Union est un devoir historique dont le succès nous apportera à tous des avantages. D'un autre coté, il nous faut voir que l'élargissement change l'identité de l'Union et qu'il comporte un danger d'affaiblissement. Et c'est justement pour cela qu'il va nous falloir réfléchir à une nouvelle architecture pour l'Union. Il y a déjà plusieurs concepts prêt à ce sujet. On parle d'un noyau dur avec certains points fort ou une géométrie variable. Nous essayons de réussir les deux : approfondissement et élargissement.
Q - Et si cela ne fonctionne pas ?
R - Si nous nous satisfaisons des règles et des dispositions actuelles à l'avenir, sans aucune volonté de réforme même pour une Europe à 30, alors Mme Thatcher aura en quelque sorte gagné à posteriori. L'Europe ne serait plus alors qu'un grand marché intégré, une zone de libre-échange. Je ne considérerais pas cela comme un progrès.
Q - L'Allemagne souhaite qu'après le sommet de Nice, on reparle rapidement des problèmes pendants, tels que le fédéralisme et les décisions à la majorité. Cette précipitation rencontre peu d'écho en France. Comment vous imaginez-vous concrètement le processus post-Nice ?
R - La perception que Paris essaie de retarder le processus est certainement fausse. Je dois faire deux remarques à ce sujet. Premièrement, Nice ne remonte qu'à peine à 6 semaines et ce sommet était l'aboutissement d'environ 10 ans de travail institutionnel. Deuxièmement, nous avons déjà décider d'une nouvelle conférence pour 2004, conformément au souhait des allemands. En définitive, nous ne devons pas dire en 15 jours ce que nous prévoyons. Si nous devons discuter, faisons-le. Mais, cette discussion ne doit pas se limiter au niveau gouvernemental. Il faut qu'il y ait un débat important au sein de la société. Nous souhaitons ce débat à tout prix sans lui imposer de contraintes temporelles.
Q - De l'extérieur, on peut avoir la sensation que les Français se bloquent justement eux-mêmes. Les élections communales auront lieu en mars et un nouveau président sera élu en 2002. Lionel Jospin et Jacques Chirac seront alors rivaux.
R - Je ne pense pas que la politique européenne sera bloquée par Paris à cause des élections. En France comme en Allemagne des élections ont lieu en 2002. En ce qui concerne l'Europe, Schröder et Edmund Stoiber ne sont pas la même chose, et bien Jospin et Chirac non plus. Il est vrai que les populations des deux pays auront à s'exprimer dans l'année à venir sur les grandes orientations de la politique. La France n'en sera pas plus bloquée que l'Allemagne.
Q - On a également spéculé à Nice que le tandem franco-allemand risquait de se dissoudre à l'avenir et que Paris s'orienterait plus vers l'Espagne, l'Allemagne vers la Pologne.
R - Cela ne me semble pas être une vision concrète. Je considère qu'on ne peut pas renoncer au moteur franco-allemand. Ce qui ne veut pas dire que Paris ou Berlin ne travailleront pas de façon plus étroite avec d'autres gouvernements sur certaines questions. Il est bon que le chancelier se soit retrouvé avec Tony Blair à la veille de la rencontre de Strasbourg et il me semble tout à fait normal que nous ayons eu une rencontre avec les italiens comme lundi dernier. Ce qui est important c'est que le moteur fonctionne, car quand il fonctionne, le reste suit. Quand le moteur bégaie, alors la construction européenne bégaie également. Il est important de ne pas perdre de vue les grands projets : la construction d'une Europe qui peut devenir un pouvoir politique et économique.
Q - C'est exactement ce qui est arrivé aux deux pays. En fait, ce qu'il manque c'est le projet unificateur.
R - Je ne le crois pas. Je crois que nous avons peut-être perdu au cours des années passées une certaine discipline de travail. Durant les présidences française et allemande, nous avons incontestablement eu des différends au sujet du futur financement de la politique agricole, ou encore de la répartition des voix au Conseil. Mais nous allons tenter de faire mieux à l'avenir et nous allons renouer avec les anciennes habitudes. C'est-à-dire que nous allons essayer de présenter une position franco-allemande commune au Conseil. Cela me paraît absolument essentiel à l'avenir.
Q - Les problèmes entre Paris et Berlin ne proviennent-ils pas également du fait que Chirac et Schröder ne s'entendent pas aussi bien que Mitterrand et Kohl auparavant ? Que la chimie ne fonctionne pas ?
R - Je n'y vois pas de problème. On ne devrait pas faire de la psychologie à tout va. Peut-être que les temps ont changé, tout simplement. Nous n'avons plus aujourd'hui à ériger et à développer des symboles. Nous avons désormais des dossiers sur la table. Nous nous occupons moins du passé, mais plus du présent et de l'avenir. Les responsables du moment appartiennent pour l'heure à une autre époque. Schröder et Fischer représentent la génération d'après la seconde guerre mondiale, l'Allemagne est réunifiée. Nous ne voulons pas nous réconcilier à nouveau 55 ans après la fin de la guerre, nous l'avons déjà fait.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2001)