Texte intégral
N. Demorand.- Le colonel Kadhafi arrive, on le sait, tout à l'heure à Paris, pour cinq jours. Etes-vous comme N. Sarkozy "heureux" de le recevoir ?
R.- Je suis résigné à le recevoir.
Q.- C'était une obligation ?
R.- C'était une nécessité.
Q.- Fixée par qui ?
R.- Par nous-mêmes, pour les raisons qui viennent d'être dites : parce que militant des Droits de l'homme et ministre pour l'heure. C'est une contradiction que je rencontre tous les jours avec bien des pays. Il faut à la fois continuer à, non pas imposer, à réussir d'imposer les Droits de l'homme, à aller proposer sans cesse, à être vigilant, et en même temps, il faut que les intérêts économiques de notre pays, c'est-à-dire les emplois soient mis en avant. Et puis aussi, il faut constater que la Libye a évolué, c'est la Libye de demain qui nous intéresse dans cette visite du colonel Kadhafi, ce n'est pas la Libye d'hier qui est entièrement condamnable, et dont je n'oublie ni les victimes, ni la propension au prosélytisme. Et d'ailleurs, quant aux victimes de l'accident du DC10 d'UTA, j'irai, je l'ai promis, en février, dans le désert du Ténéré, pour honorer ces victimes et pour inaugurer le monument. Il ne faut rien oublier. Mais en même temps...
Q.- C'est un dictateur que reçoit la France aujourd'hui ?
R.- Ce n'est sûrement pas un démocrate à l'occidentale, bien sûr.
Q.- Mais c'est un dictateur ?
R.- Les élections en Libye sont extrêmement discutables.
Q.- C'est donc un dictateur ?
R.- Ca vous amuse de jouer avec ce mot. J'en connais plein. Est-ce qu'en Chine, les élections...
Q.- Non, ça ne m'amuse pas, je vous pose la question ?
R.- Mais non, mais parce qu'il faut être un peu plus réaliste. C'est très facile d'être à son balcon et de juger les gens qui passent. Mais c'est difficile de mesurer, de moduler et de faire les deux à la fois. C'est-à-dire militer pour les Droits de l'homme, faire en sorte que les pays qui ne les respectent pas deviennent des pays raisonnables, c'est ce que nous faisons. C'est pourquoi c'est une façon de rationalisation et de retour à des rapports normaux. Le colonel Kadhafi, depuis 2003, a été accepté par l'ensemble de la communauté internationale ; il a renoncé au terrorisme et il a renoncé aux armes de destruction massive, c'est-à-dire la bombe atomique. Donc, est-ce qu'il faut oui ou non encourager cette évolution ? C'est ce que nous faisons en le recevant. Et puis, s'il vous plaît, tous les pays se sont précipités, immédiatement, surtout nos concurrents et amis européens, pour passer des marchés avec la Libye. Nous, nous ne nous y sommes pas précipités, bien qu'en 2004 le Président Chirac ait visité la Libye, et puis M. Alliot-Marie et bien d'autres. La différence c'est que, nous faisons de la libération des infirmières une condition absolue, et à la visite du président Sarkozy en Libye et surtout à la visite du président Kadhafi à Paris. Qui a obtenu la libération des infirmières ? Vous avez remarqué que les infirmières ne viennent pas aujourd'hui parce qu'elles jugeraient que cette fréquentation serait difficile pour elles, mais elles ne critiquent pas la visite, elles le disent expressément. Ceux qui ont été libérés par le pays des Droits de l'homme et par l'insistance de la diplomatie française sont plutôt du côté, disons, de l'ouverture, parce qu'il faut que la normalisation ait lieu. Au fond, notre diplomatie c'est une diplomatie de la réconciliation. Pas avec tout le monde, en restant vigilant, en étant très attentif, et en restant plus qu'attentif, exigeant.
Q.- Il y en a une qui critique en tout cas cette venue, c'est votre secrétaire d'Etat chargée des Affaires étrangères et des Droits de l'homme, R. Yade. "Le colonel Kadhafi - citation - doit comprendre que notre pays n'est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits". Vous soutenez votre secrétaire d'Etat ?
R.- Mais non seulement je la soutiens mais c'est ma secrétaire d'Etat. Et de temps en temps, un ministre des Affaires étrangères envie une secrétaire d'Etat qui peut parler ainsi des droits de l'homme.
Q.- Elle a plus de liberté de parole que vous ?
R.- Non, c'est son travail, elle parle des droits de l'homme ! J'ai tous les jours des problèmes comme celui-là. Vous n'avez pas voulu que je poursuive à propos de la Chine. La Chine est un pays gigantesque qui continue à- elle n'abolit pas la peine de mort - elle continue à exécuter "les coupables" entre guillemets, en tout cas ceux qui sont condamnés à mort. La Libye, là aussi, parce qu'il y a eu des militants des droits de l'homme, depuis 2006, n'a exécuté personne. Nous voulons maintenant faire évoluer cette loi pour qu'il n'y ait plus de condamnations en Libye. C'est un combat permanent, ce n'est pas un lit de roses, ça ne m'amuse pas du tout. C'est comme cela qu'il faut faire !
Q.- Pourquoi - c'est R. Yade elle-même qui pose la question - pourquoi cacher la secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme lors de la visite en Chine ? C'est elle qui y revient et qui ne parle décidément pas la langue de bois, ce matin ?
R.- Mais elle a raison. Arrêtez de penser que c'est un complot !
Q.- Mais ce n'est pas un complot !
R.- Elle a raison de parler ainsi, c'est ce que je lui demande, elle est en charge des Droits de l'homme, et elle le fait. Quant à la visite en Chine, pardonnez-moi, je ne crois pas que ce soit une juste explication. Ca, c'est son affaire.
Q.- Mais en tout cas, le sentiment que la Realpolitik occupe toute la scène, est tout de même assez fort, non ?
R.- Mais ce n'est pas fort, c'est tous les jours comme ça. Mais que penseraient les employés de la France...
Q.- Vous, le défenseur des droits de l'homme, B. Kouchner...
R.-...je continue à être...
Q.-...vous vous convertissez au réalisme aujourd'hui, voire peut-être, je ne sais pas...
R.- Ne faites pas les demandes et les réponses. Vous m'avez posé une question. Oui. Ce n'est pas de la Realpolitik, ça, ça fait un mot germanique violent...
Q.- Alors, c'est quoi ?
R.- C'est le fait que le monde évolue, qu'un homme, Kadhafi, a changé, du terrorisme qui le condamnait à la coopération contre le terrorisme. Le fait que l'ouverture se fasse encourage, c'est une diplomatie de l'ouverture que nous pratiquons. Nous surveillerons. Mais qu'il soit ici est un argument supplémentaire pour lui et pour les Libyens. Et je n'oublie ni les emprisonnés, ni les arrêtés, ni ceux qui ont disparu. J'ai un ami, un ami cher, qui s'appelait l'iman Moussa Sadr, il a disparu en Libye. Je ne l'oublie absolument pas. Mais il faut essayer de se mettre du côté de l'évolution pour que les Libyens et les Français en profitent ensemble. En Iran...
Q.- J'ai le sentiment que R. Yade parle aujourd'hui, B. Kouchner, la langue que vous auriez parlée il y a quelques années.
R.- Votre psychanalyse, docteur, me fait plaisir mais vous n'interrogez pas R. Yade. J'ai répondu sur elle. Vous m'interrogez, moi, qui ai d'autres responsabilités. Qu'est-ce qu'on pense... demandez donc aux Français si les milliers d'emplois que représentent, ce que j'espère, les contrats qui vont venir, doivent être négligés dans un temps difficile où il s'agit d'une bataille permanente, globalisation exige. Cela veut dire que nous ne mettons jamais notre drapeau dans notre poche, jamais. Le Président Sarkozy en Chine, en Russie, partout, nous exigeons, et ouvertement, dans les conférences de presse, que les droits de l'Homme soient respectés. Moi-même j'ai reçu les dissidents, j'ai été voir le bureau d'A. Politkovskaïa, toute sa famille, j'ai reçu, j'ai vu Mme Nekrasso (phon), etc. On fait tout cela ouvertement, beaucoup plus qu'avant.
Q.- Vous irez au dîner ce soir à l'Elysée ?
R.- Non, monsieur, je suis à Bruxelles. Il y a une réunion importante, comme vous le savez, qui décide et du Tchad - de notre opération au Tchad - et du traité simplifié qui sera signé jeudi à Lisbonne, et également du Kosovo.
Q.- Donc, c'est un problème d'agenda mais pas une décision politique ou un boycott.
R.- C'est un heureux hasard.
Q.- "Heureux hasard", on l'a entendu... Le candidat N. Sarkozy avait dit qu'en général, en politique étrangère, quand on voulait négocier des contrats et qu'on oubliait les droits de l'Homme, en général on n'avait ni les contrats ni les droits de l'Homme.
R.- Il a raison.
Q.- Il n'a pas changé donc ?
R.- Non, pas une seconde, je vous assure que non. Et si vous aviez suivi...
Q.- Mais où sont les droits de l'Homme en Libye, où sont les droits de l'Homme en Chine, où sont les droits de l'Homme dans un certain nombre de pays ? Dites-le nous.
R.- Mais non, attendez ! Je peux vous poser une question ? Donc, il ne faut pas commercialiser avec la Chine ? Cela va être dur à faire accepter au monde entier. La différence entre les représentants des...
Q.- Mais qui a posé ces principes-là ?
R.- Vous, vous me posez la question, moi je vous réponds, c'est cela le jeu. D'accord ? Vous m'avez posé une question, je vous réponds...
Q.- Mais alors, je vous laisse alors y répondre...
R.- Nous avons, nous, en Libye, par rapport aux autres qui passent des contrats depuis belle lurette et beaucoup plus que nous, nous avons libéré les infirmières bulgares. Laissez les infirmières bulgares juger de cela ; c'est aux victimes de parler et pas à l'idée éphémère, éthérée, vue de son balcon, des droits de l'Homme. Ça je connais. Les pétitions j'en ai faites. Toute ma vie a été passée aux droits de l'Homme, et je crois avoir été...
Q.- Des infirmières injustement détenues, torturées, pendant des années...
R.- Qui les a libérées, monsieur ? Merci la France !
Q.- Et qui les a enfermées, monsieur ?
R.- Kadhafi, on le sait. Qu'est-ce que c'est que cette naïveté ! Et alors ? Vous félicitez Kadhafi ou la France ?
Q.- C'est facile. C'est de la rhétorique, B. Kouchner.
R.- Non, ce n'est pas facile, c'est une question. Puisque vous ne m'avez pas posé, j'y réponds quand même. Nous avons libéré les infirmières. Les victimes, les infirmières, jugent que nous n'avons pas eu tort d'inviter monsieur Kadhafi, et qu'en tout cas, nous avions raison de les libérer, par rapport à ceux qui signent des contrats et qui ne l'ont pas fait. C'est cela l'essentiel, c'est cette évolution vers l'efficacité, sans oublier jamais les droits de l'Homme. Mais c'est une alchimie très fine, très délicate, tous les jours...
Q.- R. Yade ne la comprend pas, visiblement, B. Kouchner ?
R.- Eh bien, monsieur interrogez R. Yade.
Q.- Donc, vous restez sur cette position de principe ?
R.- Quelle position ? Je suis attentif à tout. J'ai fait plus pour les droits de l'Homme que l'ensemble de mes détracteurs. De quoi m'accusez-vous ? Je sais maintenant - je ne l'aurais pas fait auparavant - que s'il a libéré, le président, enfin le président ! Le colonel Kadhafi, le guide suprême a libéré les infirmières, c'est parce que nous avons été exigeants et en particulier nous ne l'aurions jamais laissé en France (sic), les infirmières étaient encore emprisonnées.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 décembre 2007
R.- Je suis résigné à le recevoir.
Q.- C'était une obligation ?
R.- C'était une nécessité.
Q.- Fixée par qui ?
R.- Par nous-mêmes, pour les raisons qui viennent d'être dites : parce que militant des Droits de l'homme et ministre pour l'heure. C'est une contradiction que je rencontre tous les jours avec bien des pays. Il faut à la fois continuer à, non pas imposer, à réussir d'imposer les Droits de l'homme, à aller proposer sans cesse, à être vigilant, et en même temps, il faut que les intérêts économiques de notre pays, c'est-à-dire les emplois soient mis en avant. Et puis aussi, il faut constater que la Libye a évolué, c'est la Libye de demain qui nous intéresse dans cette visite du colonel Kadhafi, ce n'est pas la Libye d'hier qui est entièrement condamnable, et dont je n'oublie ni les victimes, ni la propension au prosélytisme. Et d'ailleurs, quant aux victimes de l'accident du DC10 d'UTA, j'irai, je l'ai promis, en février, dans le désert du Ténéré, pour honorer ces victimes et pour inaugurer le monument. Il ne faut rien oublier. Mais en même temps...
Q.- C'est un dictateur que reçoit la France aujourd'hui ?
R.- Ce n'est sûrement pas un démocrate à l'occidentale, bien sûr.
Q.- Mais c'est un dictateur ?
R.- Les élections en Libye sont extrêmement discutables.
Q.- C'est donc un dictateur ?
R.- Ca vous amuse de jouer avec ce mot. J'en connais plein. Est-ce qu'en Chine, les élections...
Q.- Non, ça ne m'amuse pas, je vous pose la question ?
R.- Mais non, mais parce qu'il faut être un peu plus réaliste. C'est très facile d'être à son balcon et de juger les gens qui passent. Mais c'est difficile de mesurer, de moduler et de faire les deux à la fois. C'est-à-dire militer pour les Droits de l'homme, faire en sorte que les pays qui ne les respectent pas deviennent des pays raisonnables, c'est ce que nous faisons. C'est pourquoi c'est une façon de rationalisation et de retour à des rapports normaux. Le colonel Kadhafi, depuis 2003, a été accepté par l'ensemble de la communauté internationale ; il a renoncé au terrorisme et il a renoncé aux armes de destruction massive, c'est-à-dire la bombe atomique. Donc, est-ce qu'il faut oui ou non encourager cette évolution ? C'est ce que nous faisons en le recevant. Et puis, s'il vous plaît, tous les pays se sont précipités, immédiatement, surtout nos concurrents et amis européens, pour passer des marchés avec la Libye. Nous, nous ne nous y sommes pas précipités, bien qu'en 2004 le Président Chirac ait visité la Libye, et puis M. Alliot-Marie et bien d'autres. La différence c'est que, nous faisons de la libération des infirmières une condition absolue, et à la visite du président Sarkozy en Libye et surtout à la visite du président Kadhafi à Paris. Qui a obtenu la libération des infirmières ? Vous avez remarqué que les infirmières ne viennent pas aujourd'hui parce qu'elles jugeraient que cette fréquentation serait difficile pour elles, mais elles ne critiquent pas la visite, elles le disent expressément. Ceux qui ont été libérés par le pays des Droits de l'homme et par l'insistance de la diplomatie française sont plutôt du côté, disons, de l'ouverture, parce qu'il faut que la normalisation ait lieu. Au fond, notre diplomatie c'est une diplomatie de la réconciliation. Pas avec tout le monde, en restant vigilant, en étant très attentif, et en restant plus qu'attentif, exigeant.
Q.- Il y en a une qui critique en tout cas cette venue, c'est votre secrétaire d'Etat chargée des Affaires étrangères et des Droits de l'homme, R. Yade. "Le colonel Kadhafi - citation - doit comprendre que notre pays n'est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits". Vous soutenez votre secrétaire d'Etat ?
R.- Mais non seulement je la soutiens mais c'est ma secrétaire d'Etat. Et de temps en temps, un ministre des Affaires étrangères envie une secrétaire d'Etat qui peut parler ainsi des droits de l'homme.
Q.- Elle a plus de liberté de parole que vous ?
R.- Non, c'est son travail, elle parle des droits de l'homme ! J'ai tous les jours des problèmes comme celui-là. Vous n'avez pas voulu que je poursuive à propos de la Chine. La Chine est un pays gigantesque qui continue à- elle n'abolit pas la peine de mort - elle continue à exécuter "les coupables" entre guillemets, en tout cas ceux qui sont condamnés à mort. La Libye, là aussi, parce qu'il y a eu des militants des droits de l'homme, depuis 2006, n'a exécuté personne. Nous voulons maintenant faire évoluer cette loi pour qu'il n'y ait plus de condamnations en Libye. C'est un combat permanent, ce n'est pas un lit de roses, ça ne m'amuse pas du tout. C'est comme cela qu'il faut faire !
Q.- Pourquoi - c'est R. Yade elle-même qui pose la question - pourquoi cacher la secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme lors de la visite en Chine ? C'est elle qui y revient et qui ne parle décidément pas la langue de bois, ce matin ?
R.- Mais elle a raison. Arrêtez de penser que c'est un complot !
Q.- Mais ce n'est pas un complot !
R.- Elle a raison de parler ainsi, c'est ce que je lui demande, elle est en charge des Droits de l'homme, et elle le fait. Quant à la visite en Chine, pardonnez-moi, je ne crois pas que ce soit une juste explication. Ca, c'est son affaire.
Q.- Mais en tout cas, le sentiment que la Realpolitik occupe toute la scène, est tout de même assez fort, non ?
R.- Mais ce n'est pas fort, c'est tous les jours comme ça. Mais que penseraient les employés de la France...
Q.- Vous, le défenseur des droits de l'homme, B. Kouchner...
R.-...je continue à être...
Q.-...vous vous convertissez au réalisme aujourd'hui, voire peut-être, je ne sais pas...
R.- Ne faites pas les demandes et les réponses. Vous m'avez posé une question. Oui. Ce n'est pas de la Realpolitik, ça, ça fait un mot germanique violent...
Q.- Alors, c'est quoi ?
R.- C'est le fait que le monde évolue, qu'un homme, Kadhafi, a changé, du terrorisme qui le condamnait à la coopération contre le terrorisme. Le fait que l'ouverture se fasse encourage, c'est une diplomatie de l'ouverture que nous pratiquons. Nous surveillerons. Mais qu'il soit ici est un argument supplémentaire pour lui et pour les Libyens. Et je n'oublie ni les emprisonnés, ni les arrêtés, ni ceux qui ont disparu. J'ai un ami, un ami cher, qui s'appelait l'iman Moussa Sadr, il a disparu en Libye. Je ne l'oublie absolument pas. Mais il faut essayer de se mettre du côté de l'évolution pour que les Libyens et les Français en profitent ensemble. En Iran...
Q.- J'ai le sentiment que R. Yade parle aujourd'hui, B. Kouchner, la langue que vous auriez parlée il y a quelques années.
R.- Votre psychanalyse, docteur, me fait plaisir mais vous n'interrogez pas R. Yade. J'ai répondu sur elle. Vous m'interrogez, moi, qui ai d'autres responsabilités. Qu'est-ce qu'on pense... demandez donc aux Français si les milliers d'emplois que représentent, ce que j'espère, les contrats qui vont venir, doivent être négligés dans un temps difficile où il s'agit d'une bataille permanente, globalisation exige. Cela veut dire que nous ne mettons jamais notre drapeau dans notre poche, jamais. Le Président Sarkozy en Chine, en Russie, partout, nous exigeons, et ouvertement, dans les conférences de presse, que les droits de l'Homme soient respectés. Moi-même j'ai reçu les dissidents, j'ai été voir le bureau d'A. Politkovskaïa, toute sa famille, j'ai reçu, j'ai vu Mme Nekrasso (phon), etc. On fait tout cela ouvertement, beaucoup plus qu'avant.
Q.- Vous irez au dîner ce soir à l'Elysée ?
R.- Non, monsieur, je suis à Bruxelles. Il y a une réunion importante, comme vous le savez, qui décide et du Tchad - de notre opération au Tchad - et du traité simplifié qui sera signé jeudi à Lisbonne, et également du Kosovo.
Q.- Donc, c'est un problème d'agenda mais pas une décision politique ou un boycott.
R.- C'est un heureux hasard.
Q.- "Heureux hasard", on l'a entendu... Le candidat N. Sarkozy avait dit qu'en général, en politique étrangère, quand on voulait négocier des contrats et qu'on oubliait les droits de l'Homme, en général on n'avait ni les contrats ni les droits de l'Homme.
R.- Il a raison.
Q.- Il n'a pas changé donc ?
R.- Non, pas une seconde, je vous assure que non. Et si vous aviez suivi...
Q.- Mais où sont les droits de l'Homme en Libye, où sont les droits de l'Homme en Chine, où sont les droits de l'Homme dans un certain nombre de pays ? Dites-le nous.
R.- Mais non, attendez ! Je peux vous poser une question ? Donc, il ne faut pas commercialiser avec la Chine ? Cela va être dur à faire accepter au monde entier. La différence entre les représentants des...
Q.- Mais qui a posé ces principes-là ?
R.- Vous, vous me posez la question, moi je vous réponds, c'est cela le jeu. D'accord ? Vous m'avez posé une question, je vous réponds...
Q.- Mais alors, je vous laisse alors y répondre...
R.- Nous avons, nous, en Libye, par rapport aux autres qui passent des contrats depuis belle lurette et beaucoup plus que nous, nous avons libéré les infirmières bulgares. Laissez les infirmières bulgares juger de cela ; c'est aux victimes de parler et pas à l'idée éphémère, éthérée, vue de son balcon, des droits de l'Homme. Ça je connais. Les pétitions j'en ai faites. Toute ma vie a été passée aux droits de l'Homme, et je crois avoir été...
Q.- Des infirmières injustement détenues, torturées, pendant des années...
R.- Qui les a libérées, monsieur ? Merci la France !
Q.- Et qui les a enfermées, monsieur ?
R.- Kadhafi, on le sait. Qu'est-ce que c'est que cette naïveté ! Et alors ? Vous félicitez Kadhafi ou la France ?
Q.- C'est facile. C'est de la rhétorique, B. Kouchner.
R.- Non, ce n'est pas facile, c'est une question. Puisque vous ne m'avez pas posé, j'y réponds quand même. Nous avons libéré les infirmières. Les victimes, les infirmières, jugent que nous n'avons pas eu tort d'inviter monsieur Kadhafi, et qu'en tout cas, nous avions raison de les libérer, par rapport à ceux qui signent des contrats et qui ne l'ont pas fait. C'est cela l'essentiel, c'est cette évolution vers l'efficacité, sans oublier jamais les droits de l'Homme. Mais c'est une alchimie très fine, très délicate, tous les jours...
Q.- R. Yade ne la comprend pas, visiblement, B. Kouchner ?
R.- Eh bien, monsieur interrogez R. Yade.
Q.- Donc, vous restez sur cette position de principe ?
R.- Quelle position ? Je suis attentif à tout. J'ai fait plus pour les droits de l'Homme que l'ensemble de mes détracteurs. De quoi m'accusez-vous ? Je sais maintenant - je ne l'aurais pas fait auparavant - que s'il a libéré, le président, enfin le président ! Le colonel Kadhafi, le guide suprême a libéré les infirmières, c'est parce que nous avons été exigeants et en particulier nous ne l'aurions jamais laissé en France (sic), les infirmières étaient encore emprisonnées.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 décembre 2007