Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, à "LCI" le 26 novembre 2007, sur l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, les relations économiques avec la Chine, la relance du pouvoir d'achat et l'affaire de la caisse noire de l'UIMM.

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Texte intégral

C. Barbier .- L. Parisot, bonjour... Pourquoi n'êtes-vous pas en Chine ? Le Président est-il fâché avec le Medef ?
 
R.- Ce matin, il se passe quelque chose de très, très important en France : c'est la conférence pour l'égalité des salaires et des parcours professionnels entre les hommes et les femmes. Et nous avons passé beaucoup de temps, jusqu'à hier soir, pour finaliser ce qui pourrait être un bon texte à l'issue de cette conférence. C'est à mes yeux un enjeu très, très important pour notre société.
 
Q.- Cela piétine pourtant dans les entreprises. Les accords d'entreprise ne se signent pas.
 
R.- Oh non, non, ça ne piétine pas tant que cela. Il y a beaucoup de progrès. Mais ce n'est pas une question propre aux entreprises, c'est un enjeu culturel. J'ai proposé au Gouvernement, à X. Bertrand en particulier, que patronat, syndicats, Gouvernement, ensemble, fassent et signent une grande campagne de communication, avec des spots télé impactants pour faire comprendre à quel point les états d'esprit doivent évoluer, encore aujourd'hui.
 
Q.- C'est votre côté gentil ; votre côté méchant, c'est que vous voulez des amendes aussi sur les entreprises qui ne respectent pas cette égalité ?
 
R.- Surtout nous souhaitons que si les choses ne sont pas mises en oeuvre avec un tempo suffisant, on supprime le délit pénal qui existe aujourd'hui, parce que ce n'est pas avec du pénal qu'on change l'état d'esprit de toute une société, et qu'en face de cette suppression du délit pénal, il y ait une notion d'amende. Je crois que ce serait beaucoup plus efficace. Et d'ailleurs, les pré-rapports ont montré l'inefficacité du délit pénal dans ce type de circonstances.
 
Q.- Vous êtes en train d'annoncer aux hommes que leurs salaires vont être bloqués pendant de nombreuses années ?
 
R.- Oh, pas du tout. Nous sommes en train d'annoncer ou de dire : attention, là où il y a encore des écarts... Attendez ! Le problème n'est pas : "Ecrasons"... Suivant les statistiques - il faudrait d'ailleurs avoir un appareil statistique un peu plus fiable, parce que - suivant les statistiques, il y a des écarts dans 5 à 10 % encore des cas. Donc, ce n'est pas quelque chose qui est écrasant et majoritaire. Mais il faut faire des efforts. Et puis, il y a autre chose qu'il faut faire : c'est que dans les grandes entreprises, on soit absolument exemplaire. Nous en avons discuté beaucoup ce week-end avec J.-M. Folz, le président de l'AFEP - Association française des entreprises privées, nous allons prendre des initiatives pour que dans le code de bonne gouvernance des entreprises cotées, cette question de la place dans la femme et des femmes, notamment dans les conseils d'administration soit traitée.
 
Q.- Revenons à la Chine. Centrales nucléaires, Airbus, laboratoires... Est-ce que la France est en train de s'implanter en Chine, ou est-ce que tout cela c'est de la fumée : en fait, on ne fait le poids face aux Chinois ?
 
R.- D'abord, ce sont d'excellentes nouvelles, et moi je me réjouis non seulement de la signature de contrats, mais que tout le monde ce matin, aujourd'hui, dans toutes les radios, s'emballent , comme si on avait gagné une médaille à des Jeux Olympiques au cours de la nuit. C'est bien que nous soyons heureux quand de grands contrats sont signés par des grandes entreprises françaises. Ne dites pas pour autant que ce n'est pas suffisant. Nous sommes un acteur important dans l'économie chinoise. On peut faire mieux, c'est certain, mais on peut toujours faire mieux. Et je crois que toutes les grandes entreprises françaises s'y emploient avec constance, ténacité...
 
Q.-...Dans la difficulté : Danone est pillé, Schneider est traduit en justice.
 
R.- Toutes les grandes entreprises, pas simplement les françaises, toutes les européennes et toutes les américaines, ont de vrais sujets de conflit avec les Chinois sur des questions de propriété intellectuelle. C'est d'ailleurs un enjeu que nous-mêmes, Medef, nous traitons avec différents responsables chinois, dans le cadre de l'OMC.
 
Q.- Jeudi, N. Sarkozy parlera sur le pouvoir d'achat. Qu'en attendez-vous au nom des entreprises françaises ?
 
R.- Je crois que les chefs d'entreprise français espèrent tout d'abord que le président de la République fasse la pédagogie des vrais mécanismes de l'économie. Je m'explique : la question du pouvoir d'achat est une vraie question. Celui-ci progresse, faiblement voire pas du tout pour certaines catégories de nos concitoyens. Mais c'est un enjeu de moyen terme et une évolution plus significative d'achat ne peut passer que par la mise en oeuvre d'une politique économique globale, une politique économique qui stimule la production et qui booste la croissance.
 
Q.- Mais stimule avant tout la consommation !
 
R.- Il y a un lien évident entre progression du pouvoir d'achat et croissance économique soutenue. Vous savez, dans les années 60/70, le pouvoir d'achat progressait rapidement. On pouvait estimer à l'époque qu'une famille avait l'espérance de doubler son pouvoir d'achat en une génération. Aujourd'hui, une famille peut doubler son pouvoir d'achat en trois ou quatre générations. Quelle est la différence entre ces deux époques ? La croissance. Donc, une politique qui veut relancer le pouvoir d'achat c'est une politique qui d'abord booste la croissance. Pour booster la croissance, il faut d'abord encourager la production. Cela veut quoi ? Cela veut dire faire en sorte que les entreprises soient plus à même d'offrir des prix et des services compétitifs aux Français...
 
Q.- On diminue leurs charges, encore ?
 
R.- Cela veut dire, il faut arrêter... mettre fin à une chose qui est très triste : nous sommes en France - enfin, nous sommes, nous les entreprises françaises - malheureusement les champions du monde des prélèvements obligatoires. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que nous sommes handicapés dans la concurrence internationale, nous sommes handicapés dans notre compétitivité et c'est pour cela que nous avons des marges de manoeuvre très faibles. Très faibles pour investir, très faibles pour exporter, très faibles pour augmenter significativement les salaires.
 
Q.- Alors, qu'est-ce qu'on supprime comme charges ?
 
R.- Le débat est ouvert. Mais la question est peut-être de se concentrer principalement sur nos très petites entreprises et nos PME. Il y a une chose qui serait finalement assez simple à faire : supprimons l'IFA. L'IFA c'est un impôt forfaitaire que payent les entreprises, notamment les petites et moyennes, même quand elles ne dégagent pas de bénéfices. Donc, vous voyez qu'elles sont pénalisées alors qu'elles ont déjà du mal à se développer. Et envisageons un taux réduit d'impôt sur les sociétés pour des tailles de chiffres d'affaires réduits.
 
Q.- En échange, J.-C. Mailly propose que si une entreprise n'augmente pas les salaires, on revienne sur les exonérations de charges qui lui ont été accordées. Bonne idée ?
 
R.- Non, parce qu'on ne peut pas lier les deux choses comme cela. On a un des coûts du travail les plus élevés. Si on revient sur les allègements de charges, on augmente encore plus le coût du travail par rapport à nos principaux concurrents et partenaires - moi je pense par exemple à l'Allemagne. Donc, il faut au contraire se demander comment on freine l'augmentation du coût du travail, voire on tente de le réduire. C'est comme cela qu'on va relancer la croissance des entreprises françaises, et donc leurs marges de manoeuvre.
 
Q.- Autres idées - en vrac vous nous dites : oui/non. Un 13ème mois de salaire sans charges, bonne idée ?
 
R.- D'abord, c'est une rumeur. Je ne crois pas ce projet soit vraiment dans les tiroirs. Il faut bien comprendre que le pouvoir d'achat ne se décrète pas. Il ne peut être que la résultante d'un ensemble de facteurs qui constituent une politique économique. La seule variable qui compte c'est la croissance.
 
Q.- Alors, supprimer les 35 heures, supprimer la durée légale du travail : bonne idée pour le pouvoir d'achat ?
 
R.- Eh bien, là on peut dire : qu'est-ce qui permet de booster la croissance ? Première chose qui permet de booster la croissance : augmenter la quantité de travail. Là aussi, ce n'est pas quelque chose qui se décrète. Augmenter la quantité de travail c'est faire baisser le chômage, augmenter la quantité de travail c'est peut-être revoir la durée du travail et pourquoi ne pas permettre que celle-ci soit définie contractuellement entre le patronat et les syndicats, soit par branche, soit entreprise par entreprise ?
 
Q.- Les heures sup payées plus, ça marche en ce moment ?
 
R.- Mais ça marche beaucoup plus que ce qu'on dit. Je suis très étonnée du discours sur le sujet. On sait que près d'un quart des très petites entreprises, celles qui ont moins de 20 salariés, ont mis en place un dispositif heures supplémentaires depuis la nouvelle loi, que c'est quelque chose qui crée une quantité de travail, c'est quelque chose qui permet même de favoriser de nouvelles embauches.
 
Q.- Un Grenelle du pouvoir d'achat, comme le réclame la gauche, ce serait utile dans ce cadre-là ?
 
R.- Je crois que personne n'a exprimé ce que voulait dire "Grenelle du pouvoir d'achat". Qu'est-ce qu'on mettrait en discussion ? Ce n'est pas cela l'enjeu. L'enjeu c'est une politique économique qui stimule la croissance française et l'appareil de production en particulier.
 
Q.- Est-on sorti des conflits sociaux ou est-on simplement en suspens, avec une épée de Damoclès sur les vacances de Noël ?
 
R.- Je ne peux qu'espérer qu'on soit sorti définitivement des grands conflits que nous venons de connaître, parce que le coût de ces grèves est incalculable. Ce n'est pas simplement un manque à gagner en chiffre d'affaires, c'est aussi un épuisement de la plupart de nos collaborateurs, notamment en région parisienne. Ce sont des affaires qui ont été loupées, et qu'on ne reverra pas.
 
Q.- Mauvaise méthode du Gouvernement ? Ce n'était pas la bonne méthode ?
 
R.-...Des investisseurs qui sont venus en France et qui devaient venir en France et qui finalement ont annulé leurs projets... Je crois surtout qu'il faut passer d'une culture du conflit, en matière de dialogue social, à une culture du compromis. C'est ce que nous essayons d'ailleurs de faire nous-mêmes, entre patronat et syndicats, dans le cadre de la négociation sur le marché du travail.
 
Q.- Garde-à-vue demain pour D. Gautier-Sauvagnac dans l'affaire de la caisse noire de l'UIMM. Lui demandez-vous de dire aux enquêteurs ce qu'il a fait de cet argent liquide, ou l'exhortez-vous à se taire comme il le fait depuis le début ?
 
R.- Il ne m'appartient pas de lui conseiller quoi que soit...
 
Q.- Au nom du patronat et des intérêts du Medef.
 
R.- Il n'y a qu'une chose à laquelle j'aspire, c'est que l'organisation qui représente l'industrie ou en tout cas une grande partie de l'industrie au sein du Medef se rénove, se modernise pour que la voix de l'industrie soit clairement entendue, soit reconnue et je crois qu'au-delà de cela, nous sommes tous en ce moment, et à la tête du Medef en particulier, repenser la représentation des entreprises, il faut que nous évoluions vers un patronat du 21ème siècle.
 
Q.- 21ème siècle, eh bien, pour M. Pébereau, c'est le CAC-40 qui vit sa vie, ces grandes entreprises, loin du Medef. Y a-t-il un risque de scission ?
 
R.- Ah non, pas du tout. L'institut de l'entreprise que président M. Pébereau a une vocation de "Think tank". C'est un "Think tank" qui veut s'exprimer plus visiblement qu'il ne l'a fait jusqu'à présent. Tant mieux ! Quant à nous, Medef, nous avons je dirais une spécificité, une force unique, qui est que nous représentons toutes les entreprises françaises, de la toute petite, la TPE, jusqu'à la très grande, le numéro 1 du CAC-40. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 26 novembre 2007