Texte intégral
Je suis très heureux d'être à Vienne, depuis hier. Nous avons eu, à l'initiative de l'ambassadeur, un dîner de travail hier soir, avec le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes et internationales, M. Winkler et ses collaborateurs. Aujourd'hui, j'ai rencontré M. Cap, président du groupe d'amitié franco-autrichienne au Parlement et le ministre de l'Economie M. Bartenstein. Nous avons eu une réunion avec M. Winkler et j'ai rencontré la ministre des Affaires européennes et internationales, Mme Plassnik. Le but de ce déplacement est, d'une part, de présenter et de préparer la Présidence française et d'écouter nos partenaires, de faire le point sur les questions internationales et, d'autre part, de préparer la visite du président de la République qui devrait avoir lieu au printemps. Je suis très heureux puisque je suis accompagné dans ce déplacement par M. Gaubert, député à l'Assemblée nationale, par M. Denis Badré sénateur, membre de la délégation pour l'Union européenne du Sénat, et par M. Del Picchia, que vous connaissez tous et qui est sénateur représentant des Français de l'étranger et viennois.
Avant que je prononce un discours sur la présidence française et le rôle de l'Union européenne comme acteur global, à l'Académie diplomatique de Vienne, je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Q - Monsieur le Ministre, la situation au Kosovo est en train de se détériorer, il y a des menaces de guerre, prononcées du côté de la Serbie et la Russie, menace de ne pas reconnaître le Kosovo après la déclaration d'indépendance. Quelle est la position de la France à ce sujet ? Quelle sera la réaction de l'Union européenne, parce qu'il n'y a pas encore de position commune à ce sujet ? Trois pays disent ouvertement qu'ils ne vont pas reconnaître le Kosovo, à savoir la Slovaquie, la Grèce, Chypre et peut-être également la Roumanie. Quelle est votre position à ce sujet ?
R - Nous devons tout faire pour maintenir une situation sous contrôle puisque c'est au cours du mois de janvier que nous verrons quelles seront les réactions à une déclaration d'indépendance qui paraît inéluctable. Il nous reste encore quelques semaines pour essayer, même si les marges sont faibles, de prolonger les efforts de la troïka, pour faire preuve d'imagination, pour appeler les uns et les autres au sens des responsabilités. Il y a trois éléments importants.
Le premier, c'est que nous verrons dans le courant du premier semestre 2008 les réactions des membres de l'Union européenne. Vous avez cité un certain nombre de pays, il est probable que les réactions seront plus ou moins étalées dans le temps, et peuvent être différentes au départ.
Deuxièmement, l'unité de l'Europe doit se faire sur sa capacité à assurer la stabilisation et la sécurité dans le cadre d'une situation nouvelle. C'est là-dessus que sera jugée l'Europe, sa crédibilité et son unité. C'est donc sur le plan de la police, du droit, de la justice, que sera jugée son unité.
Enfin, troisièmement, il faut offrir des perspectives européennes aux Balkans occidentaux, en respectant les standards de l'adhésion européenne. Il ne s'agit pas de précipiter les choses mais nous devons offrir, notamment à la Serbie, des perspectives européennes claires, dans le respect des règles normales d'accession à l'Union européenne et compte tenu des engagements qui doivent être pris à l'égard du Tribunal pénal international. Ce que nous souhaitons, tout en reconnaissant les difficultés que cela pose, c'est que chacun soit responsable et que ceux qui sont les plus sages en Serbie conservent leur sagesse. Nous devons les aider à cet égard. Il faut de l'unité dans l'Europe, de la retenue de la part des deux protagonistes et éviter toute humiliation.
Q - En ce qui concerne le Kosovo, encore une fois, est-ce qu'il est vrai que l'Union européenne exerce une certaine pression sur le Kosovo, visant à ne pas déclarer l'indépendance immédiatement après le 10 décembre ?
R - Le sujet est suffisamment complexe pour qu'il n'y ait pas de précipitation. La précipitation est mauvaise conseillère. Il faut, comme je l'ai dit, qu'il y ait de la retenue et, même lorsque le droit a été dit, il ne faut pas qu'il y ait d'humiliation. C'est vrai que nous avons tendance, en reprenant une formule célèbre, à considérer que parfois il faut donner du temps au temps.
Q - Vous avez dit que vous vouliez également préparer la visite du président de la République au printemps. Quels étaient les sujets abordés lors de l'entretien avec Mme Plassnik et quelle sera le but principal de cette visite?
R - La visite du président de la République s'inscrit dans sa volonté de rencontrer et d'écouter l'ensemble des partenaires européens, avant la présidence française, pour faire en sorte que cette présidence française soit la plus collective possible. Pour cela, il faut que nous nous mettions d'accord sur un certain nombre de priorités à traiter dans le cadre de cette présidence. Nous avons trois grandes priorités à discuter avec nos partenaires. La première a trait à la lutte contre le changement climatique et une politique énergétique qui soit en cohérence avec la lutte contre le changement climatique. La deuxième est la gestion des migrations, avec des échanges d'information sur les politiques d'intégration. La troisième a trait aux questions de sécurité et de défense parce que nous souhaitons accroître les capacités opérationnelles et les moyens de planification de la Défense européenne.
Q - Encore une question concernant la politique énergétique. Apparemment, il y a des postions très divergentes entre l'Autriche et la France à ce sujet puisque la France mise sur le nucléaire pour lutter contre le changement climatique, alors qu'en Autriche, il y a toujours une forte opposition à l'énergie nucléaire. Est-ce qu'il y a un conflit entre la France et l'Autriche ?
R - On connaît les traditions respectives des deux pays. En France, nous avons effectivement une place significative donnée à l'industrie nucléaire mais nous souhaitons également développer les énergies renouvelables. Nous souhaitons qu'elles puissent représenter plus de 10 % du bilan énergétique total à l'avenir et même 20 % si c'est possible. Donc c'est de l'énergie nucléaire plus des énergies renouvelables, ce n'est pas contradictoire. L'Autriche met l'accent, et c'est bien, sur les énergies renouvelables. L'important est qu'il y ait un accord entre la France et l'Autriche pour réduire de plus de 20 % les émissions de CO2 d'ici 2020, au niveau européen. Il y a accord, entre la France et l'Autriche, sur le fait que nous devons travailler ensemble à une meilleure sécurité nucléaire, notamment dans les pays d'Europe centrale et orientale. Il y a un certain nombre d'installations nucléaires qui doivent être modernisées, sécurisées. Nous devons passer à d'autres systèmes plus modernes, en termes de centrales nucléaires ou thermiques, de façon à assurer l'indépendance des Etats baltes, de la Bulgarie, la République tchèque, de la Slovaquie, par rapport à d'autres partenaires extérieurs, et notamment à la Russie.
Q - Les médias en Autriche s'agitent beaucoup ces jours-ci au sujet du Tchad. On découvre que ce n'est pas un pays si stable. Pour quelle raison est-ce qu'on va au Tchad ? Est-ce qu'on y va justement pour protéger les intérêts français?
R - Je vais être très clair avec vous. Un, le Tchad n'a jamais été "facile" que ce soit pour les Français ou pour les autres. Et cela fait longtemps. Deux, l'Afrique n'est pas non plus un continent paisible. Trois, il faut distinguer l'opération européenne, qui n'est pas une opération pour le Tchad, de ce que sont les accords qui existent entre le Tchad et la France. Ce sont deux choses différentes. L'opération européenne a pour but de résoudre un drame humanitaire, à la frontière du Soudan et du Tchad. Elle se fait sous l'ombrelle des Nations unies, avec une base juridique internationale et elle implique différents partenaires européens, dont certains ont des traditions de neutralité. Je signale que le chef d'Etat-major des armées au Tchad dans l'opération EUFOR est un général irlandais, et il n'est pas sous commandement français. L'Europe n'agit donc pas pour le compte de la France. Elle agit comme acteur global et responsable de ses devoirs humanitaires. Agir au Tchad est toujours difficile. Vous savez, avant que cette opération démarre, votre ministre des Affaires étrangères, Mme Plassnik, avait posé beaucoup de questions, elle avait demandé beaucoup d'assurances au Conseil européen et avait été tout à fait ferme sur les conditions d'engagement de l'Autriche. Elle a fait tout son devoir et pesé ce qu'était l'intérêt européen, en sachant très bien que cela allait être très difficile pour l'Autriche et pour l'opinion publique de comprendre tout ça. J'en ai été le témoin. Ces opérations sont toujours très difficiles sur le plan logistique, sur le plan des transports. Nous assurons une partie de cette logistique de transport avec nos amis italiens et espagnols, qui nous prêtent leur concours. Cette opération au Tchad montre la nécessité d'avoir au niveau européen, pour éviter à l'avenir toutes ces ambiguïtés, les moyens nécessaires en termes de logistique. Parce que nous sommes obligés de faire appel à des moyens de différents Etats membres, ce qui crée de la confusion. L'Europe assure un devoir humanitaire. Nous ne travaillons ni pour le président du Tchad, ni pour les rebelles. Nous aidons les victimes, nous aidons les populations, nous aidons à la stabilisation. Ici, l'Europe ne travaille pas pour la France, l'Europe travaille pour l'Europe au service d'une cause humanitaire internationale. L'Europe est reconnaissante à l'Autriche de s'être engagée dans des conditions difficiles, je l'ai rappelé, mais je crois que c'est également dans la droite ligne de la tradition humanitaire autrichienne dont l'Autriche peut être fière.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous croyez que le Sommet Afrique-UE offre réellement des nouvelles perspectives ?
R - Ce sommet est extrêmement important parce que c'est le premier sommet entre l'Union européenne et l'Afrique depuis 2000. C'est déjà un événement en soi. C'est l'occasion de revoir les relations de partenariat, notamment sur le plan économique entre l'Europe et l'Afrique. Ce sommet intervient dans le cadre du renouvellement des accords de partenariat économique et nous souhaitons que la dimension de développement soit encore plus présente dans ces accords. L'Afrique, en premier chef, doit en être la première bénéficiaire. Je crois que c'est aussi l'occasion de travailler sur des projets de développement très concrets. Il doit également y avoir une meilleure prise en compte et une actualisation des préférences commerciales et de l'initiative "Anything but arms" avec les pays les moins avancés. Enfin c'est l'occasion de faire un point plus stratégique sur la situation de l'Afrique s'agissant de la gouvernance et d'assurer, au moment où de grandes puissances y sont de plus en plus présentes, une présence européenne significative sur le plan économique et de l'aide à la gouvernance publique.
Q - Encore une question sur le Tchad : étant donné la forte présence de la France au Tchad, est-ce que vous n'avez pas peur que les forces européennes soient considérées comme force d'occupation, parce que j'imagine que les rebelles auront du mal à faire la distinction entre les soldats français et européens par exemple ?
R - Non, c'est totalement faux. Vous avez des opérations françaises, des troupes françaises dans le cadre de l'opération Epervier, dans le cadre d'accords entre la France et le Tchad. Les forces européennes vont se déployer dans la région Est, aux frontières. Il y a des soldats français dans ces forces européennes, sous commandement européen. Ils interviennent en fonction de règles fixées par l'état major européen, par le COPS à Bruxelles. Il y a donc une distinction claire. Je vais être encore plus clair : il a fallu que cette présence européenne soit acceptée par le Tchad. Il a fallu là aussi que nous fassions respecter le droit international et le droit humanitaire. En aucun cas, je le répète, l'Europe n'est le supplétif de la France dans cette opération. L'Europe doit être présente sur l'un des principaux drames humanitaires que vit le monde, et doit jouer son rôle d'acteur global. Si c'était une affaire purement tchadienne, pour être aussi très clair avec vous, la France aurait les moyens d'agir par elle-même, ce n'est pas le sujet. C'est à la frontière du Tchad que se déploieront les troupes européennes, et nous parlons de la crise du Darfour. Je voudrais quand même le rappeler, il s'agit d'un enjeu humanitaire qui concerne le Darfour. Ce serait dans une autre partie d'Afrique, nous aurions agi de la même façon avec les mêmes Européens et demandé le même engagement. Ce serait demain en Asie, il y aurait également le même engagement.
Q - Une question concernant la politique générale étrangère de la France. On entend souvent des critiques que le président Sarkozy se concerte trop peu avec les partenaires européens, et qu'il avance seul, en ce qui concerne l'Algérie par exemple, la Libye ou encore ses félicitations au président Poutine. Quelle est votre position là-dessus ?
R - En ce qui concerne l'Algérie, il s'agit d'une visite bilatérale, je n'ai pas entendu de critiques européennes sur ce plan-là.
En ce qui concerne la Russie et les élections législatives, nous avons tous regretté, au niveau européen, que la Russie ait refusé qu'il y ait des observateurs internationaux techniques de l'OSCE qui surveillent le processus électoral. Nous souhaitons que toute la lumière soit faite sur les allégations qui montreraient que ces élections ont été faussées. Je crois d'ailleurs que les ministres européens des Affaires étrangères en discuteront lundi au Conseil. La Russie doit comprendre, dans son partenariat avec l'Europe, qu'elle est un grand pays, mais qu'elle doit assumer toutes les exigences liées à la transparence démocratique.
En ce qui concerne la Libye, la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien, il y a eu des contacts très étroits avec le président de la Commission européenne, avec la Présidence de l'Union européenne, qui a été tenue informée. Mme Merkel et M. Blair, en son temps, ont joué un rôle important. Cela a été plus visible du côté français, mais il y a eu des échanges européens très intenses. Dès lors que la Libye respecte ses obligations internationales, et c'est le cas, en ce qui concerne la renonciation au terrorisme ou les armes de destruction massive, nous devons accompagner son évolution dans la réinsertion dans la communauté internationale. Je ne pense qu'il y ait de discussions à l'égard de cette stratégie-là au niveau européen.
Q - Vous avez dit qu'une des priorités de la Présidence française sera le renforcement de la politique de Défense et de Sécurité de l'Union européenne, et donc des moyens opérationnels de cette politique. Pouvez-vous apporter quelques précisions? Est-ce que cela finira par une armée européenne ?
R - Nous n'en sommes pas là. Ce que l'on souhaite, c'est que les moyens en hommes de l'état major européen soient renforcés. C'est que les systèmes d'armement soient plus inter-opérables, et qu'il y ait, justement pour éviter les confusions que l'on a décrites tout à l'heure sur l'opération tchadienne, une véritable logistique et une meilleure planification des opérations au niveau européen. Nous sommes très pragmatiques.
Q - Après six mois, qu'est ce que cela change pour vous de travailler dans un gouvernement de droite ?
R - C'est une bonne question. Vous savez que je n'ai pas l'habitude de répondre à des questions de politique intérieure lorsque nous sommes à l'étranger. Ce qui est important, c'est de travailler au service de l'Europe, qui à mon avis, comme on l'a vu avec le traité, dépasse les clivages droite/gauche. Ma principale mission est de travailler au service de l'engagement européen, qui a toujours été le mien, de travailler à faire progresser l'idée européenne en France et de faire progresser les mécanismes de décision au niveau européen.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 décembre 2007
Avant que je prononce un discours sur la présidence française et le rôle de l'Union européenne comme acteur global, à l'Académie diplomatique de Vienne, je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Q - Monsieur le Ministre, la situation au Kosovo est en train de se détériorer, il y a des menaces de guerre, prononcées du côté de la Serbie et la Russie, menace de ne pas reconnaître le Kosovo après la déclaration d'indépendance. Quelle est la position de la France à ce sujet ? Quelle sera la réaction de l'Union européenne, parce qu'il n'y a pas encore de position commune à ce sujet ? Trois pays disent ouvertement qu'ils ne vont pas reconnaître le Kosovo, à savoir la Slovaquie, la Grèce, Chypre et peut-être également la Roumanie. Quelle est votre position à ce sujet ?
R - Nous devons tout faire pour maintenir une situation sous contrôle puisque c'est au cours du mois de janvier que nous verrons quelles seront les réactions à une déclaration d'indépendance qui paraît inéluctable. Il nous reste encore quelques semaines pour essayer, même si les marges sont faibles, de prolonger les efforts de la troïka, pour faire preuve d'imagination, pour appeler les uns et les autres au sens des responsabilités. Il y a trois éléments importants.
Le premier, c'est que nous verrons dans le courant du premier semestre 2008 les réactions des membres de l'Union européenne. Vous avez cité un certain nombre de pays, il est probable que les réactions seront plus ou moins étalées dans le temps, et peuvent être différentes au départ.
Deuxièmement, l'unité de l'Europe doit se faire sur sa capacité à assurer la stabilisation et la sécurité dans le cadre d'une situation nouvelle. C'est là-dessus que sera jugée l'Europe, sa crédibilité et son unité. C'est donc sur le plan de la police, du droit, de la justice, que sera jugée son unité.
Enfin, troisièmement, il faut offrir des perspectives européennes aux Balkans occidentaux, en respectant les standards de l'adhésion européenne. Il ne s'agit pas de précipiter les choses mais nous devons offrir, notamment à la Serbie, des perspectives européennes claires, dans le respect des règles normales d'accession à l'Union européenne et compte tenu des engagements qui doivent être pris à l'égard du Tribunal pénal international. Ce que nous souhaitons, tout en reconnaissant les difficultés que cela pose, c'est que chacun soit responsable et que ceux qui sont les plus sages en Serbie conservent leur sagesse. Nous devons les aider à cet égard. Il faut de l'unité dans l'Europe, de la retenue de la part des deux protagonistes et éviter toute humiliation.
Q - En ce qui concerne le Kosovo, encore une fois, est-ce qu'il est vrai que l'Union européenne exerce une certaine pression sur le Kosovo, visant à ne pas déclarer l'indépendance immédiatement après le 10 décembre ?
R - Le sujet est suffisamment complexe pour qu'il n'y ait pas de précipitation. La précipitation est mauvaise conseillère. Il faut, comme je l'ai dit, qu'il y ait de la retenue et, même lorsque le droit a été dit, il ne faut pas qu'il y ait d'humiliation. C'est vrai que nous avons tendance, en reprenant une formule célèbre, à considérer que parfois il faut donner du temps au temps.
Q - Vous avez dit que vous vouliez également préparer la visite du président de la République au printemps. Quels étaient les sujets abordés lors de l'entretien avec Mme Plassnik et quelle sera le but principal de cette visite?
R - La visite du président de la République s'inscrit dans sa volonté de rencontrer et d'écouter l'ensemble des partenaires européens, avant la présidence française, pour faire en sorte que cette présidence française soit la plus collective possible. Pour cela, il faut que nous nous mettions d'accord sur un certain nombre de priorités à traiter dans le cadre de cette présidence. Nous avons trois grandes priorités à discuter avec nos partenaires. La première a trait à la lutte contre le changement climatique et une politique énergétique qui soit en cohérence avec la lutte contre le changement climatique. La deuxième est la gestion des migrations, avec des échanges d'information sur les politiques d'intégration. La troisième a trait aux questions de sécurité et de défense parce que nous souhaitons accroître les capacités opérationnelles et les moyens de planification de la Défense européenne.
Q - Encore une question concernant la politique énergétique. Apparemment, il y a des postions très divergentes entre l'Autriche et la France à ce sujet puisque la France mise sur le nucléaire pour lutter contre le changement climatique, alors qu'en Autriche, il y a toujours une forte opposition à l'énergie nucléaire. Est-ce qu'il y a un conflit entre la France et l'Autriche ?
R - On connaît les traditions respectives des deux pays. En France, nous avons effectivement une place significative donnée à l'industrie nucléaire mais nous souhaitons également développer les énergies renouvelables. Nous souhaitons qu'elles puissent représenter plus de 10 % du bilan énergétique total à l'avenir et même 20 % si c'est possible. Donc c'est de l'énergie nucléaire plus des énergies renouvelables, ce n'est pas contradictoire. L'Autriche met l'accent, et c'est bien, sur les énergies renouvelables. L'important est qu'il y ait un accord entre la France et l'Autriche pour réduire de plus de 20 % les émissions de CO2 d'ici 2020, au niveau européen. Il y a accord, entre la France et l'Autriche, sur le fait que nous devons travailler ensemble à une meilleure sécurité nucléaire, notamment dans les pays d'Europe centrale et orientale. Il y a un certain nombre d'installations nucléaires qui doivent être modernisées, sécurisées. Nous devons passer à d'autres systèmes plus modernes, en termes de centrales nucléaires ou thermiques, de façon à assurer l'indépendance des Etats baltes, de la Bulgarie, la République tchèque, de la Slovaquie, par rapport à d'autres partenaires extérieurs, et notamment à la Russie.
Q - Les médias en Autriche s'agitent beaucoup ces jours-ci au sujet du Tchad. On découvre que ce n'est pas un pays si stable. Pour quelle raison est-ce qu'on va au Tchad ? Est-ce qu'on y va justement pour protéger les intérêts français?
R - Je vais être très clair avec vous. Un, le Tchad n'a jamais été "facile" que ce soit pour les Français ou pour les autres. Et cela fait longtemps. Deux, l'Afrique n'est pas non plus un continent paisible. Trois, il faut distinguer l'opération européenne, qui n'est pas une opération pour le Tchad, de ce que sont les accords qui existent entre le Tchad et la France. Ce sont deux choses différentes. L'opération européenne a pour but de résoudre un drame humanitaire, à la frontière du Soudan et du Tchad. Elle se fait sous l'ombrelle des Nations unies, avec une base juridique internationale et elle implique différents partenaires européens, dont certains ont des traditions de neutralité. Je signale que le chef d'Etat-major des armées au Tchad dans l'opération EUFOR est un général irlandais, et il n'est pas sous commandement français. L'Europe n'agit donc pas pour le compte de la France. Elle agit comme acteur global et responsable de ses devoirs humanitaires. Agir au Tchad est toujours difficile. Vous savez, avant que cette opération démarre, votre ministre des Affaires étrangères, Mme Plassnik, avait posé beaucoup de questions, elle avait demandé beaucoup d'assurances au Conseil européen et avait été tout à fait ferme sur les conditions d'engagement de l'Autriche. Elle a fait tout son devoir et pesé ce qu'était l'intérêt européen, en sachant très bien que cela allait être très difficile pour l'Autriche et pour l'opinion publique de comprendre tout ça. J'en ai été le témoin. Ces opérations sont toujours très difficiles sur le plan logistique, sur le plan des transports. Nous assurons une partie de cette logistique de transport avec nos amis italiens et espagnols, qui nous prêtent leur concours. Cette opération au Tchad montre la nécessité d'avoir au niveau européen, pour éviter à l'avenir toutes ces ambiguïtés, les moyens nécessaires en termes de logistique. Parce que nous sommes obligés de faire appel à des moyens de différents Etats membres, ce qui crée de la confusion. L'Europe assure un devoir humanitaire. Nous ne travaillons ni pour le président du Tchad, ni pour les rebelles. Nous aidons les victimes, nous aidons les populations, nous aidons à la stabilisation. Ici, l'Europe ne travaille pas pour la France, l'Europe travaille pour l'Europe au service d'une cause humanitaire internationale. L'Europe est reconnaissante à l'Autriche de s'être engagée dans des conditions difficiles, je l'ai rappelé, mais je crois que c'est également dans la droite ligne de la tradition humanitaire autrichienne dont l'Autriche peut être fière.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous croyez que le Sommet Afrique-UE offre réellement des nouvelles perspectives ?
R - Ce sommet est extrêmement important parce que c'est le premier sommet entre l'Union européenne et l'Afrique depuis 2000. C'est déjà un événement en soi. C'est l'occasion de revoir les relations de partenariat, notamment sur le plan économique entre l'Europe et l'Afrique. Ce sommet intervient dans le cadre du renouvellement des accords de partenariat économique et nous souhaitons que la dimension de développement soit encore plus présente dans ces accords. L'Afrique, en premier chef, doit en être la première bénéficiaire. Je crois que c'est aussi l'occasion de travailler sur des projets de développement très concrets. Il doit également y avoir une meilleure prise en compte et une actualisation des préférences commerciales et de l'initiative "Anything but arms" avec les pays les moins avancés. Enfin c'est l'occasion de faire un point plus stratégique sur la situation de l'Afrique s'agissant de la gouvernance et d'assurer, au moment où de grandes puissances y sont de plus en plus présentes, une présence européenne significative sur le plan économique et de l'aide à la gouvernance publique.
Q - Encore une question sur le Tchad : étant donné la forte présence de la France au Tchad, est-ce que vous n'avez pas peur que les forces européennes soient considérées comme force d'occupation, parce que j'imagine que les rebelles auront du mal à faire la distinction entre les soldats français et européens par exemple ?
R - Non, c'est totalement faux. Vous avez des opérations françaises, des troupes françaises dans le cadre de l'opération Epervier, dans le cadre d'accords entre la France et le Tchad. Les forces européennes vont se déployer dans la région Est, aux frontières. Il y a des soldats français dans ces forces européennes, sous commandement européen. Ils interviennent en fonction de règles fixées par l'état major européen, par le COPS à Bruxelles. Il y a donc une distinction claire. Je vais être encore plus clair : il a fallu que cette présence européenne soit acceptée par le Tchad. Il a fallu là aussi que nous fassions respecter le droit international et le droit humanitaire. En aucun cas, je le répète, l'Europe n'est le supplétif de la France dans cette opération. L'Europe doit être présente sur l'un des principaux drames humanitaires que vit le monde, et doit jouer son rôle d'acteur global. Si c'était une affaire purement tchadienne, pour être aussi très clair avec vous, la France aurait les moyens d'agir par elle-même, ce n'est pas le sujet. C'est à la frontière du Tchad que se déploieront les troupes européennes, et nous parlons de la crise du Darfour. Je voudrais quand même le rappeler, il s'agit d'un enjeu humanitaire qui concerne le Darfour. Ce serait dans une autre partie d'Afrique, nous aurions agi de la même façon avec les mêmes Européens et demandé le même engagement. Ce serait demain en Asie, il y aurait également le même engagement.
Q - Une question concernant la politique générale étrangère de la France. On entend souvent des critiques que le président Sarkozy se concerte trop peu avec les partenaires européens, et qu'il avance seul, en ce qui concerne l'Algérie par exemple, la Libye ou encore ses félicitations au président Poutine. Quelle est votre position là-dessus ?
R - En ce qui concerne l'Algérie, il s'agit d'une visite bilatérale, je n'ai pas entendu de critiques européennes sur ce plan-là.
En ce qui concerne la Russie et les élections législatives, nous avons tous regretté, au niveau européen, que la Russie ait refusé qu'il y ait des observateurs internationaux techniques de l'OSCE qui surveillent le processus électoral. Nous souhaitons que toute la lumière soit faite sur les allégations qui montreraient que ces élections ont été faussées. Je crois d'ailleurs que les ministres européens des Affaires étrangères en discuteront lundi au Conseil. La Russie doit comprendre, dans son partenariat avec l'Europe, qu'elle est un grand pays, mais qu'elle doit assumer toutes les exigences liées à la transparence démocratique.
En ce qui concerne la Libye, la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien, il y a eu des contacts très étroits avec le président de la Commission européenne, avec la Présidence de l'Union européenne, qui a été tenue informée. Mme Merkel et M. Blair, en son temps, ont joué un rôle important. Cela a été plus visible du côté français, mais il y a eu des échanges européens très intenses. Dès lors que la Libye respecte ses obligations internationales, et c'est le cas, en ce qui concerne la renonciation au terrorisme ou les armes de destruction massive, nous devons accompagner son évolution dans la réinsertion dans la communauté internationale. Je ne pense qu'il y ait de discussions à l'égard de cette stratégie-là au niveau européen.
Q - Vous avez dit qu'une des priorités de la Présidence française sera le renforcement de la politique de Défense et de Sécurité de l'Union européenne, et donc des moyens opérationnels de cette politique. Pouvez-vous apporter quelques précisions? Est-ce que cela finira par une armée européenne ?
R - Nous n'en sommes pas là. Ce que l'on souhaite, c'est que les moyens en hommes de l'état major européen soient renforcés. C'est que les systèmes d'armement soient plus inter-opérables, et qu'il y ait, justement pour éviter les confusions que l'on a décrites tout à l'heure sur l'opération tchadienne, une véritable logistique et une meilleure planification des opérations au niveau européen. Nous sommes très pragmatiques.
Q - Après six mois, qu'est ce que cela change pour vous de travailler dans un gouvernement de droite ?
R - C'est une bonne question. Vous savez que je n'ai pas l'habitude de répondre à des questions de politique intérieure lorsque nous sommes à l'étranger. Ce qui est important, c'est de travailler au service de l'Europe, qui à mon avis, comme on l'a vu avec le traité, dépasse les clivages droite/gauche. Ma principale mission est de travailler au service de l'engagement européen, qui a toujours été le mien, de travailler à faire progresser l'idée européenne en France et de faire progresser les mécanismes de décision au niveau européen.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 décembre 2007