Texte intégral
O. Nahum, D. Jeambar et E. Le Boucher O. Nahum : Vous êtes un fin connaisseur de la vie politique, vous avez travaillé à la présidence de l'Assemblée nationale, au Parlement et au Sénat, il y a cette note qui fait beaucoup parler ce matin, cette note de l'Elysée qui rappelle, finalement, aux hommes de l'ombre, aux conseillers comme D. Martinon par exemple, qu'il faut faire attention quand on s'exprime. Certains ont dit, "c'est un rappel à l'ordre" ; comment l'interprétez-vous ? C'est parce que les hommes de l'ombre, les conseillers ont trop pris la parole ? C'est une note qui a été révélée sur Net, pour être clair.
R.- Je n'ai pas lu cette note, donc j'aurai beaucoup de mal à en faire un commentaire. Oh, je trouve que le fait que D. Martinon lui-même étant un porte-parole, c'est assez normal qu'il s'exprime. Quant aux autres, je trouve que l'expression est assez cohérente, correspond à la politique du Président. Il y a problème lorsque l'expression, d'où qu'elle vienne d'ailleurs - de parlementaires... - est très divergente, mais à partir du moment où les choses vont dans le même sens, moi, ça ne me choque pas spécialement.
O. Nahum : Tout va relativement bien, peut-être que D. Jeambar à une question, le poil à gratter ? D. Jeambar : Non, pas le poil à gratter. Mais je voulais évoquer le travail parlementaire et y revenir. O. Nahum : Alors, justement, R. Karoutchi a signé un livre qui sort en ce moment, justement, qui s'appelle, "Le Parlement, à quoi ça sert ?", qui est édité chez Ellipses, où vous parlez de votre passion du travail parlementaire. D. Jeambar : Et c'est vrai que beaucoup de textes sont en débat aujourd'hui ou sur le point d'être adoptés. Est-ce que vous ne craigniez pas, au fond, parce que c'est un peu une manie française que de produire de beaucoup de textes, que trop de textes tuent les textes ? Parce que on voit bien que très souvent derrière, les décrets d'application ne suivent pas et on a eu des effets d'annonce, un travail parlementaire important, et en réalité, il se passe des mois et des mois, et parfois il ne se passe rien avant que cette loi ne soit appliquée.
R.- Vous avez raison, avec une ou deux nuances. D'abord, le Sénat vient d'ailleurs de publier un rapport prouvant que sur les deux, trois dernières années, nous étions, entre guillemets, "plus vertueux". Comme c'est sur les deux, trois dernières années, ce n'est pas spécifiquement ce gouvernement, c'est le précédent aussi, à savoir que les décrets d'application sortent plus vite et sont, de manière générale, plus cohérents par rapport au texte de loi. Donc, déjà, il y a un progrès. Le deuxième élément, c'est qu'à l'initiative, notamment du président de la commission des lois de l'Assemble, mon ami Warsmann, on a pris un texte de simplification législative qui devra revenir peut-être tous les six mois, peut-être tous les ans avec, c'est assez original, un texte de loi qui, en réalité, supprime et...
O. Nahum : ...Fait le ménage ?
R.- Fait le ménage, c'est-à-dire, on vous dit, "voilà, il y a toute une série, 50, 100, 200 lois que l'on enlève du circuit", soit parce qu'elles sont inappliquées, soit parce qu'elles sont contredites par des lois plus récentes, donc on les enlève. Mais je suis d'accord avec vous, on l'a dit beaucoup, le Parlement légifère trop et comme il légifère trop c'est très difficile. Je ne reviens pas sur ce qu'on disait tout à l'heure, sur le mercredi matin, mais la vérité c'est qu'il faudrait travailler différemment. Et comme le propose d'ailleurs le comité Balladur...
O. Nahum : ...Sur la réforme des institutions.
R.- Il faudrait travailler plus en commission, beaucoup moins en hémicycle, avoir peut-être des textes, ce qu'on appelle parfois "des petites lois" qui ne seraient votées que par une commission élargie et les grands textes de principe dans l'hémicycle. Moins de lois peut-être avec plus de portée, faire beaucoup plus attention au domaine réglementaire qui envahit trop le domaine de l'hémicycle, aujourd'hui c'est une nécessité absolue. Moi, je suis le premier à dire quand je vois, et ce n'est pas un reproche, les ministres qui viennent, les uns et les autres, avec l'arbitrage du Premier ministre, dire, "il faudrait nous faire passer absolument ça, et puis ça, et puis ça...". Je passe sur le fait qu'il faut aussi transcrire un certain nombre de directives européennes, etc. C'est vrai qu'on a une espèce d'amoncellement dans le travail législatif qui ne rend pas toujours très lisible les textes essentiels par rapport aux autres.
D. Jeambar : Et, ce n'est pas mission impossible ? Je vois, par exemple, sur le code du travail, où je crois, à juste titre, il y avait un travail entrepris pour essayer de le dépoussiérer, le faire maigrir un peu - plus de 1.000 pages illisibles -, et on voit bien aujourd'hui, après deux années de travail, qu'on va reproduire un code du travail aussi épais avant, on a supprimé des dispositions qui n'ont plus de sens mais on en a rajoutées à cause des dispositions européennes, et finalement, on a fait du surplace.
R.- Non, ce n'est pas tout à fait vrai. Ce n'est pas seulement au poids du manuel qu'il faut regarder le travail. La vérité c'est que ce texte permet de remettre dans le domaine réglementaire ce qui doit être dans le domaine réglementaire et de remettre dans le domaine législatif ce qui doit l'être. La précédente codification du travail remonte à 1973. Chacun le comprend et sait qu'en trente-quatre ans, le code a évolué énormément. On a stocké, on a empilé des règles contradictoires. En réalité, le code, on n'a pas dit qu'on allait en faire un Reader's digest, on a simplement dit qu'on allait le rendre réellement applicable en faisant en sorte que toutes les contradictions, que tous les empilements parfois contradictoires, justement, les uns entre les autres, allaient être évacués au profit de quelque chose qui ne serait pas très simple - le code du travail français est compliqué - mais en même temps, qui serait cohérent et lisible.
O. Nahum : Vous signez ce livre, vous dites que vous voulez transmettre aux Français votre passion du Parlement, mais on a souvent tendance à dire qu'à l'époque de hyper présidentialisation, le Parlement, finalement, n'a plus vraiment la place qu'il mérite. Est-ce que vous partagez l'avis de ceux qui disent que finalement, le travail parlementaire n'est plus valorisé parce qu'on a aussi un Président qui est partout, qui se mêle de tout, qui va là où il doit aller, du Guilvinec aux banlieues en passant par l'Algérie ?
R.- Ça, entre nous, j'ai fait sa campagne et on ne peut pas dire qu'il ne l'ait pas dit aux Français.
O. Nahum : Ça, c'est vrai...
R.- Il leur a dit, "je serai un président acteur sur l'avant-scène, je saisirai tous les problèmes, il n'y a pas de domaine réservé, tous les problèmes de votre quotidien et c'est avec vous que je me battrai pour le changer". Donc il fait ce sur quoi il s'est engagé et personne ne peut dire aujourd'hui, "tiens, quelle surprise !". Mais je ne crois pas que l'on puisse dire qu'une présence, un engagement fort du président de la République réduit le pouvoir du Parlement, parce que dans la pratique l'engagement du Président se traduit ensuite par le fait que tel ou tel ministre porte un texte, de réforme, mais porte un texte. Et ce texte se retrouve forcément devant l'Assemblée nationale et le Sénat pour être débattu, pour être amendé. Vous vous rendez compte, même le collectif budgétaire, qui est en ce moment à l'Assemblée nationale, 270 amendements, sur tous les textes, le Parlement travaille beaucoup ! Et quand on dit, "cela ne sert peut-être pas à grand-chose" ; hier soir, j'étais en séance, et bien des amendements, y compris de l'opposition, sont acceptés, sont adoptés par le Gouvernement et on avance. Je crois que quand on est parlementaire, on a une vraie passion à la fois pour l'intérêt public, l'intérêt national, mais en même temps pour un certain type de travail de modification, d'amélioration de la loi. Et quand on est sénateur ou député, franchement, c'est un vrai enjeu et je crois que c'est important que les gens le fassent. Moi, j'ai été sénateur, j'ai été député européen, j'ai avec P. Séguin, effectivement, "géré", entre guillemets, le travail de l'Assemblée nationale. J'ai une vraie passion pour le Parlement que j'essaye de faire partager, mais c'est très bien, parce que j'y crois beaucoup. Je trouve que c'est une vraie vie, c'est un vrai combat, les types qui se dévouent à faire ça, c'est un vrai engagement. Et quand je vois parfois des images négatives ou un peu déstabilisantes...
O. Nahum : Parce qu'il y a l'absentéisme parlementaire, ce genre de chose...
R.- L'absentéisme parlementaire, je le dénonce quand je me prends sur la tête un quorum fait par J.-M. Ayrault. Très bien, mais c'est un coup politique ça !
O. Nahum : Vous avez dit que c'était une opération (inaud.)...
R.- Mais oui, parce qu'en vérité, par exemple hier matin même, en réalité, alors que dans l'hémicycle il y avait, c'est vrai, pas beaucoup de députés qui faisaient le boulot, mais parce que c'était très spécialisé, dès qu'il y a eu alarme, tocsin et tout, on a vu arriver 200 députés qui étaient dans la maison ! Il y avait quatre commissions qui se réunissaient, il y avait des groupes d'amitié qui se réunissaient. Le métier de député comme celui de sénateur, ce n'est pas uniquement d'être assis dans l'hémicycle. Il y a beaucoup de travail en commission, malheureusement très peu médiatisé, mais c'est comme ça. Je crois qu'il faut qu'on revienne à un travail plus organisé, peut-être effectivement, Jean-François a raison, qu'on sanctuarise le travail des commissions. Mais je reconnais que cela veut dire qu'il faut qu'on se dise que dorénavant, les textes de loi iront en commission, que ce sera peut-être le texte de la commission qui arrivera dans l'hémicycle pour qu'il y ait moins d'amendement et qu'on travaille mieux.
D. Jeambar : Pour rester un instant sur ces commissions, le fait un peu oublié maintenant que la commission des finances soit présidée par un socialiste, est-ce que cela a changé beaucoup de choses dans le travail parlementaire ? L'esprit, je veux dire, l'atmosphère ?
R.- Dans le travail, non ; dans l'esprit, forcément un peu parce que le président de la République en disant, "je veux revaloriser le travail parlementaire, je veux que l'opposition ait de vrais pouvoirs", et en disant que c'est souhaitable que la présidence de la commission des finances de l'Assemble revienne à un socialiste, évidemment, D. Migaud est un homme - je le dis franchement, ce n'est pas de l'ouverture et personne, en tout cas pas à ma connaissance, ne lui a proposé de poste...
O. Nahum : Il ne va pas rentrer au Gouvernement demain ! E. Le Boucher : P. Devedjian ne va pas vous admonester...
R.- Je ne sais pas, oh, vous savez... Mais non, ce n'est pas à ce niveau-là, on peut se parler.
O. Nahum : Donc, vous vouliez dire du bien de D. Migaud...
R.- Non mais, D. Migaud, il est socialiste, il défend ses convictions, dans les votes à l'Assemblée, évidemment, il vote contre nous, bon, très bien - enfin, "très bien", je préférerais qu'il vote pour nous, mais bon...
O. Nahum : C'était une formule...
R.- C'était une formule. Il n'empêche qu'il est, à mon sens, avec le rapporteur général G. Carrez qui lui est UMP, il est l'une des chevilles ouvrières de la commission des finances. C'est quelqu'un d'honnête, qui fait vraiment les rapports et le boulot en ne travestissant pas les choses. Et je trouve que c'est vrai que c'est un pas colossal de se dire la présidence de la commission des finances, qui est quand même essentielle, est à l'opposition. Cela prouve qu'on peut le faire et cela prouve qu'après la réforme institutionnelle, il faudra faire d'autres gestes envers l'opposition. Je préfère, sincèrement, une opposition plus associée au travail parlementaire, mieux associée au travail parlementaire, qu'une opposition qui en soit réduite à faire des coups sur le quorum, franchement.
O. Nahum : Alors, "Le Parlement à quoi ça sert ?", évidemment, c'est le livre qui raconte, qui explique ce qu'est un cavalier législatif ou ce genre de chose. Mais je voudrais juste qu'on revienne un instant sur ce qu'on évoquait il y a quelques minutes, le rapprochement France -Algérie. Il y a eu le discours de N. Sarkozy à l'adresse de la communauté des harkis ; est-ce que cela doit aller jusqu'à une indemnisation des harkis ? Parce qu'on voit circuler des chiffres sur l'indemnisation, réparation pour les dommages qui ont été subis par les harkis du fait de l'attitude de la France à un certain moment l'histoire.
R.- Il y a là-dessus - je ne veux pas y revenir - toute une série de lois qui ont été prises plus de trente ans sur les réparations financière, sur les indemnisations. Donc ça, ça existe déjà. Qu'il faille faire des gestes supplémentaires, très probablement. Mais "la réparation", entre guillemets, dans l'esprit public, l'indemnisation, elle existe déjà. Je crois qu'il y a eu au moins quatre ou cinq lois...
O. Nahum : C'est une repentance qui dit pas son nom ce qu'a tenu comme discours, hier, N. Sarkozy ? Où ça ? O. Nahum : A l'adresse des harkis.
R.- A l'adresse des harkis, il n'y a pas de repentance à avoir. Les harkis étaient avec l'armée française et aux côtés de l'armée française en Algérie. Ils ont été, c'est vrai, maltraités, lorsque dans les années 60, ils ont réussi, pour certains, à revenir en France. Et c'est vrai que la France n'a pas fait suffisamment de gestes à l'égard de ceux qui ont pris des risques pour leur vie, pour leur famille, et des risques considérables. Beaucoup d'entre eux et beaucoup de leur famille ont payé de leur vie l'engagement aux côtés de l'armée française. Donc ce n'est pas une question de repentance dans ce cas-là, puisqu'ils sont, ils étaient du côté français, c'est une question de reconnaissance de ce qui a été fait et de ce qui a été fait ensemble.
D. Jeambar : Pour rester sur une question d'équité un peu différente : au moment où on parle de relance du pouvoir d'achat, est-ce que vous trouvez, vous, juste, et habile surtout, de supprimer l'exemption de redevance télévisée pour les plus démunis, 800 .000 personnes ? O. Nahum : Ca fait discuter à l'UMP !
R.- Non, ce n'est pas tout à fait comme ça, si je puis me permettre. J'entends bien le débat ; en réalité, nous sommes sur un texte de loi - vous voyez encore - de 2004, qui dit pendant trois ans - et par définition, si c'est trois ans, cela se termine en 2007 - exonération de la redevance audiovisuelle pour les ménages de plus de 65 ans, modestes, etc. Cela représente 780.000 ménages. La loi de 2004 dit trois ans, donc effectivement ça se termine. A la limite, le problème a été remis en avant, on aurait peut-être pu y penser en 2004 en se disant, est-ce que vraiment il faut le faire pour trois ans, pourquoi pas pour tout le temps, pourquoi pas pour cinq ans ? Mais je comprends bien qu'à un moment où les Français sont très sensibles, et notamment les ménages modestes, sur le pouvoir d'achat...
O. Nahum : Vous suggérez ?
R.- Le groupe UMP a déposé d'ailleurs plusieurs types d'amendements, dont un amendement, de mémoire, qui dit réduction de moitié de la redevance audiovisuelle déjà pour 2008. Certains sont pour le fait de blanchir, si je puis dire, même l'année 2008, et en reportant à 2009. Ecoutez, voilà un exemple type où on va laisser prospérer le débat parlementaire entre les élus qui, très naturellement, disent, "c'est vrai que c'était de la loi de 2004 mais pour autant est-ce qu'il ne faut pas trouver des solutions maintenant ?". Et le Gouvernement et Bercy, et E. Woerth qui lui - et c'est une logique aussi - dit devant les Français, "attendez, moi je me suis engagé à réduire la dette, le déficit, il ne faut pas me remettre des éléments qui étaient déjà légiférés en 2004". Pour autant, je crois que le débat parlementaire va avancer à l'Assemblée, puis au Sénat, et on va voir si on trouve une solution. Je crois que tout le monde souhaite qu'on trouve une solution acceptable et qui soit effectivement de nature à rassurer.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 décembre 2007
R.- Je n'ai pas lu cette note, donc j'aurai beaucoup de mal à en faire un commentaire. Oh, je trouve que le fait que D. Martinon lui-même étant un porte-parole, c'est assez normal qu'il s'exprime. Quant aux autres, je trouve que l'expression est assez cohérente, correspond à la politique du Président. Il y a problème lorsque l'expression, d'où qu'elle vienne d'ailleurs - de parlementaires... - est très divergente, mais à partir du moment où les choses vont dans le même sens, moi, ça ne me choque pas spécialement.
O. Nahum : Tout va relativement bien, peut-être que D. Jeambar à une question, le poil à gratter ? D. Jeambar : Non, pas le poil à gratter. Mais je voulais évoquer le travail parlementaire et y revenir. O. Nahum : Alors, justement, R. Karoutchi a signé un livre qui sort en ce moment, justement, qui s'appelle, "Le Parlement, à quoi ça sert ?", qui est édité chez Ellipses, où vous parlez de votre passion du travail parlementaire. D. Jeambar : Et c'est vrai que beaucoup de textes sont en débat aujourd'hui ou sur le point d'être adoptés. Est-ce que vous ne craigniez pas, au fond, parce que c'est un peu une manie française que de produire de beaucoup de textes, que trop de textes tuent les textes ? Parce que on voit bien que très souvent derrière, les décrets d'application ne suivent pas et on a eu des effets d'annonce, un travail parlementaire important, et en réalité, il se passe des mois et des mois, et parfois il ne se passe rien avant que cette loi ne soit appliquée.
R.- Vous avez raison, avec une ou deux nuances. D'abord, le Sénat vient d'ailleurs de publier un rapport prouvant que sur les deux, trois dernières années, nous étions, entre guillemets, "plus vertueux". Comme c'est sur les deux, trois dernières années, ce n'est pas spécifiquement ce gouvernement, c'est le précédent aussi, à savoir que les décrets d'application sortent plus vite et sont, de manière générale, plus cohérents par rapport au texte de loi. Donc, déjà, il y a un progrès. Le deuxième élément, c'est qu'à l'initiative, notamment du président de la commission des lois de l'Assemble, mon ami Warsmann, on a pris un texte de simplification législative qui devra revenir peut-être tous les six mois, peut-être tous les ans avec, c'est assez original, un texte de loi qui, en réalité, supprime et...
O. Nahum : ...Fait le ménage ?
R.- Fait le ménage, c'est-à-dire, on vous dit, "voilà, il y a toute une série, 50, 100, 200 lois que l'on enlève du circuit", soit parce qu'elles sont inappliquées, soit parce qu'elles sont contredites par des lois plus récentes, donc on les enlève. Mais je suis d'accord avec vous, on l'a dit beaucoup, le Parlement légifère trop et comme il légifère trop c'est très difficile. Je ne reviens pas sur ce qu'on disait tout à l'heure, sur le mercredi matin, mais la vérité c'est qu'il faudrait travailler différemment. Et comme le propose d'ailleurs le comité Balladur...
O. Nahum : ...Sur la réforme des institutions.
R.- Il faudrait travailler plus en commission, beaucoup moins en hémicycle, avoir peut-être des textes, ce qu'on appelle parfois "des petites lois" qui ne seraient votées que par une commission élargie et les grands textes de principe dans l'hémicycle. Moins de lois peut-être avec plus de portée, faire beaucoup plus attention au domaine réglementaire qui envahit trop le domaine de l'hémicycle, aujourd'hui c'est une nécessité absolue. Moi, je suis le premier à dire quand je vois, et ce n'est pas un reproche, les ministres qui viennent, les uns et les autres, avec l'arbitrage du Premier ministre, dire, "il faudrait nous faire passer absolument ça, et puis ça, et puis ça...". Je passe sur le fait qu'il faut aussi transcrire un certain nombre de directives européennes, etc. C'est vrai qu'on a une espèce d'amoncellement dans le travail législatif qui ne rend pas toujours très lisible les textes essentiels par rapport aux autres.
D. Jeambar : Et, ce n'est pas mission impossible ? Je vois, par exemple, sur le code du travail, où je crois, à juste titre, il y avait un travail entrepris pour essayer de le dépoussiérer, le faire maigrir un peu - plus de 1.000 pages illisibles -, et on voit bien aujourd'hui, après deux années de travail, qu'on va reproduire un code du travail aussi épais avant, on a supprimé des dispositions qui n'ont plus de sens mais on en a rajoutées à cause des dispositions européennes, et finalement, on a fait du surplace.
R.- Non, ce n'est pas tout à fait vrai. Ce n'est pas seulement au poids du manuel qu'il faut regarder le travail. La vérité c'est que ce texte permet de remettre dans le domaine réglementaire ce qui doit être dans le domaine réglementaire et de remettre dans le domaine législatif ce qui doit l'être. La précédente codification du travail remonte à 1973. Chacun le comprend et sait qu'en trente-quatre ans, le code a évolué énormément. On a stocké, on a empilé des règles contradictoires. En réalité, le code, on n'a pas dit qu'on allait en faire un Reader's digest, on a simplement dit qu'on allait le rendre réellement applicable en faisant en sorte que toutes les contradictions, que tous les empilements parfois contradictoires, justement, les uns entre les autres, allaient être évacués au profit de quelque chose qui ne serait pas très simple - le code du travail français est compliqué - mais en même temps, qui serait cohérent et lisible.
O. Nahum : Vous signez ce livre, vous dites que vous voulez transmettre aux Français votre passion du Parlement, mais on a souvent tendance à dire qu'à l'époque de hyper présidentialisation, le Parlement, finalement, n'a plus vraiment la place qu'il mérite. Est-ce que vous partagez l'avis de ceux qui disent que finalement, le travail parlementaire n'est plus valorisé parce qu'on a aussi un Président qui est partout, qui se mêle de tout, qui va là où il doit aller, du Guilvinec aux banlieues en passant par l'Algérie ?
R.- Ça, entre nous, j'ai fait sa campagne et on ne peut pas dire qu'il ne l'ait pas dit aux Français.
O. Nahum : Ça, c'est vrai...
R.- Il leur a dit, "je serai un président acteur sur l'avant-scène, je saisirai tous les problèmes, il n'y a pas de domaine réservé, tous les problèmes de votre quotidien et c'est avec vous que je me battrai pour le changer". Donc il fait ce sur quoi il s'est engagé et personne ne peut dire aujourd'hui, "tiens, quelle surprise !". Mais je ne crois pas que l'on puisse dire qu'une présence, un engagement fort du président de la République réduit le pouvoir du Parlement, parce que dans la pratique l'engagement du Président se traduit ensuite par le fait que tel ou tel ministre porte un texte, de réforme, mais porte un texte. Et ce texte se retrouve forcément devant l'Assemblée nationale et le Sénat pour être débattu, pour être amendé. Vous vous rendez compte, même le collectif budgétaire, qui est en ce moment à l'Assemblée nationale, 270 amendements, sur tous les textes, le Parlement travaille beaucoup ! Et quand on dit, "cela ne sert peut-être pas à grand-chose" ; hier soir, j'étais en séance, et bien des amendements, y compris de l'opposition, sont acceptés, sont adoptés par le Gouvernement et on avance. Je crois que quand on est parlementaire, on a une vraie passion à la fois pour l'intérêt public, l'intérêt national, mais en même temps pour un certain type de travail de modification, d'amélioration de la loi. Et quand on est sénateur ou député, franchement, c'est un vrai enjeu et je crois que c'est important que les gens le fassent. Moi, j'ai été sénateur, j'ai été député européen, j'ai avec P. Séguin, effectivement, "géré", entre guillemets, le travail de l'Assemblée nationale. J'ai une vraie passion pour le Parlement que j'essaye de faire partager, mais c'est très bien, parce que j'y crois beaucoup. Je trouve que c'est une vraie vie, c'est un vrai combat, les types qui se dévouent à faire ça, c'est un vrai engagement. Et quand je vois parfois des images négatives ou un peu déstabilisantes...
O. Nahum : Parce qu'il y a l'absentéisme parlementaire, ce genre de chose...
R.- L'absentéisme parlementaire, je le dénonce quand je me prends sur la tête un quorum fait par J.-M. Ayrault. Très bien, mais c'est un coup politique ça !
O. Nahum : Vous avez dit que c'était une opération (inaud.)...
R.- Mais oui, parce qu'en vérité, par exemple hier matin même, en réalité, alors que dans l'hémicycle il y avait, c'est vrai, pas beaucoup de députés qui faisaient le boulot, mais parce que c'était très spécialisé, dès qu'il y a eu alarme, tocsin et tout, on a vu arriver 200 députés qui étaient dans la maison ! Il y avait quatre commissions qui se réunissaient, il y avait des groupes d'amitié qui se réunissaient. Le métier de député comme celui de sénateur, ce n'est pas uniquement d'être assis dans l'hémicycle. Il y a beaucoup de travail en commission, malheureusement très peu médiatisé, mais c'est comme ça. Je crois qu'il faut qu'on revienne à un travail plus organisé, peut-être effectivement, Jean-François a raison, qu'on sanctuarise le travail des commissions. Mais je reconnais que cela veut dire qu'il faut qu'on se dise que dorénavant, les textes de loi iront en commission, que ce sera peut-être le texte de la commission qui arrivera dans l'hémicycle pour qu'il y ait moins d'amendement et qu'on travaille mieux.
D. Jeambar : Pour rester un instant sur ces commissions, le fait un peu oublié maintenant que la commission des finances soit présidée par un socialiste, est-ce que cela a changé beaucoup de choses dans le travail parlementaire ? L'esprit, je veux dire, l'atmosphère ?
R.- Dans le travail, non ; dans l'esprit, forcément un peu parce que le président de la République en disant, "je veux revaloriser le travail parlementaire, je veux que l'opposition ait de vrais pouvoirs", et en disant que c'est souhaitable que la présidence de la commission des finances de l'Assemble revienne à un socialiste, évidemment, D. Migaud est un homme - je le dis franchement, ce n'est pas de l'ouverture et personne, en tout cas pas à ma connaissance, ne lui a proposé de poste...
O. Nahum : Il ne va pas rentrer au Gouvernement demain ! E. Le Boucher : P. Devedjian ne va pas vous admonester...
R.- Je ne sais pas, oh, vous savez... Mais non, ce n'est pas à ce niveau-là, on peut se parler.
O. Nahum : Donc, vous vouliez dire du bien de D. Migaud...
R.- Non mais, D. Migaud, il est socialiste, il défend ses convictions, dans les votes à l'Assemblée, évidemment, il vote contre nous, bon, très bien - enfin, "très bien", je préférerais qu'il vote pour nous, mais bon...
O. Nahum : C'était une formule...
R.- C'était une formule. Il n'empêche qu'il est, à mon sens, avec le rapporteur général G. Carrez qui lui est UMP, il est l'une des chevilles ouvrières de la commission des finances. C'est quelqu'un d'honnête, qui fait vraiment les rapports et le boulot en ne travestissant pas les choses. Et je trouve que c'est vrai que c'est un pas colossal de se dire la présidence de la commission des finances, qui est quand même essentielle, est à l'opposition. Cela prouve qu'on peut le faire et cela prouve qu'après la réforme institutionnelle, il faudra faire d'autres gestes envers l'opposition. Je préfère, sincèrement, une opposition plus associée au travail parlementaire, mieux associée au travail parlementaire, qu'une opposition qui en soit réduite à faire des coups sur le quorum, franchement.
O. Nahum : Alors, "Le Parlement à quoi ça sert ?", évidemment, c'est le livre qui raconte, qui explique ce qu'est un cavalier législatif ou ce genre de chose. Mais je voudrais juste qu'on revienne un instant sur ce qu'on évoquait il y a quelques minutes, le rapprochement France -Algérie. Il y a eu le discours de N. Sarkozy à l'adresse de la communauté des harkis ; est-ce que cela doit aller jusqu'à une indemnisation des harkis ? Parce qu'on voit circuler des chiffres sur l'indemnisation, réparation pour les dommages qui ont été subis par les harkis du fait de l'attitude de la France à un certain moment l'histoire.
R.- Il y a là-dessus - je ne veux pas y revenir - toute une série de lois qui ont été prises plus de trente ans sur les réparations financière, sur les indemnisations. Donc ça, ça existe déjà. Qu'il faille faire des gestes supplémentaires, très probablement. Mais "la réparation", entre guillemets, dans l'esprit public, l'indemnisation, elle existe déjà. Je crois qu'il y a eu au moins quatre ou cinq lois...
O. Nahum : C'est une repentance qui dit pas son nom ce qu'a tenu comme discours, hier, N. Sarkozy ? Où ça ? O. Nahum : A l'adresse des harkis.
R.- A l'adresse des harkis, il n'y a pas de repentance à avoir. Les harkis étaient avec l'armée française et aux côtés de l'armée française en Algérie. Ils ont été, c'est vrai, maltraités, lorsque dans les années 60, ils ont réussi, pour certains, à revenir en France. Et c'est vrai que la France n'a pas fait suffisamment de gestes à l'égard de ceux qui ont pris des risques pour leur vie, pour leur famille, et des risques considérables. Beaucoup d'entre eux et beaucoup de leur famille ont payé de leur vie l'engagement aux côtés de l'armée française. Donc ce n'est pas une question de repentance dans ce cas-là, puisqu'ils sont, ils étaient du côté français, c'est une question de reconnaissance de ce qui a été fait et de ce qui a été fait ensemble.
D. Jeambar : Pour rester sur une question d'équité un peu différente : au moment où on parle de relance du pouvoir d'achat, est-ce que vous trouvez, vous, juste, et habile surtout, de supprimer l'exemption de redevance télévisée pour les plus démunis, 800 .000 personnes ? O. Nahum : Ca fait discuter à l'UMP !
R.- Non, ce n'est pas tout à fait comme ça, si je puis me permettre. J'entends bien le débat ; en réalité, nous sommes sur un texte de loi - vous voyez encore - de 2004, qui dit pendant trois ans - et par définition, si c'est trois ans, cela se termine en 2007 - exonération de la redevance audiovisuelle pour les ménages de plus de 65 ans, modestes, etc. Cela représente 780.000 ménages. La loi de 2004 dit trois ans, donc effectivement ça se termine. A la limite, le problème a été remis en avant, on aurait peut-être pu y penser en 2004 en se disant, est-ce que vraiment il faut le faire pour trois ans, pourquoi pas pour tout le temps, pourquoi pas pour cinq ans ? Mais je comprends bien qu'à un moment où les Français sont très sensibles, et notamment les ménages modestes, sur le pouvoir d'achat...
O. Nahum : Vous suggérez ?
R.- Le groupe UMP a déposé d'ailleurs plusieurs types d'amendements, dont un amendement, de mémoire, qui dit réduction de moitié de la redevance audiovisuelle déjà pour 2008. Certains sont pour le fait de blanchir, si je puis dire, même l'année 2008, et en reportant à 2009. Ecoutez, voilà un exemple type où on va laisser prospérer le débat parlementaire entre les élus qui, très naturellement, disent, "c'est vrai que c'était de la loi de 2004 mais pour autant est-ce qu'il ne faut pas trouver des solutions maintenant ?". Et le Gouvernement et Bercy, et E. Woerth qui lui - et c'est une logique aussi - dit devant les Français, "attendez, moi je me suis engagé à réduire la dette, le déficit, il ne faut pas me remettre des éléments qui étaient déjà légiférés en 2004". Pour autant, je crois que le débat parlementaire va avancer à l'Assemblée, puis au Sénat, et on va voir si on trouve une solution. Je crois que tout le monde souhaite qu'on trouve une solution acceptable et qui soit effectivement de nature à rassurer.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 décembre 2007