Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à "BFM" le 10 décembre 2007, sur la perspective d'une indépendance du Kosovo, la politique européenne de la concurrence et sur la visite du Colonel Kadhafi en France et la question des droits de l'homme.

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Q - Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, un constat de désaccord, ce week-end, entre les médiateurs internationaux : la Troïka, Russie, Etats-Unis, Union européenne et les Serbes et les Kosovars, sur l'avenir de la province albanophone. Les leaders kosovars vont admettre qu'ils ne pourront proclamer leur indépendance qu'avec l'accord des Etats-Unis et de l'Union européenne. Pour Washington cela semble acquis et pour l'Union européenne, où en est-on ?
R - Nous constatons, avec regrets, que les négociations avec la Troïka n'ont pas abouti à une solution négociée. Le plus important pour nous est de rester unis. L'Union doit être prête à prendre ses responsabilités pour assurer la stabilité de la région et assurer un minimum de sécurité. L'unité de l'Europe se jugera sur sa capacité à assurer la stabilisation de la région.
Q - La Russie est un allié des Serbes dans ce dossier, puisqu'elle est hostile à une indépendance du Kosovo. Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, pense qu'une indépendance unilatérale du Kosovo provoquerait une réaction en chaîne dans tous les Balkans et ailleurs. Qu'est ce qu'il faut craindre ? Est-il pessimiste ? Que répondez-vous Jean-Pierre Jouyet ?
R - On peut s'attendre à une situation tendue. L'unité de l'Union européenne doit se faire sur sa capacité à assurer la stabilité dans cette région. C'est, bien évidemment, envoyer des policiers, envoyer des forces de sécurité, faire en sorte que la sécurité des populations soit respectée...
Q - Ce sera une indépendance surveillée ?
R - Oui, c'est assurer une surveillance dans une situation qui sera, vraisemblablement, celle d'une indépendance. Nous devons tout faire, en Europe, pour donner une perspective européenne à la Serbie.
Q - Justement, Jean-Pierre Jouyet, il va y avoir du donnant-donnant avec la Serbie ? Je t'accepte dans l'Union européenne et tu laisses le Kosovo tranquille ?
R - Non, on ne peut pas raisonner ainsi...
Q - C'est ce que dit Belgrade, cette après-midi. Le Premier ministre serbe dit "la Serbie n'échangera pas le Kosovo contre l'adhésion à l'Union".
R - L'important c'est que chacun franchisse ses étapes. C'est que le Kosovo fasse preuve de retenue, de sagesse et respecte les minorités. Et que la Serbie comprenne qu'il y a échec dans les négociations. Nous prendrons sur le terrain nos responsabilités en tant qu'Union européenne. Bien sûr, il est du devoir de l'Europe que l'on ne se trouve pas face à une situation irréconciliable. C'est cela qui, pour nous, est le plus important et qui mène à la déstabilisation. Personne n'y a d'intérêt, ni les Serbes ni les Kosovars. Il ne faut dans cette affaire humilier personne et, notamment, ne pas humilier les Serbes.
Q - Sur un autre sujet, Henri Guaino, conseiller spécial du président Sarkozy, dans une interview du Financial Times, juge parfaitement absurde la façon dont est appliquée la politique européenne de la concurrence. Il demande à assouplir les institutions européennes, moins de règles générales et impersonnelles. Vous qui êtes secrétaire d'Etat aux affaires européennes du gouvernement Fillon, qu'est ce que vous dites ? A t-il raison ?
R : Je ferai quatre observations. La première, est sur le souhait d'Henri Guaino qu'il y ait plus de "politique" en Europe. Cela est évident, il faut qu'il y ait plus de politique et c'est le souhait du président de la République. Deuxièmement, il y a des règles en Europe. L'Europe est le premier modèle d'intégration fondé sur un Etat de droit. Il n'y a pas de règles, fussent-elles de concurrence, qui ne soient issues de compromis politiques et par conséquent il faut accepter les règles. Troisièmement, il est important que nous disposions de règles claires en ce qui concerne la conduite des politiques économiques. Il y a un nouveau Traité, il y a un partage des compétences qui est clair entre la BCE et les gouvernements. Nous n'allons pas faire des querelles incessantes à la BCE. Chacun joue sa partie dans le cadre de règles qui sont définies par le Traité. Quatrièmement, enfin, nous devons continuer à être exemplaire sur le plan économique et financier et à respecter nos engagements sur le plan financier. L'Europe c'est, avant tout, la confiance mutuelle et un contrat entre différents partenaires qui se sont unis.
Q - Vous êtes à Bruxelles ce soir, Kadhafi arrive cette après midi à Paris. Il va être reçu par le président de la République, il va être reçu par l'Assemblée nationale. Mme Rama Yade parle de baiser de la mort. A Bruxelles, comment juge-t-on cette cacophonie gouvernementale ?
R - Ce qui me frappe à Bruxelles, c'est que nous avons adopté, aujourd'hui, des projets de conclusions pour le Conseil européen. Dans ces projets de conclusion, il est indiqué que l'Europe souhaite avoir un partenariat avec la Libye et que la Libye est à un tournant. C'est à dire que nous devons accompagner la Libye dans sa réinsertion internationale pour peser justement sur la situation des Droits de l'Homme. C'est en accompagnant la Libye que nous pèserons le mieux sur la situation des Droits de l'Homme. Le président Kadhafi va être reçu par le président Zapatero, à Madrid. Je ne crois pas que le président Zapatero soit de la même sensibilité que le président Sarkozy et je constate que c'est un gouvernement social-démocrate qui va également recevoir le colonel Kadhafi.
Q - Vous, cela ne vous dérange pas ?
R - La question n'est pas si cela me dérange ou pas. Mon opinion personnelle n'est pas là en cause. Ce qui est important, c'est la progression vers les Droits de l'Homme. Il faut le faire de manière intelligente. Les contacts qui ont eu lieu sont déjà des acquis importants.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 décembre 2007