Texte intégral
Q - Monsieur le Premier Ministre, quelle est votre évaluation des relations avec le Brésil et particulièrement de votre visite à notre pays?
R - Je crois qu'elles sont très bonnes, très riches au niveau politique. Elles se développent au niveau économique, la France investissant beaucoup, je crois maintenant, au Brésil, les produits brésiliens se vendant bien sur le marché français. Elles reposent aussi sur une coopération scientifique, technologique et culturelle qui est important pour l'avenir des deux pays. Mais je crois qu'il y a un attrait réciproque, une fascination réciproque, des Français pour le Brésil et j'espère, des Brésiliens pour la France. Nous sommes deux pays avec une identité nationale forte, tous les deux engagés dans une construction régionale, et tous les deux ouverts sur le problème de la globalisation aujourd'hui. Nous avons donc beaucoup d'affinités.
Q - Le protectionnisme agricole de l'Union européenne et de la France en particulier pose problème. Quelles sont les perspectives dans ce cadre?
R - Je crois qu'on a parfois une image un peu ancienne de la réalité de la situation en Europe et en France. Constatons d'abord que la France importe plus de produits du Mercosul ou du Brésil, de produits agricoles, que les Etats-Unis. Que l'Europe est plus ouverte aux produits agricoles et puis, vous le savez, il y a une négociation qui est engagée entre l'Union européenne et le Mercosul et la France est tout à fait favorable à ce que les deux marchés s'ouvrent dans le domaine agricole sans doute, mais aussi dans le domaine des biens industriels et des services. Il faut une discussion globale pour trouver des compromis intéressants.
Q - Les Etats Unis veulent anticiper la formation d'une zone de libre commerce dans l'Amérique (ZLEA) et le Brésil veut gagner du temps. Quelle est la position de l'Union européenne et de la France?
R - L'Union européenne et la France laissent librement le Brésil et les pays de l'Amérique latine discuter d'une zone de libre échange avec les Etats-Unis, cela appartient à la souveraineté de chacun. Nous voulons favoriser le développement des relations entre l'Europe et le Mercosul et les négociations entre les deux ensembles ont servi à cela et puis nous aurons aussi à aborder ensemble la grande négociation commerciale mondiale. C'est-à-dire celle qui va se conduire dans l'OMC, mais je peux comprendre que le Brésil ait envie de développer aussi son économie, sa réalité régionale tout en dialoguant avec les Etats-Unis. Nous connaissons bien ces problèmes en Europe.
Q - Mais croyez-vous que les relations entre l'Union européenne et le Mercosul peuvent se développer dans le cadre de la formation de la ZLEA? Même dans ce cadre ?
R - Mais nous n'appartenons pas à une zone de libre échange transatlantique, nous appartenons à un marché unique européen et nous pensons que le développement des échanges dans l'avenir va se faire surtout entre de grands ensembles. Nous souhaiterions plutôt que le Mercosul se développe avec de nouveaux membres et s'approfondisse, ce qui me paraît être la vision ou l'attention du Brésil. Mais nous n'avons pas à interférer dans des discussions entre Américains du sud ou du nord et je pense que l'ouverture des échanges peut se faire de façon équilibrée entre les grands ensembles.
Q - Il y a des études des Nations unies qui prouvent que la globalisation a augmenté la différence entre pays riches et pays pauvres. Croyez-vous ce processus inéluctable?
R - Je crois que la globalisation est inéluctable, l'accroissement des inégalités ne devrait pas l'être. Et la France dans les institutions internationales, ou dans le dialogue entre les nations, que ce soit dans l'Union européenne, que ce soit dans le G7, G8, insiste sur la nécessité d'éviter les dérives de la globalisation, l'inégalité croissante entre les nations, l'inégalité croissante entre les catégories sociales, le risque de l'uniformité culturelle et puis des dangers aussi pour l'environnement, de certaines formes de la globalisation. Donc nous considérons la globalisation comme un fait, mais nous pensons que cette mondialisation doit être civilisée, qu'elle doit être mise aux services des hommes, à tous les endroits de la planète et c'est pourquoi nous plaidons pour l'établissement de règles internationales.
Q - Croyez-vous que la globalisation est un peu sauvage, et qu'elle doit être civilisée ?
R - Je pense qu'il y a des forces qui, si on les laisse jouer spontanément et brutalement, peuvent provoquer des effets de dislocation ou d'inégalité irrémédiables. Et donc c'est de la responsabilité des nations, de la France et du Brésil par exemple, qui ont une vision commune, je crois, de la mondialisation, mais aussi des organisations internationales, que de civiliser, d'organiser cette mondialisation.
Q - Le monde aujourd'hui parle anglais, qui est la langue de la technologie. C'est la langue de l'Internet, de la technologie du cinéma aussi, il y a des McDonalds partout. Croyez-vous que la globalisation, la mondialisation est une sorte d'américanisation du monde, ou il y a encore de la place pour la diversité culturelle?
R - Non, je crois que la mondialisation révèle au monde sa diversité et il ne faudrait pas qu'au moment où cette mondialisation révèle à chacun, à chaque pays, à chaque ensemble sa civilisation propre, que justement elle tende à disparaître. Et c'est pourquoi nous pensons qu'il faut lutter contre ces risques d'uniformisation. La France a su préserver un cinéma. Vous avez un cinéma brésilien. Il y a un cinéma indien, il y a un cinéma égyptien, il y a des cinémas anglo-saxons qui ne sont pas qu'américains, il en va de même pour la littérature. La France est très présente sur les nouvelles technologies, beaucoup des meilleurs techniciens dans les vallées des hautes technologies américaines sont français, dans le domaine de l'animation, par exemple, et donc je crois qu'il n'y a pas une contradiction entre le progrès des technologies et le respect des diversités culturelles ou des identités nationales.
Q - Monsieur Jospin, vous êtes un dirigeant du Parti Socialiste, un dirigeant de Gauche, un homme de Gauche. Quelle est la différence, aujourd'hui entre un homme de Gauche et un homme de Droite?
R - Je pense que c'est une capacité à épouser la modernité nécessaire en faisant qu'elle reste humaine, qu'elle reste partagée. C'est une capacité à être plus à l'écoute des évolutions de la société. Par exemple, en France, mon gouvernement a fait passer une législation sur la parité, sur l'égalité entre les hommes et les femmes dans les élections : c'est la capacité de suivre aussi des évolutions des murs, par exemple. C'est donc une modernité sociale et en même temps une capacité à faire l'équilibre entre la recherche de l'efficacité économique et la justice sociale. Voilà, donc, les différences sont moins importantes qu'avant, elles ne sont plus aussi idéologiques mais elles continuent quand même à exister et à refléter des projets différents. Quel serait d'ailleurs l'intérêt de la démocratie s'il n'y avait pas des débats à l'intérieur des démocraties ? ./.
(Source http://www.doc.diplomatie.gouv.fr, le 12 avril 2001)
R - Je crois qu'elles sont très bonnes, très riches au niveau politique. Elles se développent au niveau économique, la France investissant beaucoup, je crois maintenant, au Brésil, les produits brésiliens se vendant bien sur le marché français. Elles reposent aussi sur une coopération scientifique, technologique et culturelle qui est important pour l'avenir des deux pays. Mais je crois qu'il y a un attrait réciproque, une fascination réciproque, des Français pour le Brésil et j'espère, des Brésiliens pour la France. Nous sommes deux pays avec une identité nationale forte, tous les deux engagés dans une construction régionale, et tous les deux ouverts sur le problème de la globalisation aujourd'hui. Nous avons donc beaucoup d'affinités.
Q - Le protectionnisme agricole de l'Union européenne et de la France en particulier pose problème. Quelles sont les perspectives dans ce cadre?
R - Je crois qu'on a parfois une image un peu ancienne de la réalité de la situation en Europe et en France. Constatons d'abord que la France importe plus de produits du Mercosul ou du Brésil, de produits agricoles, que les Etats-Unis. Que l'Europe est plus ouverte aux produits agricoles et puis, vous le savez, il y a une négociation qui est engagée entre l'Union européenne et le Mercosul et la France est tout à fait favorable à ce que les deux marchés s'ouvrent dans le domaine agricole sans doute, mais aussi dans le domaine des biens industriels et des services. Il faut une discussion globale pour trouver des compromis intéressants.
Q - Les Etats Unis veulent anticiper la formation d'une zone de libre commerce dans l'Amérique (ZLEA) et le Brésil veut gagner du temps. Quelle est la position de l'Union européenne et de la France?
R - L'Union européenne et la France laissent librement le Brésil et les pays de l'Amérique latine discuter d'une zone de libre échange avec les Etats-Unis, cela appartient à la souveraineté de chacun. Nous voulons favoriser le développement des relations entre l'Europe et le Mercosul et les négociations entre les deux ensembles ont servi à cela et puis nous aurons aussi à aborder ensemble la grande négociation commerciale mondiale. C'est-à-dire celle qui va se conduire dans l'OMC, mais je peux comprendre que le Brésil ait envie de développer aussi son économie, sa réalité régionale tout en dialoguant avec les Etats-Unis. Nous connaissons bien ces problèmes en Europe.
Q - Mais croyez-vous que les relations entre l'Union européenne et le Mercosul peuvent se développer dans le cadre de la formation de la ZLEA? Même dans ce cadre ?
R - Mais nous n'appartenons pas à une zone de libre échange transatlantique, nous appartenons à un marché unique européen et nous pensons que le développement des échanges dans l'avenir va se faire surtout entre de grands ensembles. Nous souhaiterions plutôt que le Mercosul se développe avec de nouveaux membres et s'approfondisse, ce qui me paraît être la vision ou l'attention du Brésil. Mais nous n'avons pas à interférer dans des discussions entre Américains du sud ou du nord et je pense que l'ouverture des échanges peut se faire de façon équilibrée entre les grands ensembles.
Q - Il y a des études des Nations unies qui prouvent que la globalisation a augmenté la différence entre pays riches et pays pauvres. Croyez-vous ce processus inéluctable?
R - Je crois que la globalisation est inéluctable, l'accroissement des inégalités ne devrait pas l'être. Et la France dans les institutions internationales, ou dans le dialogue entre les nations, que ce soit dans l'Union européenne, que ce soit dans le G7, G8, insiste sur la nécessité d'éviter les dérives de la globalisation, l'inégalité croissante entre les nations, l'inégalité croissante entre les catégories sociales, le risque de l'uniformité culturelle et puis des dangers aussi pour l'environnement, de certaines formes de la globalisation. Donc nous considérons la globalisation comme un fait, mais nous pensons que cette mondialisation doit être civilisée, qu'elle doit être mise aux services des hommes, à tous les endroits de la planète et c'est pourquoi nous plaidons pour l'établissement de règles internationales.
Q - Croyez-vous que la globalisation est un peu sauvage, et qu'elle doit être civilisée ?
R - Je pense qu'il y a des forces qui, si on les laisse jouer spontanément et brutalement, peuvent provoquer des effets de dislocation ou d'inégalité irrémédiables. Et donc c'est de la responsabilité des nations, de la France et du Brésil par exemple, qui ont une vision commune, je crois, de la mondialisation, mais aussi des organisations internationales, que de civiliser, d'organiser cette mondialisation.
Q - Le monde aujourd'hui parle anglais, qui est la langue de la technologie. C'est la langue de l'Internet, de la technologie du cinéma aussi, il y a des McDonalds partout. Croyez-vous que la globalisation, la mondialisation est une sorte d'américanisation du monde, ou il y a encore de la place pour la diversité culturelle?
R - Non, je crois que la mondialisation révèle au monde sa diversité et il ne faudrait pas qu'au moment où cette mondialisation révèle à chacun, à chaque pays, à chaque ensemble sa civilisation propre, que justement elle tende à disparaître. Et c'est pourquoi nous pensons qu'il faut lutter contre ces risques d'uniformisation. La France a su préserver un cinéma. Vous avez un cinéma brésilien. Il y a un cinéma indien, il y a un cinéma égyptien, il y a des cinémas anglo-saxons qui ne sont pas qu'américains, il en va de même pour la littérature. La France est très présente sur les nouvelles technologies, beaucoup des meilleurs techniciens dans les vallées des hautes technologies américaines sont français, dans le domaine de l'animation, par exemple, et donc je crois qu'il n'y a pas une contradiction entre le progrès des technologies et le respect des diversités culturelles ou des identités nationales.
Q - Monsieur Jospin, vous êtes un dirigeant du Parti Socialiste, un dirigeant de Gauche, un homme de Gauche. Quelle est la différence, aujourd'hui entre un homme de Gauche et un homme de Droite?
R - Je pense que c'est une capacité à épouser la modernité nécessaire en faisant qu'elle reste humaine, qu'elle reste partagée. C'est une capacité à être plus à l'écoute des évolutions de la société. Par exemple, en France, mon gouvernement a fait passer une législation sur la parité, sur l'égalité entre les hommes et les femmes dans les élections : c'est la capacité de suivre aussi des évolutions des murs, par exemple. C'est donc une modernité sociale et en même temps une capacité à faire l'équilibre entre la recherche de l'efficacité économique et la justice sociale. Voilà, donc, les différences sont moins importantes qu'avant, elles ne sont plus aussi idéologiques mais elles continuent quand même à exister et à refléter des projets différents. Quel serait d'ailleurs l'intérêt de la démocratie s'il n'y avait pas des débats à l'intérieur des démocraties ? ./.
(Source http://www.doc.diplomatie.gouv.fr, le 12 avril 2001)