Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à "France-Inter" le 3 décembre 2007, sur les négociations sur la politique sociale, l'ARTT et la durée légale du travail, le travail le dimanche et les heures supplémentaires.

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Média : France Inter

Texte intégral

 
 
 
N. Demorand.- Bonjour et bienvenue F. Chérèque. Vous rencontriez N. Sarkozy samedi à l'Elysée, quelle a été la teneur de votre entretien ?
 
R.- L'entretien avait comme élément essentiel l'agenda social. La CFDT avait proposé, comme la loi le prévoit, qu'on définisse un agenda pour l'année 2008, c'est-à-dire qu'on définisse les sujets qui vont être en débat sur le domaine du social, ceux qui vont être confiés à la négociation des partenaires sociaux, ceux qui vont être à la concertation avec le Gouvernement et l'entretien apporté sur ces éléments-là.
 
Q.- Il vous a tenu informé aussi des annonces faites hier soir par F. Fillon ?
 
R.- Les annonces de F. Fillon hier soir, c'est celles du président de la République.
 
Q.- Avec des lois en plus. Et un nouveau calendrier.
 
R.- Oui avec des lois mais ça, on le savait. On assiste un petit peu à une agitation dominicale du Gouvernement qui cache, en quelque sorte, ses difficultés sur le pouvoir d'achat. Donc il faut qu'il montre qu'il travaille...
 
Q.- Le Gouvernement n'agit pas, il s'agite. C'est ça ce que vous nous dites ?
 
R.- Oui, je pense que le Gouvernement a une difficulté sur le problème du pouvoir d'achat. Les propositions du président de la République ne concerneront qu'une partie des salariés. Et je crois que le Gouvernement veut montrer qu'il s'occupe de ces problèmes-la, sans amener les réponses qui sont au niveau de celles qu'on attendait.
 
Q.- Est-ce que les 35 heures sont mortes, F. Chérèque ?
 
R.- En tous cas pour la CFDT, il n'est pas question que les 35 heures soient mortes. La CFDT les défendra.
 
Q.- Mais de fait ?
 
R.- Non de fait, non. De fait non parce que dans les entreprises, on voit bien qu'il y a des débats sur l'évolution des 35 heures. Il y a déjà des accords qui rediscutent de ces problèmes-là et la proposition du président de la République de renégocier ces accords dans les entreprises, pour la CFDT, devra prendre en compte d'une part le temps de travail, celui des salaires mais aussi celui de l'emploi. Pour nous, il n'est pas question de détricoter les 35 heures au détriment de l'emploi.
 
Q.- De fait, je vous repose la question, n'est-ce pas le cas ? Des négociations entreprise par entreprise sur ce sujet-là.
 
R.- Qu'il faille renégocier dans certaines entreprises, ce qui est déjà le cas - certains accords ont défrayé la chronique ces temps derniers - qu'il faille en rediscuter, la CFDT a toujours dit oui, pourquoi pas. A partir du moment où ces accords ont 10 ans, il est important d'en rediscuter mais je le répète, ces accords - et là c'est un engagement - devront passer par des accords majoritaires. C'est-à-dire qui seront signés par des syndicats qui représenteront la majorité des salariés et dans ce caslà nous, nous mettrons sur la table les trois paramètres qui sont le temps de travail, les salaires et l'emploi. Et là où il y a pas de syndicats, il y aura pas d'accord parce qu'il n'y aura pas de possibilité de négocier. En tout cas, c'est l'élément qui va être mis à l'agenda social.
 
Q.- Parce qu'on dit que derrière cette mesure qui va permettre d'échanger des heures de RTT non prises contre du salaire, il y a la disparition à très court terme de fait, là encore, de la durée légale du travail.
 
R.- Oui mais quand un Gouvernement... Alors ça c'est un risque, vous avez raison...
 
Q.- Mais alors voilà, justement.
 
R.- Ca c'est un risque, on voit bien que petit à petit le Gouvernement amène sur un système d'individualisation du temps de travail et ça, c'est un vrai risque. Et on voit bien que c'est une tendance qui existe aussi au niveau européen, c'est ce qu'on appelle l'opt-out. C'est-à-dire le salarié décide lui-même de son temps de travail. Et la CFDT n'est pas prête à rentrer dans ce débat. C'est la raison pour laquelle, nous souhaitons que ce soit à l'agenda social. Mais revenons au fond du problème. Le Gouvernement a une difficulté sur le problème du pouvoir d'achat, et une nouvelle fois, comme ils le font depuis six ans - c'était le cas de monsieur Raffarin, c'était le cas de monsieur De Villepin - on dit : "les 35 heures". Et on va chercher le mirage des 35 heures en disant, ou le miracle 35 heures, en disant on va régler le problème du temps de travail. Et là, je voudrais revenir sur cette histoire de monétarisation du compte épargne temps. On fait croire qu'on va régler le problème du pouvoir d'achat avec ça mais on oublie qui là ? Les chômeurs, oubliés, les retraités, oubliés, les salariés des petites entreprises qui n'ont pas d'accords 35 heures, oubliés. Tous les salariés à temps partiel : les caissières de supermarché, les aides ménagères qui ont des difficultés à avoir un temps plein, oubliées. Les ouvriers qui sont en annualisation du temps de travail, qui, eux, n'ont jamais eu de RTT, ils sont oubliés. La plupart des fonctionnaires, ils sont oubliés. Donc on voit bien qu'à travers cette remise en cause des 35 heures, on veut faire croire aux salariés qu'on règlera leur problème de salaire alors qu'on leur ment. Parce que là, je viens de faire la liste de la majorité des salariés qui sont totalement oubliés, si l'on pense uniquement au temps de travail.
 
Q.- Alors pour ceux-là, quoi ? Et puis on revient aux 35 heures, mais pour ceux-là, c'est-à-dire la majorité, quoi d'après vous ? Que faire, que proposer ?
 
R.- Le président de la République l'a dit : "Je ne suis pas le Père Noël, je n'ai pas de solution". Mais pourquoi n'a-t-il pas dit ce discours-la pendant la campagne électorale. On est encore devant un cas typique dans notre pays où on a des hommes politiques dans la campagne électorale qui nous ont dit : "Je suis le candidat du pouvoir d'achat" et il arrive au bout de six mois, devant les électeurs, et il dit : "Je ne suis pas le Père Noël, je n'ai pas les moyens". Le problème de ce Gouvernement, c'est le problème du Gouvernement d'avant, c'est celui d'avant et celui d'avant : on ne fait pas les bons choix au niveau économique. Et les bons choix au niveau économique, c'était investir dans la recherche, dans le développement pour créer des emplois, pour créer de l'activité et dans la formation des salariés, pouvoir avoir des salariés qualifiés et on manque de salariés qualifiés. Simplement relancer l'économie, lutter contre le chômage et c'est çà qui créera du pouvoir d'achat.
 
Q.- Si des négociations d'entreprises s'ouvrent et qu'elles débouchent sur de fait, je le répète, là encore, une fin des 35 heures dans telle et telle entreprise, vous serez contre ?
 
R.- A partir du moment où il y a des négociations avec les partenaires sociaux majoritaires dans lesquels les syndicats désignés par les salariés, signent ces accords, je ne vois pas pourquoi on s'y opposerait. Mais je le répète, ça a déjà été le cas. Rappelez-vous le débat autour de Bosch, rappelez-vous le débat autour de Goodyear actuellement en Picardie, c'est un débat qui tient en compte et c'est pour ça que je ne suis pas sur la même démarche que le président de la République. Il y a effectivement le temps de travail et les salaires mais il y a l'emploi. Prenez le cas d'une entreprise de 300 salariés. Si l'employeur décide de supprimer les 35 heures, si cette entreprise fonctionne, qu'il y a des marchés, on augmentera le temps de travail au détriment de l'embauche. Si c'est une entreprise qui a des difficultés économiques, on augmentera le temps de travail et on supprimera des emplois et il n'est pas question pour la CFDT de brader les 35 heures et de supprimer des emplois.
 
Q.- Donc ça reste la durée légale, 35 heures, pour la CFDT ?
 
R.- Oui ça il y a aucun doute. D'ailleurs ce sera ça le projet. Mais je voudrais revenir sur l'origine des 35 heures. Pour la CFDT, l'origine ça a toujours été des négociations d'entreprise et pas de 35 heures appliquées d'en haut, dans lesquelles on prend en compte la situation de l'emploi. Et là, le Gouvernement est en train de tourner le dos au problème de l'emploi. Il prend des risques graves. Augmenter le temps de travail, ce sera aussi supprimer des emplois à certains endroits.
 
Q.- Le travail le dimanche, vous en pensez quoi ?
 
R.- Il y a deux débats. Le président de la République a caché le vrai débat. Le débat, c'est l'ouverture des magasins le dimanche ou pas. Donc il faut débattre de ce problème-la, est-ce qu'on augmente plus le nombre de magasins ouverts le dimanche ou pas. Là il y a un débat de société.
 
Q.- Votre souhait ?
 
R.- Notre souhait - et le Conseil économique et social a donné un avis soutenu par les organisations syndicales et patronales - : une petite souplesse mais pas plus. C'est-à-dire quelques dimanches en plus ou en moins et discutés localement mais pas une généralisation parce que ça ferait des suppressions d'emploi, en particulier dans les petits commerces. Et après c'est comment on rémunère les salariés ? Mais rémunérer les salariés le double le dimanche pour ceux qui travaillent le dimanche, oui.
 
Q.- On va vers une petite souplesse en plus ou vers une grosse souplesse en plus, d'après vous ?
 
R.- Dans le discours du président de la République, il ne nous a pas parlé de grosse souplesse, il ne nous a pas dit qu'on allait ouvrir tous les magasins le dimanche. Je lui ai posé la question samedi dernier quand je l'ai vu. Lui, il est sur une petite ouverture supplémentaire mais pas une généralisation. Là c'est un élément important. Mais je le répète, qu'on débatte du niveau de rémunération des gens qui travaillent le dimanche, qu'ils soient payés double, oui. Tout le monde, à ce moment-là, tout le monde et y compris dans les services publics parce que je rappelle que dans beaucoup de services publics, les gens ne sont pas payés le double le dimanche.
 
Q.- Dernière question rapide, le rythme des négociations sociales s'accélère sans cesse. Vous allez pouvoir suivre ?
 
R.- On suit. Le président de la République dans son discours, a parlé de sécurisation des parcours professionnels, marché du travail. On en est à la onzième séance de négociation. Donc on fait notre travail.
 
Q.- Ca va déboucher là ?
 
R.- Je le souhaite. On doit avoir un nouveau texte patronal la semaine prochaine, il va être décisif. On a encore trois négociations pour arriver à un accord. Et si on arrive à un accord, on décide nous-mêmes d'ouvrir le problème de l'assurance chômage - ça doit être à l'agenda social, nouvelle convention - d'ouvrir le problème de la formation continue et là on fera la proposition à l'agenda social. Donc on voit bien que les partenaires sociaux se sont saisis de problèmes et respectent les délais. Derrière ça, on a aussi le problème de la représentativité syndicale. C'est un sujet qui est proposé dont on a décidé, déjà, de se saisir.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 décembre 2007