Texte intégral
J.-J. Bourdin.- Allons dans le vif du sujet : grève dans la fonction publique, grève des fonctionnaires, le 24 janvier.
R.- Oui. Oui, parce que cela fait maintenant plusieurs mois que les organisations de fonctionnaires réclament l'ouverture de négociations et de vraies négociations avec le Gouvernement.
Q.- Sur le salaires, notamment ?
R.- Oui sur les salaires mais il y a d'autres thèmes, d'ailleurs. Mais aussi, et en l'occurrence, là c'est sur les salaires. Et pour le moment, pour la première réunion, il a fallu attendre le 17 décembre, quasiment la fin de l'année, pour avoir une première réunion. Et tout le monde est sorti déçu de cette réunion, puisque rien n'est mis sur la table par le Gouvernement. Donc, à partir de là, les fédérations de fonctionnaires ont décidé...
Q.- Oui mais à quoi servent vos grèves ? On se demande à quoi elles servent, parce que le Gouvernement continue. N. Sarkozy veut réformer, veut imposer ses choix. A quoi servent vos grèves ?
R.- Quand il y a une grève et qu'elle est suivie, cela va veut dire qu'il y a un mécontentement. Ce n'est pas forcément une journée de grève qui à un moment donné débloque une situation, mais l'accumulation de mécontentements. C'est comme une cocote minute qui chauffe, d'une certaine manière.
Q.- Vous sentez qu'il y a accumulation de mécontentements ?
R.- Moi je sens - en tous les cas je ne suis pas en train de vous dire tout va exploser, je ne le dis pas mais je sens - qu'il y a de vrais mécontentements, notamment, sur la question du pouvoir d'achat, pas simplement dans la fonction publique d'ailleurs, c'est valable aussi dans le privé. Les gens grognent. C'est assez vrai. Et à partir du moment où, quand on a un président de la République et un Gouvernement qui se disent préoccupés par le pouvoir d'achat, et qu'en tant qu'employeur, ils n'ouvrent même pas les négociations minimales avec les agents de l'Etat, à partir de là, il y a quand même une contradiction. Alors soit disant qu'il n'y a pas d'argent dans les caisses. Mais alors, en ce moment-là, il ne fallait pas faire les choix budgétaires qui ont été faits il y a quelques mois. Donc, y compris même pas le maintien du pouvoir d'achat n'est assuré.
Q.- Fonction publique territoriale, fonction publique hospitalière, fonction publique d'Etat, les trois. Est-ce que l'Etat va payer les heures supplémentaires ? Est-ce que l'Etat va appliquer la loi ?
R.- Je n'en sais rien pour le moment. Parce que par exemple, si vous prenez l'hôpital public où il y a plusieurs millions d'heures supplémentaires stockées, je dirais d'une certaine manière, il dit qu'il va les payer. Mais je me demande bien comment il va faire, puisqu'il paraît qu'il n'y a plus d'argent ? Les hospitaliers, toutes catégories confondues, y compris les médecins d'ailleurs, ont tous accumulé des heures supplémentaires. Si le Gouvernement veut les payer, il faut qu'il nous explique comment il va le faire et sur combien de temps il va le faire.
Q.- Regardons quand même ce que veulent aussi les salariés. Prenons l'exemple de Continental : les pneus, à Sarreguemines, 1300 salariés... Ils ont voté et la majorité 75 % - un peu plus chez les cadres que chez les ouvriers - ont décidé de travailler 40 heures en échange de paiement de jours de RTT et de paiement d'heures supplémentaires.
R.- Je pose la question : est-ce qu'ils ont eu le choix ?
Q.- Ils vont entériner quand même le vote des employés !
R.- Quand je dis cela, c'est : est-ce qu'ils ont eu le choix ? Qu'est-ce qui s'est passé dans l'entreprise ? Y compris, la direction a réuni groupe par groupe ou fait réunir groupe par groupe les salariés. Et si vous dites à quelqu'un, dans une région qui est déjà aussi durement touchée par le chômage : "Ecoutez ! Ou vous acceptez cela ou, on vous prévient, on délocalise, voire dans deux ans on existe plus", moi je n'appelle pas cela un choix. J'appelle cela essayer de sauver ma peau, essayer de sauver mon boulot. Parce que là, si j'ai bien compris, je n'ai pas le détail, ils vont travailler 40 heures, donc 14 % de plus, cela fait 14 % d'augmentation de la durée du travail ; et ils vont être payer 6 % de plus. Donc, ils n'ont pas le choix. Ce n'est pas un choix qui leur est offert. C'est de dire, c'est cela ou la porte d'une certaine manière.
Q.- C'est mieux que la porte !
R.- Bien sûr mais enfin. Continental ce n'est pas la petite PME du coin qui a effectivement, comme sous-traitant de grosses difficultés et qui peut fermer. Continental c'est un groupe. Continental explique que, par les délocalisations il y a des coûts du travail ailleurs qui est beaucoup plus faible, donc, il faut que vous vous adaptiez, il faut que vous baissiez la tête. Cela revient à cela. Il y a eu ce problème là, dans une autre entreprise il y a quelques années.
Q.- Mais il y a des salariés qui ont envie de travailler plus ! J'en connais.
R.- Ils ont surtout envie de gagner plus.
Q.- De gagner plus, oui !
R.- C'est cela surtout ! Ils ont surtout envie de gagner plus. Quand vous êtes étranglé financièrement - et tout le monde le dit, y compris, sur votre antenne vous l'avez expliqué maintes et maintes fois, l'augmentation des prix etc. - donc, il y a un besoin de pouvoir d'achat important. Et là, vous avez une forme de chantage à l'emploi dans ce dossier. Alors les salariés, mois je peux comprendre...
Q.- Aujourd'hui, en France il y a vraiment chantage à l'emploi ?
R.- Dans le cas présent, oui. Dans Continental, oui. Je prends l'exemple de Continental, oui. C'est : si vous n'acceptez pas cet effort, ce sacrifice, etc., c'est votre emploi qui est menacé demain. Alors, à partir de là, quand vous êtes dans une... Ah ! Si vous êtes assuré d'avoir du travail rapidement, une usine proche etc., vous avez le choix. Là, vous ne l'avez pas. Si vous perdez votre emploi à Continental, est-ce que vous trouverez un emploi après ?
Q.- Etes-vous favorable au paiement des RTT ? C'est une réforme intéressante pour beaucoup ?
R.- A condition qu'il soit encadré ce paiement des RTT. Là aussi, c'est toujours pareil. Sur pas mal de dossiers, le Gouvernement avance masqué. Quand je dis qu'il avance masqué, c'est : "Ah, non ! On ne met pas en cause les 35 heures". Mais on est en train de tout détricoter. "Ah, non ! Il ne faut surtout pas ! On n'est pas pour banaliser le travail le dimanche". Mais on est en train de faire le contraire. Quand je dis cela, je dis qu'il avance masqué. Sur les jours de RTT, il faut les encadrer. Je vais prendre un exemple dans les entreprises de service notamment où des cadres, pas obligatoirement bien payés, sont au forfait, travaillent 218 jours par an, font des durées de travail très fortes, largement audelà des 35 heures. Les jours de RTT, c'est ce qui leur permet de respirer aussi. Si demain, parce qu'ils ne gagnent pas assez, on leur demande ou ils font payer leurs jours de RTT, c'est la santé au travail à un moment donné qui va être compromise. Donc, il faut...ça existe déjà la procédure, on peut monétiser. Et deuxièmement, moi quand je discute avec certains DRH, certains me disent : il a fallu un mois et demi pour comprendre le système, c'est tellement compliqué. Mais ils vont devoir sortir du cash s'ils payent ces jours de RTT. Ils disent on récupérera ailleurs. Il ne faut pas se faire d'illusion, on récupérera ailleurs. Cela veut dire : on récupérera. Ce qu'on sera amené à donner là, on ne le donnera pas en augmentation de salaire ou on exigera plus de flexibilité.
Q.- Est-ce que vous êtes favorable à l'idée de prolonger la possibilité de monétiser ces jours de RTT jusqu'en juin 2008, comme le propose des députés UMP ?
R.- J'aurais préféré- je le redirai y compris cette après-midi - qu'on ne peut pas traiter de la question du pouvoir d'achat uniquement avec un slogan qui est de dire :"Ou vous bossez plus ou vous attendez que les prix baissent". On ne peut pas évacuer le débat sur l'augmentation des salaires. Je ne demande pas et nous ne demandons pas à l'Etat, sauf pour les fonctionnaires, c'est lui le patron...
Q.- Aujourd'hui, l'Etat se défausse et ne veut pas aborder, selon vous, le problème de l'augmentation des salaires ?
R.- Mais bien sûr ! Mais bien sûr ! La logique c'est de contraindre les gens à travailler plus longtemps. C'est cela que cela veut dire. Y compris d'ailleurs, il y a un projet de remettre en cause la durée légale du travail : contraindre les gens à travailler plus longtemps, en leur disant : "comme ça, vous gagnerez un peu plus". Mais posez la question de la négociation salariale : pourquoi, par exemple, le Gouvernement ne décide pas d'un coup de pouce, je ne dis même pas le montant, d'un coup de pouce au SMIC au 1er janvier ? Parce que ceux...
Q.- Vous le demandez ?
R.- Bien sûr qu'on demande ! Pour le moment on n'a pas de succès, cela je vous l'accorde.
Q.- Vous demandez quoi comme coup de pouce au SMIC ?
R.- Même un petit coup de pouce !
Q.- 2 %, 3 % d'augmentation ?
R.- Même un petit coup de pouce. Je ne veux même pas chiffrer.
Q.- Et les salaires qui sont au-dessus, juste au dessus du SMIC ?
R.- Cela suppose qu'on négocie l'ensemble des grilles également ! Il y a un débat qui va être intéressant qu'on ne va pas trancher aujourd'hui. Et nous le demandions : c'est conditionner les exonérations de cotisations sociales à la question salariale. Cela ne va pas être tranché tout de suite. Il y a beaucoup de choses qui sont renvoyées...
Q.- Le Gouvernement s'y est engagé.
R.- Oui mais il y a beaucoup de choses qui sont renvoyées en avril - il paraît qu'il y a des élections au mois de mars - donc, il y a beaucoup de choses qui sont renvoyées en avril, qui ne sont pas traitées aujourd'hui ou dans les jours à venir. Mais on ne peut pas évacuer. Tous ceux qui n'ont pas de jours de RTT, et il y en a beaucoup - il y a 38 % de salariés qui ont des jours de RTT ; je rappelle que pour avoir des jours de RTT, il ne faut pas être à 35 heures. Si on a des jours de RTT, c'est qu'on est au-dessus des 35 heures. Tous ceux qui sont à temps partiel, tous ceux qui sont en situation de précarité, ils n'auront rien, ils n'auront rien ces gens-là. Donc, quand ils sont au SMIC ou légèrement au-dessus du SMIC, cela passe par la négociation de salaire, cela passe aussi par un petit coup de pouce au SMIC. Ce sont des signes à la fois forts qui seraient donnés pour dire aux salariés : écoutez, oui il y a un problème de pouvoir d'achat... Je ne dis pas qu'il faut augmenter le SMIC de 30 %. On n'a jamais dit cela. Je dis un petit coup de pouce au SMIC, ce serait un signe. Pour le moment, on ne l'a pas.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 décembre 2007