Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans "La Revue des Grandes Ecoles" de novembre-décembre 2007", sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne, notamment la recherche, la défense de la langue française, l'immigration et la lutte contre le terrorisme et la criminalité.

Prononcé le 1er novembre 2007

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Média : La Revue des grandes écoles

Texte intégral

Q - De quelle manière préparez-vous la Présidence française de l'Union européenne ?
R - Comme l'a dit le président de la République dès le 27 août, "nous devons jouer collectif, nous mettre à l'écoute de nos partenaires, tous nos partenaires".
Dès le mois de mai, Bernard Kouchner et moi avons pris des contacts avec la Commission, les Etats membres et les membres du Parlement européen pour préparer la Présidence française.
Les nombreux déplacements que nous faisons à Bruxelles et à Strasbourg sont l'occasion de faire avancer certaines priorités. L'extraordinaire mobilisation du président de la République ayant permis de sortir de l'impasse institutionnelle, nous avons pu, sous présidence allemande et portugaise, obtenir un accord sur un nouveau traité. Il ouvre la voie à des travaux législatifs sur l'énergie, l'environnement, les migrations, la croissance et l'emploi, qui seront nos priorités. Nous les présentons à tous nos partenaires et le Premier ministre ou le président de la République se déplaceront également dans chacun des Etats membres.
Q - Quelques mots sur la mobilisation des autorités françaises...
R - Le 17 novembre, un séminaire a réuni à Matignon, sous l'autorité du Premier ministre, tous les membres du gouvernement. Il a permis d'aborder les questions de méthode, d'évaluer nos priorités, et de bénéficier du retour d'expérience de la Présidence allemande. L'actuelle Présidence portugaise ainsi que les futures Présidences slovène, tchèque et suédoise y ont également participé.
Q - Les Français seront-ils concernés par cette présidence ?
R - Nous entendons faire de cette présidence une Présidence citoyenne. Les élus, les partenaires sociaux, les entreprises, la société civile sont associés à la préparation de la Présidence, tout comme les collectivités territoriales. Des manifestations de la Présidence auront lieu partout en France. Et dès le mois de mars prochain, des conventions thématiques autour de nos priorités seront organisées dans les régions françaises. Tous ceux qui le souhaitent pourront ainsi, en exprimant leurs attentes, leurs questions, leurs craintes et leurs propositions, nourrir notre action. La Présidence doit être l'affaire de tous.
Q - Comment est mise en oeuvre la recherche et l'innovation dans le cadre de l'Europe ?
R - Le développement de la recherche et de l'innovation est un enjeu décisif pour la compétitivité de l'Union européenne, mais aussi pour la création d'emploi comme le souligne le renforcement du programme cadre de recherche et de développement européen ainsi que la Stratégie de Lisbonne.
L'Union a lancé, le 1er janvier 2007, son nouveau programme cadre pour la recherche et le développement technologique (PCRD). Doté de 50,5 milliards d'euros sur la période 2007-2013, il cofinance des projets de recherche et de développement menés en partenariat avec les établissements des Etats membres. Ce programme vise à encourager les échanges pour renforcer la coopération scientifique européenne et internationale.
Plusieurs mécanismes de financement sont mis en place pour aider les meilleurs projets de recherche par exemple en facilitant l'accès aux prêts accordés par la Banque européenne d'investissement.
Le programme établit de nouvelles régions de la connaissance, qui rassemblent universités, centres de recherche, sociétés multinationales, autorités régionales et PME.
Les initiatives technologiques conjointes permettent de mettre en commun les ressources du secteur privé, de l'Union et des Etats membres, pour la réalisation de projets de recherche ambitieux, comme celui portant sur les médicaments innovants ou l'électronique embarquée.
Q - Précisez-nous ce que représente la stratégie de Lisbonne.
R - La stratégie de Lisbonne a pour objectif de faire de l'Europe "l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde". La croissance de demain, les emplois de demain, les investissements de demain se trouvent en grande partie dans l'économie de la connaissance, ce qu'on appelle aussi "l'immatériel", dans les secteurs économiques situés "à la frontière technologique". La nouvelle frontière de la croissance européenne s'appelle dorénavant recherche et innovation technologique, éducation et formation, développement des petites et moyennes entreprises.
Q - Quelle est la place du français dans l'Union européenne aujourd'hui ?
R - La diversité culturelle, et par conséquent le multilinguisme, est à la fois une valeur et un objectif de la construction européenne. A ce titre, la nomination en janvier 2007 d'un Commissaire européen chargé de veiller au respect et à la promotion des identités linguistiques nationales et régionales est un signal. J'ai récemment rencontré le commissaire Orban pour évoquer la place du français dans l'Union européenne.
Il faut reconnaître qu'avec l'élargissement, dès 1995, l'usage du français a commencé à subir un certain recul. Nous ne sommes pas restés inactifs. Nous avons mis en place, dans un cadre bilatéral et avec l'Agence internationale de la francophonie, un ambitieux programme de formation des fonctionnaires européens non-francophones à la langue française. Plusieurs centaines d'agents ont été formés dans ce cadre et les demandes se multiplient. De plus, les trois villes qui accueillent les sièges des institutions communautaires, Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg, sont toutes francophones : c'est un atout. Ce n'est pas un hasard si la grande majorité des journalistes européens se mettent rapidement au français. Enfin, il faut noter que la langue française reste celle de la Cour de Justice de l'Union européenne.
Q - Les francophones participent-ils à cette valorisation du Français ?
R - Les francophones veillent à ce que leur langue demeure incontournable. Les experts, les parlementaires, les acteurs de la société civile participent en français aux travaux des associations, des centres universitaires, des auditions du Parlement européen, du Comité des Régions ou du Comité économique et social européen, pour contribuer à placer la langue de Jean Monnet au coeur du débat d'idée européen.
Q - Quelles seront les priorités françaises en matière de "justice, liberté et affaires intérieures" ?
Ce domaine connaîtra à partir du 1er janvier 2009 un essor considérable. En effet, le nouveau Traité facilitera la prise de décision, en généralisant la majorité qualifiée et la co-décision, alors qu'aujourd'hui un Etat membre, en faisant usage de son droit de veto, peut bloquer un accord.
Les questions migratoires seront l'une de nos priorités durant la Présidence. La France organisera notamment une conférence sur les migrations, en mettant l'accent sur une gestion globale et concertée et faisant une large part au co-développement. Elle proposera également des mesures en matière d'intégration. Nous développerons ainsi une stratégie commune, plus responsable et plus respectueuse des besoins de chacun. La présidence française s'efforcera également de faire progresser les migrations économiques.
Nous proposerons à tous nos partenaires européens un "pacte pour l'immigration". Il s'agira de s'engager, au plus haut niveau, à prendre en compte l'impact sur l'Union de chacune des politiques nationales.
Nous donnerons également à la justice et à la police les moyens de mieux coopérer dans la lutte contre le terrorisme ou la criminalité organisée. Nous donnerons ainsi à Eurojust, le collège européen des magistrats, un vrai pouvoir de coordination des enquêtes et nous mutualiserons nos informations et nos moyens. Nous permettrons aussi de mieux coordonner les opérations de police lorsqu'elles se déroulent dans plusieurs Etats membres, en mettant en place un comité opérationnel de sécurité intérieure.
Nous protégerons nos enfants en assurant le recouvrement effectif des pensions alimentaires, en surveillant mieux les réseaux pédophiles sur Internet et en créant un système d'alerte transfrontalier en cas d'enlèvement. Nous développerons également des coopérations pour faciliter la protection des citoyens européens qui résident dans des pays tiers et font face à des situations de crise.
Enfin, nous mettrons en place les fondements d'une solidarité européenne en matière de protection civile, pour mieux lutter contre les incendies et en cas de catastrophes naturelles.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 janvier 2008