Texte intégral
C'est dans cinq mois, en juin 1999, qu'auront lieu les élections européennes. Comment envisageons-nous cette échéance électorale? Avec quelles orientations? Avec quelles ambitions? Avec quelle campagne électorale? Avec quelle liste de candidates et candidats? Il n'est évidemment pas trop tôt pour que le Comité national débatte des réponses à apporter à ces interrogations. Et qu'il les soumette à la discussion et au jugement des communistes.
D'emblée, je veux souligner que c'est dans un esprit résolument offensif que le Bureau national propose d'aborder ces élections.
Un esprit offensif pour l'Europe. Nous voulons contribuer à la réussite d'une Europe de progrès social, humain, démocratique. Une Europe du co-développement de nations décidant souverainement de partager leurs efforts et leurs destins. Une Europe de la sécurité, de la paix, de l'entente entre les peuples. Une Europe de l'ouverture aux autres pour une mondialisation de la solidarité prenant le pas sur l'actuelle mondialisation de la guerre économique. Une Europe contribuant à un développement harmonieux, humain, durable, léguant aux générations futures une planète où elles auront plaisir à vivre, et dont elles pourront maîtriser l'avenir.
Un esprit offensif pour l'audience de nos idées, de nos propositions, de nos élus européens. Parce que nous avons l'ambition de l'Europe comme atout décisif pour de nécessaires progrès de civilisation, nous avons inséparablement des ambitions pour que s'affirme comme une force positive et constructive dans ce sens un Parti communiste fort de la modernité des exigences sociales, démocratiques et de solidarité des peuples et des nations dont il se veut porteur.
C'est cette ambition, cet esprit offensif que le Comité national doit, selon nous, proposer aux communistes. Afin qu'ils en discutent, et que cela permette d'élaborer avec eux, en vue du Conseil national de mars, tout à la fois les orientations, les propositions avec lesquelles les candidats communistes se présenteront devant les électeurs, la liste qui sera proposée, et le contenu et les formes de la campagne que nous aurons à mener le moment venu.
"Le moment venu" ai-je dit. C'est qu'en effet, le moment ne nous paraît pas être venu d'engager cette campagne électorale.
L'agitation fortement médiatisée de ceux qui sont déjà entrés en campagne, comme Daniel Cohn-Bendit, Alain Krivine et Arlette Laguiller, apparaît bien en décalage avec les problèmes du pays en ce début d'année 1999. La logique même de leur comportement, uniquement tourné vers la " chasse aux voix " en vue d'élections qui auront lieu dans cinq mois, les conduit à privilégier la polémique politicienne aux seules fins de détourner le plus possible de suffrages habituellement acquis à d'autres forces de gauche.
Pendant ce temps, à droite, c'est la guerre entre des états-majors obsédés par des enjeux liés à des échéances encore plus lointaines que celle des élections européennes. Et c'est l'affrontement des chefs au Front national. Un affrontement dans lequel se cumulent les pires pratiques politiciennes " traditionnelles " à l'origine de la crise de la politique dont s'est nourri le parti de Le Pen, et les violences propres aux murs fascisantes de l'extrême-droite.
Tout cela est décidément bien loin des préoccupations des Français. Il y a autre chose à faire pour les communistes que de se mêler à ces jeux politiciens. C'est autre chose que l'on attend d'eux dans le pays.
J'ai souvent répété ces dernières semaines que 1999 me paraissait devoir être une année décisive, une "année charnière". Non pas parce qu'elle est la dernière avant l'an 2000. Mais parce que la réussite du changement pour lequel notre peuple a donné la majorité à la gauche plurielle va se jouer dans les mois qui viennent, en fonction des décisions qui seront prises, des réformes qui seront engagées.
Nous avions noté, ici même, dans les derniers mois de l'année 1998 certaines évolutions marquées par des mouvements sociaux, des comportements électoraux exprimant une volonté grandissante que soient apportées des réponses plus nettes, plus déterminées aux problèmes des Français.
Nous l'avions dit alors - et pour ma part je le pense toujours : ces évolutions n'expriment pas un " retournement " de l'opinion à l'égard de la majorité, du gouvernement. Elles ne peuvent pas non plus être considérées seulement comme des manifestations d'impatience. Certes, nombreux sont nos concitoyens qui, ayant considéré comme raisonnable la demande que leur avait faite Lionel Jospin de lui accorder du temps pour engager les changements, se disent, dix neuf mois ayant passé, que des résultats devraient maintenant se faire sentir plus nettement et plus positivement pour eux. Certains même - par exemple parmi les retraités - s'interrogent, parfois avec un mécontentement compréhensible, sur le fait que leur situation s'est au contraire détériorée.
Et comment ne pas comprendre les sentiments éprouvés par ceux qui, attendant des résultats significatifs en matière de lutte contre le chômage, se trouvent confrontés à des licenciements massifs dans des grandes entreprises ou à des cessations d'activité de PME-PMI les privant de leur emploi ? En même temps, dans leur grande majorité, ceux qui expriment ces impatiences, ces mécontentements, voire ces colères, savent faire la différence entre la droite qui, si elle était restée au pouvoir, aurait aggravé la situation du pays, et la gauche qui s'efforce de l'améliorer.
Davantage que de l'impatience ou du mécontentement, ce que me semblent exprimer ces évolutions que je viens d'évoquer, c'est un doute qui s'installe et grandit: fait-on bien tout ce qu'il faut pour que de réels changements aient lieu -notamment en matière d'emploi?
Depuis juin 1997 -et bien avant, dans le débat national que nous avions engagé sur les conditions du changement en France, puis dans les discussions avec le Parti socialiste en avril 1997, et dans la campagne des élections législatives elle-même- nous ne cessons d'affirmer la nécessité, pour pouvoir répondre aux attentes des Français, avec des résultats concrets, positifs dans leur vie quotidienne, de réformes profondes, touchant aux structures mêmes de l'économie, de la société. Et l'on se souvient que cet été, au moment où ce doute commençait à monter, même s'il était masqué par des indices de satisfaction élevés qui devaient beaucoup à ce que l'on a appelé "l'effet Mondial", nous avions estimé nécessaire de le réaffirmer publiquement avec force.
Evidemment, des millions d'hommes et de femmes chez qui ce doute s'installe et grandit -et qui sont pour l'essentiel celles et ceux qui ont donné la majorité à la gauche à l'Assemblée nationale en juin 1997- ne le formulent pas spontanément en termes de réformes structurelles nécessaires, comme nous le faisons pour notre part. Mais ils voient ces masses d'argent qui continuent à être détournées vers la finance au lieu d'être investies pour l'emploi. Et ils s'en indignent. Ils voient comment les marchés financiers, les impératifs de rentabilité financière continuent à dicter leur loi. Et ils s'en étonnent. Ils voient que les réformes de la fiscalité et du crédit qui pourraient permettre de contrecarrer les exigences de la finance tardent à être engagées. Et ils se demandent pourquoi. Ils voient comment les décisions qui concernent leur emploi, leur avenir, continuent d'être prises -notamment dans les entreprises- sans qu'ils aient réellement voix au chapitre. Et ils s'en inquiètent.
Et comment ne pas comprendre que le doute grandisse en eux quand ils voient s'accélérer le rythme des privatisations alors qu'on leur explique qu'il est impossible d'accélérer celui des réformes qu'ils attendent? Comment ne pas comprendre que ce doute s'installe quand ils voient se succéder les rapports d'experts conseillant au gouvernement des réformes s'inspirant d'orientations qu'ils savent voisines de celles que les libéraux voulaient leur imposer quand la droite gouvernait le pays?
J'ai eu l'occasion, en présentant nos vux à la presse, le 13 janvier dernier, de rappeler à mes interlocuteurs les questions qu'ils me posaient il y a un an, en janvier 1998. Ils nous interrogeaient alors sur la solidité de la nouvelle majorité, qui n'est majorité qu'avec les communistes. Y resterions-nous si des difficultés surgissaient? Et pourrions-nous le faire sans avoir à en rabattre sur nos choix, nos propositions, notre identité communiste elle-même?
En réponse à ces questions j'avais alors fait part de notre détermination à assumer toutes nos responsabilités dans l'expérience inédite qui s'était engagée. Des difficultés, nous savions dès le début qu'il y en aurait. Nous étions résolus à ne pas baisser les bras devant elles. Au contraire, nous concevions le pluralisme de la gauche comme un atout pour les surmonter. Et dans cet esprit, nous étions déterminés à travailler, en lien avec les mouvements sociaux, les aspirations qu'ils portent et les solutions qu'ils suggèrent, à être toujours mieux, au sein de la majorité plurielle, la force communiste de proposition constructive nécessaire pour contribuer à la politique de changement attendue par les Français.
Les difficultés envisagées il y a un an sont présentes au rendez-vous. On ne saurait s'en étonner. Et chacun comprend bien que ce qui fait difficulté, ce n'est pas "le doute" mentionné plus haut, ce sont les causes de ce doute. Il n'aurait pas lieu d'être, et il se transformerait même en mobilisation pour soutenir le gouvernement si celui-ci affirmait clairement sa volonté de refuser les réformes d'inspiration néolibérale vers lesquelles on veut le pousser et s'il s'engageait résolument dans les réformes progressistes que j'ai évoquées!
Eh bien dans cette situation, nous proposons au Comité national de confirmer notre choix. Pas question de baisser les bras devant les difficultés. Pas question de "laisser aller" -vers où?- les choses. Pas question de nous borner à "tirer le signal d'alarme". Pas question de nous borner à "témoigner" de la nécessité de réformes de structures pour répondre aux attentes des Français.
Nous ne nous contenterons pas de souhaiter ces réformes et de dire haut et fort qu'il faut les engager. Nous nous emploierons de toutes nos forces à créer les conditions pour qu'elles s'engagent. En formulant des propositions concrètes ; en les soumettant au débat dans le pays; en prenant toutes les initiatives pour que l'intervention citoyenne permette de lever les obstacles, de vaincre les résistances afin d'avancer résolument dans la voie du changement attendu.
J'ai dit à l'instant qu'il n'y a pas lieu de s'étonner des difficultés. J'ai tenu à m'en expliquer dès les premières pages du livre que je viens de publier. Permettez-moi d'en citer un extrait. "Le problème est assez simple. Et les termes en ont été franchement précisés de part et d'autre. Les communistes sont entrés au gouvernement pour travailler avec les autres forces de gauche et les écologistes à une politique répondant aux attentes des Français. Ils pensent que, pour réussir, cette politique doit s'articuler autour de réformes profondes contribuant à changer la société. Et que pour cela, il convient non de se soumettre aux exigences des marchés financiers, mais d'en faire reculer la domination en se donnant les moyens humains, économiques et politiques de résoudre les problèmes auxquels sont confrontés nos concitoyens.
Le Parti socialiste a une autre vision des choses. Il veut bien entendu réussir. Il connaît les raisons de sa défaite de 1993, et notamment la condamnation qui s'est alors exprimée concernant des promesses non tenues par des gouvernements qui faisaient une politique cédant beaucoup aux dogmes de l'ultralibéralisme. Il se doit d'en tenir compte pour éviter un nouvel échec. Et en même temps, les réformes profondes que je viens d'évoquer ne correspondent pas à celles qu'il veut faire. Parce qu'elles s'attaquent à la logique libérale, alors que lui souhaite des réformes "encadrant", "régulant" cette logique sans fondamentalement la remettre en cause.
Telle est la raison de fond du débat existant entre nous. Un débat dont les termes, je le répète, sont franchement et loyalement mis sur la table. Un débat qui n'a rien d'anormal, mais qui tout au contraire est sain, mené dans la transparence, et qui relève du pluralisme inhérent à la gauche. Un débat auquel nous participons non pas de façon polémique, non pas en éternels insatisfaits ou en systématique "Monsieur plus", mais avec la conviction qu'il est utile, et le souci d'apporter notre pierre à la réussite d'ensemble."
C'est cette détermination à prendre pleinement nos responsabilités de parti totalement engagé dans la majorité et au gouvernement pour contribuer à ce que la politique de changement attendue par les Français puisse être réellement mise en uvre et réussie que je propose de confirmer aujourd'hui.
Cela me semble d'autant plus nécessaire que les pressions visant à orienter autrement la politique gouvernementale sont plus fortes que jamais.
Au moment où nous proposons un nouvel élan pour la gauche dans la mise en uvre résolue d'une politique de changement, d'autres voix s'élèvent pour proposer des choix bien différents, comme celui d'adopter un profil bas face aux pressions libérales, voire de leur consentir de nouvelles concessions. Et l'on voit bien comment ces pressions s'inscrivent dans une volonté affirmée d'harmoniser la politique de la France avec une orientation sociale libérale de la construction européenne.
J'ai noté avec intérêt différentes déclarations du Premier ministre réaffirmant les orientations qu'il avait fixées en juin 1997 lors de la constitution de son gouvernement, et soulignant sa volonté de continuer à travailler dans le cadre de la majorité plurielle alors mise en place, avec le rôle qu'y jouent les communistes. Mais c'est dans des actes significatifs -c'est-à-dire dans des décisions gouvernementales sur les grands dossiers à l'ordre du jour de la vie politique française en ce début d'année- que ces déclarations doivent prendre tout leur sens.
Car c'est bien sur des dossiers concrets, décisifs pour l'évolution de la société française dans les années qui viennent qu'a lieu le débat, l'affrontement avec les pressions libérales. Et je veux le répéter: il serait désastreux de déserter cet affrontement pour se lancer prématurément dans une campagne électorale européenne réduite à un pugilat politicien de nature à détourner encore plus les citoyens de la politique.
Il serait impensable que les communistes ne jouent pas tout leur rôle, avec leurs arguments, leurs propositions, leurs initiatives pour contribuer à l'intervention citoyenne, à l'action pour promouvoir des solutions neuves, dans le débat qui va se développer en vue de la seconde loi sur les 35 heures. Il ne saurait être question de laisser le grand patronat et les tenants de l'ultralibéralisme dévoyer cette grande réforme pour transformer ce qui devrait être un progrès de civilisation en recul social et sociétal institutionnalisant la flexibilité, la précarité et la déréglementation du travail.
Et il en va de même en ce qui concerne des questions aussi importantes que l'éducation, la formation liée à l'emploi, la sécurité, la protection sociale, mais aussi la parité hommes-femmes, la démocratisation des institutions et de la vie politique, l'avenir et la modernisation du service et des secteurs publics.
Je ne veux pas entrer ici dans le détail de chacun de ces dossiers. Nous nous sommes exprimés sur les questions posées. Nous allons continuer à en débattre pour mieux affiner nos arguments, nos propositions. Je veux seulement souligner encore une fois que la gauche ne "réussira" que si elle donne des réponses neuves aux questions posées dans tous les domaines que je viens d'évoquer. Et cela implique d'avoir le courage de rompre avec les dogmes de la pensée unique libérale, de s'engager dans les réformes profondes de structure mettant en cause la domination de l'argent pour l'argent, et ouvrant un nouvel âge de la démocratie, de la citoyenneté.
Ce qui est à l'ordre du jour pour les communistes en ce début d'année 1999 c'est d'engager partout le débat sur ces questions, à partir des préoccupations de nos concitoyens, de leurs aspirations, de leurs attentes, des problèmes auxquels ils sont confrontés. Et c'est de contribuer à nourrir ce débat avec des propositions novatrices, des initiatives rassembleuses, efficaces et fortes. C'est le sens des orientations de travail discutées avec les secrétaires fédéraux lors de leur réunion du 8 janvier, sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants.
Je crois avoir dit clairement ma conviction -celle du Bureau national- qu'il n'y a pas lieu de s'engager maintenant dans la campagne pour les élections européennes. Cela signifie-t-il que les communistes n'auraient rien à dire à propos de l'Europe avant le mois de mai prochain? Evidemment non!
On voit bien comment chacun des grands dossiers que j'évoquais a une dimension européenne. Il y a des enjeux européens -et des enjeux de taille!- dans la vie sociale et politique française. Et l'orientation que prendra la politique de la France en 1999 et dans les années qui vont suivre est aussi un enjeu pour l'avenir de la construction européenne.
Ce que je dis là n'est pas nouveau pour nous, ici, au Comité national. C'est un acquis de la réflexion que nous poursuivons depuis quelques années. Avons-nous su faire partager cette réflexion, y associer les communistes dans la diversité enrichissante de leurs approches, de leurs expériences? On comprend bien qu'à lui seul le fait de poser la question est déjà une réponse!
Quoi qu'il en soit, il me paraît évident que nous avons un sérieux handicap à surmonter: non seulement notre position quant à l'Europe est méconnue, mais elle est tout simplement considérée à l'exact opposé de ce qu'elle est!
Alors redisons-le et expliquons-le: nous, communistes français sommes "européens". Nous sommes pour l'Europe.
Je vois bien comment, s'appuyant sur tel ou tel argument ou mot d'ordre qui furent un temps les nôtres on pourrait m'objecter: "voyons, nous ne pouvons pas dire simplement que nous sommes pour l'Europe alors que nous avons été contre Maastricht, contre le marché unique européen, contre l'euro, contre tant d'autres choses qui font l'essentiel de ce qu'est la construction européenne. Disons que nous sommes pour l'Europe mais contre l'Europe "actuelle"
Franchement, camarades, cette façon de dire qu'on est pour en expliquant longuement pourquoi on est contre ne me paraît guère être de nature à rendre claire ce qu'est notre position ! Et tant qu'elle pourra être entendue comme cela on ne pourra s'étonner qu'elle soit jugée peu lisible et peu convaincante !
Nous ne sommes partisans ni du repli sur l'hexagone, ni de l'alignement derrière une super puissance hégémonique au niveau mondial. Nous nous affirmons pour l'Europe, non pas à contrecoeur, en traînant les pieds, parce que l'Europe existe et qu'il faudrait s'y résigner. Les yeux grand ouverts sur les enjeux, les dangers mais aussi les potentialités, nous affirmons un choix, une volonté, un projet européen. Pour l'Europe comme espace moderne de co-développement de nations décidant souverainement de partager leurs efforts et leurs destins afin de résoudre ensemble les problèmes auxquels elles sont confrontées, et qu'elles ne peuvent résoudre en se repliant chacune sur elle-même. Et c'est au nom de ce choix résolument pour l'Europe que nous combattons, au sein de l'Europe telle qu'elle se fait, les politiques et les choix inspirés de l'ultralibéralisme, pour promouvoir d'autres orientations afin de réussir l'Europe sociale, humaine, démocratique et pacifique à laquelle aspirent les peuples de notre continent.
Je souhaite que nous en débattions. Ici, au Comité national Au-delà, dans tout le Parti. Et dans tout le pays, avec les Françaises et les Français. En prenant bien en compte ce que sont leurs aspirations, leurs craintes, leurs interrogations, leurs attentes. Y compris les attentes à notre égard de celles et ceux qui voudraient être sûrs que nous serons avec eux pour réussir une construction européenne à laquelle ils aspirent, dont ils attendent beaucoup, mais qu'ils redoutent aussi car ils en pressentent les dangers et ils veulent pouvoir compter sur les communistes pour les aider à y faire face.
Ce débat montrera -j'en suis convaincu- le lien, beaucoup plus étroit qu'on le pense, entre politique française et construction européenne. Certes parce que, comme je l'ai déjà souligné, chacun des "grands dossiers" de la politique française a une dimension européenne. Mais aussi parce que, au niveau atteint aujourd'hui par la construction européenne, les orientations décidées pour l'Europe ont des conséquences dont il faut tenir compte dans la façon d'appréhender ces dossiers.
Mais une autre réflexion me semble ici nécessaire, à propos du lien entre politique de changement en France et construction européenne. Loin de moi l'idée que le changement en France serait conditionné par un changement au niveau européen. Tenir un tel discours reviendrait en fait à se donner un alibi commode pour se résigner à ne rien changer en France.
On voit bien cependant comment les "contraintes" réelles ou supposées de la construction européenne sont opposées au changement dans chacun des pays européens. C'est au nom de la lutte pour réduire les déficits, maintenir la "stabilité", harmoniser les politiques économiques... que l'on s'interdit de faire droit à ces aspirations. Et en même temps, leur montée et leur expression dans des votes pour le changement -en France et dans les autres pays d'Europe- posent des questions nouvelles aux dirigeants européens, et les conduit à évoquer la possibilité d'infléchir des politiques européennes présentées jusque là comme "intouchables".
Il y a là matière à réflexion. Et aussi de solides raisons d'être audacieux, ambitieux et optimistes.
Le lien entre possibilités de changement en France ainsi que dans d'autres pays d'Europe et construction européenne n'est pas "à sens unique". Bien sûr, une construction européenne libérale est un obstacle au changement dans ces pays. Et à l'inverse une construction européenne progressiste ambitieuse pour l'Europe serait un atout pour la réussite de ce changement. Mais quand les peuples rejettent les politiques libérales, des gouvernements libéraux, et affirment leur volonté de changement, et quand des expériences de politiques nouvelles se construisent, ce n'est pas sans effets sur la construction européenne elle-même.
Le regard que l'on porte partout en Europe sur l'expérience française, originale par la place qu'occupent dans la gauche plurielle les communistes et les exigences antilibérales dont ils sont porteurs, est à cet égard révélateur.
A l'évidence le nouveau souffle européen nécessaire pour sortir la construction européenne de l'ornière où la maintiennent les orientations libérales et lui donner un autre sens, une autre ambition, a beaucoup à attendre de l'apport que peut constituer la réussite du changement en France.
Au-delà, le fait nouveau ces dernières années en Europe, c'est bien la montée du rejet du libéralisme et de forces, qu'on aurait tort de sous-estimer, déterminées à lutter pour une autre orientation de la construction européenne.
Le tapage orchestré pour la mise en place de l'euro ne doit pas empêcher d'entendre ces forces s'affirmer. J'ai évoqué les élections en France, en Grande Bretagne, en Allemagne, en Suède. Il faut aussi souligner la portée des mouvements sociaux en Europe, avec, depuis Vilvorde, les euro-manifestations et les marches sur Amsterdam, les euro-grèves des cheminots, les actions coordonnées des salariés de l'énergie, des routiers, la mise en réseaux des mouvements contre l'exclusion, contre le chômage. Il n'est pas une lutte d'envergure qui n'ait d'une manière ou d'une autre, soit un prolongement, soit un retentissement européen.
Il est d'ailleurs significatif de voir que quand un gouvernement est trop en décalage, ou en retrait par rapport aux attentes des électeurs, il est très vite confronté à des difficultés politiques. Après Tony Blair en Grande Bretagne, Gerhard Schröeder en fait l'expérience en Allemagne.
Dans les institutions elles-mêmes, les préoccupations de l'opinion publique commencent à se faire entendre. C'est le sens de l'affirmation de la priorité accordée à l'emploi, aux conseils européens d'Amsterdam, puis à Luxembourg. Le sommet de Portschach a été aussi révélateur d'un changement de ton, au point que les banquiers de la BCE s'en sont inquiétés.
Le vote sur la motion de censure à l'encontre de la Commission européenne tout récemment, est sans précédent. Ce désaveu a exprimé la montée de l'exigence de transparence et de démocratie dans les instances communautaires. A ce propos il faut souligner et saluer le rôle joué par le groupe de la Gauche unitaire européenne - Gauche verte nordique et des députés français qui y participent, pour infléchir à gauche, dans un rapport de forces qui n'est guère facile, les positions du Parlement européen. Si j'insiste sur le travail, les interventions, le travail d'élaboration des députés français du groupe c'est qu'on en perçoit souvent insuffisamment la qualité et l'importance. Le travail accompli au sein du groupe a fortement contribué au rapprochement, et aux relations de confiance entre des forces politiques à priori très différentes qui le composent.
C'est ainsi qu'il a été possible d'aboutir à l'Appel commun pour "une nouvelle voie de la construction européenne", signé par treize partis et soutenu par plusieurs autres, lancé à Paris le 15 janvier à l'occasion du Forum progressiste. C'est sans précédent. Cet appel exprime des exigences sociales et démocratiques pour l'Europe dans lesquelles nous nous reconnaissons. Même s'il a été conçu dans la perspective des élections européennes, ce n'est pas un acte conjoncturel. C'est une étape dans une dynamique. Et nous nous y inscrivons totalement.
Dans le débat national que nous voulons dès maintenant contribuer à développer sur les questions européennes et leur lien avec la question du changement en France, je crois qu'il est important d'aider à saisir la réalité des forces qui existent en Europe pour faire prévaloir une autre orientation de la construction européenne, et les possibilités qu'elles se développent et agissent toujours plus ensemble dans les années qui viennent.
Et je crois aussi qu'il sera possible de montrer, par l'organisation même des initiatives que nous prendrons pour ce débat, l'existence en France même de possibilités nouvelles de rapprochement et de travail comme de forces très diverses qui se retrouvent dans une volonté commune de s'opposer au néolibéralisme européen et de chercher les voies d'une construction européenne progressiste. Ce qui s'est fait ces derniers mois autour de " l'appel pour la non-ratification d'Amsterdam ", dans des conditions difficiles puisque, au même moment, des initiateurs de l'appel décidaient de mener campagne séparément en vue des élections de juin prochain, ce qui donne une idée des possibilités qui existent.
Il me semble aussi que, débattant des enjeux liés de la construction européenne et du changement en France, une question surgira, que je propose aux communistes de poser sans détour, en toute franchise, afin que chacun y réfléchisse. Cette question, c'est celle de l'enjeu politique que constitue l'existence de la majorité plurielle en France, et de la place qu'y tiennent les communistes.
J'en ai déjà montré l'originalité. Il faut en même temps souligner que si elle est un atout pour le changement en France et en Europe, elle est un obstacle pour ceux qui rêvent d'un alignement de la France sur les politiques social-libérales qui se mettent en place ailleurs avec des gouvernements socio-démocrates ou des alliances "roses-vertes".
Il ne s'agit pas là d'une "question de boutique" qui n'intéresserait que les communistes.
Le but avoué de l'opération lancée avec la candidature de Cohn-Bendit est de "faire bouger" les rapports de force à gauche en affaiblissant le Parti communiste pour faire d'une alliance "rose-verte" à la française l'axe nouveau d'une majorité différente. Il s'agit en réalité de briser la majorité plurielle issue des élections de 1997, pour infléchir la politique suivie dans un sens social-libéral contraire à la volonté alors exprimée par les électeurs. L'enjeu dépasse, on le voit, le seul souci -au demeurant parfaitement légitime- des communistes de ne pas laisser affaiblir leur audience.
Enfin, dans ce débat national multiforme que nous voulons dès maintenant lancer, les communistes seront porteurs d'idées, de propositions. Des propositions de réponses aux attentes des Français. Des propositions pour des solutions novatrices aux problèmes du pays.
C'est un projet global construit à partir de ces attentes, de ces problèmes, qu'il s'agit de mettre en débat, afin de contribuer à ce que notre peuple se construise lui-même son projet de changement et intervienne, par ses actions et par ses votes, pour le faire aboutir. On le sait, c'est avec la volonté d'apporter ma contribution à la réflexion des communistes que j'ai proposé dans mon livre des pistes pour l'élaboration de ce projet.
Parce qu'on ne peut séparer changement en France et changement en Europe, ce projet aura nécessairement dans tous ses aspects une dimension européenne impliquant la définition de politiques européennes, d'institutions européennes, de rapports de forces européens pour avancer. Il y a donc bien un projet européen à porter devant notre peuple. Nous proposons d'en débattre dans le Parti et au cours des rencontres et forums que nous allons organiser. Et notre Conseil national de mars tirera les enseignements de ce débat pour élaborer les propositions, le projet dont les communistes seront porteurs lors de l'élection de juin prochain.
Nous soumettons donc au Comité national aujourd'hui des propositions que nous pourrions verser au débat pour être discutées et enrichies d'ici le prochain Conseil national.
Pour élaborer des priorités, des grands axes, inscrits dans une vision antilibérale et démocratique, nous ne partons pas de rien. Les mouvements sociaux, les évolutions politiques ont enrichi notre réflexion. Et il y a notre propre travail, les très riches débats de ces derniers mois avec les communistes et avec des personnalités.
Il nous faut, je pense, mesurer et apprécier le travail accompli depuis septembre par la commission que nous avons mise en place pour cette consultation. Près de 200 réunions ont été recensées. Des dizaines de contributions et de procès-verbaux de réunions très divers sont arrivés au Comité national. Il y a là un ensemble de réflexions, une masse de travail, d'intelligence, tout à fait remarquable. Comme l'ont été d'ailleurs, de l'avis des participants, les auditions organisées au Comité national sur des sujets aussi divers que l'Europe sociale, l'Europe de l'éducation et de la recherche, Shengen, les services publics. D'autres sont programmés sur la jeunesse, la politique étrangère et de sécurité...
Des éléments se dégagent de ce travail, qui peuvent donner les grandes lignes de ce que pourrait être un projet europrogressiste. Je les livre au Comité national dans la forme où ils sont "sortis" de la consultation en cours. Quelquefois ce sont des propositions ébauchées ou élaborées. Quelquefois ce sont des questions. C'est le débat poursuivi dans le Parti et avec les citoyens qui permettra d'avancer. Et il appartiendra à la commission de proposer au Conseil national un projet évidemment plus élaboré.
1- D'abord L'Europe sociale Comment lui donner corps? Comment en faire une réalité? Comment la construction européenne peut-elle aider à vaincre le chômage? Car la France a besoin de l'Europe pour l'emploi.
Pour lutter efficacement contre le chômage, il faut notamment orienter l'argent de la finance vers l'investissement dans la formation et la création d'emplois. Il faut desserrer les contraintes qui, maintenant à l'échelle européenne, enserrent les budgets sociaux, l'investissement. C'est le sens de notre proposition de renégocier le pacte de stabilité pour lui substituer un pacte pour l'emploi et la croissance.
Aujourd'hui, avec onze gouvernements dirigés par des sociaux démocrates, rien ne devrait empêcher le Conseil européen d'engager la renégociation d'un pacte conclu sous la pression d'Helmut Kohl.
Dans le même esprit, nous proposons que soit redéfinie la mission de la Banque centrale européenne, afin que la politique monétaire commune serve à l'emploi et à l'investissement à travers les taux d'intérêt, le crédit, et la parité avec le dollar.
La crise qui a balayé les places financières a rendu plus urgente encore une taxation des mouvements de capitaux - une sorte de taxe Tobin européenne - afin de mieux maîtriser les flux financiers, et de pénaliser les opérations purement spéculatives déstabilisantes. En matière de crédit la BEI pourrait jouer un rôle dynamique par une politique de prêts sélectifs conditionnés à la création d'emplois.
La réduction du temps de travail, sans baisse de salaire et avec des emplois à la clé, peut devenir une grande ambition européenne. Une telle généralisation s'inscrirait dans une volonté d'harmonisation vers le haut des législations et des normes sociales.
Le travail est en train de subir de profondes mutations qui se traduisent pour des salariés de plus en plus nombreux par plus de précarité, par une flexibilisation de leur vie. C'est le statut de salarié lui-même qui est en cause. Nous proposons de mettre en débat à l'échelle européenne, dans le mouvement social, et dans les institutions, la création, dans l'esprit de ce que nous avons appelé une sécurité d'emploi et de formation, de mécanismes permettant aux salariés de conjuguer au long de leur vie activité professionnelle, formation, mobilité consentie.
En matière de plans sociaux, pour des entreprises multinationales, ne faut-il pas que les comités d'entreprises, comme les collectivités concernées puissent faire suspendre les licenciements afin que soient examinées toutes les possibilités de maintenir l'emploi?
Quant aux services et aux entreprises publiques, ils doivent être, selon nous, un des piliers de la construction sociale. Nous ne prétendons pas imposer un modèle français en l'occurrence, mais pourquoi faudrait-il, au nom de l'Europe, sacrifier des entreprises et des secteurs performants pour les livrer aux appétits des groupes financiers ? Au contraire, leur modernisation, leur démocratisation devraient leur permettre de mieux développer leurs coopérations, à l'échelle européenne.
2 - deuxième aspect : L'Europe démocratique Réorientation sociale et réorientation démocratique de l'Europe sont en fait étroitement liées.
L'Europe est en terrible manque de démocratie. C'est évident. Quels mécanismes, quelles institutions, quelle réforme des institutions actuelles, pour rapprocher les citoyens des centres de décisions et, surtout, pour qu'ils soient partie prenante des décisions ? Quels droits nouveaux, quelles instances à imaginer, ou à renforcer pour que les citoyens, les syndicats, les associations aient accès à l'information, mais aussi à l'élaboration et au contrôle des décisions communautaires?
D'autre part, dans les institutions actuelles, comment redonner la primauté aux instances légitimées par le suffrage universel sur les organismes désignés comme la Banque centrale et la Commission? Concernant la Banque centrale, ne faut-il pas renégocier son statut afin que la politique monétaire soit en correspondance avec les choix politiques et sociaux et non le contraire? Quel contrepoids politique réellement efficace faut-il créer face à elle?
On ne peut pas accepter une telle absence de transparence dans les processus de décisions, que ce soit à la Commission, ou au Conseil. Nous proposons de donner au Parlement européen un rôle plus grand dans le contrôle de la Commission et de la BCE. Et nous pensons nécessaire de poser la question de prérogatives nouvelles pour le Parlement national, en matière de propositions et de contrôle de la politique européenne.
Il ne s'agit pas seulement de réformer les institutions afin de permettre aux citoyens d'être partie prenante des orientations et des choix. Il s'agit inséparablement de poser la question essentielle, vitale j'ose dire, de l'avenir de la nation française de sa souveraineté, dans un ensemble européen.
Certains, on le sait, rêvent d'une Europe fédérale sur le modèle allemand, avec un gouvernement unique, à défaut d'Etats-Unis. Pour eux, la nation serait dépassée.
Mais le débat entre fédéralistes et souverainistes n'est-il pas en réalité un faux débat? Nous n'avons pas une vue figée, réactionnaire de la nation. Nous en avons une conception ouverte, généreuse, progressiste, liée à l'évolution du monde, aux antipodes du repli nationaliste. Nous considérons en même temps que la nation reste une réalité forte, et que toute tentative de construire l'Europe contre les nations, de vouloir passer en force contre la souveraineté populaire ne peut conduire qu'à l'éclatement et attiser des réactions extrêmes et incontrôlables.
La question est posée ici est au fond celle du droit pour le peuple français, avec son histoire, ses acquis démocratiques, sa culture, à décider de son destin. Qu'est-ce que l'Europe aurait à gagner à l'effacement, ou plutôt à l'écrasement des acquis progressistes de la France ? On voit ce que peuvent y gagner les tenants du "tout marché". Mais l'idée d'union elle-même ne risquerait-elle pas, au contraire, d'en être rejetée?
Car c'est bien d'union dont il s'agit. D'un travail progressif, démocratique, patient pour faire des attentes de chacun une volonté commune afin d'affronter les défis communs. C'est ainsi et pas autrement que peut s'assumer une communauté de destin.
Des institutions politiques communes sont alors nécessaires pour mettre en uvre les choix communs. Encore faut-il que les partages de compétences et de souveraineté soient librement décidés, souverainement consentis et réversibles. Mais demandera-ton à juste titre: à 15 à 20 ou plus... comment décider efficacement?
On peut et il faut imaginer un système de prise de décisions qui permette à la fois les compromis nécessaires et une décision commune, mais en préservant la capacité pour tout Etat qui sentirait ses intérêts essentiels menacés, soit de bloquer la décision, soit de s'y soustraire. Et, à un renforcement des institutions communes doit répondre leur démocratisation -en limitant sévèrement le rôle de la Commission notamment- et en renforçant les prérogatives du Parlement national. Nous proposons qu'avant toute grande négociation, ou réunion européenne, le Parlement soit consulté, définisse un mandat et qu'ensuite il lui soit rendu compte.
Nous proposons d'inscrire dans la Constitution que toute ratification de traité européen fasse l'objet d'une consultation par référendum.
La construction d'une Europe unie par des voies politiques n'a pas de précédent. Pas de modèle. Ce ne peut être une fédération, ni un empire. Il faut innover et imaginer en avançant. Mais ce que nous proposons, c'est d'élargir la citoyenneté à ses dimensions européennes pour faire de chacun un acteur de ce processus.
3- Quand nous parlons d'Europe solidaire et de paix, nous pensons à la conception des relations au sein même de l'Union européenne et aux relations de l'Union avec ses partenaires extérieurs.
Construire une Union, c'est renforcer les liens de solidarité à l'intérieur, pour réduire les inégalités de développement qui, loin de se résorber aujourd'hui, sont en train de s'accentuer.
Construire une Europe solidaire, c'est donner un élan nouveau aux échanges humains, culturels, valorisant les richesses humaines et culturelles de chaque nation.
Comment aborder, avec une conception progressiste, anti-libérale, l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale? Nous proposons de travailler avec les forces progressistes de ces pays pour que l'élargissement ne se réduise pas à un examen de passage aux conditions fixées par "l'Ouest". Nous voulons créer les conditions pour que les peuples se sentent réellement partie prenante d'une construction véritablement commune.
A travers l'élargissement, est posée la question de l'architecture de la sécurité de l'après guerre froide. Comment envisager le dépassement de l'Otan, jusqu'à sa dissolution, en lui substituant un système de sécurité proprement européen et démilitarisé ? N'est-ce pas un des paradoxes de la construction actuelle, qu'au moment où l'on prétend combattre l'hégémonie du dollar, les pays européens font des Etats-Unis leur protecteur militaire et entérinent l'élargissement et le renforcement de l'Otan en Europe centrale ?
L'Europe a-t-elle besoin d'une armée pour s'affirmer dans le monde, y compris pour faire contrepoids aux Etats-Unis?
Ne faut-il pas au contraire réfléchir à ce que pourrait être une architecture renouvelée de la sécurité en Europe, y compris dans ses dimensions de prévention des conflits et du maintien de la paix. Nous pensons qu'il faut faire jouer un rôle nouveau, plus actif à une OSCE rénovée.
Nous devons pousser le débat, de manière ouverte, sur ce que peuvent être les axes d'initiatives communs en matière de politique étrangère et de sécurité, en gardant en tête qu'il ne peut s'agir que d'initiatives concertées, souverainement décidées et non contraignantes pour les Etats. Par exemple à propos Kosovo et de l'ex-Yougoslavie, on peut imaginer une démarche européenne associant les pays et les acteurs concernés, pour sortir de la spirale de la violence et déboucher sur des solutions politiques, créant les conditions pour que ces populations puissent vivre ensemble, avec la garantie du respect des droits de l'homme. Sur un autre plan, ne faut-il pas pousser pour des initiatives de l'Union européenne pour de nouvelles avancées en matière de désarmement, d'élimination des armes nucléaires, d'interdiction du commerce des armes?
La question qui est posée, c'est celle du modèle de civilisation que l'Europe peut promouvoir dans le monde dans cette période de bouleversements planétaires.
S'agit-il simplement de s'inscrire du mieux possible dans la "guerre économique", ou de tenter de peser pour infléchir dans un sens plus social, pour contrer la logique dévastatrice de la globalisation financière? S'agit-il de renforcer des liens de coopération et de co-développement avec le Sud et en Méditerranée, ou d'ériger en dogme la libre concurrence et la libre circulation des capitaux? L'Europe doit lancer un message fort qui rompe avec la "pensée unique" ultralibérale. Quelle politique commune, quelles initiatives communes pour revaloriser les Nations unies, pour peser positivement dans les institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale, les négociations de l'OMC? C'est loin d'être le cas aujourd'hui. Et l'on aurait aimé que concernant l'AMI les autres pays d'Europe aient une attitude aussi conséquente que la France.
Redonner du sens à l'Europe, c'est donc aussi pour nous agir pour qu'elle affirme dans le monde un modèle social et de développement humain, durable, moderne à l'opposé des tendances régressives du modèle libéral.
On le voit il y a là de nombreux éléments à verser au débat. Avec la volonté d'écouter, d'enrichir nos analyses, nos propositions pour pouvoir mieux préciser un projet européen cohérent, réaliste et novateur.
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Comment mener à bien ce travail que nous voulons engager pour contribuer à la réflexion, au débat, à l'intervention citoyenne pour le changement en France et en Europe?
La question n'est pas simple. Il ne suffit pas d'énoncer les tâches à mener à bien et de s'en remettre à la spontanéité pour qu'elles le soient.
C'est pourquoi nous avons dès le 8 janvier consulté les secrétaires fédéraux afin d'élaborer avec eux un plan de travail pour les semaines à venir.
La proposition d'organiser "10 000 rendez-vous avec les communistes pour construire l'avenir" a été discutée et retenue, avec la claire conscience des efforts à faire pour réussir. Il s'agit -a-t-il été précisé au cours de cette réunion- "de rencontres publiques dans les quartiers. Ces rendez-vous de rencontres publiques dans les quartiers, les lieux de travail et les cantons ruraux, organisées par les cellules du Parti. A ces rencontres publiques, nous proposons d'ajouter d'autres rendez-vous sous forme de points de rencontres, de rencontres plus personnalisées à l'initiative d'adhérents du Parti, d'élus, de dirigeants en direction de leur entourage proche. Au cours de cette campagne, nous voulons dialoguer avec des dizaines et des dizaines de milliers de nos concitoyens et les inviter à venir prendre leur place à nos côtés dans le Parti communiste pour inventer avec d'autres le projet transformateur dont ils rêvent et construire avec ceux qui en sont déjà membres le Parti communiste moderne."
Articulées avec ces rencontres de proximité, des initiatives publiques de plus grande ampleur, localement ou à l'échelle du département, de la région, en fonction des thèmes et des sujets choisis, sont programmées d'ici la réunion du Conseil national -de fin février à la mi-mars. Avec ces forums, il s'agit de créer les conditions d'échanges d'idées et de propositions entre citoyens, avec les acteurs du mouvement social qui le souhaiteront. Echanges portant bien sûr sur toutes les questions, y compris celle de la construction européenne, de ce qu'on en attend et de ce qu'il faut y changer. Je l'ai dit : les communistes y participeront avec leurs propositions, dans l'esprit de les enrichir.
Enfin, partout où il existe des espaces citoyens leurs animateurs -communistes ou pas- souhaitent poursuivre leur activité dans cette période. Au moment où nous insistons tant sur la nécessité de l'engagement citoyen il va de soi que nous les y encourageons vivement. Et vous avez vu que c'est dans cet esprit qu'ils se sont réunis récemment à Toulon.
La question de l'Humanité, compte tenu de son importance, fait l'objet d'un point particulier de l'ordre du jour de notre Comité national et sera traité en tant que telle.
Chers camarades,
Je veux maintenant vous informer des réflexions du Bureau national quant à la présentation d'une liste aux élections européennes et vous soumettre des propositions qu'il a discutées au cours de ses dernières réunions.
Permettez-moi d'abord de rappeler qu'une proposition avait été lancée dans les médias début janvier, visant à constituer une liste de toute la gauche plurielle -Parti socialiste, Parti communiste, Parti radical de gauche, Mouvement des citoyens.
Vous l'avez bien sûr noté: j'ai indiqué le 13 janvier que nous ne nous inscrivions pas dans cette perspective car il nous apparaissait que constituer une telle liste serait tricher avec la réalité des différences, des désaccords, existant sur l'Europe entre les partis appelés à y participer. Je pense que le Comité national partagera ce point de vue.
Toutefois, si des avis différents s'expriment, ils seront, évidemment, discutés.
Comment avons-nous abordé au Bureau national la question de la présentation d'une liste à ces élections ? D'abord en nous interrogeant sur les objectifs politiques qui allaient être les nôtres en juin prochain.
Depuis plusieurs mois déjà le Comité national avait retenu l'idée d'aller à ces élections en créant les conditions pour que se présentent ensemble les partisans d'une réorientation progressiste de la construction européenne, en appelant les électeurs à utiliser le vote pour cette liste afin de peser en faveur de cette réorientation.
Dès le mois de mai, les Verts nous ont informés de leur volonté de présenter une liste dirigée par Daniel Cohn-Bendit, tandis que s'esquissait le rapprochement des organisations trotskistes pour présenter une liste commune.
Nous avons pour notre part continué à multiplier les rencontres, les échanges. Avec des mouvements politiques comme le Mouvement des Citoyens ou celui des Alternatifs. Avec de nombreuses personnalités, militants d'associations, engagés dans les mouvements sociaux, féministes sur les problèmes de société, dans les multiples réseaux intervenant, en France et en Europe pour les droits de l'homme, la défense de la dignité humaine, de paix et la coopération entre les peuples. Avec aussi des intellectuels, des créateurs désireux de participer au débat et à l'engagement citoyen dans leur activité spécifique ou en travaillant dans des clubs, des cercles de réflexion très divers.
Nous avons mesuré à quel point la structuration de la vie politique et les pratiques médiatico-politiciennes en vigueur conduisaient à occulter la richesse de tous ces engagements et toutes ces réflexions.
C'est un véritable courant qui existe dans le pays. Un courant bien sûr très diversifié, et qui ne peut ni ne veut s'organiser comme tel. Mais dont les multiples composantes ont en commun de tirer de leur expérience, de leur militance et de leur réflexion la conclusion que l'obstacle à la réalisation de leurs objectifs sociaux, humanitaires, culturels, est dans tous les cas l'ultralibéralisme et ses dogmes étouffants. Ils ont aussi en commun d'être profondément européens dans leurs conceptions comme dans leurs pratiques, et pour cela désireux de donner un autre sens, une autre ambition à la construction européenne. Et, étant toutes et tous plutôt de gauche, ils sont attentifs à l'expérience de la gauche plurielle, sans s'interdire de critiquer ce qui les heurte, et sans forcément vouloir s'y investir.
Quelle possibilité ce courant, force vive, active et créative de notre société, va-t-il avoir de s'exprimer en juin prochain, avec le dispositif électoral qui se met en place?
Il ne se reconnaît pas dans une liste socialiste, ni dans les idées soutenues par Daniel Cohn-Bendit, ni dans l'accord Krivine-Laguiller.
Et si le Parti communiste, antilibéral, militant pour une réorientation progressiste de la construction européenne, et participant au gouvernement en conservant son libre arbitre et son identité peut se considérer d'une certaine manière comme proche de ce qu'exprime ce courant, il ne peut en aucun cas prétendre à lui seul le "résumer", le "représenter" dans une élection comme celle du mois de juin.
Par contre -et c'est la réflexion que le Bureau national veut vous soumettre aujourd'hui- nous pouvons contribuer à dégager pour ce courant un cadre d'expression électorale.
Evidemment pas en proposant à ces hommes et ces femmes de voter pour une liste communiste. Ni même pour une liste communiste "ouverte" comme on dit, c'est-à-dire comprenant quelques personnalités acceptant un compagnonnage le temps d'une élection. Ni non plus une liste constituée à partir d'un "pôle" de forces politiques constitué "à l'ancienne" sur la base d'un compromis plus ou moins clair...
C'est pourquoi nous proposons une conception inédite pour constituer une liste permettant à toute la diversité de ce courant de s'exprimer en toute liberté, sans avoir à craindre quelque récupération politicienne que ce soit.
Nous proposons de constituer cette liste sur la base d'un accord non pas entre organisation, mais entre les 87 candidates et candidats qui souhaiteront y participer. Un accord non pas sur les positions et le projet européen du Parti communiste mais sur trois bases: le rejet des solutions et politiques libérales, la prise en compte des aspirations exprimées dans les mouvements sociaux et sociétaux pour établir les grandes lignes d'une réorientation progressiste de la construction européenne, et le respect des positions des uns et des autres à propos de l'expérience gouvernementale en cours - pour dire les choses simplement: une liste dans laquelle personne ne soit obligé d'être pro-gouvernemental parce que les communistes sont au gouvernement, étant entendu qu'on ne sera pas non plus anti-gouvernemental.
Une telle conception implique bien sûr de notre part des engagements précis. Nous proposons dans cet esprit que la liste ne compte pas plus de 50% de candidats représentant le Parti communiste. C'est, comme on l'a dit, une double parité que nous avons en vue : parité hommes-femmes, et parité des candidats issus du Parti communiste et des personnalités venant d'autres mouvements ou choisissant de s'y engager personnellement à partir de leur expérience et de leurs pratiques politiques, sociales, associatives, culturelles, etc...
Nous proposons que cette double parité soit également la règle pour les candidats "éligibles" qui seront dans les premières places de la liste. Le choix de la personnalité à proposer comme "tête de liste" est évidemment en lui-même l'un de ces signes forts que nous voulons adresser à ces hommes et ces femmes que nous souhaitons voir participer à la liste. Un signe fort de l'engagement du Parti avec eux et de sa volonté de dialogue, de travail constructif dans le respect mutuel, et d'ouverture à la société.
Le Bureau national propose la candidature du secrétaire national du Parti. Et il a souhaité que Marie-George Buffet occupant la place symbolique de "dernière de liste" apporte son concours à cette construction inédite qu'elle a acceptée, et j'ai donc le plaisir de vous faire cette proposition.
Nous proposons que la seconde candidate sur la liste soit une personnalité féminine de premier plan, reconnue pour la qualité de son engagement et de sa réflexion. Madame Geneviève Fraisse, qui a été déléguée à la condition féminine auprès du Premier Ministre a accepté cette proposition qui ne pourrait bien sûr vous être faite qu'avec son accord. Avec le Bureau national, j'en suis sûr, le Comité national, en apprécient toute l'importance.
Des discussions sont en cours avec d'autres personnalités qui pourraient être dans les douze premiers candidats. Parmi elles bien sûr des députés européens "sortants" comme Philippe Herzog et Aline Pailler. Des personnalités représentatives du "courant" que j'évoquais précédemment. Eventuellement des militants émanant d'autres formations politiques.
Je précise à ce propos que nous avons entrepris des discussions avec le Mouvement des Citoyens. Les idées de Jean-Pierre Chevènement et de ses amis sur la composition de la liste diffèrent sensiblement des nôtres, et il m'a semblé comprendre qu'ils s'apprêtaient à ne pas accepter les propositions que nous leur avons faites.
Nous avons par ailleurs beaucoup discuté, et beaucoup travaillé avec le mouvement des Alternatifs qui a la particularité de se concevoir à la fois comme une organisation politique et comme un lieu de contact avec de nombreux mouvements associatifs et réseaux militants divers. Un texte faisant le point de nos réflexions communes et montrant la possibilité de continuer à réfléchir et travailler ensemble a été adopté et sera publié tandis que se poursuivent les discussions pour la participation à la liste de personnalités de ce mouvement et de sa "mouvance".
Il y aura évidemment à examiner les propositions concernant les autres députés sortants, en précisant que nos amies Gisèle Moreau et Mireille Elmalan ont décidé de ne plus être candidates.
Et de façon plus générale, je veux indiquer que des contacts ont été pris avec de nombreuses personnalités du mouvement social et sociétal, des milieux intellectuels scientifiques, culturels et politiques. Certains, comme l'architecte Roland Castro ont d'ores et déjà décidé de participer à la liste. D'autres réfléchissent. A certains d'ailleurs nous n'avons pas encore formulé de proposition concrète, dans l'attente de la discussion du Comité national et des communistes sur la conception de la liste.
On l'aura compris, et j'y insiste, il s'agit d'une méthode de constitution de la liste totalement inédite, qui impose de prendre tout le temps nécessaire à des échanges approfondis. Il ne s'agit pas, je le répète, de demander à ces femmes et à ces hommes d'être sur une liste du PCF, mais de mettre à leur disposition la possibilité de s'engager et de s'exprimer dans ce débat européen.
Cela me conduit à la dernière proposition que je suis chargé de vous transmettre. Le Bureau national propose que le Comité national donne son avis sur la conception de la liste telle que je viens de la résumer. S'il en est d'accord une consultation sera organisée par les fédérations pour recueillir l'avis des communistes qui souhaiteront l'exprimer et pour faire des propositions de communistes ou de personnalités à proposer comme candidats. Nous réunirons à nouveau le Comité national à la mi-février pour travailler sur une première liste de candidates et candidats à soumettre ensuite à la consultation du parti avant le Conseil national qui prendra alors les décisions qui lui reviennent selon nos statuts.
(Source http://www.pcf.fr, le 13 janvier 2003)
D'emblée, je veux souligner que c'est dans un esprit résolument offensif que le Bureau national propose d'aborder ces élections.
Un esprit offensif pour l'Europe. Nous voulons contribuer à la réussite d'une Europe de progrès social, humain, démocratique. Une Europe du co-développement de nations décidant souverainement de partager leurs efforts et leurs destins. Une Europe de la sécurité, de la paix, de l'entente entre les peuples. Une Europe de l'ouverture aux autres pour une mondialisation de la solidarité prenant le pas sur l'actuelle mondialisation de la guerre économique. Une Europe contribuant à un développement harmonieux, humain, durable, léguant aux générations futures une planète où elles auront plaisir à vivre, et dont elles pourront maîtriser l'avenir.
Un esprit offensif pour l'audience de nos idées, de nos propositions, de nos élus européens. Parce que nous avons l'ambition de l'Europe comme atout décisif pour de nécessaires progrès de civilisation, nous avons inséparablement des ambitions pour que s'affirme comme une force positive et constructive dans ce sens un Parti communiste fort de la modernité des exigences sociales, démocratiques et de solidarité des peuples et des nations dont il se veut porteur.
C'est cette ambition, cet esprit offensif que le Comité national doit, selon nous, proposer aux communistes. Afin qu'ils en discutent, et que cela permette d'élaborer avec eux, en vue du Conseil national de mars, tout à la fois les orientations, les propositions avec lesquelles les candidats communistes se présenteront devant les électeurs, la liste qui sera proposée, et le contenu et les formes de la campagne que nous aurons à mener le moment venu.
"Le moment venu" ai-je dit. C'est qu'en effet, le moment ne nous paraît pas être venu d'engager cette campagne électorale.
L'agitation fortement médiatisée de ceux qui sont déjà entrés en campagne, comme Daniel Cohn-Bendit, Alain Krivine et Arlette Laguiller, apparaît bien en décalage avec les problèmes du pays en ce début d'année 1999. La logique même de leur comportement, uniquement tourné vers la " chasse aux voix " en vue d'élections qui auront lieu dans cinq mois, les conduit à privilégier la polémique politicienne aux seules fins de détourner le plus possible de suffrages habituellement acquis à d'autres forces de gauche.
Pendant ce temps, à droite, c'est la guerre entre des états-majors obsédés par des enjeux liés à des échéances encore plus lointaines que celle des élections européennes. Et c'est l'affrontement des chefs au Front national. Un affrontement dans lequel se cumulent les pires pratiques politiciennes " traditionnelles " à l'origine de la crise de la politique dont s'est nourri le parti de Le Pen, et les violences propres aux murs fascisantes de l'extrême-droite.
Tout cela est décidément bien loin des préoccupations des Français. Il y a autre chose à faire pour les communistes que de se mêler à ces jeux politiciens. C'est autre chose que l'on attend d'eux dans le pays.
J'ai souvent répété ces dernières semaines que 1999 me paraissait devoir être une année décisive, une "année charnière". Non pas parce qu'elle est la dernière avant l'an 2000. Mais parce que la réussite du changement pour lequel notre peuple a donné la majorité à la gauche plurielle va se jouer dans les mois qui viennent, en fonction des décisions qui seront prises, des réformes qui seront engagées.
Nous avions noté, ici même, dans les derniers mois de l'année 1998 certaines évolutions marquées par des mouvements sociaux, des comportements électoraux exprimant une volonté grandissante que soient apportées des réponses plus nettes, plus déterminées aux problèmes des Français.
Nous l'avions dit alors - et pour ma part je le pense toujours : ces évolutions n'expriment pas un " retournement " de l'opinion à l'égard de la majorité, du gouvernement. Elles ne peuvent pas non plus être considérées seulement comme des manifestations d'impatience. Certes, nombreux sont nos concitoyens qui, ayant considéré comme raisonnable la demande que leur avait faite Lionel Jospin de lui accorder du temps pour engager les changements, se disent, dix neuf mois ayant passé, que des résultats devraient maintenant se faire sentir plus nettement et plus positivement pour eux. Certains même - par exemple parmi les retraités - s'interrogent, parfois avec un mécontentement compréhensible, sur le fait que leur situation s'est au contraire détériorée.
Et comment ne pas comprendre les sentiments éprouvés par ceux qui, attendant des résultats significatifs en matière de lutte contre le chômage, se trouvent confrontés à des licenciements massifs dans des grandes entreprises ou à des cessations d'activité de PME-PMI les privant de leur emploi ? En même temps, dans leur grande majorité, ceux qui expriment ces impatiences, ces mécontentements, voire ces colères, savent faire la différence entre la droite qui, si elle était restée au pouvoir, aurait aggravé la situation du pays, et la gauche qui s'efforce de l'améliorer.
Davantage que de l'impatience ou du mécontentement, ce que me semblent exprimer ces évolutions que je viens d'évoquer, c'est un doute qui s'installe et grandit: fait-on bien tout ce qu'il faut pour que de réels changements aient lieu -notamment en matière d'emploi?
Depuis juin 1997 -et bien avant, dans le débat national que nous avions engagé sur les conditions du changement en France, puis dans les discussions avec le Parti socialiste en avril 1997, et dans la campagne des élections législatives elle-même- nous ne cessons d'affirmer la nécessité, pour pouvoir répondre aux attentes des Français, avec des résultats concrets, positifs dans leur vie quotidienne, de réformes profondes, touchant aux structures mêmes de l'économie, de la société. Et l'on se souvient que cet été, au moment où ce doute commençait à monter, même s'il était masqué par des indices de satisfaction élevés qui devaient beaucoup à ce que l'on a appelé "l'effet Mondial", nous avions estimé nécessaire de le réaffirmer publiquement avec force.
Evidemment, des millions d'hommes et de femmes chez qui ce doute s'installe et grandit -et qui sont pour l'essentiel celles et ceux qui ont donné la majorité à la gauche à l'Assemblée nationale en juin 1997- ne le formulent pas spontanément en termes de réformes structurelles nécessaires, comme nous le faisons pour notre part. Mais ils voient ces masses d'argent qui continuent à être détournées vers la finance au lieu d'être investies pour l'emploi. Et ils s'en indignent. Ils voient comment les marchés financiers, les impératifs de rentabilité financière continuent à dicter leur loi. Et ils s'en étonnent. Ils voient que les réformes de la fiscalité et du crédit qui pourraient permettre de contrecarrer les exigences de la finance tardent à être engagées. Et ils se demandent pourquoi. Ils voient comment les décisions qui concernent leur emploi, leur avenir, continuent d'être prises -notamment dans les entreprises- sans qu'ils aient réellement voix au chapitre. Et ils s'en inquiètent.
Et comment ne pas comprendre que le doute grandisse en eux quand ils voient s'accélérer le rythme des privatisations alors qu'on leur explique qu'il est impossible d'accélérer celui des réformes qu'ils attendent? Comment ne pas comprendre que ce doute s'installe quand ils voient se succéder les rapports d'experts conseillant au gouvernement des réformes s'inspirant d'orientations qu'ils savent voisines de celles que les libéraux voulaient leur imposer quand la droite gouvernait le pays?
J'ai eu l'occasion, en présentant nos vux à la presse, le 13 janvier dernier, de rappeler à mes interlocuteurs les questions qu'ils me posaient il y a un an, en janvier 1998. Ils nous interrogeaient alors sur la solidité de la nouvelle majorité, qui n'est majorité qu'avec les communistes. Y resterions-nous si des difficultés surgissaient? Et pourrions-nous le faire sans avoir à en rabattre sur nos choix, nos propositions, notre identité communiste elle-même?
En réponse à ces questions j'avais alors fait part de notre détermination à assumer toutes nos responsabilités dans l'expérience inédite qui s'était engagée. Des difficultés, nous savions dès le début qu'il y en aurait. Nous étions résolus à ne pas baisser les bras devant elles. Au contraire, nous concevions le pluralisme de la gauche comme un atout pour les surmonter. Et dans cet esprit, nous étions déterminés à travailler, en lien avec les mouvements sociaux, les aspirations qu'ils portent et les solutions qu'ils suggèrent, à être toujours mieux, au sein de la majorité plurielle, la force communiste de proposition constructive nécessaire pour contribuer à la politique de changement attendue par les Français.
Les difficultés envisagées il y a un an sont présentes au rendez-vous. On ne saurait s'en étonner. Et chacun comprend bien que ce qui fait difficulté, ce n'est pas "le doute" mentionné plus haut, ce sont les causes de ce doute. Il n'aurait pas lieu d'être, et il se transformerait même en mobilisation pour soutenir le gouvernement si celui-ci affirmait clairement sa volonté de refuser les réformes d'inspiration néolibérale vers lesquelles on veut le pousser et s'il s'engageait résolument dans les réformes progressistes que j'ai évoquées!
Eh bien dans cette situation, nous proposons au Comité national de confirmer notre choix. Pas question de baisser les bras devant les difficultés. Pas question de "laisser aller" -vers où?- les choses. Pas question de nous borner à "tirer le signal d'alarme". Pas question de nous borner à "témoigner" de la nécessité de réformes de structures pour répondre aux attentes des Français.
Nous ne nous contenterons pas de souhaiter ces réformes et de dire haut et fort qu'il faut les engager. Nous nous emploierons de toutes nos forces à créer les conditions pour qu'elles s'engagent. En formulant des propositions concrètes ; en les soumettant au débat dans le pays; en prenant toutes les initiatives pour que l'intervention citoyenne permette de lever les obstacles, de vaincre les résistances afin d'avancer résolument dans la voie du changement attendu.
J'ai dit à l'instant qu'il n'y a pas lieu de s'étonner des difficultés. J'ai tenu à m'en expliquer dès les premières pages du livre que je viens de publier. Permettez-moi d'en citer un extrait. "Le problème est assez simple. Et les termes en ont été franchement précisés de part et d'autre. Les communistes sont entrés au gouvernement pour travailler avec les autres forces de gauche et les écologistes à une politique répondant aux attentes des Français. Ils pensent que, pour réussir, cette politique doit s'articuler autour de réformes profondes contribuant à changer la société. Et que pour cela, il convient non de se soumettre aux exigences des marchés financiers, mais d'en faire reculer la domination en se donnant les moyens humains, économiques et politiques de résoudre les problèmes auxquels sont confrontés nos concitoyens.
Le Parti socialiste a une autre vision des choses. Il veut bien entendu réussir. Il connaît les raisons de sa défaite de 1993, et notamment la condamnation qui s'est alors exprimée concernant des promesses non tenues par des gouvernements qui faisaient une politique cédant beaucoup aux dogmes de l'ultralibéralisme. Il se doit d'en tenir compte pour éviter un nouvel échec. Et en même temps, les réformes profondes que je viens d'évoquer ne correspondent pas à celles qu'il veut faire. Parce qu'elles s'attaquent à la logique libérale, alors que lui souhaite des réformes "encadrant", "régulant" cette logique sans fondamentalement la remettre en cause.
Telle est la raison de fond du débat existant entre nous. Un débat dont les termes, je le répète, sont franchement et loyalement mis sur la table. Un débat qui n'a rien d'anormal, mais qui tout au contraire est sain, mené dans la transparence, et qui relève du pluralisme inhérent à la gauche. Un débat auquel nous participons non pas de façon polémique, non pas en éternels insatisfaits ou en systématique "Monsieur plus", mais avec la conviction qu'il est utile, et le souci d'apporter notre pierre à la réussite d'ensemble."
C'est cette détermination à prendre pleinement nos responsabilités de parti totalement engagé dans la majorité et au gouvernement pour contribuer à ce que la politique de changement attendue par les Français puisse être réellement mise en uvre et réussie que je propose de confirmer aujourd'hui.
Cela me semble d'autant plus nécessaire que les pressions visant à orienter autrement la politique gouvernementale sont plus fortes que jamais.
Au moment où nous proposons un nouvel élan pour la gauche dans la mise en uvre résolue d'une politique de changement, d'autres voix s'élèvent pour proposer des choix bien différents, comme celui d'adopter un profil bas face aux pressions libérales, voire de leur consentir de nouvelles concessions. Et l'on voit bien comment ces pressions s'inscrivent dans une volonté affirmée d'harmoniser la politique de la France avec une orientation sociale libérale de la construction européenne.
J'ai noté avec intérêt différentes déclarations du Premier ministre réaffirmant les orientations qu'il avait fixées en juin 1997 lors de la constitution de son gouvernement, et soulignant sa volonté de continuer à travailler dans le cadre de la majorité plurielle alors mise en place, avec le rôle qu'y jouent les communistes. Mais c'est dans des actes significatifs -c'est-à-dire dans des décisions gouvernementales sur les grands dossiers à l'ordre du jour de la vie politique française en ce début d'année- que ces déclarations doivent prendre tout leur sens.
Car c'est bien sur des dossiers concrets, décisifs pour l'évolution de la société française dans les années qui viennent qu'a lieu le débat, l'affrontement avec les pressions libérales. Et je veux le répéter: il serait désastreux de déserter cet affrontement pour se lancer prématurément dans une campagne électorale européenne réduite à un pugilat politicien de nature à détourner encore plus les citoyens de la politique.
Il serait impensable que les communistes ne jouent pas tout leur rôle, avec leurs arguments, leurs propositions, leurs initiatives pour contribuer à l'intervention citoyenne, à l'action pour promouvoir des solutions neuves, dans le débat qui va se développer en vue de la seconde loi sur les 35 heures. Il ne saurait être question de laisser le grand patronat et les tenants de l'ultralibéralisme dévoyer cette grande réforme pour transformer ce qui devrait être un progrès de civilisation en recul social et sociétal institutionnalisant la flexibilité, la précarité et la déréglementation du travail.
Et il en va de même en ce qui concerne des questions aussi importantes que l'éducation, la formation liée à l'emploi, la sécurité, la protection sociale, mais aussi la parité hommes-femmes, la démocratisation des institutions et de la vie politique, l'avenir et la modernisation du service et des secteurs publics.
Je ne veux pas entrer ici dans le détail de chacun de ces dossiers. Nous nous sommes exprimés sur les questions posées. Nous allons continuer à en débattre pour mieux affiner nos arguments, nos propositions. Je veux seulement souligner encore une fois que la gauche ne "réussira" que si elle donne des réponses neuves aux questions posées dans tous les domaines que je viens d'évoquer. Et cela implique d'avoir le courage de rompre avec les dogmes de la pensée unique libérale, de s'engager dans les réformes profondes de structure mettant en cause la domination de l'argent pour l'argent, et ouvrant un nouvel âge de la démocratie, de la citoyenneté.
Ce qui est à l'ordre du jour pour les communistes en ce début d'année 1999 c'est d'engager partout le débat sur ces questions, à partir des préoccupations de nos concitoyens, de leurs aspirations, de leurs attentes, des problèmes auxquels ils sont confrontés. Et c'est de contribuer à nourrir ce débat avec des propositions novatrices, des initiatives rassembleuses, efficaces et fortes. C'est le sens des orientations de travail discutées avec les secrétaires fédéraux lors de leur réunion du 8 janvier, sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants.
Je crois avoir dit clairement ma conviction -celle du Bureau national- qu'il n'y a pas lieu de s'engager maintenant dans la campagne pour les élections européennes. Cela signifie-t-il que les communistes n'auraient rien à dire à propos de l'Europe avant le mois de mai prochain? Evidemment non!
On voit bien comment chacun des grands dossiers que j'évoquais a une dimension européenne. Il y a des enjeux européens -et des enjeux de taille!- dans la vie sociale et politique française. Et l'orientation que prendra la politique de la France en 1999 et dans les années qui vont suivre est aussi un enjeu pour l'avenir de la construction européenne.
Ce que je dis là n'est pas nouveau pour nous, ici, au Comité national. C'est un acquis de la réflexion que nous poursuivons depuis quelques années. Avons-nous su faire partager cette réflexion, y associer les communistes dans la diversité enrichissante de leurs approches, de leurs expériences? On comprend bien qu'à lui seul le fait de poser la question est déjà une réponse!
Quoi qu'il en soit, il me paraît évident que nous avons un sérieux handicap à surmonter: non seulement notre position quant à l'Europe est méconnue, mais elle est tout simplement considérée à l'exact opposé de ce qu'elle est!
Alors redisons-le et expliquons-le: nous, communistes français sommes "européens". Nous sommes pour l'Europe.
Je vois bien comment, s'appuyant sur tel ou tel argument ou mot d'ordre qui furent un temps les nôtres on pourrait m'objecter: "voyons, nous ne pouvons pas dire simplement que nous sommes pour l'Europe alors que nous avons été contre Maastricht, contre le marché unique européen, contre l'euro, contre tant d'autres choses qui font l'essentiel de ce qu'est la construction européenne. Disons que nous sommes pour l'Europe mais contre l'Europe "actuelle"
Franchement, camarades, cette façon de dire qu'on est pour en expliquant longuement pourquoi on est contre ne me paraît guère être de nature à rendre claire ce qu'est notre position ! Et tant qu'elle pourra être entendue comme cela on ne pourra s'étonner qu'elle soit jugée peu lisible et peu convaincante !
Nous ne sommes partisans ni du repli sur l'hexagone, ni de l'alignement derrière une super puissance hégémonique au niveau mondial. Nous nous affirmons pour l'Europe, non pas à contrecoeur, en traînant les pieds, parce que l'Europe existe et qu'il faudrait s'y résigner. Les yeux grand ouverts sur les enjeux, les dangers mais aussi les potentialités, nous affirmons un choix, une volonté, un projet européen. Pour l'Europe comme espace moderne de co-développement de nations décidant souverainement de partager leurs efforts et leurs destins afin de résoudre ensemble les problèmes auxquels elles sont confrontées, et qu'elles ne peuvent résoudre en se repliant chacune sur elle-même. Et c'est au nom de ce choix résolument pour l'Europe que nous combattons, au sein de l'Europe telle qu'elle se fait, les politiques et les choix inspirés de l'ultralibéralisme, pour promouvoir d'autres orientations afin de réussir l'Europe sociale, humaine, démocratique et pacifique à laquelle aspirent les peuples de notre continent.
Je souhaite que nous en débattions. Ici, au Comité national Au-delà, dans tout le Parti. Et dans tout le pays, avec les Françaises et les Français. En prenant bien en compte ce que sont leurs aspirations, leurs craintes, leurs interrogations, leurs attentes. Y compris les attentes à notre égard de celles et ceux qui voudraient être sûrs que nous serons avec eux pour réussir une construction européenne à laquelle ils aspirent, dont ils attendent beaucoup, mais qu'ils redoutent aussi car ils en pressentent les dangers et ils veulent pouvoir compter sur les communistes pour les aider à y faire face.
Ce débat montrera -j'en suis convaincu- le lien, beaucoup plus étroit qu'on le pense, entre politique française et construction européenne. Certes parce que, comme je l'ai déjà souligné, chacun des "grands dossiers" de la politique française a une dimension européenne. Mais aussi parce que, au niveau atteint aujourd'hui par la construction européenne, les orientations décidées pour l'Europe ont des conséquences dont il faut tenir compte dans la façon d'appréhender ces dossiers.
Mais une autre réflexion me semble ici nécessaire, à propos du lien entre politique de changement en France et construction européenne. Loin de moi l'idée que le changement en France serait conditionné par un changement au niveau européen. Tenir un tel discours reviendrait en fait à se donner un alibi commode pour se résigner à ne rien changer en France.
On voit bien cependant comment les "contraintes" réelles ou supposées de la construction européenne sont opposées au changement dans chacun des pays européens. C'est au nom de la lutte pour réduire les déficits, maintenir la "stabilité", harmoniser les politiques économiques... que l'on s'interdit de faire droit à ces aspirations. Et en même temps, leur montée et leur expression dans des votes pour le changement -en France et dans les autres pays d'Europe- posent des questions nouvelles aux dirigeants européens, et les conduit à évoquer la possibilité d'infléchir des politiques européennes présentées jusque là comme "intouchables".
Il y a là matière à réflexion. Et aussi de solides raisons d'être audacieux, ambitieux et optimistes.
Le lien entre possibilités de changement en France ainsi que dans d'autres pays d'Europe et construction européenne n'est pas "à sens unique". Bien sûr, une construction européenne libérale est un obstacle au changement dans ces pays. Et à l'inverse une construction européenne progressiste ambitieuse pour l'Europe serait un atout pour la réussite de ce changement. Mais quand les peuples rejettent les politiques libérales, des gouvernements libéraux, et affirment leur volonté de changement, et quand des expériences de politiques nouvelles se construisent, ce n'est pas sans effets sur la construction européenne elle-même.
Le regard que l'on porte partout en Europe sur l'expérience française, originale par la place qu'occupent dans la gauche plurielle les communistes et les exigences antilibérales dont ils sont porteurs, est à cet égard révélateur.
A l'évidence le nouveau souffle européen nécessaire pour sortir la construction européenne de l'ornière où la maintiennent les orientations libérales et lui donner un autre sens, une autre ambition, a beaucoup à attendre de l'apport que peut constituer la réussite du changement en France.
Au-delà, le fait nouveau ces dernières années en Europe, c'est bien la montée du rejet du libéralisme et de forces, qu'on aurait tort de sous-estimer, déterminées à lutter pour une autre orientation de la construction européenne.
Le tapage orchestré pour la mise en place de l'euro ne doit pas empêcher d'entendre ces forces s'affirmer. J'ai évoqué les élections en France, en Grande Bretagne, en Allemagne, en Suède. Il faut aussi souligner la portée des mouvements sociaux en Europe, avec, depuis Vilvorde, les euro-manifestations et les marches sur Amsterdam, les euro-grèves des cheminots, les actions coordonnées des salariés de l'énergie, des routiers, la mise en réseaux des mouvements contre l'exclusion, contre le chômage. Il n'est pas une lutte d'envergure qui n'ait d'une manière ou d'une autre, soit un prolongement, soit un retentissement européen.
Il est d'ailleurs significatif de voir que quand un gouvernement est trop en décalage, ou en retrait par rapport aux attentes des électeurs, il est très vite confronté à des difficultés politiques. Après Tony Blair en Grande Bretagne, Gerhard Schröeder en fait l'expérience en Allemagne.
Dans les institutions elles-mêmes, les préoccupations de l'opinion publique commencent à se faire entendre. C'est le sens de l'affirmation de la priorité accordée à l'emploi, aux conseils européens d'Amsterdam, puis à Luxembourg. Le sommet de Portschach a été aussi révélateur d'un changement de ton, au point que les banquiers de la BCE s'en sont inquiétés.
Le vote sur la motion de censure à l'encontre de la Commission européenne tout récemment, est sans précédent. Ce désaveu a exprimé la montée de l'exigence de transparence et de démocratie dans les instances communautaires. A ce propos il faut souligner et saluer le rôle joué par le groupe de la Gauche unitaire européenne - Gauche verte nordique et des députés français qui y participent, pour infléchir à gauche, dans un rapport de forces qui n'est guère facile, les positions du Parlement européen. Si j'insiste sur le travail, les interventions, le travail d'élaboration des députés français du groupe c'est qu'on en perçoit souvent insuffisamment la qualité et l'importance. Le travail accompli au sein du groupe a fortement contribué au rapprochement, et aux relations de confiance entre des forces politiques à priori très différentes qui le composent.
C'est ainsi qu'il a été possible d'aboutir à l'Appel commun pour "une nouvelle voie de la construction européenne", signé par treize partis et soutenu par plusieurs autres, lancé à Paris le 15 janvier à l'occasion du Forum progressiste. C'est sans précédent. Cet appel exprime des exigences sociales et démocratiques pour l'Europe dans lesquelles nous nous reconnaissons. Même s'il a été conçu dans la perspective des élections européennes, ce n'est pas un acte conjoncturel. C'est une étape dans une dynamique. Et nous nous y inscrivons totalement.
Dans le débat national que nous voulons dès maintenant contribuer à développer sur les questions européennes et leur lien avec la question du changement en France, je crois qu'il est important d'aider à saisir la réalité des forces qui existent en Europe pour faire prévaloir une autre orientation de la construction européenne, et les possibilités qu'elles se développent et agissent toujours plus ensemble dans les années qui viennent.
Et je crois aussi qu'il sera possible de montrer, par l'organisation même des initiatives que nous prendrons pour ce débat, l'existence en France même de possibilités nouvelles de rapprochement et de travail comme de forces très diverses qui se retrouvent dans une volonté commune de s'opposer au néolibéralisme européen et de chercher les voies d'une construction européenne progressiste. Ce qui s'est fait ces derniers mois autour de " l'appel pour la non-ratification d'Amsterdam ", dans des conditions difficiles puisque, au même moment, des initiateurs de l'appel décidaient de mener campagne séparément en vue des élections de juin prochain, ce qui donne une idée des possibilités qui existent.
Il me semble aussi que, débattant des enjeux liés de la construction européenne et du changement en France, une question surgira, que je propose aux communistes de poser sans détour, en toute franchise, afin que chacun y réfléchisse. Cette question, c'est celle de l'enjeu politique que constitue l'existence de la majorité plurielle en France, et de la place qu'y tiennent les communistes.
J'en ai déjà montré l'originalité. Il faut en même temps souligner que si elle est un atout pour le changement en France et en Europe, elle est un obstacle pour ceux qui rêvent d'un alignement de la France sur les politiques social-libérales qui se mettent en place ailleurs avec des gouvernements socio-démocrates ou des alliances "roses-vertes".
Il ne s'agit pas là d'une "question de boutique" qui n'intéresserait que les communistes.
Le but avoué de l'opération lancée avec la candidature de Cohn-Bendit est de "faire bouger" les rapports de force à gauche en affaiblissant le Parti communiste pour faire d'une alliance "rose-verte" à la française l'axe nouveau d'une majorité différente. Il s'agit en réalité de briser la majorité plurielle issue des élections de 1997, pour infléchir la politique suivie dans un sens social-libéral contraire à la volonté alors exprimée par les électeurs. L'enjeu dépasse, on le voit, le seul souci -au demeurant parfaitement légitime- des communistes de ne pas laisser affaiblir leur audience.
Enfin, dans ce débat national multiforme que nous voulons dès maintenant lancer, les communistes seront porteurs d'idées, de propositions. Des propositions de réponses aux attentes des Français. Des propositions pour des solutions novatrices aux problèmes du pays.
C'est un projet global construit à partir de ces attentes, de ces problèmes, qu'il s'agit de mettre en débat, afin de contribuer à ce que notre peuple se construise lui-même son projet de changement et intervienne, par ses actions et par ses votes, pour le faire aboutir. On le sait, c'est avec la volonté d'apporter ma contribution à la réflexion des communistes que j'ai proposé dans mon livre des pistes pour l'élaboration de ce projet.
Parce qu'on ne peut séparer changement en France et changement en Europe, ce projet aura nécessairement dans tous ses aspects une dimension européenne impliquant la définition de politiques européennes, d'institutions européennes, de rapports de forces européens pour avancer. Il y a donc bien un projet européen à porter devant notre peuple. Nous proposons d'en débattre dans le Parti et au cours des rencontres et forums que nous allons organiser. Et notre Conseil national de mars tirera les enseignements de ce débat pour élaborer les propositions, le projet dont les communistes seront porteurs lors de l'élection de juin prochain.
Nous soumettons donc au Comité national aujourd'hui des propositions que nous pourrions verser au débat pour être discutées et enrichies d'ici le prochain Conseil national.
Pour élaborer des priorités, des grands axes, inscrits dans une vision antilibérale et démocratique, nous ne partons pas de rien. Les mouvements sociaux, les évolutions politiques ont enrichi notre réflexion. Et il y a notre propre travail, les très riches débats de ces derniers mois avec les communistes et avec des personnalités.
Il nous faut, je pense, mesurer et apprécier le travail accompli depuis septembre par la commission que nous avons mise en place pour cette consultation. Près de 200 réunions ont été recensées. Des dizaines de contributions et de procès-verbaux de réunions très divers sont arrivés au Comité national. Il y a là un ensemble de réflexions, une masse de travail, d'intelligence, tout à fait remarquable. Comme l'ont été d'ailleurs, de l'avis des participants, les auditions organisées au Comité national sur des sujets aussi divers que l'Europe sociale, l'Europe de l'éducation et de la recherche, Shengen, les services publics. D'autres sont programmés sur la jeunesse, la politique étrangère et de sécurité...
Des éléments se dégagent de ce travail, qui peuvent donner les grandes lignes de ce que pourrait être un projet europrogressiste. Je les livre au Comité national dans la forme où ils sont "sortis" de la consultation en cours. Quelquefois ce sont des propositions ébauchées ou élaborées. Quelquefois ce sont des questions. C'est le débat poursuivi dans le Parti et avec les citoyens qui permettra d'avancer. Et il appartiendra à la commission de proposer au Conseil national un projet évidemment plus élaboré.
1- D'abord L'Europe sociale Comment lui donner corps? Comment en faire une réalité? Comment la construction européenne peut-elle aider à vaincre le chômage? Car la France a besoin de l'Europe pour l'emploi.
Pour lutter efficacement contre le chômage, il faut notamment orienter l'argent de la finance vers l'investissement dans la formation et la création d'emplois. Il faut desserrer les contraintes qui, maintenant à l'échelle européenne, enserrent les budgets sociaux, l'investissement. C'est le sens de notre proposition de renégocier le pacte de stabilité pour lui substituer un pacte pour l'emploi et la croissance.
Aujourd'hui, avec onze gouvernements dirigés par des sociaux démocrates, rien ne devrait empêcher le Conseil européen d'engager la renégociation d'un pacte conclu sous la pression d'Helmut Kohl.
Dans le même esprit, nous proposons que soit redéfinie la mission de la Banque centrale européenne, afin que la politique monétaire commune serve à l'emploi et à l'investissement à travers les taux d'intérêt, le crédit, et la parité avec le dollar.
La crise qui a balayé les places financières a rendu plus urgente encore une taxation des mouvements de capitaux - une sorte de taxe Tobin européenne - afin de mieux maîtriser les flux financiers, et de pénaliser les opérations purement spéculatives déstabilisantes. En matière de crédit la BEI pourrait jouer un rôle dynamique par une politique de prêts sélectifs conditionnés à la création d'emplois.
La réduction du temps de travail, sans baisse de salaire et avec des emplois à la clé, peut devenir une grande ambition européenne. Une telle généralisation s'inscrirait dans une volonté d'harmonisation vers le haut des législations et des normes sociales.
Le travail est en train de subir de profondes mutations qui se traduisent pour des salariés de plus en plus nombreux par plus de précarité, par une flexibilisation de leur vie. C'est le statut de salarié lui-même qui est en cause. Nous proposons de mettre en débat à l'échelle européenne, dans le mouvement social, et dans les institutions, la création, dans l'esprit de ce que nous avons appelé une sécurité d'emploi et de formation, de mécanismes permettant aux salariés de conjuguer au long de leur vie activité professionnelle, formation, mobilité consentie.
En matière de plans sociaux, pour des entreprises multinationales, ne faut-il pas que les comités d'entreprises, comme les collectivités concernées puissent faire suspendre les licenciements afin que soient examinées toutes les possibilités de maintenir l'emploi?
Quant aux services et aux entreprises publiques, ils doivent être, selon nous, un des piliers de la construction sociale. Nous ne prétendons pas imposer un modèle français en l'occurrence, mais pourquoi faudrait-il, au nom de l'Europe, sacrifier des entreprises et des secteurs performants pour les livrer aux appétits des groupes financiers ? Au contraire, leur modernisation, leur démocratisation devraient leur permettre de mieux développer leurs coopérations, à l'échelle européenne.
2 - deuxième aspect : L'Europe démocratique Réorientation sociale et réorientation démocratique de l'Europe sont en fait étroitement liées.
L'Europe est en terrible manque de démocratie. C'est évident. Quels mécanismes, quelles institutions, quelle réforme des institutions actuelles, pour rapprocher les citoyens des centres de décisions et, surtout, pour qu'ils soient partie prenante des décisions ? Quels droits nouveaux, quelles instances à imaginer, ou à renforcer pour que les citoyens, les syndicats, les associations aient accès à l'information, mais aussi à l'élaboration et au contrôle des décisions communautaires?
D'autre part, dans les institutions actuelles, comment redonner la primauté aux instances légitimées par le suffrage universel sur les organismes désignés comme la Banque centrale et la Commission? Concernant la Banque centrale, ne faut-il pas renégocier son statut afin que la politique monétaire soit en correspondance avec les choix politiques et sociaux et non le contraire? Quel contrepoids politique réellement efficace faut-il créer face à elle?
On ne peut pas accepter une telle absence de transparence dans les processus de décisions, que ce soit à la Commission, ou au Conseil. Nous proposons de donner au Parlement européen un rôle plus grand dans le contrôle de la Commission et de la BCE. Et nous pensons nécessaire de poser la question de prérogatives nouvelles pour le Parlement national, en matière de propositions et de contrôle de la politique européenne.
Il ne s'agit pas seulement de réformer les institutions afin de permettre aux citoyens d'être partie prenante des orientations et des choix. Il s'agit inséparablement de poser la question essentielle, vitale j'ose dire, de l'avenir de la nation française de sa souveraineté, dans un ensemble européen.
Certains, on le sait, rêvent d'une Europe fédérale sur le modèle allemand, avec un gouvernement unique, à défaut d'Etats-Unis. Pour eux, la nation serait dépassée.
Mais le débat entre fédéralistes et souverainistes n'est-il pas en réalité un faux débat? Nous n'avons pas une vue figée, réactionnaire de la nation. Nous en avons une conception ouverte, généreuse, progressiste, liée à l'évolution du monde, aux antipodes du repli nationaliste. Nous considérons en même temps que la nation reste une réalité forte, et que toute tentative de construire l'Europe contre les nations, de vouloir passer en force contre la souveraineté populaire ne peut conduire qu'à l'éclatement et attiser des réactions extrêmes et incontrôlables.
La question est posée ici est au fond celle du droit pour le peuple français, avec son histoire, ses acquis démocratiques, sa culture, à décider de son destin. Qu'est-ce que l'Europe aurait à gagner à l'effacement, ou plutôt à l'écrasement des acquis progressistes de la France ? On voit ce que peuvent y gagner les tenants du "tout marché". Mais l'idée d'union elle-même ne risquerait-elle pas, au contraire, d'en être rejetée?
Car c'est bien d'union dont il s'agit. D'un travail progressif, démocratique, patient pour faire des attentes de chacun une volonté commune afin d'affronter les défis communs. C'est ainsi et pas autrement que peut s'assumer une communauté de destin.
Des institutions politiques communes sont alors nécessaires pour mettre en uvre les choix communs. Encore faut-il que les partages de compétences et de souveraineté soient librement décidés, souverainement consentis et réversibles. Mais demandera-ton à juste titre: à 15 à 20 ou plus... comment décider efficacement?
On peut et il faut imaginer un système de prise de décisions qui permette à la fois les compromis nécessaires et une décision commune, mais en préservant la capacité pour tout Etat qui sentirait ses intérêts essentiels menacés, soit de bloquer la décision, soit de s'y soustraire. Et, à un renforcement des institutions communes doit répondre leur démocratisation -en limitant sévèrement le rôle de la Commission notamment- et en renforçant les prérogatives du Parlement national. Nous proposons qu'avant toute grande négociation, ou réunion européenne, le Parlement soit consulté, définisse un mandat et qu'ensuite il lui soit rendu compte.
Nous proposons d'inscrire dans la Constitution que toute ratification de traité européen fasse l'objet d'une consultation par référendum.
La construction d'une Europe unie par des voies politiques n'a pas de précédent. Pas de modèle. Ce ne peut être une fédération, ni un empire. Il faut innover et imaginer en avançant. Mais ce que nous proposons, c'est d'élargir la citoyenneté à ses dimensions européennes pour faire de chacun un acteur de ce processus.
3- Quand nous parlons d'Europe solidaire et de paix, nous pensons à la conception des relations au sein même de l'Union européenne et aux relations de l'Union avec ses partenaires extérieurs.
Construire une Union, c'est renforcer les liens de solidarité à l'intérieur, pour réduire les inégalités de développement qui, loin de se résorber aujourd'hui, sont en train de s'accentuer.
Construire une Europe solidaire, c'est donner un élan nouveau aux échanges humains, culturels, valorisant les richesses humaines et culturelles de chaque nation.
Comment aborder, avec une conception progressiste, anti-libérale, l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale? Nous proposons de travailler avec les forces progressistes de ces pays pour que l'élargissement ne se réduise pas à un examen de passage aux conditions fixées par "l'Ouest". Nous voulons créer les conditions pour que les peuples se sentent réellement partie prenante d'une construction véritablement commune.
A travers l'élargissement, est posée la question de l'architecture de la sécurité de l'après guerre froide. Comment envisager le dépassement de l'Otan, jusqu'à sa dissolution, en lui substituant un système de sécurité proprement européen et démilitarisé ? N'est-ce pas un des paradoxes de la construction actuelle, qu'au moment où l'on prétend combattre l'hégémonie du dollar, les pays européens font des Etats-Unis leur protecteur militaire et entérinent l'élargissement et le renforcement de l'Otan en Europe centrale ?
L'Europe a-t-elle besoin d'une armée pour s'affirmer dans le monde, y compris pour faire contrepoids aux Etats-Unis?
Ne faut-il pas au contraire réfléchir à ce que pourrait être une architecture renouvelée de la sécurité en Europe, y compris dans ses dimensions de prévention des conflits et du maintien de la paix. Nous pensons qu'il faut faire jouer un rôle nouveau, plus actif à une OSCE rénovée.
Nous devons pousser le débat, de manière ouverte, sur ce que peuvent être les axes d'initiatives communs en matière de politique étrangère et de sécurité, en gardant en tête qu'il ne peut s'agir que d'initiatives concertées, souverainement décidées et non contraignantes pour les Etats. Par exemple à propos Kosovo et de l'ex-Yougoslavie, on peut imaginer une démarche européenne associant les pays et les acteurs concernés, pour sortir de la spirale de la violence et déboucher sur des solutions politiques, créant les conditions pour que ces populations puissent vivre ensemble, avec la garantie du respect des droits de l'homme. Sur un autre plan, ne faut-il pas pousser pour des initiatives de l'Union européenne pour de nouvelles avancées en matière de désarmement, d'élimination des armes nucléaires, d'interdiction du commerce des armes?
La question qui est posée, c'est celle du modèle de civilisation que l'Europe peut promouvoir dans le monde dans cette période de bouleversements planétaires.
S'agit-il simplement de s'inscrire du mieux possible dans la "guerre économique", ou de tenter de peser pour infléchir dans un sens plus social, pour contrer la logique dévastatrice de la globalisation financière? S'agit-il de renforcer des liens de coopération et de co-développement avec le Sud et en Méditerranée, ou d'ériger en dogme la libre concurrence et la libre circulation des capitaux? L'Europe doit lancer un message fort qui rompe avec la "pensée unique" ultralibérale. Quelle politique commune, quelles initiatives communes pour revaloriser les Nations unies, pour peser positivement dans les institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale, les négociations de l'OMC? C'est loin d'être le cas aujourd'hui. Et l'on aurait aimé que concernant l'AMI les autres pays d'Europe aient une attitude aussi conséquente que la France.
Redonner du sens à l'Europe, c'est donc aussi pour nous agir pour qu'elle affirme dans le monde un modèle social et de développement humain, durable, moderne à l'opposé des tendances régressives du modèle libéral.
On le voit il y a là de nombreux éléments à verser au débat. Avec la volonté d'écouter, d'enrichir nos analyses, nos propositions pour pouvoir mieux préciser un projet européen cohérent, réaliste et novateur.
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Comment mener à bien ce travail que nous voulons engager pour contribuer à la réflexion, au débat, à l'intervention citoyenne pour le changement en France et en Europe?
La question n'est pas simple. Il ne suffit pas d'énoncer les tâches à mener à bien et de s'en remettre à la spontanéité pour qu'elles le soient.
C'est pourquoi nous avons dès le 8 janvier consulté les secrétaires fédéraux afin d'élaborer avec eux un plan de travail pour les semaines à venir.
La proposition d'organiser "10 000 rendez-vous avec les communistes pour construire l'avenir" a été discutée et retenue, avec la claire conscience des efforts à faire pour réussir. Il s'agit -a-t-il été précisé au cours de cette réunion- "de rencontres publiques dans les quartiers. Ces rendez-vous de rencontres publiques dans les quartiers, les lieux de travail et les cantons ruraux, organisées par les cellules du Parti. A ces rencontres publiques, nous proposons d'ajouter d'autres rendez-vous sous forme de points de rencontres, de rencontres plus personnalisées à l'initiative d'adhérents du Parti, d'élus, de dirigeants en direction de leur entourage proche. Au cours de cette campagne, nous voulons dialoguer avec des dizaines et des dizaines de milliers de nos concitoyens et les inviter à venir prendre leur place à nos côtés dans le Parti communiste pour inventer avec d'autres le projet transformateur dont ils rêvent et construire avec ceux qui en sont déjà membres le Parti communiste moderne."
Articulées avec ces rencontres de proximité, des initiatives publiques de plus grande ampleur, localement ou à l'échelle du département, de la région, en fonction des thèmes et des sujets choisis, sont programmées d'ici la réunion du Conseil national -de fin février à la mi-mars. Avec ces forums, il s'agit de créer les conditions d'échanges d'idées et de propositions entre citoyens, avec les acteurs du mouvement social qui le souhaiteront. Echanges portant bien sûr sur toutes les questions, y compris celle de la construction européenne, de ce qu'on en attend et de ce qu'il faut y changer. Je l'ai dit : les communistes y participeront avec leurs propositions, dans l'esprit de les enrichir.
Enfin, partout où il existe des espaces citoyens leurs animateurs -communistes ou pas- souhaitent poursuivre leur activité dans cette période. Au moment où nous insistons tant sur la nécessité de l'engagement citoyen il va de soi que nous les y encourageons vivement. Et vous avez vu que c'est dans cet esprit qu'ils se sont réunis récemment à Toulon.
La question de l'Humanité, compte tenu de son importance, fait l'objet d'un point particulier de l'ordre du jour de notre Comité national et sera traité en tant que telle.
Chers camarades,
Je veux maintenant vous informer des réflexions du Bureau national quant à la présentation d'une liste aux élections européennes et vous soumettre des propositions qu'il a discutées au cours de ses dernières réunions.
Permettez-moi d'abord de rappeler qu'une proposition avait été lancée dans les médias début janvier, visant à constituer une liste de toute la gauche plurielle -Parti socialiste, Parti communiste, Parti radical de gauche, Mouvement des citoyens.
Vous l'avez bien sûr noté: j'ai indiqué le 13 janvier que nous ne nous inscrivions pas dans cette perspective car il nous apparaissait que constituer une telle liste serait tricher avec la réalité des différences, des désaccords, existant sur l'Europe entre les partis appelés à y participer. Je pense que le Comité national partagera ce point de vue.
Toutefois, si des avis différents s'expriment, ils seront, évidemment, discutés.
Comment avons-nous abordé au Bureau national la question de la présentation d'une liste à ces élections ? D'abord en nous interrogeant sur les objectifs politiques qui allaient être les nôtres en juin prochain.
Depuis plusieurs mois déjà le Comité national avait retenu l'idée d'aller à ces élections en créant les conditions pour que se présentent ensemble les partisans d'une réorientation progressiste de la construction européenne, en appelant les électeurs à utiliser le vote pour cette liste afin de peser en faveur de cette réorientation.
Dès le mois de mai, les Verts nous ont informés de leur volonté de présenter une liste dirigée par Daniel Cohn-Bendit, tandis que s'esquissait le rapprochement des organisations trotskistes pour présenter une liste commune.
Nous avons pour notre part continué à multiplier les rencontres, les échanges. Avec des mouvements politiques comme le Mouvement des Citoyens ou celui des Alternatifs. Avec de nombreuses personnalités, militants d'associations, engagés dans les mouvements sociaux, féministes sur les problèmes de société, dans les multiples réseaux intervenant, en France et en Europe pour les droits de l'homme, la défense de la dignité humaine, de paix et la coopération entre les peuples. Avec aussi des intellectuels, des créateurs désireux de participer au débat et à l'engagement citoyen dans leur activité spécifique ou en travaillant dans des clubs, des cercles de réflexion très divers.
Nous avons mesuré à quel point la structuration de la vie politique et les pratiques médiatico-politiciennes en vigueur conduisaient à occulter la richesse de tous ces engagements et toutes ces réflexions.
C'est un véritable courant qui existe dans le pays. Un courant bien sûr très diversifié, et qui ne peut ni ne veut s'organiser comme tel. Mais dont les multiples composantes ont en commun de tirer de leur expérience, de leur militance et de leur réflexion la conclusion que l'obstacle à la réalisation de leurs objectifs sociaux, humanitaires, culturels, est dans tous les cas l'ultralibéralisme et ses dogmes étouffants. Ils ont aussi en commun d'être profondément européens dans leurs conceptions comme dans leurs pratiques, et pour cela désireux de donner un autre sens, une autre ambition à la construction européenne. Et, étant toutes et tous plutôt de gauche, ils sont attentifs à l'expérience de la gauche plurielle, sans s'interdire de critiquer ce qui les heurte, et sans forcément vouloir s'y investir.
Quelle possibilité ce courant, force vive, active et créative de notre société, va-t-il avoir de s'exprimer en juin prochain, avec le dispositif électoral qui se met en place?
Il ne se reconnaît pas dans une liste socialiste, ni dans les idées soutenues par Daniel Cohn-Bendit, ni dans l'accord Krivine-Laguiller.
Et si le Parti communiste, antilibéral, militant pour une réorientation progressiste de la construction européenne, et participant au gouvernement en conservant son libre arbitre et son identité peut se considérer d'une certaine manière comme proche de ce qu'exprime ce courant, il ne peut en aucun cas prétendre à lui seul le "résumer", le "représenter" dans une élection comme celle du mois de juin.
Par contre -et c'est la réflexion que le Bureau national veut vous soumettre aujourd'hui- nous pouvons contribuer à dégager pour ce courant un cadre d'expression électorale.
Evidemment pas en proposant à ces hommes et ces femmes de voter pour une liste communiste. Ni même pour une liste communiste "ouverte" comme on dit, c'est-à-dire comprenant quelques personnalités acceptant un compagnonnage le temps d'une élection. Ni non plus une liste constituée à partir d'un "pôle" de forces politiques constitué "à l'ancienne" sur la base d'un compromis plus ou moins clair...
C'est pourquoi nous proposons une conception inédite pour constituer une liste permettant à toute la diversité de ce courant de s'exprimer en toute liberté, sans avoir à craindre quelque récupération politicienne que ce soit.
Nous proposons de constituer cette liste sur la base d'un accord non pas entre organisation, mais entre les 87 candidates et candidats qui souhaiteront y participer. Un accord non pas sur les positions et le projet européen du Parti communiste mais sur trois bases: le rejet des solutions et politiques libérales, la prise en compte des aspirations exprimées dans les mouvements sociaux et sociétaux pour établir les grandes lignes d'une réorientation progressiste de la construction européenne, et le respect des positions des uns et des autres à propos de l'expérience gouvernementale en cours - pour dire les choses simplement: une liste dans laquelle personne ne soit obligé d'être pro-gouvernemental parce que les communistes sont au gouvernement, étant entendu qu'on ne sera pas non plus anti-gouvernemental.
Une telle conception implique bien sûr de notre part des engagements précis. Nous proposons dans cet esprit que la liste ne compte pas plus de 50% de candidats représentant le Parti communiste. C'est, comme on l'a dit, une double parité que nous avons en vue : parité hommes-femmes, et parité des candidats issus du Parti communiste et des personnalités venant d'autres mouvements ou choisissant de s'y engager personnellement à partir de leur expérience et de leurs pratiques politiques, sociales, associatives, culturelles, etc...
Nous proposons que cette double parité soit également la règle pour les candidats "éligibles" qui seront dans les premières places de la liste. Le choix de la personnalité à proposer comme "tête de liste" est évidemment en lui-même l'un de ces signes forts que nous voulons adresser à ces hommes et ces femmes que nous souhaitons voir participer à la liste. Un signe fort de l'engagement du Parti avec eux et de sa volonté de dialogue, de travail constructif dans le respect mutuel, et d'ouverture à la société.
Le Bureau national propose la candidature du secrétaire national du Parti. Et il a souhaité que Marie-George Buffet occupant la place symbolique de "dernière de liste" apporte son concours à cette construction inédite qu'elle a acceptée, et j'ai donc le plaisir de vous faire cette proposition.
Nous proposons que la seconde candidate sur la liste soit une personnalité féminine de premier plan, reconnue pour la qualité de son engagement et de sa réflexion. Madame Geneviève Fraisse, qui a été déléguée à la condition féminine auprès du Premier Ministre a accepté cette proposition qui ne pourrait bien sûr vous être faite qu'avec son accord. Avec le Bureau national, j'en suis sûr, le Comité national, en apprécient toute l'importance.
Des discussions sont en cours avec d'autres personnalités qui pourraient être dans les douze premiers candidats. Parmi elles bien sûr des députés européens "sortants" comme Philippe Herzog et Aline Pailler. Des personnalités représentatives du "courant" que j'évoquais précédemment. Eventuellement des militants émanant d'autres formations politiques.
Je précise à ce propos que nous avons entrepris des discussions avec le Mouvement des Citoyens. Les idées de Jean-Pierre Chevènement et de ses amis sur la composition de la liste diffèrent sensiblement des nôtres, et il m'a semblé comprendre qu'ils s'apprêtaient à ne pas accepter les propositions que nous leur avons faites.
Nous avons par ailleurs beaucoup discuté, et beaucoup travaillé avec le mouvement des Alternatifs qui a la particularité de se concevoir à la fois comme une organisation politique et comme un lieu de contact avec de nombreux mouvements associatifs et réseaux militants divers. Un texte faisant le point de nos réflexions communes et montrant la possibilité de continuer à réfléchir et travailler ensemble a été adopté et sera publié tandis que se poursuivent les discussions pour la participation à la liste de personnalités de ce mouvement et de sa "mouvance".
Il y aura évidemment à examiner les propositions concernant les autres députés sortants, en précisant que nos amies Gisèle Moreau et Mireille Elmalan ont décidé de ne plus être candidates.
Et de façon plus générale, je veux indiquer que des contacts ont été pris avec de nombreuses personnalités du mouvement social et sociétal, des milieux intellectuels scientifiques, culturels et politiques. Certains, comme l'architecte Roland Castro ont d'ores et déjà décidé de participer à la liste. D'autres réfléchissent. A certains d'ailleurs nous n'avons pas encore formulé de proposition concrète, dans l'attente de la discussion du Comité national et des communistes sur la conception de la liste.
On l'aura compris, et j'y insiste, il s'agit d'une méthode de constitution de la liste totalement inédite, qui impose de prendre tout le temps nécessaire à des échanges approfondis. Il ne s'agit pas, je le répète, de demander à ces femmes et à ces hommes d'être sur une liste du PCF, mais de mettre à leur disposition la possibilité de s'engager et de s'exprimer dans ce débat européen.
Cela me conduit à la dernière proposition que je suis chargé de vous transmettre. Le Bureau national propose que le Comité national donne son avis sur la conception de la liste telle que je viens de la résumer. S'il en est d'accord une consultation sera organisée par les fédérations pour recueillir l'avis des communistes qui souhaiteront l'exprimer et pour faire des propositions de communistes ou de personnalités à proposer comme candidats. Nous réunirons à nouveau le Comité national à la mi-février pour travailler sur une première liste de candidates et candidats à soumettre ensuite à la consultation du parti avant le Conseil national qui prendra alors les décisions qui lui reviennent selon nos statuts.
(Source http://www.pcf.fr, le 13 janvier 2003)