Interview de M. Jacques Voisin, président de la CFTC, dans "Courrier Cadres" de décembre 2007, sur la modernisation du droit du travail.

Prononcé le 1er décembre 2007

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Média : Courrier Cadres

Texte intégral

Frédéric Bedin : Contrairement à ce que l'on entend souvent, le contrat de travail est généralement équilibré entre l'entreprise et le salarié. Ne pensez-vous pas que dans le débat actuel, on s'arc-boute sur la défense du salarié ?
Jacques Voisin : Il est équilibré au moment de sa signature, mais pas de sa rupture. Sauf en cas de démission ou de départ négocié du salarié, une rupture a toujours des conséquences lourdes. Perdre son emploi est particulièrement déstabilisant et nul n'est jamais sûr de retrouver du travail, avec tous les risques de précarité inhérents à cette situation. Même lorsqu'une personne bénéficie de l'assurance chômage, elle ne touche que 57 % de son ancienne rémunération brute, ce qui ne lui permet pas de faire face à toutes ses échéances. Du jour au lendemain, elle n'a plus de prévoyance collective. Ça coûte cher. Voyez encore les difficultés liées au paiement des impôts ou des mensualités de crédit immobilier.
F. B. : Mais beaucoup de personnes reçoivent une indemnité conséquente et retrouvent un job, qu'elles perdront peut-être quelques années plus tard, avec une nouvelle indemnité à la clé. Les emplois successifs peuvent être très profitables...
J. V. : Je veux bien entendre ce discours, mais accompagner une personne après une rupture pour la rendre moins brutale et l'aider à rebondir est indispensable. Un chèque ne suffit pas. J'ai travaillé dans la sidérurgie au moment où elle a été touchée de plein fouet par la crise. De très fortes indemnités de rupture ont été accordées aux salariés licenciés, mais elles ne les ont pas aidés à retrouver un emploi. Et un chèque peut avoir des effets pernicieux en incitant à dépenser sans compter et sans souci du lendemain. Je me souviens encore de Renault dans ma région qui n'avait jamais vendu autant de R25 qu'au moment où il a licencié !
Dominique Olivier : Venons-en à la « flexisécurité », le concept selon lequel les salariés passent d'une entreprise à une autre. Quelle est la position de la CFTC ?
J.V. : Nous, on dirait plutôt « sécuriflexibilité ». Oui, l'entreprise a besoin de sécurité et de souplesse, car elle n'a pas de visibilité à dix ans. En tout cas, on a un intérêt à ce qu'elle se porte bien et soit performante. Encore doit-elle intégrer dans sa stratégie la gestion prévisionnelle des emplois et ne pas avoir pour seule variable d'ajustement la réduction des effectifs. Dans ce cas, le salarié s'y retrouve. La CFTC est prête à négocier plus de souplesse pour l'employeur à condition que le parcours professionnel du salarié soit sécurisé. Sans précarité et avec un accompagnement, un licenciement peut devenir l'occasion de découvrir des horizons inédits ou de construire un nouveau projet professionnel. En envisageant les choses de cette manière, tout le monde s'y retrouve.
D. O. : Tout à fait d'accord sur le principe, mais comment ce dispositif gagnant/gagnant peut-il se décliner ? Comment notamment améliorer cette employabilité à l'occasion d'une rupture ?
J. V. : La CFTC accepterait un nouveau mode de rupture facultatif à l'initiative de l'employeur comme du salarié. A condition qu'il procure à ce dernier les moyens financiers et humains lui permettant de redéployer un projet professionnel avec l'aval du service public de l'emploi. Durant une année, il bâtirait son parcours qualifiant grâce à la formation, au bilan de compétences et à la VAE, tout en bénéficiant d'une rémunération équivalente à 100% de son ancien salaire, financée pour moitié par l'Unedic, pour l'autre par l'entreprise ou les fonds de formation pour les PME. Il ne s'agit pas de faire durer un tel système dix ans : au bout d'un an, une personne bien accompagnée doit normalement retrouver un emploi. Nous sommes dans la même philosophie que ce qui se fait à l'étranger, au Danemark notamment.
Jean-François Carrara : Comment vos propositions se déclinent-elles sur le plan juridique ?
J.V. : Dans la négociation actuelle sur la modernisation du contrat de travail, la CFTC propose de coupler de manière indissociable une convention de rupture, entre une entreprise et un salarié désirant rompre leur lien contractuel d'un commun accord, et une convention de projet professionnel. Les deux conventions seraient intégrées à l'actuel Code du travail et soumises au bureau de conciliation des prud'hommes, ce qui signifie que les deux parties rechercheraient la meilleure solution commune et n'entreraient pas dans une démarche conflictuelle et judiciaire. Aujourd'hui, l'institution prud'homale est engorgée par des procédures de rupture très longues. Si cette instance permet d'acter l'accord entre les parties, on gagne du temps et... de la sérénité. Les règles en vigueur (indemnités légales et conventionnelles), qui sont essentiellement destinées à répondre à un préjudice subi par le salarié, ne seraient aucunement remises en cause par ces dispositifs.
François Denel : Votre approche fait partie des réflexions actuelles sur la modernisation du Code du travail. Faut-il réfléchir à un contrat unique comme souhaité par le gouvernement? Et que pensez-vous des contrats de mission de Michel de Virville et de Michel Camdessus?
J.V. : Une modernisation du droit du travail est souhaitable, car il y a actuellement 27 contrats, c'est trop. Les entreprises ont des difficultés à se retrouver dans ce maquis. Une dizaine seraient amplement suffisants. Maintenant, envisager un contrat unique est excessif car il ne répondrait pas à la complexité des situations et serait préjudiciable aux entreprises comme aux salariés. Concernant les contrats de mission, il est difficilement concevable de flexibiliser et de précariser toujours plus la situation des salariés. Avec de tels contrats, les entreprises les utiliseraient juste le temps dont elles en ont besoin puis s'en sépareraient sans assumer leurs responsabilités. Mais le risque serait aussi que leurs bénéficiaires se comportent comme des mercenaires de passage.
F. B. : Un contrat de travail doit-il être identique pour un jeune de 20 ans, un cadre de 40 ans ou un senior de 60 ans alors que besoins et contraintes sont bien différents ?
J.V. : Pourquoi demander au contrat de résoudre les problèmes de la terre entière ? Une entreprise n'a pas besoin de s'y référer pour se dire qu'à partir de 45 ans, un salarié entre dans un autre profil de carrière. C'est une question d'engagement de sa part qui doit se contracter dans la continuité du contrat actuel. Ainsi, la solution au maintien dans l'emploi des personnes fatiguées ou abîmées par le travail ou des seniors n'est pas une affaire de contrat, mais de démarche volontaire pour adapter les conditions de travail.
F.D. : Pour favoriser l'emploi des seniors, un CDD spécifique a été créé et la contribution Delalande va être supprimée au 1er janvier 2008. Qu'en pensez-vous?
J.V : La CFTC a signé, sans trop y croire, l'accord qui instaurait un CDD de dix-huit mois pour faciliter le recrutement des seniors. Elle s'est dit : faisons l'expérience, mais elle n'est pas concluante. Seulement 15 seniors ont été recrutés sous ce contrat ! Vous voyez que la solution au problème de l'emploi des seniors ne réside pas dans l'instauration d'un contrat spécifique. C'est surtout une affaire de mentalité. Les entreprises préfèrent recruter des jeunes moins bien rémunérés. La contribution Delalande a été mise en place par les partenaires sociaux auprès de l'Assurance chômage, selon l'idée qu'il fallait punir les entreprises qui laissaient partir leurs salariés de plus de 50ans. On veut aujourd'hui la supprimer sous prétexte qu'elle créerait un frein à l'embauche des plus de 45 ans. Les entreprises se disent que si jamais elles doivent s'en s??parer, elles vont prendre la contribution Delalande plein pot. Je le regrette. Nous souhaitions la conserver et l'utiliser autrement pour aider les employeurs prêts à s'engager dans une démarche de gestion des âges et de prise en charge des seniors. Cela aurait eu une autre allure qu'une suppression pure et simple !
PROPOS RECUEILLIS PAR CATHERINE LÉVIsource http://www.cftc.fr, le 7 décembre 2007