Interview de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, à LCI le 7 janvier 2008, sur la grève des médecins urgentistes pour le paiement des heures supplémentaires, les états généraux de la santé, la franchise médicale et l'annulation du rallye Paris-Dakar.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Vous recevez aujourd'hui les syndicats de praticiens hospitaliers. Pourquoi ne recevez-vous pas aussi les urgentistes, qui vous le demandent, et qui sont en grève depuis le 24 décembre ?
 
R.- Mais bien sûr, je reçois les urgentistes ! D'ailleurs, le plus médiatique d'entre eux, P. Pelloux, fait partie d'une des quatre intersyndicales de praticiens hospitaliers que je reçois ce matin à 11h30. Donc je reçois l'ensemble des praticiens hospitaliers, et demain, je recevrai à 16 heures les huit syndicats représentatifs de la fonction publique hospitalière. Je reçois donc tout le monde.
 
Q.- Que répondez-vous à P. Pelloux quand il dit : "si on n'est pas reçus il y aura une grève générale" ?
 
R.- Il est reçu puisqu'il fait partie, avec son syndicat, de l'intersyndicale de la Confédération des praticiens hospitaliers. Et bien entendu, son intersyndicale est reçue.
 
Q.- La grève des urgentistes depuis le 24 décembre s'étend, elle gagne, il y a une journée "hôpital mort" qui est prévue pour le 24 janvier. Cette perspective de grève générale, tout cela, pour vous, ce sont des risques réels ?
 
R.- D'abord, ce que je veux dire c'est qu'un certain nombre des revendications des personnels hospitaliers, un certain nombre de ces revendications est parfaitement justifié. Il y a effectivement des heures supplémentaires qui n'ont pas été réglées, il y a des comptes épargne temps qui méritent d'être résolus aussi. Je veux dire que c'est la raison pour laquelle, évidemment, je reçois, que nous ouvrons les concertations. Pour l'instant, la grève est limitée, un peu moins de 10 % de ces personnels sont en grève. Je salue aussi leur sens des responsabilités, puisque ils sont quand même présents au chevet des malades pour assurer le bon fonctionnement de la machine hospitalière.
 
Q.- La santé des Français n'est pas en danger ?
 
R.- La santé des Français n'est pas en danger grâce au sens de la responsabilité des praticiens et du personnel hospitalier. Néanmoins, ces problèmes doivent être réglés, nous ouvrons les concertations, j'ai des marges de manoeuvre financière pour régler...
 
Q.- Lesquelles ? On a parlé de 572 millions d'euros, quand on met bout à bout les 23 millions d'heures supplémentaires non payées et les 3,5 millions de journée de RTT...
 
R.- Un petit peu plus, 348,5 millions dans le fonds pour l'emploi hospitalier qui est en dépôt à la Caisse des dépôts et consignation, et 324 millions qui ont été économisés, qui sont placés, provisionnés dans la comptabilité des hôpitaux publics, donc un petit peu plus, pas loin de 700 millions d'euros qui sont en fait à disposition pour résoudre un certain nombre de questions. Sur les comptes épargne temps, bien entendu, tout ne sera pas monétarisé, parce qu'il y a des praticiens ou des personnels qui voudront qui voudront garder leur compte épargne temps en congés, soit au moment de leur départ en retraite, soit pour prendre des congés au cours de l'année. Donc, nous avons des marges de manoeuvre pour une négociation, pour une concertation nourrie en ce domaine.
 
Q.- Certains syndicats disent que les hôpitaux n'ont pas approvisionné cet argent comme ils devaient le faire depuis 2005 et que cet argent est un peu fantôme ?
 
R.- Non, là je réfute complètement cette critique. Certains hôpitaux ont été moins prévoyants que d'autres, effectivement, nous veillerons évidemment au cours de la concertation à envisager tous les cas de figure.
 
Q.- Si on devait tout payer, vous connaissez la somme maximale qu'il faudrait débourser ?
 
R.- Non, c'est impossible, parce que pour l'instant, les comptes épargne temps n'étaient pas monétarisables, c'est-à-dire n'étaient pas transformables en argent. J'ai veillé à ce que soit possible, j'ai veillé aussi à une revendication qui tenait beaucoup à coeur, en particulier aux praticiens hospitaliers, c'est la transmission aux ayants-droit des comptes épargnes temps. Si quelqu'un vient à décéder, que ses héritiers puissent bénéficier de l'argent de ces comptes épargne temps ; voilà, ça c'est réglé. C'est pour cela que la concertation s'ouvre, pour voir la façon dont nous allons transformer en argent les comptes épargne temps. Pour l'instant, il n'y a pas de tarif, c'est de cela dont nous allons discuter.
 
Q.- Pour l'avenir, pour que ne se reconstituent pas des stocks d'heures non payées, faut-il mettre un terme aux 35 heures à l'hôpital ?
 
R.- Non, je ne le crois pas. Il faut raisonner en termes d'efficience de l'hôpital. Nous sommes un des trois pays où nous dépensons le plus pour nos dépenses de santé. Et à l'intérieur de ces dépenses de santé, c'est nous qui avons les dépenses hospitalières les plus fortes : 62 % de nos dépenses de santé sont consacrées à l'hôpital, c'est 48 % dans la moyenne des pays comparables. Nous avons donc des gains d'efficience à l'hôpital qui nous permettrons à terme de mieux payer les personnels hospitaliers.
 
Q.- Les états généraux de l'organisation de la santé ont commencé à travailler, quand en tirerez-vous les conclusions, début février, plus tard ?
 
R.- Très vite, puisque effectivement, une première série de conclusions va être rendue dans la première quinzaine de février, après des concertations, des états généraux qui auront lieu en province, à Rennes, puis en Champagne-Ardenne. Nous nous réunissons à Paris vers le 5, 6 février, nous continuerons aussi la concertation avec l'ensemble des médecins, mais aussi des autres professions médicales, paramédicales, et pharmaceutiques. De toute façon, la loi, la grande loi promise par F. Fillon sur l'organisation des soins dans notre pays, qui va d'ailleurs regrouper le travail qui est fait par G. Larcher sur les missions de l'hôpital, la concertation, enfin les propositions que je fais sur la transformation des Agences régionales de l'hôpital, en agences régionales de santé, pour coordonner la médecine de ville, l'hôpital, le médico-social ; cette loi est prévue pour le mois de juin. Donc il ne faut pas traîner.
 
Q.- Et à terme, les Français paieront plus par l'assurance privée et recevrons moins par la solidarité, on le sait, il n'y pas...
 
R.- Non, je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites !
 
Q.- La partie n'est pas jouée ?
 
R.- Nous gardons un des taux les plus élevés au monde de prise en charge par la solidarité, pour les malades en longue durée, 91 % de prise en charge ; pour les autres malades non en affection de longue durée 78 %, et ce taux ne diminue pas. Ce qu'il faut se poser c'est : est-ce qu'il faut spécialiser la prise en charge non solidaire et la prise en charge solidaire ? C'est le débat que nous démarrons avec E. Woerth, c'est le débat également que nous menons sur le bouclier sanitaire qui a été proposé par M. Hirsch. Mais je ne suis pas du tout d'accord avec votre vision, au contraire, il faudra moins consacrer de prise en charge à la solidarité, je suis bien décidée à maintenir ce taux.
 
Q.- Les franchises médicales sont en place depuis quelques jours maintenant. Vous notez une chute de consommation des médicaments ?
 
R.- C'est encore beaucoup trop tôt pour le voir.
 
Q.- Vous craignez qu'on se soigne moins pour économiser un peu d'argent ?
 
R.- En tout cas, je dis que, là aussi, il y a des marges d'efficience pour se soigner mieux en dépensant peut-être moins. Ce que je note, c'est que nous sommes le pays au monde où il y a le plus de consultations médicales qui se terminent par une prescription pharmaceutique, + de 90 %. Quand je regarde d'autres pays qui consacrent beaucoup moins à la prescription pharmaceutique et qui ont des indicateurs de santé comparables aux nôtres, on se dit qu'il y a peut-être quelques marges de manoeuvre.
 
Q.- Marge de manoeuvre sur le tabac, on a fait un gros effort en France depuis quelques jours, on ne fume plus dans les cafés, bars, restaurants. La partie est-elle gagnée, et puis, indemniserez-vous les bars à narguilé qui ont fermé ?
 
R.- Je veux remercier les Français, parce que vraiment, ils ont fait preuve d'un sens de la responsabilité, en termes de santé publique, j'avoue moi-même que je ne pensais pas qu'il y aurait une telle implication même si parfois ça a été dur. Alors, bien sûr, il y a quelques récalcitrants et quelques provocateurs, mais globalement, il faut dire que la réglementation est parfaitement respectée. Qu'il y ait des établissements pour lesquels cela pose un certain nombre de difficultés, j'en conviens. Un certain nombre de dispositifs ont été mis en place aussi bien par le ministère de l'Economie et des Finances que par le secrétariat d'Etat dédié aux PME. Et évidemment, des reconversions, les reconversions d'un certain nombre d'établissements, comme les bars à chicha ou à narguilé...
 
Q.- On les aidera ?
 
R.- Voilà, mais il n'y aura pas de dérogations.
 
Q.- Le plan anti-Alzheimer sera-t-il finalisé et publié avant la fin du mois, comme promis ?
 
R.- Effectivement. Le professeur Ménard a rendu son rapport le 8 novembre. Avouez quand même que pour bâtir un plan aussi ambitieux qui va s'étaler sur cinq ans, il n'y a pas de retard qui a été pris, nous y travaillons d'arrache-pied, et effectivement, dans la deuxième quinzaine de janvier, ce plan sera publié. Je reçois d'ailleurs la présidente de France-Alzheimer, A. Mérieux, je la reçois après-demain.
 
Q.- La grève de la faim de J. Bové se poursuit. Pour vous, ministre de la Santé, les OGM c'est dangereux ou c'est inoffensif ?
 
R.- Je maintiens la même position que celle que j'avais quand j'étais ministre de l'Ecologie : je suis extrêmement réticente vis-à-vis des OGM, mais...
 
Q.- Vous soutenez plutôt la clause de sauvegarde ?
 
R.- Voilà, exactement. En tant que ministre de la Santé, la clause de précaution me paraît tout à fait justifiée.
 
Q.- Le rallye Paris-Dakar a été annulé sur les conseils des pouvoirs publics. Vous êtes également ministre des Sports. Plusieurs voyagistes ont maintenu leurs programmes en Mauritanie. Le Gouvernement a-t-il profité de cette actualité pour faire la peau du Rallye Paris-Dakar ?
 
R.- Absolument pas. Nous avons mis... D'abord, ce n'est pas nous qui avons supprimé le Rallye Lisbonne-Dakar...
 
Q.- Vous avez mis la pression...
 
R.- On n'a pas mis la pression, on a simplement dit aux participants : votre sécurité n'est pas assurée en Mauritanie. Cela, c'est tout à fait évident. Et il y avait huit étapes... enfin, huit étapes, oui, qui se déroulaient en Mauritanie dans un secteur à haute dangerosité. Nous avons simplement rappelé aux participants qu'évidemment la France ne pouvait pas assurer la sécurité ni de ses ressortissants, ni des autres sur le Paris- Dakar - sur le Lisbonne-Dakar, pardon - et qu'ils avaient à prendre leurs responsabilités. Les organisateurs ont pris leurs responsabilités, comme j'avais pris la mienne, et ils ont conclu à la suppression du Rallye.
 
Q.- Le Président Sarkozy baisse dans les sondages. Est-ce dû à la trop grande exposition de sa vie privée ? Vous lui recommandez plus de discrétion ?
 
R.- Je... absolument aucun conseil à donner à N. Sarkozy qui vit avec une femme absolument délicieuse et, ma foi... vous savez, les sondages... ça va, ça vient. Cela ne m'intéresse pas beaucoup ce genre de choses.  
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 janvier 2008