Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "France 2" le 17 décembre 2007, sur les prévisions de croissance économique et sur ses réticences à une augmentation générale des fonctionnaires.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- On va évidemment parler des fonctionnaires, ce matin, vous rencontrer les syndicats. On parlera aussi des incertitudes sur la croissance. Mais d'abord, une question sur cette photo qui fait la Une de tous les journaux ce matin : celle de N. Sarkozy et de C. Bruni. Certains parlent de "pipolisation" de la vie politique. Comment, vous, réagissez-vous ?

R.- Ecoutez, ça fait longtemps qu'on parle de "pipolisation", ce sont des personnes qui sont connues. Donc à partir du moment où il y a des photos, ça paraît dans les journaux, voilà. Je n'ai pas de commentaire particulier à faire. Je pense qu'il y a une différence entre la vie privée et la vie publique. A un certain moment, il y a des photos qui viennent s'immiscer entres les deux.

Q.- Mais pour vous, ça ne pose pas de problème ?

R.- Non, ça ne me pose aucun problème. Chacun choisit en réalité, à un moment donné ou pas, d'être vu ou de ne pas être vu. Et puis, parfois, il y a des photos volées aussi.

Q.- Et en l'occurrence, là, il ne s'agit sans doute pas de photos volées, parce que ça a duré longtemps ?

R.- Mais écoutez, dans ce cas-là c'était... Voilà... Ce sont des photos qui sont dans les journaux et c'est très bien comme cela. Vous savez, ça change de la croissance, hein, ou des fonctionnaires.

Q.- Alors, sujet tout à fait différent : la croissance. Beaucoup de prévisionnistes disent que les objectifs du Gouvernement - + 2 % pour 2008 - ne seront pas tenus. Moins de croissance, ça veut dire plus de déficit. Dans ces conditions, l'année prochaine, ne serez-vous pas obligé d'augmenter les impôts ?

R.- L'opinion des économistes est plus volatile en réalité, souvent, que la croissance elle-même. Donc, ça peut changer. Non, il n'y a pas de raison de changer les prévisions de croissance. On a établi un budget, et puis les prévisions du Gouvernement sont entre deux fourchettes : entre 2 et 2,5. Donc, on a pris 2,25 pour faire le budget, il n'y a pas de raison aujourd'hui de changer. Pour faire 2,25 % de croissance, il faudrait qu'au premier trimestre, au deuxième trimestre, on soit aux alentours de 0,6. C'est possible. Au troisième trimestre, on a fait 0,7. Donc, c'est tout à fait possible, il n'y a pas de raison d'envoyer un signal qui montrerait que, tout d'un coup, le Gouvernement ne croit plus en cette prévision, qui est une prévision plutôt raisonnable. Maintenant, on verra. On verra en fonction du prix du pétrole, du cours du dollar, de tout ce qui fait l'économie mondiale. Mais il n'y a pas de raison aujourd'hui, sur les caractéristiques de l'économie française, d'afficher des taux inférieurs.

Q.- Mais sur les impôts, en 2008 ?

R.- Sur les impôts, la volonté n'est évidemment pas d'augmenter les impôts.

Q.- "Volonté."

R.- Non, non, non. Ce que je souhaite, c'est qu'évidemment l'Etat ait plus de recettes, moins de dépenses. Je dis plutôt : "réchauffer le moteur de la croissance, et puis refroidir le moteur de la dépense". Et pour refroidir le moteur de la dépense, il faut faire ce qu'on fait, c'est-à-dire, serrer au maximum les dépenses, et réviser les politiques publiques. Pour la croissance, c'est celle-là qui produit des recettes. Et un budget équilibré, des finances en équilibre, c'est quand même, d'abord et avant tout, de la croissance, parce que la croissance c'est de la richesse, c'est donc plus de recettes pour l'Etat, mais cela ne veut pas dire plus d'impôts. Ça veut dire, un Etat qui fonctionne mieux, une consommation qui fonctionne mieux, les recettes qui rentrent mieux, etc.

Q.- Vous, vous dites, en 2008, il n'y aura pas de nouveaux impôts. Les socialistes, disent : les mauvaises nouvelles, ce sera après les municipales de mars 2008.

R.- Oui, les socialistes disent tous ça, mais je pense que les mauvaises nouvelles, ce sera pour eux ; ce sera les municipales pour eux : ils anticipent les mauvaises nouvelles pour eux. D'ailleurs, ils feraient mieux de travailler plus pour penser plus, de temps en temps. Moi, je pense que ce serait une bonne idée de la part des socialistes, cela leur éviterait de dire n'importe quoi. Donc, je sais, j'ai eu cela pendant l'ensemble du débat budgétaire. Il y a un budget de l'Etat, il y a des recettes qui sont prévues d'une façon très prudente sur ce budget de l'Etat, en fonction d'un taux de croissance qui est prévu à 2,25 %. Ce sont des prévisions, comme toutes prévisions, il faut être prudent, évidemment. Mais il n'y a aucune raison aujourd'hui d'en changer. Et puis, il y a des bonnes nouvelles de temps en temps, aussi, dans l'économie. Quand on regarde le taux de chômage, il est en diminution très forte, et cela on peut s'en satisfaire ; à peu près 250.000 emplois en plus créés dans le secteur marchand en 2007. Il y a aussi un moral. Prenez le moral des industriels, c'est quand même eux qui font la croissance après, ce sont les entreprises. Ce n'est pas le Gouvernement qui décrète la croissance. Les entreprises aujourd'hui ont un moral plus élevé qu'on n'a jamais vu dans l'ensemble des indices qui mesurent ce moral. Alors, ça contrebalance certains mauvais signaux lancés par quelques oiseaux de mauvais augure.

Q.- Sur le pouvoir d'achat, le Gouvernement avait dit que le paquet fiscal de cet été relancerait le pouvoir d'achat. Les Français font leurs courses de Noël et ils n'ont pas l'impression que le pouvoir d'achat a été relancé ?

R.- Le pouvoir d'achat, c'est une donnée un peu générale, il est toujours difficile... On le mesure en fonction de son propre pouvoir d'achat. Il y a beaucoup de mesures qui ont été prises, et très sincèrement, ceux qui ont bénéficié des mesures d'heures supplémentaires voient sur leur feuille de paye plus d'argent tomber qu'il n'en tombait auparavant. On est au début de cela. Par exemple, les heures "sup", ça a commencé au 1er octobre. Les mesures qui vont être prises, là, et qui ont été annoncées par le Président Sarkozy il y a peu de temps...

Q.- Est-ce qu'on sait, sur les heures supplémentaires, combien ont été payées ?

R.- On commence à savoir pour le mois d'octobre : c'est entre 30 et 40 %, un peu plus d'un tiers en réalité d'entreprises de plus de 10 salariés, parce que ce sont ceux qui déclarent mensuellement, donc on commence à avoir les premiers chiffres, qui ont utilisé le système d'heures supplémentaires. Avant, on ne savait pas, parce que les heures "sup" n'étaient pas déclarées de cette façon-là. Aujourd'hui, on sait que plus d'un tiers des entreprises de plus de 10 a utilisé, dès le mois d'octobre - donc c'est un succès, un vrai succès, dès le mois d'octobre - a utilisé le dispositif. Donc, en novembre, en décembre, tout cela va monter en puissance. Et cela montre que ces dispositifs fonctionnent. Et d'ailleurs, la plupart des entreprises s'estime d'ailleurs bien informée. On a mesuré tout cela, donc, il y a beaucoup de progrès encore à faire. Et il y a notamment aussi, mais en même temps ça marche, mais il y a beaucoup de progrès aussi à faire parce qu'on va installer des mesures nouvelles. Le président Sarkozy a annoncé des mesures il y a peu de temps. Demain ou après demain, commencera à l'Assemblée nationale, un projet de loi sur la participation, le déblocage de la participation, sur le rachat de jours de RTT... Tout cela amène je pense un climat qui est favorable à l'augmentation du pouvoir d'achat. Mais, la clé de l'augmentation du pouvoir d'achat, la clé de l'augmentation réelle et durable du pouvoir d'achat, c'est "travailler plus". C'est donc, produire plus de richesses dans notre pays.

Q.- Sur les fonctionnaires, les syndicats de fonctionnaires disent que le pouvoir d'achat a baissé de 6 %. Ils réclament une augmentation générale. Vous les rencontrez donc ce matin. Allez-vous donner cette augmentation générale ?

R.- J'ai demandé à l'Insee de regarder tout cela, parce qu'il y a un débat assez incroyable. Nous, on pense qu'en moyenne ça augmenté de 2,5 - mais c'est des moyennes - et les fonctionnaires, les organisations syndicales, pensent que ça a baissé de 6 % sur six ans. Donc, l'Insee nous dit une chose, l'Insee nous dit que 25 % - 24 % pour être exact - de fonctionnaires ont perdu du pouvoir d'achat sur les six dernières années, et 75 % de fonctionnaires ont gagné du pouvoir d'achat, voire gagné très au-delà de la moyenne. Donc, ce qu'il faut, c'est essayer de trouver, ce que j'essaierai de regarder avec les organisations syndicales, un mécanisme qui garantisse qu'aucun fonctionnaire ne peut perdre de l'argent à travailler pour l'Etat.

Q.- Et augmentation générale, oui ou non ?

R.- Non, je pense que... Je ne souhaite pas qu'il y ait... Parce que, l'augmentation générale, c'est une augmentation anonyme, et il y a beaucoup de gens, aujourd'hui de fonctionnaires, 75 %, qui ont bénéficié, à un titre ou à un autre, d'augmentations qui ont été très au-delà du chiffre de l'inflation. Il faut d'abord regarder ceux qui ont perdu...

Q.- Donc, vous voulez moduler ?

R.-... mais c'est beaucoup de gens, il faut regarder ceux qui ont perdu, garantir ceux-là dans un mécanisme sur lequel il faut qu'on se mette d'accord avec les organisations syndicales, très transparent, qui fasse qu'aucun fonctionnaire ne perde du pouvoir d'achat. Et on doit discuter aussi des mesures catégorielles, des heures supplémentaires, du rachat des comptes épargne-temps, de la rémunération au mérite, enfin tout ce qui fait de la technicité aussi, des responsabilités...tout ce qui fait qu'on peut faire l'augmentation du pouvoir d'achat pour les fonctionnaires.

Q.- Alors, vous êtes aussi chargé de la réforme de l'Etat, et vous avez proposé l'autre jour une réforme du divorce. Avez-vous d'autres propositions comme celle-ci à faire ?

R.- Celle-là a créé un débat, mais toutes les propositions qu'on fera dans le domaine de la réforme de l'Etat provoqueront, nécessairement, évidemment, des débats, parce que ce sont des propositions qui vont au fond. Par exemple, le permis de conduire, il va falloir qu'on modifie, qu'on change, qu'on réfléchisse à comment faire... enfin améliorer les conditions de passage du permis de conduire. 50 % de gens qui le passent, quand ils passent pour la première fois, échouent. C'est beaucoup trop, c'est très coûteux pour eux, c'est très long d'attendre, on attend très longtemps avant de passer son permis alors que c'est indispensable. 50 % de gens ne l'on pas. Il y a un problème, il faut qu'on le traite.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 décembre