Extraits d'un entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à France Culture le 7 janvier 2008, notamment sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne, l'indépendance du Kosovo, les relations euro-russes, le projet d'Union méditerranéenne et sur la question de l'euro.

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Texte intégral

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Q - Le compte à rebours a commencé pour vous. Plus que six mois avant la Présidence française de l'Union européenne. L'agenda 2008 est très chargé pour le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes. Comment ça se prépare ?
R - Cela se prépare d'abord par l'établissement du calendrier des différentes réunions que nous savons d'ores et déjà être importantes. Nous aurons deux Conseils européens à conduire, l'un au mois d'octobre et l'autre au mois de décembre prochain, une série de réunions ministérielles dont beaucoup auront lieu en France. Cela se prépare, également, en fixant un certain nombre de priorités.
Q - Lesquelles ?
R - Premièrement, les priorités qui ont trait à l'environnement et à la lutte contre le réchauffement climatique. Ce sera une année décisive pour l'Europe et pour tout ce qui concerne la lutte contre la pollution. Nous devons faire en sorte qu'il y ait une Europe plus respectueuse de l'environnement et à la pointe du combat international pour l'environnement.
Deuxièmement, cela concerne l'énergie. Nous voyons bien ce que provoque, dans les économies, la hausse des prix du pétrole. Nous sommes confrontés à une baisse des énergies fossiles et à une hausse des prix de l'énergie. Il faut réfléchir à la diversification en matière des approvisionnements énergétiques, avoir une stratégie et ne pas se contenter de libéraliser le marché énergétique européen.
Troisièmement, ce qui à trait à la gestion des migrations, ce n'est pas, comme on le croit trop souvent, un problème idéologique mais un problème de gestion qui doit être équilibrée. L'Europe, compte tenu de sa situation démographique, doit faire face à la gestion d'un certain nombre de mouvements migratoires. Nous le voyons dans tous les pays, de Vilnius à Madrid, quelle que soit la couleur politique des pays européens.
Il y a une dernière priorité, qui est importante, relative à la sécurité. La sécurité extérieure avec la politique de défense européenne et la sécurité civile.
Bien sûr, dans le contexte que nous connaissons, il y aura un fil rouge, celui de la croissance, de la compétitivité et de l'emploi. Ce n'est pas le moindre des challenges que de réussir, au niveau européen, dans ce domaine.
Q - On ne parle plus de l'Europe de la même manière depuis les refus hollandais et français à la Constitution européenne. C'est maintenant une politique de dossiers, de petits pas, de chantiers ? Comment la qualifier ?
R - Vous avez raison, il y a un changement assez important de la manière dont on parle de l'Europe et des rapports des citoyens à l'Europe.
Q - C'est le désenchantement ?
R - Ce n'est pas le désenchantement. Le désenchantement, je dirais qu' il a déjà eu lieu. On tire les leçons du désenchantement. Premièrement, c'est une Europe du concret, du résultat. On se concentre sur des dossiers concrets, en espérant que le nouveau traité sera ratifié et nous donnera les moyens d'aller plus au fond de ces dossiers. Deuxièmement, on est passé d'une Europe d'un idéal commun, à une Europe des intérêts communs. De même, que nous sommes passés d'une Europe à quinze à une Europe à vingt-sept. Tout cela va de pair.
Q - Les intérêts ont remplacé les idéaux. Mais est-ce que vous êtes sûr que ces intérêts sont communs ?
R - Les intérêts ont remplacé les idéaux. Ce qui ne veut pas dire que ce soit la fin de l'histoire européenne et que l'on ne doit pas essayer de voir quels sont les intérêts communs possibles, vers un nouvel idéal européen. Après avoir conquis la paix, nous sommes à la recherche d'un nouvel idéal. Pour avoir ce nouvel idéal, il nous faut développer des intérêts communs. Je pense que l'énergie, l'environnement et la manière dont l'Europe se comporte face à des défis globaux sont des intérêts communs.
Q - C'est un retour à la méthode Monnet ?
R - C'est un retour à une méthode pragmatique.
Q - On produit des coopérations dans des secteurs localisés puis cela donne l'envie d'aller plus loin ?
R - Vous avez tout à fait raison. C'est ce que permet le nouveau Traité. Vous avez des coopérations dans des domaines très précis et pour essayer de répondre à des questions extrêmement précises. Je prends quelques exemples, si vous me le permettez.
On dit qu'aujourd'hui, "l'Europe reste trop technocratique, trop éloignée". Mais on s'aperçoit que la Commission européenne donne plus de 700 millions d'euros entre 2007 et 2013 pour traiter les problèmes de la banlieue parisienne. Elle fait la même chose pour les banlieues de Rome ou de Madrid.
Deuxième exemple, aujourd'hui on téléphone beaucoup, on utilise pas mal les mobiles. Nous avons de meilleurs tarifs, grâce à une action concrète de l'Europe, qui a permis plus de concurrence sur ce qu'on appelle le "roaming", qui permet de réduire le coût des transactions téléphoniques en Europe.
Troisième exemple. Nous sortons de la période de Noël. Une action communautaire a été très bien menée par la commissaire bulgare, Mme Kuneva. Elle a entrepris un bras de fer et un dialogue très musclé avec les Chinois pour faire en sorte que la sécurité des jouets soit renforcée. Tout cela, c'est la nouvelle Europe.
Q - Cela ne fait pas rêver.
R - Peut-être, mais c'est quelque chose de concret, qui protège puisqu'il y a des inquiétudes de nos concitoyens. A côté de cela, nous avons les images fausses de l'Europe. La semaine dernière, je lisais dans Le Monde les propos d'un consommateur qui disait "Voilà, on a l'Europe, on est servi et nous avons maintenant l'interdiction du tabac dans les bars et les lieux publics". Tout cela ne résulte pas de l'Europe. On peut l'appliquer ou ne pas l'appliquer. En Espagne, c'est moins appliqué qu'en France. En France, c'est un choix du Parlement français, ce n'est pas un choix européen. Tout ce qui a trait à la taille des crevettes ou au fait que les camemberts au lait cru ne pourraient pas circuler en Europe... Ce n'est pas vrai, c'est même le contraire, Bruxelles essaye de faire en sorte que les produits au lait cru circulent plus facilement en Europe.
Q - L'Union européenne vit deux moments importants. Le 1er janvier, le début de la présidence slovène. Un pays qui vient de l'ex-Yougoslavie qui, il y a quinze ans, était au coeur d'une zone de guerre. Il y a deux nouveaux pays qui rentrent dans la zone euro. On en parle peu ou pas. En revanche, l'interdiction de fumer dans les lieux publics, elle a inondé les médias. On n'a pas fini d'en parler. L'Europe a, bien évidemment, une responsabilité dans cet éloignement par rapport aux citoyens. Les médias également ?
R - Je crois que les médias ont, selon les pays, fait des efforts. Ce qui me surprend, de la part des médias, c'est qu'il y a une information discontinue sur l'Europe. Lorsque l'on a écouté votre revue de presse européenne quotidienne, on s'aperçoit que c'est un des facteurs d'une plus grande pédagogie. Et sans doute que cela modifie l'esprit de nos concitoyens depuis deux ans. Depuis le référendum, c'est la première fois que vous avez, pour nos concitoyens, 60% d'opinion positive sur l'Union européenne. C'est à dire que l'on a les meilleurs résultats d'acceptation de l'Union européenne, de son utilité dans des domaines comme la recherche, la lutte contre le terrorisme, le fait de peser sur la mondialisation, qui sont parmi les trois grands soucis de nos concitoyens. L'Europe est considérée comme un instrument efficace. Les mentalités sont en train de changer, c'est une bonne chose. Vous avez raison de souligner que l'on ne met pas assez l'accent sur des évènements symboliques. Le fait que la Slovénie, pays de l'ex-Yougoslavie, préside pour la première fois l'Union européenne, est important. Cela montre que l'Europe à 27 marche, cela montre qu'une Europe élargie n'est pas un frein. Cela montre que nous ne devons pas avoir peur du nombre et nous ne devons pas avoir peur de l'élargissement au niveau européen. Les nouveaux pays sont capables de prendre leurs responsabilités. Le fait que Chypre et Malte aient rejoint la zone euro, c'est important puisque désormais les pays utilisant l'euro vont être majoritaires dans l'Union européenne. Ce qui n'est pas rien dans le contexte économique actuel.
Q - La Présidence slovène vient de s'ouvrir, que de chemin parcouru depuis l'éclatement de l'ex-Yougoslavie. Cette présidence qui mettra l'accent sur l'intégration des Balkans, sur la promesse faite à ces pays d'entrer dans l'Union européenne. La Slovénie veut des critères d'adhésion moins exigeants. C'est complètement à rebours de la position française ?
R - Les critères sont les critères et je crois qu'ils doivent être appliqués. Il n'est pas question de dire qu'il faut des critères moins exigeants par rapport à telle ou telle catégorie de pays. Ce que dit le gouvernement slovène, c'est qu'il est important, surtout compte tenu des relations entre la Serbie et le Kosovo, que nous donnions une perspective européenne à ces pays. Nous sommes dans le cadre de négociations avec la Croatie. Nous devons procéder normalement, sans précipitation. Il est particulièrement important que nous puissions donner une perspective européenne à la Serbie. Nous verrons après les élections, cela ne doit pas apparaître comme une monnaie d'échange contre l'indépendance du Kosovo, rien ne serait plus maladroit. Mais il est clair que la Serbie, qui a un potentiel de développement important, qui a paraphé un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne, doit trouver rapidement une perspective européenne. Là-dessus, nous sommes tout à fait d'accord avec les Slovènes. Pour résumer, il n'est plus possible, qu'en Europe, il y ait un trou noir qui s'appelle les Balkans et que ces pays restent à l'écart de l'Union européenne.
Q - Belle hypocrisie, malgré tout, puisqu'on sait depuis quelques années que les Français devront voter par référendum au moment de toute nouvelle adhésion d'un Etat à l'Union européenne et ce n'est pas forcément gagné. Un Etat peut remplir absolument tous les critères pour intégrer l'Union et pourtant être rejeté parce que les citoyens français ne seront pas d'accord avec le gouvernement qui leur posera la question à ce moment là.
R - Laissez le texte relatif à la révision des institutions venir sur la table du Conseil des ministres et vous aurez une réponse à la question que vous posez. A titre personnel, j'ai dit que je souhaitais que les autorités prennent leur responsabilité dans ce domaine. C'est à dire, que le Président de la République ait le choix entre le recours au référendum et le recours au Congrès. Je trouve, comme vous, qu'il serait anormal, lourd et dangereux pour la confiance internationale que nous usions systématiquement du référendum pour chacun des élargissements. Je demande donc la suppression de cette disposition, dite de l'article 88-5.
Q - Sur l'indépendance du Kosovo, il y a de profondes divisions entre les Etats membres de l'Union. Comment s'accorder sur une position commune ? Est-ce que l'on reconnaîtra l'indépendance ou pas ?
R - Il faut faire une distinction entre deux éléments. Le premier est le processus d'indépendance. Il faut attendre quelques semaines ou même quelques mois pour que cette indépendance soit déclarée. Le deuxième est qu'il ne faut pas humilier les Serbes dans ce dossier. Nous y veillons particulièrement. Personne n'aurait rien à y gagner. Il faut qu'ils surmontent eux-mêmes leur histoire et qu'ils coopèrent avec le Tribunal pénal international. C'est vrai que le processus de reconnaissance sera échelonné. Cela est une chose, on le sait. Vous avez des pays, comme Chypre qui ne vont certainement pas le faire pour des raisons évidentes que je n'ai pas besoin de développer maintenant. Vous avez des pays qui ont plus ou moins de difficultés, c'est le cas de l'Espagne.
Ce qui est important c'est que l'Europe soit unie sur la stabilisation de la région. Tous les pays européens sont d'accord pour participer et envoyer une force de stabilisation, de sécurité, de renforcement de l'Etat de droit au Kosovo, le moment venu. Ce qui me paraît important, c'est de ne pas se retrouver dans la situation qui était celle de l'Europe en 1991. C'est là-dessus que sera jugée la crédibilité de l'Union européenne.
Q - Monsieur le Secrétaire d'Etat, il y avait les élections en Géorgie et la réélection très large du président sortant Mikhaïl Saakachvili a été critiqué pour la brutalité avec laquelle il avait réprimé des révoltes de l'opposition démocratique. Quelle est la position de l'Union européenne face à cette élection au premier tour ? L'OSCE dit que le scrutin s'est relativement bien passé mais qu'il y a eu, malgré tout, des soupçons d'irrégularité. La Russie proteste et soutient l'opposition qui réclame de revoir ces élections.
R - Ce que l'Union européenne regarde, c'est effectivement la régularité des opérations. Il y a eu une mission de l'OSCE qui a rendu ses conclusions, qui a dit que dans l'ensemble le processus avait été normal et régulier. Je signale que pour les élections russes il n'y avait pas de mission de l'OSCE. Si les Russes critiquent, ce point doit être souligné. A partir du moment où il y a des techniciens tout à fait compétents dans le cadre de l'OSCE, les conclusions ont été données avec les avertissements qui doivent être faits sur le comportement du Président élu. Ce sera la position de l'Union européenne.
Q - Comment est-ce que l'Union peut aider une jeune et fragile démocratie comme la Géorgie ? Par la promesse de l'adhésion ?
R - Il faut distinguer deux processus. D'un côté vous avez l'adhésion et de l'autre les politiques de voisinage. Les politiques de voisinage ce sont des politiques développées par l'Union européenne pour aider à la stabilisation et au développement d'un certain nombre de voisins de l'Europe. Elles sont pratiquées avec succès aujourd'hui avec l'Ukraine qui était dans une situation comparable à celle de la Géorgie aujourd'hui. Grâce à ces politiques et au soutien de l'Union européenne, vous avez petit à petit une stabilisation de ces démocraties naissantes. Vous avez un Etat de droit et des échanges qui se développent.
Q - Il n'y a pas de vocation à rejoindre l'Union ?
R - Lorsque vous avez une politique de voisinage réussie, il n'y a pas d'intégration nécessaire, ce n'est pas inéluctable. Il faut bien distinguer les deux. Il est clair que, ce n'est pas parce que vous avez une politique de voisinage efficace, comme avec le Maroc, que vous avez vocation à intégrer l'Union européenne.
Q - Nous allons rester dans les relations de voisinage. La Russie procède actuellement à de grandes manoeuvres militaires en mer Méditerranée après avoir réalisé également des manoeuvres aéronavales en Mer du Nord en décembre. Les responsables politique russes ont évoqué le mois dernier la possibilité de renforcer les troupes le long des frontières occidentales. Comment est-ce que vous analysez cette démonstration de force russe ?
R - Il apparaît, nous avons suffisamment de signaux pour cela, que la Russie souhaite rester une grande nation, qu'elle souhaite faire valoir ses positions sur la scène internationale. Elle souhaite, après une période d'effacement, retrouver une impulsion assez forte. Ce qui n'est pas sans poser problème. Il faut donc, pour répondre à votre interrogation, maintenir un dialogue avec la Russie, faire en sorte que ce dialogue soit le plus franc et le plus ouvert possible, embrasse l'ensemble des sujets, y compris les Droits de l'Homme. Il faut garder, sur les sujets internationaux une relation qui reste étroite. Vous ne pouvez régler le dossier iranien sans dialogue avec la Russie. Vous ne pouvez régler le dossier des Balkans sans dialogue avec la Russie. Ils ne peuvent pas, sur ce qu'on appelle les territoires gelés, régler leurs difficultés sans dialogue avec l'Union européenne. Quand vous avez une Union européenne à 27 qui s'étend jusqu'aux frontières baltes et que vous avez une politique de voisinage qui, comme je l'ai dit, est active et réussie avec l'Ukraine, il est normal qu'il y ait un partenariat entre l'Union européenne et la Russie. Nous sommes deux partenaires obligés et donc nous devons dialoguer avec la Russie, c'est le grand voisin de l'Union européenne.
Q - Les manoeuvres militaires en cours ne vont pas vers cette idée de dialogue ou de partenariat.
R - Non, vous êtes dans la démonstration de force. C'est bien pour cela que les Européens doivent être unis et ne pas se laisser diviser par rapport à la Russie, nous y veillons. Mais dans le cadre de ces rapports de force, nous devons également maintenir un partenariat. C'est un partenariat exigeant. Vous devez avoir conscience des rapports de force qui se jouent avec la Russie. Vous évoquiez les manoeuvres militaires mais les questions énergétiques, dans le contexte actuel, sont, au moins aussi importantes pour la souveraineté d'un certain nombre de pays. C'est à l'Union européenne de le prendre en compte et de le défendre. C'est à ce niveau, que nous devons construire, face à la Russie, un véritable rapport de force. L'Union européenne est là aussi pour cela.
Q - Quelle forme va prendre le projet de l'Union méditerranéenne ? Beaucoup sont sceptiques sur ce projet ?
R - Je crois qu'il faut être, là aussi, très concret. C'est un projet ouvert à tous et qui doit développer et aider à progresser. Concrètement, sur des domaines de coopération qui sont ceux de l'environnement en mer Méditerranée, les relations énergétiques...
Q - Quand vous dites "c'est ouvert à tous", vous voulez dire à tous les pays méditerranéens ? Même la Syrie avec qui la France a rompu le dialogue diplomatique ?
R - C'est ouvert à tous, dès lors qu'ils respectent les règles de droit, qu'ils ne pratiquent pas des actes de terrorisme. Cela élimine un certain nombre de pays. Le principe est que c'est ouvert à tous, aux partenaires du Maghreb, du Mashrek, à Israël. C'est ouvert aussi, bien évidemment, aux pays européens de la rive nord et à d'autres pays qui seront intéressés de participer à ces différents projets autour de l'environnement, de l'énergie, de la culture, de l'université. Ce que je souhaite, c'est que ce projet soit le plus compatible possible avec ce qui existe déjà dans le cadre du dialogue euro-méditerranéen et que ce ne soit pas la négation de ce qui existe déjà dans les relations entre l'Europe et la Méditerranée mais que ce soit un complément de ce qui a été fait.
Q - Qu'est-ce qui a déjà été fait ?
R - Je ne veux pas être trop technique. Dans le cadre du processus de Barcelone, vous avez un dialogue politique qui n'a pas toujours bien fonctionné et le défi est grand pour l'Union méditerranéenne. Comme vous le savez, c'est dans le conflit israélo-palestinien que se trouve la racine des difficultés du dialogue politique. Il faut donc essayer de surmonter ces difficultés. D'autre part, vous avez un certain nombre de projets où les coopérations n'ont pas bien fonctionné dans le cadre du processus de Barcelone. Ce que nous souhaitons, c'est élargir le processus de dialogue politique et avoir des solidarités qui naissent de façon à améliorer la coopération entre l'Europe et les pays méditerranéens et la coopération entre les pays du Maghreb et les pays du Mashrek. Ce n'est pas gagné d'avance.
Q - Vous avez signé dans Le Monde une tribune dans laquelle vous appelez à ce que l'Europe se dote d'une diplomatie de l'euro. Comment peut-elle s'exercer ? Est-ce qu'elle est mise en oeuvre par les Etats membres ou par la BCE ?
R - Aujourd'hui, l'euro est devenu une monnaie refuge. C'est la seconde monnaie mondiale, elle ne cesse de grignoter les positions du Dollar. Ce que je remarque, c'est que l'histoire vous enseigne qu'à partir du moment où vous avez une monnaie qui est influente sur le plan international, ne pas se servir de l'arme monétaire et geindre tous les matins sur la valeur de l'euro au lieu d'en profiter comme instrument diplomatique est une sottise. Nous ferions mieux de prendre en considération le fait que, structurellement, l'euro restera une monnaie forte au niveau international. C'est une donnée qui est irréversible. Je ne vous parle pas de la situation actuelle aux Etats-Unis, qui ne va pas s'améliorer demain matin. Cela ne bougera pas avant la fin de l'année. Vous allez vivre avec ces rapports de force, pour reprendre votre expression. Comment cela doit se passer ? De deux manières. D'abord l'Europe doit être mieux représentée au niveau international, notamment dans les institutions monétaires telles que le Fond monétaire international ou la Banque mondiale. Il faut, comme cela s'est fait à l'égard de la Chine, qu'à la fois le président de la Banque centrale européenne, le commissaire européen en charge et le représentant de l'Union européenne aillent dialoguer avec nos partenaires américains et chinois pour corriger les déséquilibres de change. C'est une meilleure organisation. Elle existe sur le plan budgétaire, elle doit exister sur le plan économique grâce à l'euro.
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Q - Dans le cadre de la Présidence française vous avez défini les priorités de la Présidence française pendant les six derniers mois de l'année 2008. Est-ce que vous pouvez vous dire aujourd'hui "moi je suis en charge des relations européennes dans le gouvernement français qui présidera l'Union européenne. Voilà une mesure, un changement, une orientation qui n'existe pas vraiment aujourd'hui et dont je vais faire qu'il existe demain" ?
R - Si nous arrivons à faire en sorte qu'en 2008, sur le plan de l'environnement, de la lutte contre le réchauffement climatique, l'Europe ait approuvé un plan d'action qui soit tout à fait efficace, c'est que nous aurons réussi notre présidence. Ensuite, si le 1er janvier 2009, le nouveau traité est mis en oeuvre, que le Président du Conseil européen, le Haut représentant aux Affaires étrangères sont nommés, nous aurons réussi notre présidence.
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Q - Vous êtes en charge, vous l'avez dit tout à l'heure, de porter une nouvelle politique de l'immigration à l'échelle européenne, c'est l'un des dossiers prioritaires. Vous êtes opposé, sur le fond apparemment à la politique de Brice Hortefeux qui est quand même celle de Nicolas Sarkozy depuis cinq ans. Quelle est la cohérence que vous pourrez promouvoir à l'échelle européenne ? En plus, c'est un sujet qui divise les Etats membres.
R - Qui divise moins qu'on le croit. Vous avez plus de divisions au sein des Etats, c'est un constat au niveau européen. Ce que je peux faire valoir, c'est que ce débat, compte tenu des tendances démographiques lourdes en Europe et dans le reste du monde, est un problème qui est devant nous.
Q - Est-ce qu'il faut d'abord convaincre le président de la République et votre collègue Brice Hortefeux ou les institutions européennes ?
R - C'est plus compliqué que cela. Il y a beaucoup plus de points d'accords entre ce qui est fait par le président de la République et ce qui est fait au niveau européen. Lorsque vous parlez de l'harmonisation du droit d'asile, lorsque vous parlez de l'harmonisation des conditions de délivrance des visas, lorsqu'il y a des échanges d'informations sur les régularisations de "sans papiers", lorsque vous renforcez les contrôles aux frontières en matière de travail illégal, ce ne sont plus, aujourd'hui, pour être clair avec vous, des problèmes de gauche ou de droite au niveau européen. Ce qui m'a frappé depuis ma prise de fonction, c'est que ces sujets qui restent des sujets de "valeurs", sont très idéologiques dans notre pays et moins dans les autres, dès lors que vous avez une approche équilibrée, mêlant intégration et immigration, d'une manière moins passionnée et avec un consensus plus fort entre sociaux-démocrates et conservateurs ou libéraux.
Q - 5 ans que le centre de la Croix Rouge à Sangatte a été fermé, il y a toujours des centaines de candidats à l'exil qui cherchent à traverser la Manche et errent dans la ville. Il n'y a plus que les associations qui leur viennent en aide. Comment réagissez-vous face à cette politique qui est une des premières décisions de Nicolas Sarkozy lorsqu'il a été nommé ministre de l'Intérieur ?
R - Ce n'est pas Nicolas Sarkozy que je mettrais au premier rang des responsables de cette situation. C'est une situation qui perdurait bien avant, il s'en est occupé, il l'a prise en charge lorsqu'il était ministre de l'intérieur et il a essayé de la régler de la manière la plus humaine possible. Donc s'il y a quelqu'un qui a essayé d'agir sur Sangatte c'est bien Nicolas Sarkozy.
Deuxièmement, Calais et Sangatte sont la preuve que le "plus d'Europe" est nécessaire et qu'il faut convaincre les Britanniques d'être davantage partie prenante dans l'ensemble du mécanisme de Schengen et des échanges d'informations, ce que l'on appelle le partage des responsabilités sur l'accueil des clandestins au niveau européen. Et là je dirais, si vous voulez que je sois clair avec vous, que la responsabilité des Britanniques me paraît beaucoup plus engagée.
Q - Quelles valeurs l'Europe veut-elle incarner ? Quel projet historique est le sien ? Quels espoirs peut-on donner à nos jeunes ? Puisque nous parlions tout à l'heure du pessimisme des jeunes Français et de leur attente de l'Europe.
R - Il ne faut jamais oublier l'idéal. L'idéal, c'est la construction de la paix. Il faut toujours y être vigilant, je vous renvoie à la discussion que nous avons eue sur les Balkans. Nous sommes dans une période de gestion d'intérêts communs pour retrouver la confiance et le lien avec les citoyens, sur un certain nombre de projets concrets. Vous demandiez quelles sont les valeurs ? Je crois qu'il y a un modèle européen, qui est un modèle humaniste. L'histoire que nous pouvons raconter c'est justement faire en sorte que ce modèle reste vivant et influent sur le plan mondial, dans la défense des Droits de l'Homme et face aux atteintes à la démocratie. Je préfèrerais que ce soit l'Europe qui soit intervenue au Kenya plutôt que la secrétaire d'Etat américaine. Nous avons encore des progrès à faire en termes d'influence européenne au niveau international. C'est le premier point.
Deuxièmement, à l'égard des jeunes, il y a une chose que j'aimerais beaucoup faire c'est élargir le projet Erasmus et faire en sorte que chaque jeune européen, quelle que soit sa qualification, son origine sociale, son parcours scolaire, universitaire ait la possibilité de passer six mois d'apprentissage, de stage, de formation universitaire ou de service civil dans une association européenne dans un autre pays européen.
Q - Pourquoi est-ce si compliqué aujourd'hui de développer Erasmus ?
R - D'une part cela reste un projet élitiste. C'est à dire que c'est essentiellement un projet universitaire. Très bien, je suis content, nous avons des enfants qui en bénéficient. Mais ce n'est pas un projet démocratique. D'autre part, c'est plus coûteux que complexe. Il faut que nous trouvions de véritables marges de manoeuvres budgétaires pour pouvoir l'élargir. Ce qui me semble important c'est de forger, ainsi, une nouvelle génération européenne. Ce sera à cette génération de nous redonner le sens de l'idéal européen.
(...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 janvier 2008