Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à RMC le 16 janvier 2008, sur le pouvoir d'achat, les contrats de travail et la flexibilité.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

 
 
 
 
 
J.-J. Bourdin .- Regardons l'actualité, très vite. D'abord, la cote de popularité de N. Sarkozy qui est en baisse, vous êtes surpris ?
 
R.- Pas vraiment, pas vraiment. Les paroles qu'il a prononcées à sa conférence de presse - "l'Etat ne peut pas tout", "je ne peux pas tout" en quelque sorte - sont directement inverses de ce qu'il a dit dans la campagne électorale : "Avec moi, tout est possible". Donc il y a inévitablement une déception.
 
Q.- Il y a une déception et un doute ?
 
R.- Généralement, lorsqu'il y a une déception, c'est lié à doute.
 
Q.- Cela veut dire qu'il est trop en avant, qu'il s'implique trop ?
 
R.- Il a dit dans la campagne électorale qu'il était dangereux de la part des responsables politiques, de droite comme de gauche, de promettre des choses qu'on ne peut pas tenir, parce que cela amenait des déceptions. Et on en est là. C'est-à-dire, que le "Président du pouvoir d'achat" nous dit aujourd'hui que ce n'est pas lui qui négocie dans les entreprises. On le savait, nous, syndicalistes. Mais en même temps, on ne peut pas empêcher une partie des salariés de penser qu'on allait trouver des solutions miracles. Or les solutions miracles n'existent pas, ce qui amène des déceptions et des doutes.
 
Q.- Parlons du pouvoir d'achat, précisément, avant de décortiquer ce fameux nouveau contrat de travail, cette négociation entre le patronat et les syndicats : est-ce que vous allez prendre- vous aviez parlé en novembre d'initiatives - est-ce que vous allez prendre de nouvelles initiatives ?
 
R.- On va en parler avec les autres syndicats, mais ce n'est pas évident. Notre objectif, c'est amener des initiatives qui amènent des résultats. Et on sait très bien que les résultats pour les négociations c'est dans les entreprises, dans les branches professionnelles. Donc, la réflexion que l'on doit se poser c'est comment fait-on des actions. On en a vues beaucoup avant les fêtes, en particulier, dans les grandes surfaces, dans les centres de logistiques, on a eu beaucoup d'actions qui ont amené, certaines, des résultats. Donc, c'est : comment on peut amener des actions, différenciées selon les secteurs, pour amener des vrais résultats à la négociation.
 
Q.- Vous aviez demandé, par exemple, un moratoire sur l'augmentation des loyers ?
 
R.- Alors, on eu un premier pas, une mesure concrète et positive. C'est-à-dire que, le Gouvernement a dit : les loyers n'augmenteront pas plus vite que les prix, c'est déjà une bonne chose puisqu'ils augmentaient, et souvent, le double. Donc, nous nous aimerions maintenant que le Gouvernement réfléchisse à la situation des loyers, surtout en centre-ville, parce qu'en centre-ville, là où habitent les étudiants, ce qui est une double charge souvent pour les parents, on a un vrai problème sur les petits logements. Donc, cela, ce sont des mesures concrètes qu'on peut essayer d'amener.
 
Q.- Il y a aussi la mise en place du chèque transport aussi ?
 
R.- Le chèque transport, c'est quelque chose qui est bloqué. Il existe. C'est-à-dire que tout est fait pour qu'il fonctionne. C'est-à-dire que légalement il est créé, maintenant il faut le mettre en route pour qu'il se négocie dans les entreprises.
 
Q.- Vous réfléchissez à des actions concernant le pouvoir d'achat, début février. Quelles peuvent être ces actions ?
 
R.- Mais c'est cela qu'il faut voir, il faut que je voie ça avec les équipes syndicales et les autres organisations syndicales. Est-ce que ça doit être...
 
Q.- Vous vous rencontrez pour cela ?
 
R.- On est en contact actuellement, on a décidé de le faire, on souhaitait laisser passer cette négociation sur le contrat de travail...
 
Q.- Maintenant qu'elle est terminée ?
 
R.- Maintenant qu'elle est terminée, on va regarder ces éléments. On a une action dans la fonction publique, le 24. Nous, on ne veut pas, à la CFDT, mélanger...
 
Q.- Vous vous associez ?
 
R.-...on y va, oui, on y va parce que...
 
Q.- Vous y allez ? "Action", cela veut dire grève dans la fonction publique le 24 ?
 
R.- Oui, c'est une grève, une manifestation. L'essentiel, c'est de donner de la visibilité. Donc, la réflexion c'est : comment peut-on faire ce type d'action aussi dans le privé.
 
Q.- Dans le privé ? Il pourrait y avoir une action concertée de tous les syndicats pour le pouvoir d'achat dans le privé ?
 
R.- On essaye d'y arriver.
 
Q.- Vous essayez d'arriver, avoir une journée commune pour essayer de...
 
R.- Moi je ne peux pas vous dire si ce sera une journée commune pour tous les salariés du privé ou si ce sera des journées tournantes, selon les secteurs professionnels. Il faut voir cela avec les autres syndicats.
 
Q.- Cela fait 40 ans qu'il n'y a pas eu de journée d'action commune pour les salariés du privé ?
 
R.- La dernière, me semble-t-il, c'était en octobre 2005.
 
Q.- C'est en octobre 2005. Regardons la modernisation...
 
R.- Excusez-moi, en octobre 2005, à l'époque, la CFDT avait demandé, on était les premiers, qu'on ait un débat sur les allégements de charges et les contreparties pour les entreprises. Et cela, c'est un débat qui est actuellement sur la table avec le Gouvernement.
 
Q.- Oui, oui, je sais que vous êtes partisan d'un système de conditionnement des allégements de charges et des augmentations de salaires.
 
R.- Un exemple très simple pour les bas salaires : les allégements de charges c'est sur les salaires réels. Le sujet sur lequel nous on est en train de discuter c'est, par exemple, s'il y a des branches professionnelles. Le minimum de branches c'est en dessous du Smic. Eh bien, que l'on donne les allégements de charges qu'au niveau du minimum de branches, c'est-à-dire sur une partie plus basse. Ce qui veut dire que les entreprises seraient sanctionnées, celles qui ne font pas de négociations et qui n'amènent pas les minima de branches au dessus du Smic. C'est un élément important.
 
Q.- Il faut absolument augmenter les salaires, d'une manière ou d'une autre, c'est le fond du problème ?
 
R.- Oui, en particulier les bas salaires, puisqu'on a beaucoup, on a 24 milliards d'aides aux entreprises. Donc, enfin, quatre ans après, vous voyez...
 
Q.- [...] dans une semaine 24 milliards d'aide à des augmentations de salaires ?
 
R.- Peut-être pas tous les 24 milliards, mais en tout cas une bonne partie.
 
Q.- Une bonne partie. La modernisation du marché du travail, regardons ce qu'il y a dans cet accord. D'abord, je voudrais souligner, et vous allez peut-être être d'accord avec moi, vous savez qu'ici on aime bien faire bouger, faire avancer les choses, je trouve formidable, je vous le dis, que les syndicats et le patronat aient pu trouver un terrain d'entente, un accord. C'est nouveau en France, ce dialogue social efficace ?
 
R.- Oui, c'est nouveau, et surtout c'est tout le processus qui nous a amenés à cette négociation et à cet accord qui est nouveau. On a commencés avant les élections présidentielles, on l'oublie toujours. C'est-à-dire que, début 2007, on a décidé de faire un diagnostic, une mise à plat des problèmes. On a regardé ce qui s'est passé pour être prêts à négocier après les élections présidentielles, quel que soit d'ailleurs le président ou la présidente de la République. Et une fois qu'on s'est mis à négocier, on a eu plus de facilité d'essayer de trouver des solutions. Donc, effectivement, il y a un nouveau processus, mais en même temps, la loi, depuis début 2007, nous donne la responsabilité de le faire. C'est-à-dire que le Gouvernement ne peut plus changer le Code du travail sans nous proposer de négocier. Donc, il était important aussi que l'on montre qu'on était capables.
 
Q.- [...] Regardons un peu, le texte prévoit une séparation "à l'amiable" entre l'employeur et le salarié. Qu'est ce que cela change ?
 
R.- Je n'aime pas ce terme "séparation à l'amiable", qui à mon avis n'existe pas, la "séparation à l'amiable". Qu'est-ce qui se passait, ou qu'est-ce qui se passe et qu'est-ce qu'on veut qu'il se passe maintenant ? Tous les jours, il y a 10.000 personnes qui quittent leur emploi, c'est énorme !
 
Q.- Oui, c'est énorme !
 
R.-...Dont, à peu près 8.000 sur des licenciements individuels. Et il y a un maquis, un maquis. C'est-à-dire, à certains endroits, on fait pression pour avoir une démission ; dans d'autres endroits, on essaye de faire pression pour que le salarié accepte des conditions qui ne sont pas bien fixées, de conditions de licenciement ; d'autres endroits, le salarié est en position de force et il peut imposer un peu plus sa loi ; d'autres endroits, on cherche une faute professionnelle. Donc, on voit bien que les salariés...
 
Q.- Et dans d'autres entreprises, on se retrouve devant les prud'hommes ?
 
R.- Voilà, et c'était 20 % des cas... Donc, on voyait bien qu'on n'avait pas quelque chose de bien structuré.
 
Q.- Alors, maintenant, que va-t-il se passer ?
 
R.- Maintenant, on a une procédure : lorsqu'il doit y avoir une rupture, ce que moi j'appellerais "licenciement" - alors "rupture" pour ne pas choquer le patronat - le salarié et le patron se retrouveront ; le salarié pourra être accompagné par un délégué du personnel, et on a décidé de droits qui n'existaient pas. Alors, doublement de l'indemnité de licenciement, donc, cela, c'est un élément...
 
Q.- Les indemnités de licenciement sont doublées ?
 
R.-...ils sont doublées ; le salarié part avec une partie de ses droits, c'est-à-dire, quand il a le droit à la formation qu'il a accumulé, il le garde pour pouvoir se former quand il sera au chômage ; il va garder sa mutuelle. Tous les licenciements seront motivés. C'est-à-dire, c'est la fin du CNE, donc c'est la fin de ce contrat précaire de deux ans qui va être supprimé. Et là, il va y avoir un texte, qui va être le texte de rupture, qui va être signé par le patron et le salarié, et qui va être validé par la Direction du travail, qui va valider la procédure, c'est important, puisque le salarié ne sera plus tout seul.
 
Q.- Le salarié pourra-t-il quand même aller devant les prud'hommes ? En ultime recours ?
 
R.- En droit français, tout le monde est...
 
Q.- Et quel est l'avantage pour le patron, pour le chef d'entreprise ?
 
R.- Pour le patron, c'est comme pour le salarié, les choses sont plus claires. C'est-à-dire qu'à partir du moment où la démarche est plus claire et plus formalisée, il y a moins de risques de recours aux prud'hommes. Donc, aujourd'hui, les patrons nous disent : on n'embauche pas...
 
Q.- C'est un divorce à l'amiable, quoi ?
 
R.- Je n'aime pas, si c'est là un divorce, puisque, même dans les divorces, ce n'est pas souvent "à l'amiable".
 
Q.- Par consentement mutuel.
 
R.- Parce que vous savez, ce que l'on appelle "divorce à l'amiable", cela se fait devant le juge.
 
Q.- Oui, c'est vrai.
 
R.- Alors, c'est assez étonnant que l'on prenne une mesure judiciaire pour dire, c'est... Donc, c'est une rupture dans laquelle le salarié est accompagné, où le directeur du travail va valider les conditions de la rupture. Donc, l'objectif est qu'il y ait moins de recours aux prud'hommes.
 
Q.- Et cela va rendre le licenciement plus difficile ou plus facile ?
 
R.- Ça fera baisser les recours aux prud'hommes. Ce qui ne veut pas dire que le licenciement sera plus difficile ou plus facile, il y aura moins de recours aux prud'hommes. Donc, l'employeur...
 
Q.- Parce que le patronat demandait plus de flexibilité. Cela donne-t-il plus de flexibilité au patronat ?
 
R.- A partir du moment où il y aura moins de démarches juridiques, c'est plus souple. C'est-à-dire qu'il y a moins de risques judiciaires.
 
Q.- Je suis chef d'entreprise, je veux me séparer d'un salarié, je convoque ce salarié, j'en discute avec lui, et j'essaye de lui vendre cette séparation ?
 
R.- Oui, mais si le salarié ne veut pas partir ? La procédure de licenciement telle qu'elle existait avant est maintenue. C'est-à-dire que cela n'empêchera pas les cas où il y a un conflit.
 
Q.- On lui donne un peu plus d'argent pour partir, quoi, si j'ai bien compris ? C'est cela l'idée ?
 
R.- Oui mais, le principe qui se passait c'est que, souvent il y avait des recours juridiques, c'est cela qui est discuté. Ni le salarié, ni le patron n'a à gagner des démarches juridiques qui se rallongent, qui sont interminables, et qui coûtent très cher à tout le monde. Donc, le principe étant beaucoup plus clair, les employeurs n'auront plus le prétexte de nous dire : je fais de la précarité parce que j'ai peur d'embaucher à durée indéterminée, parce qu'il y a un risque d'aller aux prud'hommes si jamais il y a un licenciement. Cela, normalement, ça devrait être levé, donc cela voudrait dire qu'on n'irait plus vers des contrats à durée indéterminée. [...]
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16 janvier 2008