Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec RTL le 4 janvier 2008, sur l'assassinat de Benazir Bhutto au Pakistan et la proposition française d'enquête internationale sur ce meurtre, la crise politique au Kenya et la suppression du rallye Le Dakar en Mauritanie.

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C. Hondelatte.- Bonjour, monsieur le ministre des Affaires étrangères. C'est bien que vous soyez là, parce qu'on a beaucoup de questions à vous poser, ce matin, donc, questions courtes, réponses courtes. Vous rentrez d'abord du Pakistan. Vous êtes le premier Européen à avoir rencontré le Président Musharraf depuis l'assassinat de Benazir Bhutto. On nous dit que vous étiez envoyé là-bas par les 27 Européens. C'est une auto-désignation, ou bien les Tchèques et les Maltais étaient vraiment au courant, que vous étiez là-bas pour eux aussi ?
R.- Ni les Tchèques ni les Maltais, mais la présidence européenne qui est slovène depuis trois jours et qui, le jour de mon départ, prenait son élan puisque c'était le premier jour et la présidence portugaise qui achevait son mandat le même jour. Oui, sinon je n'aurai pas parlé au nom de l'Union européenne. J'ai parlé au nom de l'Union européenne dûment licencié, patenté, désigné, accepté. D'ailleurs c'est très bien.

Q.- Et en même temps, le président Sarkozy a dit à votre retour : "Vous avez donné l'image d'une diplomatie français très pro active.
R.- Ecoutez, on ne peut pas vous dissimuler que je suis français et que vous sommes très actifs. Fallait-il laisser passer l'assassinat de cette femme magnifique, de cette femme courageuse, de cette combattante non seulement des Droits de l'Homme, mais de la démocratie, sans réagir. J'ai tenu à ce qu'il y ait une gerbe au nom du Président de la République et du peuple français, sur l'endroit même où elle a été assassinée. Et je n'ai pas pu aller plus loin dans sa famille parce que les troubles à l'intérieur du pays l'empêchaient. Mais je le ferais. Vous savez, son parti s'appelle le PPP, le Pakistan People's Party. Et j'ai parlé aux dirigeants, au président, au vice-président. Ils sont déterminés à mener campagne. Et pendant que j'étais là-bas, avec le président Musharraf, à qui je demandais s'il allait reporter les élections qui étaient prévues pour le 8 janvier, et bien le président a accepté ma proposition d'experts internationaux, ce qui a réjoui d'ailleurs les Britanniques - qui n'étaient pas là, mais qui envoient des experts de Scotland Yard - il faut savoir qui a tué Benazir Bhutto.

Q.- Vous auriez préféré une mission de l'ONU ?
R.- Oui, j'aurais préféré, mais ce n'est pas possible. Au moins, ce serait très difficile. Pour que la mission de l'ONU se déroule ou même qu'elle soit envisagée, il faut au moins deux pays affrontés. Si c'est une affaire intérieure - on peut juger ridicule toutes ces définitions mais elles existent -, alors on ne peut pas s'adresser au Conseil de sécurité. Mais ce que nous ferons, je l'espère - et je pars pour la Slovénie demain, pour voir le président slovène, mon ami D. Roupel -, c'est qu'il y ait une mission de l'Union européenne qui accompagne cette enquête. Ce n'est pas possible de la laisser faire sans contrôle, sans accompagnement.

Q.- Le président Sarkozy vous a félicité en Conseil des ministres d'avoir sacrifié votre réveillon de la Saint Sylvestre pour rendre cet hommage à B. Bhutto. Vous êtes un peu le chouchou, en ce moment, monsieur Kouchner. Vous allez avoir une bonne note peut être puisqu'il est question de noter, d'évaluer les ministres. C'est une bonne idée de noter les ministres ?
R.- Vous avez deux questions à la fois, mon cher...

Q.- Vous allez avoir une bonne note, sans doute ?
R.- C'est très gentil de sa part, mais j'étais, nous étions, la France et l'Union européenne, les premiers. Les Américains et les Anglais qui sont responsables beaucoup plus que nous de ce qui se passe dans cette région - je vous rappelle que le Pakistan c'est à côté de l'Afghanistan, que les rapports entre les uns et les autres traversent une zone tribale où les talibans se situent.

Q.- Et c'est une ancienne colonie anglaise...
R.- Non seulement ça, mais nous avons nos soldats en Afghanistan...

Q.- Mais revenons à ma question sur les notes...
R.- Très bien, mais permettez moi de la trouver juste un tout petit moins intéressante que ce qui va dérouler à partir du Pakistan en fait d'extrémisme et d'attaques suicides, etc. Mais je vous réponds : très bien, on va me noter. Je serai très heureux qu'on me note enfin. On verra que je travaille beaucoup. Les critères sont assez surprenants, j'allais vous le dire.

Q.- On est surpris de ce qui se passe au Kenya, en ce moment. Dans l'idée de tous , le Kenya était un des pays les plus stables de l'Afrique de l'Est, et voilà que ce pays plonge dans des affrontements ethniques, ce qui surprend tout le monde ?
R.- Bien, c'est surprenant et en même temps si on sait, encore une fois d'après les observateurs européens, et si on les écoute - et je les écoute - si on croit que des élections ont été entièrement truquées, qu'un moment donné le président sortant...

Q.- Vous le croyez ?
R.- Bien, je crois les monitors européens, il y avait un million de voix de différence. A la fin, il a gagné. C'est un tout petit peu compliqué. Le président, c'est monsieur Kibaki. Il est en effet d'une ethnie, les kikouyous, qui est une ethnie qui représente 15% à 20% ; et puis son adversaire, monsieur Odinga, il est d'une ethnie Luos, qui est à peu près semblable. Alors on dit : "C'est une guerre ethnique". Oui, sans doute en Afrique, c'est souvent ça. Mais c'est aussi une guerre pour la démocratie. Est-ce que les élections ont été truquées ou non ? Je le pense, beaucoup le pensent, les Américains le pensent, les Anglais le pensent, qui connaissent bien ce pays. Et c'est vrai que cette stabilité, pendant longtemps affichée, une stabilité triomphante au Kenya est bouleversée par les assassinats, vous avez vu les images, on ne peut pas laisser faire ça. Alors qu'est-ce qu'on fait ? Nous irons peut-être ; Monsieur Morin et Madame Rama Yade avaient ; je crois, un programme - vers le 15 ou 20 - dans la région. Iront-ils avant, là-bas ? Peut-on faire quelque chose ? Vous savez que l'Union africaine a été diligentée par nos amis américains et britanniques, et le président Cufuor n'est pas encore rentré et le président actuel, monsieur Kibaki, lui interdit l'entrée. C'est difficile...

Q.- Un petit peu de politique française, quand même, monsieur Kouchner, parce que pendant que vous étiez à l'étranger, votre ami socialiste A. Montebourg vous a écrit dans Le Nouvel observateur, une lettre qui s'appelle : "Lettre à un ami perdu dans Disneyland". Il dit que la politique étrangère de Sarkozy est l'exact contraire de vos valeurs et qu'après ce passage au gouvernement, vous allez vous retrouver sur le carreau, en loques et seul au monde. Et il vous demande de démissionner.
R.- C'est gentil de sa part. Ecoutez, j'étais au Pakistan, vous l'avez dit, je suis rentré à peine hier et je n'ai pas lu ce texte, et d'ailleurs...

Q.- Je peux vous donner une copie...
R.- Non, non s'il vous plait. Non, c'est pas la peine. Je n'aime pas ce genre de politique, et d'ailleurs je me suis souvent demandé qu'a donc ce garçon, qu'a-t-il fait pour être aussi arrogant ? Et donner des leçons à tout le monde ?

Q.- Il est votre ami, il vous tutoie dans la lettre, il dit qu'il est votre ami...
R.- C'est très sympa, c'est très gentil de sa part, on se tutoie, oui, mais franchement, d'où parle t-il ? Qu'a-t-il fait de si magnifique dans le domaine de la politique extérieure et des Droits de l'Homme pour m'apostropher de telle manière ? Je ne l'ai pas lue, je n'y répondrais pas.

Q.- Vous ne vous retrouverez pas en caleçon à fleurs lorsque...
R.- Je vous le signalerais aussitôt si par hasard ça m'arrive. Je vous assure... Vous savez monsieur Obama, qui vient de gagner ; il a parlé de conversation démocratique, il a parlé de nécessaire empathie dans le débat. J'aimerais bien que ce soit le cas en France On n'est pas forcé de s'insulter, surtout pour des raisons politiciennes, on n'est pas forcé ni à l'outrance, ni à la cruauté, ni à l'inexactitude.

Q.- Un mot sur le Dakar,il nous reste une minute. Faut-il que la course ait lieu et traverse la Mauritanie ? Quelles sont les infos que vous avez en votre possession, les dernières ?
R.- Des infos, vous savez, ce qui s'est passé, quatre morts, un cinquième français blessé dans une région très incertaine, traversée par les réseaux d'Al Qaeda Maghreb, nous avons jugé qu'il était nécessaire de prévenir les ressortissants Français et également les participants du Dakar. C'est à eux de décider, bien entendu, et nous ne voulons pas stigmatiser la Mauritanie.

Q.- S'ils partent, ils seront irresponsables ?
R.- Ce n'est pas le problème. Je voudrais qu'il ne leur arrive rien. Nous les prévenons, c'est notre travail.

Q.- Ça, c'est le côté parapluie, mais il faut aller plus loin...
R.- C'est le côté sincérité et courage, s'il vous plaît. On prend ses risques. D'accord ils prennent leurs risques. Moi, je les préviens parce que je suis ministre des Affaires étrangères.

Q.- Ils risquent gros ?
R.- J'espère qu'il n'arrivera rien, j'espère qu'ils comprendront, c'est leur affaire. C'est une entreprise privée. Elle part de Lisbonne, et elle va à Dakar. Simplement, nous, en Mauritanie nous avons eu cet incident mortel, cette famille décimée et nous voulons prévenir parce qu'il y a d'autres incidents d'après nos services, et nous voulons en faire profiter les gens qui risquent beaucoup. Mais le risque fait partie de la vie, ce n'est pas à moi de le dire. Nous les prévenons : c'est dangereux.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 janvier 2008