Texte intégral
C. Roux, B. Toussaint et L. Mercadet C. Roux : E. Besson, secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'Evaluation des Politiques publiques. Hier soir, il était au côté de T. Blair pour le compte de son club, « Les Progressistes ». Les arrière-pensées : réunir la droite de la gauche, la gauche de la droite, les ministres socialistes et J.-L. Borloo. Pas sûr que cela plaise à l'UMP. En attendant, il se découvre beaucoup d'amis au Gouvernement depuis qu'il est chargé de noter les ministres. Noter, évaluer, une obsession. Ce matin, F. Fillon réunit tous les ministres pour évaluer J. Attali. Bonjour. B. Toussaint : Bonjour E. Besson.
R.- Bonjour. Je ne note pas les ministres, que ce soit clair d'entrée si jamais on n'avait pas le temps de le dire... Je fais de l'évaluation des politiques publiques, c'est-à-dire du contenu des tâches des ministres, le seul juge ensuite c'est le président de la République.
C. Roux : Eux, ils le vivent comme ça...
R.- Non, non, ils ne le vivent pas comme ça, ils le savent.
B. Toussaint : On va rester dans le même sujet, je suis désolé...
R.- Bonjour.
B. Toussaint : Bonjour. Non mais... Alors la réunion ce matin avec F. Fillon et tous les ministres, qu'on sait importante, consacrée effectivement au rapport Attali. Est-ce que vous allez mettre une note au rapport Attali ?
R.- Non, absolument pas. Il est bien normal... le rapport Attali c'est 316 propositions, ça ne peut pas être à prendre ou à laisser, donc il est bien normal qu'à un moment...
C. Roux : C'est ce qu'il a dit.
R.- C'est ce qu'il a dit, je crois d'ailleurs qu'il a reconnu que ce n'est pas dans ce qu'il avait fait ce qui était probablement le plus adroit même pour sa commission. Donc, le Premier ministre avec ses ministres va dire : « voilà, dans ce qui est proposé par J. Attali, voilà ce que je crois qu'on peut mettre en oeuvre, voilà ce qui mérite d'être examiné, évalué et voilà ce qui probablement ne sera pas retenu ».
B. Toussaint : C'est quoi la différence entre évaluer et mettre une note ?
R.- Evaluer et mettre une note : mettre une note c'est un peu scolaire, évaluer c'est dire « voilà ce qu'étaient les engagements du président de la République », c'est très concret. C. Lagarde, le président de la République et le Premier ministre lui avaient demandé de réaliser la fusion ANPE-UNEDIC, c'est quasiment fait. X. Bertrand, le président de la République lui avait demandé de mettre en oeuvre le service minimum, c'est quasiment fait. C'est-à-dire que c'est regarder où on en est par rapport aux engagements qui ont été pris, éventuellement vérifier où sont les difficultés. Vous, vous avez, j'imagine, des entretiens d'évaluation au sein de votre entreprise, en tout cas vous c'est une entreprise atypique, mais dans toutes les grandes entreprises, il y a des entretiens d'évaluation. Et puis les fonctionnaires de la Fonction publique...
B. Toussaint : Mais nous, on a des notes.
R.- Vous avez aussi des notes.
C. Roux : La question qu'on se pose, quand on voit tout ce qui s'est passé autour du rapport Attali, il s'est mis à dos les chauffeurs de taxi qu'on a vu manifester, les parlementaires UMP qui sont quand même très remontés. Est-ce que ce n'est pas devenu un boulet le rapport Attali ?
R.- Je ne crois pas, c'est un rapport tonique, c'est d'ailleurs pour ça que le président de la République prend des personnalités extérieures pour le faire, donc qui peuvent assumer le risque que vous venez de dire. Qu'est-ce que c'est le message de la commission Attali ? C'est de dire : « il faut s'adapter à la mondialisation, si on veut libérer la croissance il faut bouger ». Et en même temps, il y a un point qui n'a pas été mis en exergue ; le rapport Attali dit clairement « si on veut bouger, s'adapter, il faut s'occuper des plus fragiles, de ceux qui sont le moins flexibles, ceux qui sont le moins adaptables ». On n'a pas souligné cet aspect-là, l'aspect libéral a bien été souligné, cet autre aspect ne l'a pas été.
C. Roux : Est-ce que vous pouvez me citer une idée neuve dans le rapport Attali ?
R.- Il y en a beaucoup, mais ce n'est pas mécaniquement totalement novateur, mais c'est de dire « il y a des freins à la croissance en France, il y a des corporatismes, il y a des blocages et il les recense systématiquement ». Ce n'est pas mécaniquement neuf, certains ont dit à juste titre « la commission Rueff-Armant l'avait dit », certes...
L. Mercadet : 1960.
R.- Mais la France n'avait pas vraiment bougé de ce point de vue-là, c'est vrai.
C. Roux : Alors il y a deux obsessions, ça tombe bien parce que vous êtes secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'Evaluation :l'évaluation, on a vu, c'est une obsession, la prospective aussi c'est une obsession. P. Moscovici hier dénonçait « la République des experts ». Alors vous, vous allez remettre un rapport à F. Fillon, il sera rendu public le 9 février, ce rapport va déboucher sur un travail qui va durer 6 mois avec 8 groupes d'experts, on va aussi vous demander si ça va déboucher sur une expertise...
R.- Ne le dites pas sur ce ton, même si c'est de bonne guerre...
L. Mercadet : On va expertiser les experts. C. Roux : Mais parce qu'on se demande s'il y a eu un programme présidentiel et si ce n'était pas plus simple d'appliquer ce programme.
R.- D'abord moi, je ne suis pas un expert, je suis un politique, je suis engagé dans un gouvernement et une majorité présidentielle. Deuxièmement, on ne peut pas se plaindre de ne pas avoir depuis des années de planning stratégique, de plan, de prospective comme le font tous les grands pays. Regardez le Royaume-Uni, le Danemark, la Finlande, les pays qui fonctionnent bien, c'est-à-dire qui sont à la fois économiquement forts et sur le plan des protections sociales extrêmement solidaires. Quelle est leur caractéristique ? Ils anticipent et ils évaluent. Et donc, la France est en train d'être gagnée par la culture de l'anticipation, la prospective, la stratégie et de l'évaluation. Et « France 2025 » c'est simplement se dire : qu'est-ce que sera la France dans 20 ans, et nous allons effectivement passer 6 mois avec des syndicalistes, des chefs d'entreprise, des experts comme vous l'avez dit, pour dire « voilà, quelles sont les options possibles ».
B. Toussaint : Mais vous savez l'impression que ça peut donner ? C'est que le Gouvernement gagne du temps...
R.- Je ne crois pas.
B. Toussaint : Ça peut donner cette impression.
R.- Gagner du temps par rapport aux réformes actuelles ?
B. Toussaint : Absolument.
R.- Ecoutez, jamais depuis quasiment 58, la France n'a été engagée dans un mouvement de réformes aussi profond, c'est parfois même ce qui est reproché à N. Sarkozy et à F. Fillon, qui est de dire : « vous ouvrez toutes les réformes en même temps ». Et le président de la République et le Premier ministre disent : « oui, nous assumons toutes les réformes en même temps ».
C. Roux : Est-ce que vous... il y a sans doute des gens qui vous regardent ce matin et qui se disent : « on ne sait pas où va la politique économique du Gouvernement », ils l'ont exprimé dans des sondages. Est-ce que vous diriez que l'action entreprise et menée par le Gouvernement manque de lisibilité ?
R.- Non, elle...
C. Roux : Alors c'est les Français qui ne comprennent rien ?
R.- Non, ce n'est pas ça. Ils sont, comme l'a dit le président de la République le 31 décembre, ils sont impatients. Le président de la République leur a dit en campagne, quand il était candidat : la France a besoin de réformes structurelles, nous, nous ne sommes pas adaptés à la mondialisation et on peut le faire sans casser nos protections sociales, pour cela il faut un certain nombre de réformes structurelles. Regardez ce que les partenaires sociaux ont négocié, ce nouveau contrat de travail. Tout le monde a dit et moi je le dis aussi, c'est un premier pas vers la flex-sécurité, tous les pays qui réussissent ont donné à la fois de la souplesse aux entreprises et plus de sécurité pour les salariés. Mais ça, ça n'a pas des retombées le lendemain matin. Donc il est bien normal puisqu'on a fait tous le diagnostic, le Parti socialiste aussi l'avait fait, que la France était en retard sur le plan de la compétitivité, de l'innovation, de la recherche, de l'université, ce n'est pas un coup de baguette magique.
C. Roux : Alors on va essayer de mettre un peu de clarté parce que par exemple sur la TVA sociale, on a le sentiment que vous avez été un peu contredit par le porte-parole du Gouvernement, L. Wauquiez, qui a dit que la TVA sociale n'était pas à l'ordre du jour quand vous, vous aviez dit qu'elle n'est pas enterrée. Donc voilà, qu'est-ce qui va se passer sur la TVA sociale, éclairez-nous parce que...
R.- Je n'ai pas été contredit, c'est extrêmement simple. La TVA sociale ou l'augmentation de la TVA pour financer la protection sociale n'est pas à l'ordre du jour, c'est dit, répété depuis...
C. Roux : C'est quand l'ordre du jour ?
R.- Justement. Par ailleurs, ensuite le président de la République dit "en 2008, nous allons lancer une grande réflexion sur l'ensemble des prélèvements obligatoires", c'est-à-dire l'ensemble des impôts, des taxes et des cotisations pour les années qui viennent, pour voir ce que la France doit faire pour être à la fois compétitive et financer sa protection sociale. Lorsqu'il y aura cet examen, bien évidemment la TVA sera sur la table, comme tous les autres impôts, taxes et cotisations. Le problème, c'est qu'on n'arrive pas à la fois à dire cela sans dire instantanément « ah ! Vous voyez, la TVA ressort ». Non, la TVA...
C. Roux : Ça, c'est les socialistes qui font ça, c'est L. Fabius.
R.- C'est de bonne guerre parce que c'est une façon de relancer une polémique qui n'a pas lieu d'être. Mais on ne va pas s'interdire quand même de s'interroger sur l'évolution de l'assiette des cotisations sociales. Le Parti socialiste lui-même avait fait... souvenez-vous en campagne, quand F. Hollande disait : « pour les retraites, il nous faut une CSG retraite ». Il ne réfléchissait pas à l'assiette ? Quand H. Emmanuelli disait : « il faut la cotisation sociale sur la valeur ajoutée des entreprises », c'était bien une assiette non ?
C. Roux : Juste très vite, très vite parce qu'il faut qu'on parle des "Progressistes"...
R.- Ah oui ! Alors allons-y tout de suite...
C. Roux : Non, il y a encore une question qui...
R.- Pardon !
C. Roux : Vous avez dit hier à Libé : « il faut réfléchir à des impôts plus justes et plus indolores ». Juste une idée à vous des "Progressistes" puisque c'était dans le cadre de vos fonctions...
R.- Alors moi...
C. Roux : ...C'est quoi les impôts plus justes et plus indolores ?
R.- Je vous l'ai dit, je pense qu'à terme, dans 10 ans, dans 15 ans, je le dis clairement - qu'il n'y ait pas une dépêche qui dise que ça y est...
C. Roux : Oui, enfin dans 10 ans, dans 15 ans, vous ne serez peut-être plus là et nous non plus, donc...
R.- A 10 ans - oui, mais ça compte pour nos enfants et pour notre pays - le financement de la protection sociale, à mon avis, pèsera moins sur les cotisations sociales et plus sur la fiscalité.
C. Roux : Alors les "Progressistes" justement. Hier, il y avait un colloque à la Sorbonne en présence de T. Blair, et vous avez dit : "du centre-gauche au centre-droit, il y a différentes mouvances, structures, on peut discuter aussi avec le Parti radical ». Donc, on se dit « les arrière-pensées d'E. Besson, c'est de rassembler les ministres de gauche, le Parti radical de J.-L. Borloo et de faire un grand parti du centre, centre-droit, centre-gauche.
R.- Oui, j'ai passé 600 minutes à dire autre chose et 6 secondes à dire ça...
C. Roux : Parfois, les 6 secondes sont plus importantes que les 600 minutes.
R.- Si je peux dire un mot des 600 minutes, ce n'était vraiment pas...
C. Roux : Mais juste ça et puis on y viendra sur les 600 minutes.
R.- Oui, là-dessus moi je ne m'interdis rien, pourquoi pas discuter avec J.- L. Borloo, avec J.-M. Bockel et quelques autres. Mais hier, ce n'était pas du tout mon objet et ce n'est pas ma préoccupation aujourd'hui. J'ai voulu, je veux lancer un mouvement international de progressistes, de réformistes, c'est-à-dire des gens qui sont de centre-gauche qui, partout dans le monde, partagent un certain nombre de convictions, savent qu'ils inscrivent leur action dans l'économie de marché. Nous sommes dans l'économie de marché et dans la mondialisation, et nous ne renonçons à rien de nos préoccupations de justice sociale. Ça passe par des mesures pour réguler le capitalisme, ça passe par la redéfinition du rôle de l'Etat, ça passe par de nouveaux outils pour lutter contre les inégalités sociales. Toute la journée...
C. Roux : Est-ce que c'est très différent de ce que dit le PS ?
R.- C'est très différent de ce que dit une partie du PS, et ça n'est pas très différent de ce que dit la partie réformiste du PS. Mais si vous voulez me faire dire que j'ai gardé des convictions qui ont été partagées par le passé par M. Rocard, par D. Strauss-Kahn ou par quelques autres, la réponse est oui. Mais je sais et j'assume que je les exerce à l'intérieur d'un Gouvernement qui ne l'est pas.
C. Roux : Je ne vous ai même pas posé la question, vous avez vu.
R.- Oui, mais j'avais un tout petit peu anticipé, c'est ça aussi la prospective et la stratégie.
C. Roux : Ça sert à quelque chose. B. Toussaint : Vous allez avoir une note, vous, à la fin de votre interview. La question de Léon. L. Mercadet : Oui, avez-vous vu la couverture de Libération ce matin, on est dans « Quarante ans après... vive 68 », c'est clair qu'en France on va rentrer dans une commémoration ces prochains mois, une commémoration polémique de mai 68. Le chef de l'Etat a parlé de liquider l'héritage de mai 68. Question : que faut-il faire pour liquider ce terrible héritage ».
R.- Moi déjà, je suis saoulé par mai 68...
B. Toussaint : Ça ne va pas commencer...
En 68, j'avais 10 ans...
(Brouhaha)
R.- J'avais 10 ans, vous n'étiez pas né, et depuis c'est la génération 68 qui est au pouvoir et qui nous saoule avec ses 20 ans...
L. Mercadet : C'est N. Sarkozy qui en a parlé le premier, qui a dégainé le premier.
R.- Peut-être, peut-être, mais moi cette commémoration, elle m'indiffère. Sur le bilan, on le connaît à peu près : plus de liberté, de spontanéité, d'huile dans les rouages, etc., etc. Et de l'autre côté, une remise en cause d'un certain nombre de choses : l'autorité, la politesse, etc., etc., qui ne sont pas forcément le meilleur héritage de mai 68. Donc, ça demande un bilan nuancé, contrasté, mais moi je ne le ferai pas. Mai 68 m'indiffère aujourd'hui...
L. Mercadet : Mais vous avez dit que les soixante-huitards sont au pouvoir, c'est un scoop : J.-P. Raffarin, J. Chirac, D. de Villepin, N. Sarkozy étaient des soixante-huitards, c'est bien ça que vous venez de nous dire ?
R.- Je ne pensais pas à la politique, je pensais à vous qui détenez le pouvoir depuis des années...
C. Roux : Ah les médias ! B. Toussaint : Non mais Léon, il n'a pas de pouvoir... L. Mercadet : C'est Bruce.
R.- Le 4ème pouvoir, on sait que c'est le plus puissant et depuis longtemps.
B. Toussaint : Ah ! C'est parce que les médias sont détenus par les soixante-huitards, oui !
R.- Non, mais vous pouvez regarder dans la littérature, dans les médias...
B. Toussaint : Non mais c'est vrai, il y en a beaucoup...
R.-...Dans l'entreprise, etc.
B. Toussaint : Pas chez les politiques ?
R.- C'est bon ! La génération 68 a fait beaucoup de choses, très bien mais...
L. Mercadet : La Tribune...
R.- En tout cas, moi je n'évaluerai pas mai 68, ça ne m'intéresse plus.
B. Toussaint : Très mauvaise note pour mai 68, très mauvaise question d'ailleurs.
R.- Je préfère m'intéresser à 2028...
B. Toussaint : Recalé, recalé. L. Mercadet : 1/20. B. Toussaint : Il ne nous reste même pas une minute pour faire un « j'aime, j'aime pas », alors allez-y vite fait. C. Roux : J'aime, j'aime pas M. Rocard qui claque la porte de la commission Pochard ?
R.- J'aime beaucoup M. Rocard. Sur sa démission, je vous dis honnêtement que je ne l'ai pas bien compris, je ne sais pas exactement ce qui s'est passé, j'attends des éclaircissements.
B. Toussaint : J'aime, j'aime pas la confession « vie privée » de S. Royal chez M. Drucker ?
R.- Je n'aime pas commenter, y compris des commentaires de vie privée, je ne dis jamais rien sur le sujet.
C. Roux : Alors j'essaie de trouver un "j'aime, j'aime pas" intelligent mais je n'en ai pas. Si ! J'aime, j'aime pas le chapeau de Mitterrand ? B. Toussaint : Tout ça parce que c'est moi qui l'ai préparé.
R.- Est-ce que je peux essayer d'y contribuer....
C. Roux : J'aime, je n'aime pas le retour de M. Aubry ?
R.- Il me paraît naturel. J'ai tout connu avec M. Aubry, le bon et le moins bon mais il me paraît naturel... elle est l'un des leaders du Parti socialiste.
B. Toussaint : Et D. Trezeguet écarté, je sais que vous êtes un fan de foot.
R.- Ça me paraît logique.
B. Toussaint : Ah bon ?
R.- Là, aussi, il faut préparer les générations futures. La vraie question c'est...
L. Mercadet : Il faut liquider l'héritage 98.
(Rires)
R.- Pas mal, pas mal.
B. Toussaint : Merci E. Besson.
R.- Finalement 20/20.
B. Toussaint : Oui, finalement, in extremis. Bonne journée, à bientôt dans la Matinale.
C. Roux : Merci, bonne journée.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er février 20087
R.- Bonjour. Je ne note pas les ministres, que ce soit clair d'entrée si jamais on n'avait pas le temps de le dire... Je fais de l'évaluation des politiques publiques, c'est-à-dire du contenu des tâches des ministres, le seul juge ensuite c'est le président de la République.
C. Roux : Eux, ils le vivent comme ça...
R.- Non, non, ils ne le vivent pas comme ça, ils le savent.
B. Toussaint : On va rester dans le même sujet, je suis désolé...
R.- Bonjour.
B. Toussaint : Bonjour. Non mais... Alors la réunion ce matin avec F. Fillon et tous les ministres, qu'on sait importante, consacrée effectivement au rapport Attali. Est-ce que vous allez mettre une note au rapport Attali ?
R.- Non, absolument pas. Il est bien normal... le rapport Attali c'est 316 propositions, ça ne peut pas être à prendre ou à laisser, donc il est bien normal qu'à un moment...
C. Roux : C'est ce qu'il a dit.
R.- C'est ce qu'il a dit, je crois d'ailleurs qu'il a reconnu que ce n'est pas dans ce qu'il avait fait ce qui était probablement le plus adroit même pour sa commission. Donc, le Premier ministre avec ses ministres va dire : « voilà, dans ce qui est proposé par J. Attali, voilà ce que je crois qu'on peut mettre en oeuvre, voilà ce qui mérite d'être examiné, évalué et voilà ce qui probablement ne sera pas retenu ».
B. Toussaint : C'est quoi la différence entre évaluer et mettre une note ?
R.- Evaluer et mettre une note : mettre une note c'est un peu scolaire, évaluer c'est dire « voilà ce qu'étaient les engagements du président de la République », c'est très concret. C. Lagarde, le président de la République et le Premier ministre lui avaient demandé de réaliser la fusion ANPE-UNEDIC, c'est quasiment fait. X. Bertrand, le président de la République lui avait demandé de mettre en oeuvre le service minimum, c'est quasiment fait. C'est-à-dire que c'est regarder où on en est par rapport aux engagements qui ont été pris, éventuellement vérifier où sont les difficultés. Vous, vous avez, j'imagine, des entretiens d'évaluation au sein de votre entreprise, en tout cas vous c'est une entreprise atypique, mais dans toutes les grandes entreprises, il y a des entretiens d'évaluation. Et puis les fonctionnaires de la Fonction publique...
B. Toussaint : Mais nous, on a des notes.
R.- Vous avez aussi des notes.
C. Roux : La question qu'on se pose, quand on voit tout ce qui s'est passé autour du rapport Attali, il s'est mis à dos les chauffeurs de taxi qu'on a vu manifester, les parlementaires UMP qui sont quand même très remontés. Est-ce que ce n'est pas devenu un boulet le rapport Attali ?
R.- Je ne crois pas, c'est un rapport tonique, c'est d'ailleurs pour ça que le président de la République prend des personnalités extérieures pour le faire, donc qui peuvent assumer le risque que vous venez de dire. Qu'est-ce que c'est le message de la commission Attali ? C'est de dire : « il faut s'adapter à la mondialisation, si on veut libérer la croissance il faut bouger ». Et en même temps, il y a un point qui n'a pas été mis en exergue ; le rapport Attali dit clairement « si on veut bouger, s'adapter, il faut s'occuper des plus fragiles, de ceux qui sont le moins flexibles, ceux qui sont le moins adaptables ». On n'a pas souligné cet aspect-là, l'aspect libéral a bien été souligné, cet autre aspect ne l'a pas été.
C. Roux : Est-ce que vous pouvez me citer une idée neuve dans le rapport Attali ?
R.- Il y en a beaucoup, mais ce n'est pas mécaniquement totalement novateur, mais c'est de dire « il y a des freins à la croissance en France, il y a des corporatismes, il y a des blocages et il les recense systématiquement ». Ce n'est pas mécaniquement neuf, certains ont dit à juste titre « la commission Rueff-Armant l'avait dit », certes...
L. Mercadet : 1960.
R.- Mais la France n'avait pas vraiment bougé de ce point de vue-là, c'est vrai.
C. Roux : Alors il y a deux obsessions, ça tombe bien parce que vous êtes secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'Evaluation :l'évaluation, on a vu, c'est une obsession, la prospective aussi c'est une obsession. P. Moscovici hier dénonçait « la République des experts ». Alors vous, vous allez remettre un rapport à F. Fillon, il sera rendu public le 9 février, ce rapport va déboucher sur un travail qui va durer 6 mois avec 8 groupes d'experts, on va aussi vous demander si ça va déboucher sur une expertise...
R.- Ne le dites pas sur ce ton, même si c'est de bonne guerre...
L. Mercadet : On va expertiser les experts. C. Roux : Mais parce qu'on se demande s'il y a eu un programme présidentiel et si ce n'était pas plus simple d'appliquer ce programme.
R.- D'abord moi, je ne suis pas un expert, je suis un politique, je suis engagé dans un gouvernement et une majorité présidentielle. Deuxièmement, on ne peut pas se plaindre de ne pas avoir depuis des années de planning stratégique, de plan, de prospective comme le font tous les grands pays. Regardez le Royaume-Uni, le Danemark, la Finlande, les pays qui fonctionnent bien, c'est-à-dire qui sont à la fois économiquement forts et sur le plan des protections sociales extrêmement solidaires. Quelle est leur caractéristique ? Ils anticipent et ils évaluent. Et donc, la France est en train d'être gagnée par la culture de l'anticipation, la prospective, la stratégie et de l'évaluation. Et « France 2025 » c'est simplement se dire : qu'est-ce que sera la France dans 20 ans, et nous allons effectivement passer 6 mois avec des syndicalistes, des chefs d'entreprise, des experts comme vous l'avez dit, pour dire « voilà, quelles sont les options possibles ».
B. Toussaint : Mais vous savez l'impression que ça peut donner ? C'est que le Gouvernement gagne du temps...
R.- Je ne crois pas.
B. Toussaint : Ça peut donner cette impression.
R.- Gagner du temps par rapport aux réformes actuelles ?
B. Toussaint : Absolument.
R.- Ecoutez, jamais depuis quasiment 58, la France n'a été engagée dans un mouvement de réformes aussi profond, c'est parfois même ce qui est reproché à N. Sarkozy et à F. Fillon, qui est de dire : « vous ouvrez toutes les réformes en même temps ». Et le président de la République et le Premier ministre disent : « oui, nous assumons toutes les réformes en même temps ».
C. Roux : Est-ce que vous... il y a sans doute des gens qui vous regardent ce matin et qui se disent : « on ne sait pas où va la politique économique du Gouvernement », ils l'ont exprimé dans des sondages. Est-ce que vous diriez que l'action entreprise et menée par le Gouvernement manque de lisibilité ?
R.- Non, elle...
C. Roux : Alors c'est les Français qui ne comprennent rien ?
R.- Non, ce n'est pas ça. Ils sont, comme l'a dit le président de la République le 31 décembre, ils sont impatients. Le président de la République leur a dit en campagne, quand il était candidat : la France a besoin de réformes structurelles, nous, nous ne sommes pas adaptés à la mondialisation et on peut le faire sans casser nos protections sociales, pour cela il faut un certain nombre de réformes structurelles. Regardez ce que les partenaires sociaux ont négocié, ce nouveau contrat de travail. Tout le monde a dit et moi je le dis aussi, c'est un premier pas vers la flex-sécurité, tous les pays qui réussissent ont donné à la fois de la souplesse aux entreprises et plus de sécurité pour les salariés. Mais ça, ça n'a pas des retombées le lendemain matin. Donc il est bien normal puisqu'on a fait tous le diagnostic, le Parti socialiste aussi l'avait fait, que la France était en retard sur le plan de la compétitivité, de l'innovation, de la recherche, de l'université, ce n'est pas un coup de baguette magique.
C. Roux : Alors on va essayer de mettre un peu de clarté parce que par exemple sur la TVA sociale, on a le sentiment que vous avez été un peu contredit par le porte-parole du Gouvernement, L. Wauquiez, qui a dit que la TVA sociale n'était pas à l'ordre du jour quand vous, vous aviez dit qu'elle n'est pas enterrée. Donc voilà, qu'est-ce qui va se passer sur la TVA sociale, éclairez-nous parce que...
R.- Je n'ai pas été contredit, c'est extrêmement simple. La TVA sociale ou l'augmentation de la TVA pour financer la protection sociale n'est pas à l'ordre du jour, c'est dit, répété depuis...
C. Roux : C'est quand l'ordre du jour ?
R.- Justement. Par ailleurs, ensuite le président de la République dit "en 2008, nous allons lancer une grande réflexion sur l'ensemble des prélèvements obligatoires", c'est-à-dire l'ensemble des impôts, des taxes et des cotisations pour les années qui viennent, pour voir ce que la France doit faire pour être à la fois compétitive et financer sa protection sociale. Lorsqu'il y aura cet examen, bien évidemment la TVA sera sur la table, comme tous les autres impôts, taxes et cotisations. Le problème, c'est qu'on n'arrive pas à la fois à dire cela sans dire instantanément « ah ! Vous voyez, la TVA ressort ». Non, la TVA...
C. Roux : Ça, c'est les socialistes qui font ça, c'est L. Fabius.
R.- C'est de bonne guerre parce que c'est une façon de relancer une polémique qui n'a pas lieu d'être. Mais on ne va pas s'interdire quand même de s'interroger sur l'évolution de l'assiette des cotisations sociales. Le Parti socialiste lui-même avait fait... souvenez-vous en campagne, quand F. Hollande disait : « pour les retraites, il nous faut une CSG retraite ». Il ne réfléchissait pas à l'assiette ? Quand H. Emmanuelli disait : « il faut la cotisation sociale sur la valeur ajoutée des entreprises », c'était bien une assiette non ?
C. Roux : Juste très vite, très vite parce qu'il faut qu'on parle des "Progressistes"...
R.- Ah oui ! Alors allons-y tout de suite...
C. Roux : Non, il y a encore une question qui...
R.- Pardon !
C. Roux : Vous avez dit hier à Libé : « il faut réfléchir à des impôts plus justes et plus indolores ». Juste une idée à vous des "Progressistes" puisque c'était dans le cadre de vos fonctions...
R.- Alors moi...
C. Roux : ...C'est quoi les impôts plus justes et plus indolores ?
R.- Je vous l'ai dit, je pense qu'à terme, dans 10 ans, dans 15 ans, je le dis clairement - qu'il n'y ait pas une dépêche qui dise que ça y est...
C. Roux : Oui, enfin dans 10 ans, dans 15 ans, vous ne serez peut-être plus là et nous non plus, donc...
R.- A 10 ans - oui, mais ça compte pour nos enfants et pour notre pays - le financement de la protection sociale, à mon avis, pèsera moins sur les cotisations sociales et plus sur la fiscalité.
C. Roux : Alors les "Progressistes" justement. Hier, il y avait un colloque à la Sorbonne en présence de T. Blair, et vous avez dit : "du centre-gauche au centre-droit, il y a différentes mouvances, structures, on peut discuter aussi avec le Parti radical ». Donc, on se dit « les arrière-pensées d'E. Besson, c'est de rassembler les ministres de gauche, le Parti radical de J.-L. Borloo et de faire un grand parti du centre, centre-droit, centre-gauche.
R.- Oui, j'ai passé 600 minutes à dire autre chose et 6 secondes à dire ça...
C. Roux : Parfois, les 6 secondes sont plus importantes que les 600 minutes.
R.- Si je peux dire un mot des 600 minutes, ce n'était vraiment pas...
C. Roux : Mais juste ça et puis on y viendra sur les 600 minutes.
R.- Oui, là-dessus moi je ne m'interdis rien, pourquoi pas discuter avec J.- L. Borloo, avec J.-M. Bockel et quelques autres. Mais hier, ce n'était pas du tout mon objet et ce n'est pas ma préoccupation aujourd'hui. J'ai voulu, je veux lancer un mouvement international de progressistes, de réformistes, c'est-à-dire des gens qui sont de centre-gauche qui, partout dans le monde, partagent un certain nombre de convictions, savent qu'ils inscrivent leur action dans l'économie de marché. Nous sommes dans l'économie de marché et dans la mondialisation, et nous ne renonçons à rien de nos préoccupations de justice sociale. Ça passe par des mesures pour réguler le capitalisme, ça passe par la redéfinition du rôle de l'Etat, ça passe par de nouveaux outils pour lutter contre les inégalités sociales. Toute la journée...
C. Roux : Est-ce que c'est très différent de ce que dit le PS ?
R.- C'est très différent de ce que dit une partie du PS, et ça n'est pas très différent de ce que dit la partie réformiste du PS. Mais si vous voulez me faire dire que j'ai gardé des convictions qui ont été partagées par le passé par M. Rocard, par D. Strauss-Kahn ou par quelques autres, la réponse est oui. Mais je sais et j'assume que je les exerce à l'intérieur d'un Gouvernement qui ne l'est pas.
C. Roux : Je ne vous ai même pas posé la question, vous avez vu.
R.- Oui, mais j'avais un tout petit peu anticipé, c'est ça aussi la prospective et la stratégie.
C. Roux : Ça sert à quelque chose. B. Toussaint : Vous allez avoir une note, vous, à la fin de votre interview. La question de Léon. L. Mercadet : Oui, avez-vous vu la couverture de Libération ce matin, on est dans « Quarante ans après... vive 68 », c'est clair qu'en France on va rentrer dans une commémoration ces prochains mois, une commémoration polémique de mai 68. Le chef de l'Etat a parlé de liquider l'héritage de mai 68. Question : que faut-il faire pour liquider ce terrible héritage ».
R.- Moi déjà, je suis saoulé par mai 68...
B. Toussaint : Ça ne va pas commencer...
En 68, j'avais 10 ans...
(Brouhaha)
R.- J'avais 10 ans, vous n'étiez pas né, et depuis c'est la génération 68 qui est au pouvoir et qui nous saoule avec ses 20 ans...
L. Mercadet : C'est N. Sarkozy qui en a parlé le premier, qui a dégainé le premier.
R.- Peut-être, peut-être, mais moi cette commémoration, elle m'indiffère. Sur le bilan, on le connaît à peu près : plus de liberté, de spontanéité, d'huile dans les rouages, etc., etc. Et de l'autre côté, une remise en cause d'un certain nombre de choses : l'autorité, la politesse, etc., etc., qui ne sont pas forcément le meilleur héritage de mai 68. Donc, ça demande un bilan nuancé, contrasté, mais moi je ne le ferai pas. Mai 68 m'indiffère aujourd'hui...
L. Mercadet : Mais vous avez dit que les soixante-huitards sont au pouvoir, c'est un scoop : J.-P. Raffarin, J. Chirac, D. de Villepin, N. Sarkozy étaient des soixante-huitards, c'est bien ça que vous venez de nous dire ?
R.- Je ne pensais pas à la politique, je pensais à vous qui détenez le pouvoir depuis des années...
C. Roux : Ah les médias ! B. Toussaint : Non mais Léon, il n'a pas de pouvoir... L. Mercadet : C'est Bruce.
R.- Le 4ème pouvoir, on sait que c'est le plus puissant et depuis longtemps.
B. Toussaint : Ah ! C'est parce que les médias sont détenus par les soixante-huitards, oui !
R.- Non, mais vous pouvez regarder dans la littérature, dans les médias...
B. Toussaint : Non mais c'est vrai, il y en a beaucoup...
R.-...Dans l'entreprise, etc.
B. Toussaint : Pas chez les politiques ?
R.- C'est bon ! La génération 68 a fait beaucoup de choses, très bien mais...
L. Mercadet : La Tribune...
R.- En tout cas, moi je n'évaluerai pas mai 68, ça ne m'intéresse plus.
B. Toussaint : Très mauvaise note pour mai 68, très mauvaise question d'ailleurs.
R.- Je préfère m'intéresser à 2028...
B. Toussaint : Recalé, recalé. L. Mercadet : 1/20. B. Toussaint : Il ne nous reste même pas une minute pour faire un « j'aime, j'aime pas », alors allez-y vite fait. C. Roux : J'aime, j'aime pas M. Rocard qui claque la porte de la commission Pochard ?
R.- J'aime beaucoup M. Rocard. Sur sa démission, je vous dis honnêtement que je ne l'ai pas bien compris, je ne sais pas exactement ce qui s'est passé, j'attends des éclaircissements.
B. Toussaint : J'aime, j'aime pas la confession « vie privée » de S. Royal chez M. Drucker ?
R.- Je n'aime pas commenter, y compris des commentaires de vie privée, je ne dis jamais rien sur le sujet.
C. Roux : Alors j'essaie de trouver un "j'aime, j'aime pas" intelligent mais je n'en ai pas. Si ! J'aime, j'aime pas le chapeau de Mitterrand ? B. Toussaint : Tout ça parce que c'est moi qui l'ai préparé.
R.- Est-ce que je peux essayer d'y contribuer....
C. Roux : J'aime, je n'aime pas le retour de M. Aubry ?
R.- Il me paraît naturel. J'ai tout connu avec M. Aubry, le bon et le moins bon mais il me paraît naturel... elle est l'un des leaders du Parti socialiste.
B. Toussaint : Et D. Trezeguet écarté, je sais que vous êtes un fan de foot.
R.- Ça me paraît logique.
B. Toussaint : Ah bon ?
R.- Là, aussi, il faut préparer les générations futures. La vraie question c'est...
L. Mercadet : Il faut liquider l'héritage 98.
(Rires)
R.- Pas mal, pas mal.
B. Toussaint : Merci E. Besson.
R.- Finalement 20/20.
B. Toussaint : Oui, finalement, in extremis. Bonne journée, à bientôt dans la Matinale.
C. Roux : Merci, bonne journée.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er février 20087