Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ministres et chers collègues,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames et
Messieurs,
Permettez-moi d'abord de vous souhaiter chaleureusement la bienvenue, et de vous dire que je suis très heureuse de vous accueillir ici à Paris, à la veille du séminaire organisé par la Banque Interaméricaine du Développement sur un thème qui me paraît particulièrement intéressant, « Développement et culture ».
La salle dans laquelle nous sommes réunis, grâce à l'obligeance du Conseil d'Etat, est un peu solennelle, mais notre rencontre va être tout à fait informelle et, je l'espère, conviviale.
Vous le savez bien, la France et l'Amérique latine ont une longue tradition de solide amitié. Chacune a été pour les intellectuels et les artistes de l'autre une source d'inspiration fructueuse. Les échanges culturels entre nous ont toujours été particulièrement nourris.
Chacun a en tête des périodes de notre histoire où ces échanges furent exceptionnellement intenses, à la faveur de circonstances politiques ou sociales particulières, mais je crois qu'il convient d'être conscient que la période contemporaine, et notamment les années que nous vivons actuellement, sont à cet égard tout à fait remarquables.
Les échanges artistiques de la France vers l'Amérique latine me semblent ainsi particulièrement développés aujourd'hui. Le succès sans précédent des récentes expositions Rodin et Monet dans plusieurs pays d'Amérique latine en est un exemple. Au delà, plusieurs expositions dart contemporain permettent à nos créateurs de se faire connaître, de nombreux ateliers de théâtre et de danse contemporaine complètent la diffusion de spectacles, une intéressante exposition sur l'architecture contemporaine va tourner en Amérique latine après avoir été présentée à la Biennale de Buenos Aires, de grands salons du livre sud'américains invitent la France comme invitée d'honneur, etc.
Mais les écrivains et les artistes latino-américains et des Caraïbes sont de leur côté eux aussi de mieux en mieux connus en France. Quatre « Belles étrangères », ces manifestations destinées à promouvoir une littérature étrangère en France, ont été consacrées à votre sous-continent. Le Centre Pompidou hier, de nombreuses institutions et galeries aujourd'hui, la Foire Internationale d'Art Contemporain de Paris en octobre prochain ouvrent largement leurs portes aux artistes latino-américains. La Biennale de danse de Lyon l'année dernière, le Festival d'Avignon cette année mettent à l'honneur des spectacles venus d'Amérique latine.
Un calendrier des événements culturels latino-américains présenté en France en 1999 a été édité à l'occasion de l'Assemblée Générale de la BID : le foisonnement des manifestations.
Je voudrais cependant que ces échanges soient encore davantage nourris. Dans le domaine du cinéma par exemple, et malgré les efforts remarquables des festivals de Biarritz, de Nantes, d'Amiens et de Toulouse, et l'action d'Unifrance avec le festival d'Acapulco, la situation n'est pas satisfaisante. Le succès actuel du film « Central do Brasil », coproduction franco-brésilienne, est un phénomène trop isolé. Les échanges artistiques et culturels méritent sans aucun doute d'être davantage développés.
C'est notamment à cette fin que nous sommes prêts à accroître notre coopération avec l'Amérique latine. De nombreux chantiers ont déjà été ouverts.
Le ministère de la culture français propose des outils de coopération et d'assistance dont beaucoup de ressortissants de vos pays ont pu profiter.
Une coopération importante s'est aussi développée dans le domaine de la musicologie, au sujet du répertoire baroque sud-américain. Plus récemment, dans le domaine de l'architecture et de la ville, une remarquable action de coopération s'est mise en place, dans l'esprit des relations d'amitié entre la France et l'Amérique latine et les Caraïbes tissées de longue date et fondées sur la connaissance et la reconnaissance : je veux parler du programme d'aide à la revitalisation des centres historiques des villes de l'Amérique latine, baptisé SIRCHAL mais nous aurons tout à l'heure l'occasion de présenter la convention qui sera signée entre mon ministère et la BID.
Ces chantiers de coopération, nous souhaitons les poursuivre et les développer. Sans doute pourrait-on faire davantage par exemple dans le domaine audiovisuel, et notamment dans celui des coopérations entre télévisions publiques. Nous devrions également mieux exploiter les voisinages qui unissent la France et plusieurs de vos pays à travers la Guyane et les Antilles françaises. Notre coopération pour la promotion du plurilinguisme gagnerait également à se développer.
Je ne cite là que quelques pistes. Nous disposerons de toute l'après-midi pour examiner, secteur par secteur, ce qui pourrait être entrepris. Mais je voudrais vous assurer que cette coopération de mon ministère avec les pays d'Amérique latine et les Caraïbes est pour moi très importante.
La France ressent une sorte de solidarité naturelle avec l'Amérique latine, du fait de la proximité de nos cultures. Mais cette solidarité, nous la voulons active et effective. Je souhaite à cet égard m'inscrire clairement en faux contre ceux qui pensent que l'Amérique latine n'aurait plus pour la France la même importance que par le passé. Dans le monde multipolaire qui est en train de s'organiser, nos rapports avec l'Amérique latine ont pour nous une place essentielle.
L'un des sujets qui doit nous rapprocher, c'est notre sensibilité commune à l'importance du pluralisme culturel. Nous sommes les uns et les autres fiers des valeurs que portent nos langues et nos cultures. Mais nous sommes également les uns et les autres soumis aux risques de la globalisation et de la domination d'un modèle unique.
Nos spécificités culturelles, liées à un patrimoine important, à des langues auxquelles nous tenons, à la vitalité de nos créateurs, sont remises en cause chaque jour par la globalisation des marchés. Et si les inquiétudes nées de la mondialisation ne doivent pas être exagérées, il y a incontestablement un risque d'uniformisation des cultures et d'imposition d'un modèle dominant contre lequel il faut impérativement lutter.
Je me réjouis d'avoir aujourd'hui l'occasion d'en discuter avec vous, comme jai pu en discuter il y a dix jours au Japon avec les responsables que j'ai rencontrés à Tokyo. Votre proximité avec les Etats-Unis, qui font partie du même continent que vous, vous rend évidemment particulièrement sensibles à cette question.
Avant toute chose, je tiens à rappeler très fermement que l'attitude que je défends ne s'inscrit dans une conception ni nationaliste ni défensive de la culture. Je suis au contraire très intimement convaincue que la force de chacun des pays repose sur la diversité et la créativité des cultures qu'il porte en lui et sur sa capacité à accueillir la richesse des cultures qui viennent d'ailleurs. C'est pour moi un droit que chaque pays possède d'apporter sa part irremplaçable au patrimoine commun. C'est donc le droit et le rôle des Etats de mettre en place les politiques pour que nous puissions, chacun et collectivement, profiter de cette pluralité.
Préserver ce pluralisme culturel peut passer par des voies multiples. Encore faut-il que soit clairement reconnu le fait que les produits culturels ne sont pas des marchandises comme les autres, que la culture ne peut pas être traitée dans les négociations internationales comme un secteur économique comme les autres.
La France s'est récemment opposée à l'Accord multilatéral sur l'investissement. Il nous est apparu que cet accord, très vaste, remettait en cause la souveraineté des gouvernements à déterminer leur politique dans le domaine de la culture.
Cette attitude de la France n'est pas surprenante. Elle avait déjà guidée l'attitude de notre gouvernement lors des ultimes négociations du GATS en 1993.
Nous sommes déterminés à maintenir une position très ferme lors de la reprise des négociations multilatérales dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. Ce n'est que par une prise de conscience de chacun que nous pourrons ensemble continuer de défendre une de nos principales sources de richesses : la diversité culturelle.
Mais il ne suffit pas de se prémunir contre les risques de remise en cause du pluralisme culturel. Nous pensons aussi qu'il faut mettre très concrètement en pratique la recherche de la diversité culturelle.
Celle-ci passe en premier lieu par l'accueil des cultures de tous les pays. C'est ainsi que nous nous réjouissons d'avoir en France des créateurs qui vivent, créent, animent nos institutions culturelles en provenance du monde entier et en particulier d'Amérique latine.
La diversité passe en second lieu par la volonté de créer les conditions, que le marché ne saurait à lui seul réunir, pour permettre à la création de s'épanouir dans toute sa diversité. C'est une force que nos société de ne pas laisser au seul marché le soin d'organiser l'offre culturelle. En France, cette dimension est acceptée par tous parce quelle est l'un des ferments de la démocratie et de la République.
Enfin, l'action des pouvoirs publics dans ce domaine de la culture et des arts n'aurait pas de sens si elle n'était pas tournée vers le public. Une des priorités que je me suis donnée comme ministre de la culture a précisément été d'assurer au public un accès plus large aux oeuvres. Et nous le savons tous, les obstacles à la rencontre entre le public et la culture ne sont pas que de nature financière. C'est principalement par l'éducation et par une meilleure connaissance des oeuvres que nous cherchons à donner à nos concitoyens un goût plus grand pour le secteur culturel.
Ces trois dimensions, ouverture aux autres, richesse de notre propre création et partage de ce patrimoine commun avec le plus grand nombre de nos concitoyens sont les réponses que je souhaite apporter à la globalisation. C'est un combat quotidien dans un monde qui tend, je n'hésite pas à le dire, vers l'uniformisation. Mais c'est une combat dont l'enjeu me semble assez fondamental pour que nous puissions le mener avec d'autres. Avec vous, j'en suis convaincue.
A l'occasion de plusieurs déplacements à l'étranger le Chef de l'Etat français et le Chef du gouvernement ont eu l'occasion de signer plusieurs déclarations communes sur le thème de la diversité culturelle. Ce sont des textes qui me paraissent avoir une certaine valeur exemplaire.
Dans quelques trois mois, le sommet de Rio de Janeiro entre l'Union Européenne et l'Amérique latine / Caraïbes constituera une nouvelle occasion de renforcer notre solidarité et de développer notre coopération, dans le domaine culturel comme dans les autres domaines. C'est une échéance importante à laquelle il convient de bien se préparer.
Nous partageons très largement les mêmes valeurs. Nous avons la même vision de l'homme et du monde. Nous devons faire preuve ensemble de la même vigilance pour défendre et promouvoir la diversité culturelle.
Je voudrais maintenant vous inviter à prendre part à une discussion informelle que je souhaite la plus ouverte possible.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 12 mars 1999)