Texte intégral
N. Demorand.- Troisième journée de mobilisation des fonctionnaires depuis que N. Sarkozy est président de la République. Le Gouvernement campe sur ses positions : baisse du nombre de fonctionnaires et pour le pouvoir d'achat, "travailler plus pour gagner plus". Dialogue de sourds ?
R.- Pour l'instant, la situation est bloquée. Je ne vois pas dans les déclarations des ministres monsieur Woerth, monsieur Santini, qui sont les interlocuteurs directs des fonctionnaires pour négocier sur cette question-là, de changement de position. J'aimerais qu'ils prennent acte - et la journée de mobilisation, je l'espère, va les amener à prendre conscience - que leur position n'est pas tenables. Les fonctionnaires sont décidés, et nous les appuyons, naturellement, à obtenir des avancées sur le pouvoir d'achat, comme l'ensemble des salariés d'ailleurs, - et on y reviendra peut-être -, puisqu'ils ne sont pas les seuls à la fois à être mécontents et à se mobiliser sur la question en cette période.
Q.- Le Gouvernement dit bien que les avancées sur le pouvoir d'achat sont entre les mains des fonctionnaires : "travailler plus"."
R.- Oui, mais on peut en revenir très longuement sur ce "travailler plus pour gagner plus". C'est vrai dans la fonction publique et c'est vrai dans le privé. Cette démonstration est en train de montrer ses limites. Ce slogan plus exactement, puisque mesure après mesure, ce dont on s'aperçoit, c'est qu'on peut travailler plus, plus longtemps, plus vieux pour gagner moins. C'est ce qui est en train de se passer avec les différentes mesures gouvernementales. Ce n'est pas du tout le slogan qui a été multiplié durant la campagne électorale.
Q.- L'autre argument, c'est moins de fonctionnaires pour payer mieux les autres.
R.- Oui, mais c'est aussi un des motifs de colère dans la fonction publique. Prenons le cas de l'hôpital, prenons le cas de l'éducation nationale, prenons le cas aussi des employés des collectivités locales au niveau régional ou au niveau local. C'est faire peu cas des difficultés que rencontre les fonctionnaires dans leur capacité à faire face aux missions qu'on attend d'eux au titre de la collectivité, de ne pas remarquer que dans bien des endroits, il y a déjà des déficits d'emplois au regard des missions attendues.
Q.- Donc pour vous, il n'y a pas assez de fonctionnaires en France ?
R.- Il faudrait pouvoir, et c'est le débat récurrent que nous n'arrivons pas à organiser dans ce pays... On veut nous faire raisonner de manière classique - ce n'est pas très nouveau - en termes comptable. Et une fois de plus, dans le pays, on laisse entendre que la fonction publique c'est d'abord un facteur de coût, le nombre de fonctionnaires est trop important. Et je pense que les quelques mois...
Q.- Qu'en pensez-vous sur le constat ? Trop important ou pas assez important ?
R.- Je pense qu'il faudrait que les Français aient un espace leur permettant de donner leur opinion sur ce sujet.
Q.- Et la vôtre, vous avez un espace pour la dire votre opinion !
R.- Je conteste ce slogan selon lequel il majorité de nos concitoyens seraient par principe d'accord avec un repli considérable des missions couvertes par la fonction publique et le service public. Je pense que notre pays est attaché à ce que dans les domaines de la santé, des transports, de l'éducation nationale, un certain nombre de missions soit assuré dans un cadre public, et pour que ce soit le cas, il faut bien avoir des emplois publics rémunérés comme tels, dont la qualification est aussi reconnue.
Q.- Donc l'une de vos revendications aujourd'hui, pour la CGT, c'est de dire plus de fonctionnaires ?
R.- Tout comme on ne peut pas dire, "moins de fonctionnaires partout", on ne peut pas dire "plus de fonctionnaires partout".
Q.- Enfin, à un moment, il faut bien dire quelque chose !
R.- Oui, mais quand j'entends les chiffres qui sont annoncés, "on pourrait peut être en supprimer 100 ou 150.000", j'attends des responsables politiques qui lancent ces chiffres qu'ils nous disent quelles sont les missions, quelles sont les établissements publics qui vont fermer pour atteindre ces chiffres. On ne peut pas laisser croire à la population qu'on va supprimer autant de fonctionnaires, soi-disant pour des économies budgétaires, sans que cela ait d'impact sur la qualité des services publics, mais aussi les performances économiques d'un pays qui reposent aussi en partie sur la qualité de ces services publics.
Q.- Sur le sujet, la commission Attali va exactement dans le même sens : "il faut faire maigrir l'Etat et ne remplacer qu'un fonctionnaire sur trois partant à la retraite". "Un sur deux", avait dit N. Sarkozy pendant sa campagne. Vous allez pouvoir l'éviter cette perspective ?
R.- C'est un raisonnement mathématique qui, pour nous, n'a aucun sens. C'est un raisonnement mathématique, un raisonnement financier, on est sur des règles de trois, sans s'intéresser aux incidences que cela représente. Lorsqu'il manque du personnel dans un hôpital public, - et il en manque de manière considérable aujourd'hui -, qu'est-ce qui se passe ? On renvoie le traitement des besoins en matière de santé sur le secteur privé, avec les incidences financières que cela comporte, y compris pour les usagers. On accroît l'inégalité de traitement de la population, lorsqu'elle a à faire face à une pathologie ou a besoin de soins.
Q.- Sur ce sujet comme sur d'autres J. Attali a noté hier - c'était dans Le Monde - que le Gouvernement pouvait aller très vite pour mettre en oeuvre les propositions de son rapport, et passer éventuellement par ordonnance. Il y a des choses qui concernent le marché du travail, les contrats de travail qui concernent donc aussi le nombre des fonctionnaires. Passer par ordonnance, qu'en pensez-vous ?
R.- Il y a plus de trois cents propositions, on n'aura pas le loisir ce matin, en quelques minutes, de toutes les passer en revue. Mais quand même, pour caractériser l'orientation principale, on peut piocher quelques mesures qui ne seraient pas négatives pour les salariés. La dominante quand même, c'est une liste impressionnante de mesures - nous le pensons - qui accroîtraient la régression sociale. Et quand j'entends qu'apparemment, le chef de l'Etat a préparé un sommet intergouvernemental pour décider ce qui sera mis en oeuvre ou ce qui sera éventuellement écarté ou mis dans un tiroir pendant quelques temps, je me dis que sur un certain nombre d'entre elles, - cumule emploi/retraite, arrivée des fonds de pension à la française, plus de limite d'âge pour travailler, les 65 ans, dérogation à la durée du temps de travail - ; tout cela, ce sont des mesures qui ont un impact social direct sur la vie quotidienne des salariés. Il est hors de question pour nous...
Q.- Et vous vous y opposerez ?
R.- Il est hors de question pour nous de se voir imposer ce type de mesures sans qu'il y ait davantage de discussions avec les organisations syndicales.
Q.- "Gouverner par ordonnance", dit J. Attali sur le sujet. Quel est votre sentiment sur la méthodologie ?
R.- Si le Gouvernement, si le chef de l'Etat, pensent que sur un certain nombre de sujets, comme ceux-là, on va pouvoir imposer aux salariés des mesures sur lesquels ils peuvent être, et nous pensons qu'ils auraient raison d'être, en désaccord, cela veut dire qu'on prépare des situations de blocage dans notre pays.
Q.- Il y a également dans l'actualité sociale, très riche aujourd'hui, le début d'une négociation sur la représentativité des syndicats. Vous avez refusé de signer, vous, la CGT, l'accord sur la modernisation du marché du travail. Accord qui risque tout de même de s'appliquer. C'est la règle ; est-elle bonne ?
??
R.- L'accord n'est pas bon ; La règle, elle est ce qu'elle est aujourd'hui.
Q.- Donc votre refus ne sert à rien !
R.- Il se trouve que si la CGT n'avait pas refusé d'approuver cet accord, on n'en discuterait même pas. Puisqu'on aurait présenté un consensus, peu de salariés auraient su qu'il y avait des modifications importantes sur la législation du travail. De ce point de vue-là, nous pensons que les négociations débouchent sur des acquis pour les employeurs. Ils obtiennent plus de flexibilité, comme ils le souhaitaient ; par contre, pour ce qui est des sécurités qu'il nous fallait obtenir dans cette négociation pour les salariés, dans un monde professionnel évolutif, mouvant, là, c'est renvoyé à des discussions ultérieures. C'est donc un accord déséquilibré de notre point de vue. D'où le refus de notre signature. Maintenant, sur les règles...
Q.- Il risque de s'appliquer ! Avez-vous des marges de négociation encore sur les points que vous venez de lever ?
R.- Nous allons suggérer aux parlementaires, puisque, c'est aux parlementaires de traduirent cette négociation dans un texte de lois. Nous allons alerter les parlementaires, y compris sur ce que, de notre point de vue, ce texte comporte comme risque juridique, y compris, pour les salariés et parfois pour les entreprises. Il y a des parties de ce texte qui ont été rédigées dans l'improvisation. Et nous allons proposer des amendements à cet accord sur les points qui nous semblent cruciaux.
Q.- E. Woerth annonce ce matin que le Gouvernement fera une annonce le 18 février sur l'augmentation du point d'indice pour les fonctionnaires.
R.- Nous allons voir. Les organisations de fonctionnaires vont être très attentives aux réactions du Gouvernement après cette journée de mobilisation, qui, je l'espère, sera réussie, pour apprécier, si oui ou non, le Gouvernement accepte enfin de changer sa position sur l'évolution des salaires des fonctionnaires.
Q.- On apprenait ce matin également que l'inspection du travail évoque un harcèlement moral au Technocentre de Renault.
R.- Le Technocentre de Renault, comme beaucoup d'établissements, depuis plusieurs mois, est un lieu de travail où le stress au travail débouche sur des drames humains importants. Puisque c'est un des endroits, - ce n'est pas le seul - où l'on a le plus parlé de suicide au travail ou suicide en relation du travail. Et la dégradation des conditions de travail est quelque chose de tout à fait évident dans cette période. Je dois dire que nous sommes en négociation sur la reconnaissance de la pénibilité du travail avec les employeurs et que la séance de négociations d'hier montre que les employeurs ne sont pas du tout disposés à reconnaître cette pénibilité croissante du travail.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 24 janvier 2008