Texte intégral
C. Barbier.- Vous êtes en duplex de Montreuil au siège de la CGT où vous tenez un comité confédéral national ce matin. La CGT réclame-t-elle le départ immédiat de D. Bouton, le PDG de la Société Générale ?
R.- J'entends bien les commentaires, les appréciations sur cette situation. Je pense que ce serait le plus commode que d'assister rapidement à ce départ.
Q.- Qu'entendez-vous par "commode" ?
R.- Cela arrangerait beaucoup de laisser entendre qu'on tourne la page. C'est une mauvaise séquence à gérer. Et par le départ d'un responsable, on penserait que les choses rentreraient dans l'ordre. Ce n'est pas la première préoccupation que les représentants des salariés vont exprimer au comité central d'entreprise de la Société Générale qui se réunit aujourd'hui. Il y a beaucoup d'inquiétude pour les salariés, et à juste titre, de la Société Générale, qui veulent comprendre, qui veulent savoir. Mais il y a aussi beaucoup d'inquiétude dans l'ensemble du secteur bancaire, notamment, chez les salariés. Je crois qu'à ce titre là, personne ne peut découvrir subitement que les banques sont là pour faire de l'argent, et qu'elles le font, très souvent, dans des conditions, complètement déconnectées, avec l'économie réelle. On demande dans le secteur bancaire des taux de rentabilité, des retours sur investissement de l'ordre de 20 %. On voit bien que c'est complètement disproportionné par rapport au taux de croissance de l'économie réelle !
Q.- Etes-vous choqué que N. Sarkozy, à demi mot, ait demandé la tête de D. Bouton ? Pensez-vous que c'est commode, aussi, pour N. Sarkozy de maquiller comme cela l'impuissance des pouvoirs publics ?
R.- C'est plus facile de laisser croire que seul un changement de responsable peut permettre de changer un système. Or, nous avons là affaire à une affaire très grave qui met en cause l'ensemble du système bancaire. Et de ce point de vue là, il ne suffit pas de changer un responsable pour modifier les orientations et la manière dont le système financier, le système bancaire, encore une fois, est à ce point déconnecté de l'économie réelle.
Q.- Vous soutenez donc N. Sarkozy quand il va à Londres dans un mini-sommet prêcher pour plus de transparence et plus de règles ?
R.- Oui, mais je ne pense pas que monsieur Sarkozy soit subitement converti à une économie beaucoup plus dirigée par les responsables politiques. D'ailleurs, je remarque qu'ils sont, dans leur grande majorité des cas, et les chefs d'Etats en première ligne, spectateurs, alors qu'ils devraient être acteurs puisqu'ils sont les élus des peuples. Ils ont spectateurs vis-à-vis de mécanismes qui leur échappent totalement. Ce qui est un élément grave pour la démocratie, mais qui est aussi un élément particulièrement grave sur les conséquences sociales que ce type de système peut provoquer, notamment sur les salariés qui, en général, sont les principales victimes de ces dérives.
Q.- F. Fillon, lui, veut être acteur. Il dit que, "la Société Générale doit rester française". L'Etat se mêlera donc d'une éventuelle reprise en contrant certains raids et en organisant peut-être avec la BNP ou le Crédit agricole la reprise de la Société Générale. Vous soutenez ce patriotisme économique ?
R.- Cela me semble être un discours à la fois volontariste, mais on en a déjà entendu d'autres à propos d'autres activités économiques, qu'il s'agisse du secteur industriel - par exemple des responsables politiques ont voulu se montrer volontaristes en laissant entendre qu'ils n'allaient pas laisser l'économie de marché seule, décider, de la destinée de groupes, d'activités productives et donc d'emplois pour leur pays. Et au fil des semaines, on s'est aperçu que ces mêmes responsables politiques devaient se plier aux lois économiques actuellement en vigueur, où encore une fois, le politique n'est pas un acteur de premier plan.
Q.- Vous pensez peut être à Mittal et à la sidérurgie. Mais on a vu, N. Sarkozy convaincre le PDG Mittal de réorganiser l'emploi, de reclasser ses salariés de Moselle.
R.- De notre point de vue, il n'y a absolument pas eu d'éléments nouveaux à la sortie de l'entretien du président de la République française avec le PDG de Mittal. Ce qui a été dit par la direction d'entreprise, avait déjà été dit la semaine précédente : à savoir qu'il n'y avait pas de changement d'orientation, y compris des conséquences sur l'emploi. Au mieux allait-on regarder le type de reclassement, de reconversion pour les salariés. Mais dans une période où il y a, plus que jamais, besoin de fourniture d'acier, qu'il y a une entreprise qui peut être économiquement viable si les investissement, si la formation professionnelle avait été à la hauteur, de ce point de vue là, je pense que les salariés ont tout à fait raison de se battre pour le maintien de l'emploi et le développement de leur activité.
Q.- Quatre syndicats représentatifs ont signé l'accord sur la modernisation du marché du travail, les trois organisations patronales aussi ; seul, la CGT boude. Pourquoi ?
R.- Nous ne boudons pas. Nous avons pris notre décision. Un vote est intervenu à la séance du comité confédéral national hier, qui a confirmé à l'unanimité moins une voix, sur l'ensemble des fédérations professionnelles, des unions départementales représentées, que la CGT ne signerait pas cet accord, pour les raisons que nous avons déjà développées : à savoir, que ce sont les employeurs qui obtiennent beaucoup plus de satisfaction, au regard de leurs revendications ; ils obtiennent plus de sécurité dans la liberté d'avoir une main d'oeuvre plus employable et licenciable selon leurs besoins. Par contre, s'agissant des garanties, des sécurités, pour les salariés tout cela est renvoyé à des discussions ultérieures. C'est donc est texte tout à fait déséquilibré que la CGT refuse de signer. Et à ce titre, nous allons, d'ailleurs, Interpeller les parlementaires qui vont devoir retranscrire ce texte dans une loi, pour leur proposer des amendements et des améliorations à ce que nous considérons négatifs pour les salariés.
Q.- Quels types d'amendements ? Encore des garanties sur les indemnités de licenciement, encore des garanties sur l'accompagnement vers un autre emploi ?
R.- Nous allons nous efforcer de présenter des amendements pour sécuriser la situation des salariés, et non pas, répondre aux besoins de flexibilité que multiplient les employeurs. Notre responsabilité de syndicat de salariés, c'est de rendre plus viable la situation précaire des salariés, et non pas, de répondre aux desiderata des chefs d'entreprises.
Q.- On connaîtra aujourd'hui les chiffres de chômage de décembre. "Ils seront bons", nous disait, hier, C. Lagarde, Ministre de l'Economie. La flexibilité, c'est bon pour l'emploi. Cela fait circuler le marché du travail !
R.- Non. Si on pouvait faire ce constat, on pourrait le faire depuis plus d'une dizaine d'années, c'est-à-dire une période où on a multiplié le type de contrats de travail. Ce dont on s'aperçoit, ce que l'on mesure aujourd'hui, c'est la précarité dans l'emploi et dans l'ensemble des secteurs, y compris quand on l'a justifié en parallèle à un maintien, un contenu du niveau des salaires. Ce qui explique aussi pourquoi aujourd'hui il y a un tel mécontentement. L'autre décision que nous avons prise, c'est de nous mobiliser plus encore sur les revendications salariales, et de ce point de vue là, il y a des dates déjà sur le calendrier : le 1er février, les salariés de la grande distribution dans l'unité syndicale - c'est une première ! Cela ne s'est jamais produit ! Six cent cinquante milles salariés sont appelés à des débrayages. Dans la métallurgie, le 7 février. Nous allons encourager des mobilisations pour l'augmentation des salaires dans les tous prochains jours.
Q.- Côté fonctionnaires, en revanche, cela a l'air de se débloquer. Dès lundi, on discute chez F. Fillon ; dès le lendemain, le ministre de tutelle, E. Woerth négocie. Va-t-on vers un aboutissement positif côté pouvoir d'achat et salaires des fonctionnaires ?
R.- C'est beaucoup trop tôt pour considérer que la situation se débloque. Le ministre en charge de la question, sous la contrainte de la mobilisation, parce qu'il y a une troisième journée d'action des fonctionnaires en janvier sur cette question là, doit concéder un rendez-vous où, enfin, on va discuter de l'évolution de l'indice de rémunération des fonctionnaires. Mais il est beaucoup trop tôt pour considérer que le niveau des propositions gouvernementales sera susceptible de satisfaire les représentants syndicaux sur ce sujet.
Q.- Selon les Echos, la SNCF prévoit 2.000 suppressions d'emplois dans le fret en 2008 avec 213 millions d'euros également de perte dans le fret pour 2008. La CGT a lancé une alerte sociale. C'est le début d'une marche vers la grève côté fret et peut-être côté passagers ?
R.- Il appartient aux organisations de cheminots de décider des formes de mobilisation. Je rappelle qu'il vient d'y avoir une manifestation nationale à Paris sur l'avenir des régimes de retraites spéciaux. Et à ce titre là, d'ailleurs, nous venons de décider du principe - je vous l'annonce - d'une grande journée de manifestations dans toute la France un samedi vers la fin mars, début avril, dont nous allons discuter le principe avec les autres confédérations syndicales pour la défense de l'avenir des retraites. S'agissant des cheminots, ils sont, à juste titre, préoccupés par des décisions concernant le transport de fret, et je pense que c'est un enjeu national qui doit intéresser l'ensemble de nos concitoyens. Il est aberrant que notre pays se caractérise par un "Grenelle de l'Environnement" qui énonce toute une série de mesures, dont des mesures concernant les transports, plus fiables, plus économes en énergie, et que quelques semaines après ce Grenelle, une direction d'entreprise nationale,nous annonce des suppressions d'emplois dans l'activité fret ferroviaire, c'est-à-dire le secteur qui peut nous permettre en matière de sécurité et d'environnement de voir l'avenir avec une autre tendance que celle qui se dessine aujourd'hui.
Q.- Rapidement, le lundi de Pentecôte qui redevient férié, l'approuvez-vous ?
R.- Sur le principe, oui. Mais je voudrais mettre un bémol à cette annonce, à savoir que le principe de l'équivalent d'un jour de travail gratuit est maintenu. Il y avait une aberration...
Q.- C'est pour la solidarité... C'est bien pour la solidarité, pour les personnes âgées !
R.- Oui, c'est pour la solidarité. Mais à chaque fois, on appelle les salariés à la solidarité, et vous voyez que nous sommes dans un panorama où en quelques secondes, on peut perdre collectivement plusieurs dizaines de milliards d'euros. Nous sommes là, dans un environnement qui prône l'inégalité sociale. On demande aux petits de faire des efforts, pendant que d'autres peuvent amasser des masses d'argent, sans réellement travailler et produire de la richesse.
Q.- Mais les petits verront peut-être le SMIC augmenter dès le mois de mai ! Et sans attendre juillet à cause de l'inflation. C'est bien, ça !
R.- Nous demandons, depuis de nombreux mois, une revalorisation du SMIC, et la pression que nous voulons mettre sur la question du pouvoir d'achat et de la revalorisation des salaires, consiste aussi, à demander au Gouvernement de prononcer le plus rapidement possible une revalorisation du SMIC - qui nous est jusqu'à présent refusée.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 janvier 2008