Interview de M. François Fillon, Premier ministre, à RMC le 6 février 2008, sur la grève des taxis contre les propositions du rapport de J. Attali, les taux de la TVA, l'augmentation des minima sociaux et des retraites, la situation de l'emploi et les heures supplémentaires.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Notre invité ce matin, F. Fillon, Premier ministre. F. Fillon, bonjour. Bonjour. Merci d'être avec nous. Question d'actualité pour commencer, tout de suite : vous seriez américain, pour qui voteriez-vous ? Clinton, Obama ou McCain ?
 
R.- Justement, je ne suis pas américain et donc je me garderai bien de prendre parti dans l'élection d'un autre pays. Simplement, je notre trois choses. D'abord, c'est que les primaires sont passionnantes ; on voit que cette démocratie est une démocratie vivante. Deuxièmement, les candidats sont des candidats de qualité ; on a une femme dont tout le monde sait, H. Clinton, qu'elle a les qualités pour être présidente. On a un jeune Noir qui est une étoile montante et qui est impressionnant de charisme. Et puis on a un héros de la guerre du Vietnam qui est d'ailleurs, sans doute, un candidat que les Français devraient regarder d'un petit peu plus près parce qu'on est très fasciné, nous, par les Démocrates, mais les équilibres de force aux Etats-Unis sont un peu différents.
 
Q.- L'actualité toujours. Très forte mobilisation des artisans taxis. Vous le savez, vous les avez croisés en venant ici sur RMC. Question directe : est-ce que la profession restera réglementée ?
 
R.- Qu'est-ce qu'on dit ? Que le système de la profession de taxi ne fonctionne pas bien, en tous cas dans certaines villes. Il ne faut pas généraliser les choses, la situation des taxis à Paris n'est pas la même que celle à Sablé-sur-Sarthe. Il faut donc que cette profession évolue. Il y a un rapport, le rapport Attali, qui fait des propositions pour son évolution, ce n'est qu'un rapport, ce n'est pas une décision du Gouvernement et encore moins un vote du Parlement. Ce que je propose aux taxis qui vont être reçus d'ailleurs cet après midi, à Matignon, à 16 heures, c'est qu'on fasse avec leur profession comme on a fait avec les partenaires sociaux pour réformer le contrat de travail. Et je pense que c'est une méthode qui pourrait se généraliser et changer le dialogue social dans notre pays. C'est-à-dire qu'on va dire à la profession des taxis : mettez-vous autour d'une table et réfléchissez vous-mêmes aux améliorations qu'il serait souhaitable d'apporter à votre profession pour qu'elle fonctionne mieux, qu'elle fonctionne mieux dans l'intérêt des salariés ou des artisans taxis eux-mêmes et qu'elle fonctionne mieux dans l'intérêt des usagers, parce qu'il y a quand même quelques critiques sur le fonctionnement des taxis. Et si vous nous proposez des solutions qui sont des solutions qui répondent à ces attentes-là, nous, nous les prendrons et nous les transformerons le cas échéant en texte législatif. Naturellement, si vous ne nous proposez rien, à ce moment-là, il faudra que le Parlement légifère.
 
Q.- Mais est-ce que vous pourriez aller jusqu'à une déréglementation ?
 
R.- Déréglementation ça ne veut rien dire pour moi, parce qu'il y a besoin d'encadrer ces professions pour des raisons de bon fonctionnement, pour des raisons d'ordre public. Et donc il ne s'agit pas de déréglementer, il s'agit de faire en sorte que ces professions fonctionnent mieux et qu'elles répondent mieux au besoin qui est celui des usagers.
 
Q.- Alors, je lis ce qu'écrivait N. Sarkozy aux taxis - c'était en avril dernier avant la présidentielle - : « les taxis sont une profession réglementée et doivent le rester, en ce qui concerne les conditions d'accès comme les conditions d'exercice de l'activité ».
 
R.- Vous voyez que je ne dis pas autre chose. Ce que je dis simplement c'est qu'elle doit être modernisée cette profession. D'ailleurs il y a une discussion qui est engagée déjà depuis plusieurs semaines sous l'égide du ministère de l'Intérieur avec la profession pour regarder comment l'améliorer, comment faire en sorte qu'à Paris il y ait plus de taxis, comment faire en sorte qu'ils circulent mieux. Il y a toute la question des plaques qui est en discussion. Mais ce que je dis vraiment aux taxis aujourd'hui, c'est : « on va changer de méthode par rapport à ce qui s'est fait dans le passé ; c'est à vous de vous mettre d'accord sur des propositions qui correspondent, grosso modo, au cahier des charges que l'on vous soumet. Et nous prendrons ces propositions si elles sont raisonnables ».
 
Q.- Et s'ils ne se mettent pas d'accord ?
 
R.- S'ils ne se mettent pas d'accord, à ce moment-là on négociera avec eux des modifications de la règlementation de la profession de taxis.
 
Q.- Bien, donc vous ne reprenez pas les propositions de la commission Attali ?
 
R.- Non mais le rapport Attali, je crois qu'il faut dire les choses. Le rapport Attali c'est un exercice extrêmement utile parce que notre pays manque de débat sur des sujets qui sont des sujets difficiles, qui sont des sujets un peu tabous et qui expliquent notre déficit de croissance. Pourquoi est-ce que la France, ce pays riche avec une culture millénaire, avec des qualités exceptionnelles, pourquoi est-ce que ce pays a un point de croissance de moins que les autres pays européens ?
 
Q.- Vous savez ce que disait un député UMP ? « Le rapport Attali c'est comme bouffer un cassoulet avant un marathon ». Vous l'avez entendu ?
 
R.- Oui, enfin, tout cela ce sont des images mais dans le rapport Attali, il y a des idées. Il y en a qui sont bonnes, il y en a qui sont moins bonnes, il y en a qui sont réalisables, il y en a qui sont moins réalisables. Qu'est-ce qu'on va faire du rapport Attali ? On va d'abord prendre tout de suite toutes les mesures qui sont proposées par le rapport Attali qui permettaient très vite d'obtenir de la croissance supplémentaire et qui, grosso modo, libèrent l'entreprise.
 
Q.- Lesquelles ?
 
R.- Par exemple, on va réduire les délais de paiement des entreprises. On va faire sauter les effets de seuil financiers entre les différentes tailles d'entreprises. On va réformer le livret A pour permettre de dégager plus d'argent pour le logement social. On va réformer la gouvernance de la Caisse des Dépôts et Consignations. On va aider les petites et moyennes entreprises à s'organiser pour exporter. Voilà, ce sont des mesures immédiates qui vont figurer dans un texte au printemps qui sera porté par madame Lagarde, de modernisation de l'économie française.
 
Q.- Est-ce qu'on va mettre sous condition de ressources les allocations familiales ?
 
R.- Ça, par exemple, c'est un sujet qui n'était pas dans les engagements de campagne que nous avions pris, sur lequel la majorité est très divisée. Je crois même pouvoir dire qu'une grande partie de la majorité est opposée. Et donc c'est la majorité qui décide, c'est le Parlement qui décide. Donc si le Parlement ne veut pas mettre sous condition de ressources...
 
Q.- Vous y êtes favorable vous ?
 
R.- Moi, je n'y suis pas favorable. Si j'avais été favorable, je l'aurais mis dans le programme de N. Sarkozy puisque nous l'avons écrit ensemble.
 
Q.- Et le transfert d'une partie des cotisations sociales vers la CSG et la TVA, c'est une bonne idée ?
 
R.- Ça c'est un sujet qui mérite une discussion sérieuse, qui mérite qu'on prenne le temps parce qu'il n'y a pas qu'Attali qui dit cela. Il y a aussi le Conseil économique et social qui a rendu un rapport un peu dans le même sens. Il y a beaucoup d'économistes, de droite comme de gauche, qui disent : attention, si vous continuez à faire peser tout le poids de la protection sociale sur le travail, vous allez continuer d'augmenter le coût du travail en France et vous allez encourager les délocalisations d'entreprise. Donc il faut réfléchir à cette question sérieusement. Et moi je mets un cadre à cette réflexion : la TVA ne doit pas augmenter, et d'une manière générale, les prélèvements...
 
Q.- Pas de TVA intermédiaire en 2008 à 12% ou 12,85 ?
 
R.- La réponse est non et d'une manière générale la politique que nous essayons de conduire avec le président de la République, c'est une politique qui vise à baisser les prélèvements obligatoires, en tous cas à ne pas les augmenter.
 
Q.- C. Lagarde disait le contraire il y a quelques semaines sur RMC, à votre place. Elle parlait d'une TVA, d'un taux de TVA à 12 ou 12,5 %, taux de TVA intermédiaire.
 
R.- Ce que je ne veux pas c'est que la TVA augmente. Ce que je ne veux pas c'est que les prélèvements obligatoires augmentent.
 
Q.- Mais certains taux peuvent augmenter et d'autres baisser.
 
R.- Il y a toujours des possibilités dans ce domaine. Le président de la République a voulu engager un débat au niveau européen, par exemple pour que les "produits propres", pour encourager les comportements écologiques et les taux de TVA plus bas, mais vous savez que c'est une discussion européenne, c'est une discussion très complexe et de toute façon c'est une discussion qui n'aboutira pas en 2008.
 
Q.- F. Fillon, vous annoncez une revalorisation du minimum vieillesse de 25% en cinq ans. C'était la promesse de N. Sarkozy que vous reprenez. Alors j'ai chiffré ; le minimum vieillesse est à 628 euros, 25% d'augmentation ça fait 157 euros en cinq ans. Cette année 2008, combien ? Quelle revalorisation ?
 
R.- Alors cette année 2008, l'idée ce serait de faire grosso modo 5% par an. Simplement...
 
Q.- 5% en 2008 ?
 
R.- C'est une proposition que je mets sur la table. Je vais vous dire pourquoi. Parce que...
 
Q.- Donc 5% en 2008, vous confirmez ?
 
R.- Je vais vous dire pourquoi je fais une proposition, Monsieur Bourdin, et non pas une décision. Parce que ces sujets-là méritent d'être discutés avec les partenaires sociaux. Parce que ce sont les partenaires sociaux qui gèrent le régime général des retraites et ce sont les partenaires sociaux qui gèrent les régimes complémentaires. C'est la raison pour laquelle nous ne l'avons pas fait au 1er janvier 2008 parce qu'il y a un rendez vous qui est prévu en mars avec les partenaires sociaux sur la question des retraites, pas seulement sur la question du minimum vieillesse mais sur l'allongement de la durée de cotisation...
 
Q.- 1,1% d'augmentation pour les retraites le 1er janvier ?
 
R.- Oui parce qu'il y avait eu, vous le savez... On a un système aujourd'hui qui fonctionne mal puisque notre système est indexé depuis la loi dont j'ai été le porteur, les retraites sont indexées sur les prix. Normalement, il ne doit pas y avoir de perte de pouvoir d'achat pour les retraités. Le seul problème c'est...
 
Q.- Il y en a eue.
 
R.- Le seul problème c'est que l'on constate l'inflation lorsque l'année est terminée. Et qu'on décide des augmentations de retraite au début de l'année. Donc en 2006, on a eu une augmentation supérieure à l'inflation puisque l'inflation constatée était moins élevée que prévu et en 2007, on a tenu compte de cette différence, ce qui est mal ressenti par les retraités d'autant que l'inflation peut être plus importante...
 
Q.- Donc il y aura augmentation ?
 
R.- Il y aura une augmentation du minimum vieillesse.
 
Q.- 0,4 ?
 
R.- La loi sera respectée, c'est-à-dire que les retraites suivront l'indice des prix.
 
Q.- Donc, 0,4 pour les retraites ?
 
R.- Mais derrière ces questions, quand la réunion avec les partenaires sociaux aura eu lieu et vous savez que le président de la République reçoit aujourd'hui à l'Elysée avec plusieurs membres du Gouvernement et moi-même les partenaires sociaux pour mettre sur la table tous ces chantiers parce que derrière cette question, qu'est-ce qu'il y a ? Il y a la pérennité des régimes de retraite. C'est très bien de dire qu'il faut augmenter telle ou telle retraite, et c'est vrai qu'il y a des retraites qui sont à des niveaux beaucoup trop bas. Mais il faut aussi s'assurer que nous serons en mesure de verser les retraites aux retraités futurs, alors que les régimes de retraite sont déséquilibrés...
 
Q.- Oui parce que les caisses sont vides ?
 
R.- Il ne faut pas tout à fait dire ça, les régimes de retraite...
 
Q.- C'est E. Woerth qui a dit que les caisses...
 
R.- Les régimes de retraite sont en cours de rééquilibrage. On a pris des mesures en 93, on a pris des mesures en 2003. On vient de prendre des mesures avec la réforme des régimes spéciaux de retraite. Je fais remarquer d'ailleurs, au passage, que c'est toujours notre majorité qui a pris ces mesures et jamais la gauche. Et ce sont ces mesures-là qui permettent de pérenniser les régimes de retraite et qui permettront les augmentations que le président de la République a annoncées.
 
Q.- Vous avez proposé 5% pour 2008 ?
 
R.- C'est une proposition qui est sur la table.
 
Qui est sur la table. Bien F. Fillon, notre invité. 8 heures 43 à tout de suite dans deux minutes, vous posez vos questions 32 16, rmc.fr.
 
[8h45 : Deuxième et dernière partie]
 
Notre invité, F. Fillon. On parlait de la revalorisation du minimum vieillesse il y a un instant. Franchement, alors, là, je vous pose la question, franchement : dimanche dernier, C. Guéant annonçait la revalorisation du minimum vieillesse. Franchement, vous n'en avez pas assez d'entendre C. Guéant, H. Guaino, à la télé, à la radio, annoncer telle ou telle mesure ? Ce sont des Premiers ministres bis !
 
R.- Moi, je n'ai pas de commentaire à faire sur ce sujet, je dirige le Gouvernement. C. Guéant et H. Guaino sont les collaborateurs du président de la République. C'est le président de la République qui les...
 
Q.- Doivent-ils continuer à intervenir, comme cela ?
 
R.- Ce n'est pas à moi de m'exprimer sur ce sujet.
 
Q.- Ça ne vous gêne pas ?
 
R.- Je ne ferai pas de commentaire, et s'agissant de cette affaire de retraite, le secrétaire général de l'Elysée n'a fait que répéter les engagements qui sont ceux du président de la République. Donc il n'y a pas de nouveauté dans ce domaine.
 
Q.- Donc ça ne vous gêne pas. Ils peuvent continuer à aller, à avancer des idées nouvelles, ici ou là ?
 
R.- C'est un sujet qui concerne et qui regarde et qui est de la compétence du président de la République, pas du Premier ministre.
 
Q.- Bien, bien, bien, bien. On lira ou on écoutera entre les lignes et entre les mots, F. Fillon. Réunion du groupe UMP hier, les députés vous l'ont dit, cela...
 
R.- Les députés ont le droit de s'exprimer librement. Comme le Premier ministre d'ailleurs.
 
Q.- Ils sont un peu en colère, notamment contre certains ministres. Tiens ! Je recevais J.-P. Jouyet lundi matin, et J.-P. Jouyet, qui est secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes dans votre Gouvernement, me disait qu'il allait voter pour B. Delanoë à Paris. Ça vous gêne ce genre de position ?
 
R.- Non, écoutez, là, il faut être très clair. Quand N. Sarkozy a voulu l'ouverture, il a voulu faire rentrer au Gouvernement des hommes et des femmes venus d'horizons politiques différents pour qu'ils apportent leurs différences, pas pour qu'ils deviennent UMP. L'ouverture, telle que Mitterrand l'avait conçue en 1988 avec M. Rocard, c'était une ouverture qui avait transformé des hommes de droite en hommes de gauche, et donc elle avait rapidement fait long feu. L'ouverture que nous, nous avons voulue, c'est une ouverture réelle, c'est-à-dire que nous voulons que les hommes et les femmes de gauche, qui ont rejoint le Gouvernement, restent de gauche, et qu'ils nous apportent leurs différences, leurs idées, leurs convictions, leur idéal, du moment, naturellement, qu'ils adhèrent au projet politique qui est celui de N. Sarkozy. Pour le reste, leur vote personnel, ça ne regarde qu'eux. Et nous ne voulons pas en faire des clones, nous voulons qu'ils restent des personnalités indépendantes.
 
Q.- F. Fillon, j'ai une liste devant moi : Alcatel-Lucent à Lannion, Arques International dans le Pas-de-Calais, Thomson à Angers, Skaf en Vendée, Miko à Saint-Dizier, DMC et Sony en Alsace, Kleber à Toul... Qu'est-ce que j'ai encore ? Ford en Gironde, Well au Vigan, et tant d'autres. Tous les salariés de ces entreprises attendent le chéquier de l'Etat et une intervention de l'Etat.
 
R.- D'abord, vous pourriez aussi faire la liste des entreprises qui se développent, qui investissent et...
 
Q.- Oui, tout à fait, il y en a beaucoup...
 
R.-...Et dire qu'il y a 300.000 emplois qui ont été créés dans notre pays, dans le secteur privé, l'année dernière.
 
Q.- Bien sûr.
 
R.- Maintenant, c'est vrai que nous avons à faire face, comme beaucoup de pays développés, à un risque de désindustrialisation, un risque de délocalisation. C'est d'ailleurs pour ça qu'on parlait tout à l'heure de la question du coût du travail. Et nous, nous ne voulons pas... il y a des pays qui ont estimé que l'industrie c'était fini pour les pays développés, et qu'il n'y avait pas de raison pour l'Etat de se mêler de politique industrielle. Nous, nous ne pensons pas cela, parce que nous croyons que quand il n'y a plus d'industrie, c'est tous les fondements de l'économie qui s'effondrent. Et donc nous voulons garder une industrie, et nous voulons garder surtout une industrie stratégique, qui a des secteurs stratégiques. Alstom, c'était un secteur stratégique. Arcelor, c'est un secteur stratégique parce que l'acier c'est un secteur stratégique pour l'activité économique de notre pays. Donc qu'est-ce qu'on fait ? On essaie d'abord de conduire une politique industrielle globale, c'est-à-dire de mettre à la disposition des industries des infrastructures, du personnel qualifié, améliorer la formation professionnelle, etc., etc., mais en même temps, lorsqu'un secteur stratégique est menacé, on regarde si on peut empêcher que ce secteur stratégique disparaisse. On l'a fait avec Alstom, en investissant dans Alstom, puis en revendant l'entreprise. Aujourd'hui, avec Arcelor, la question se pose. On ne veut pas voir des capacités de production d'acier disparaître.
 
Q.- C'est donc le rôle de l'Etat d'investir dans une usine qui appartient à un groupe international qui fait des bénéfices ?
 
R.- Non, non, ce n'est pas ce qu'on va faire. Ce qu'on dit, au fond, à monsieur Mittal, c'est : il y a pour nous un problème stratégique avec l'acier, on ne veut pas voir nos capacités se réduire, on souhaite que vous investissiez dans cette usine et que vous modifiez votre plan industriel. Bon, si vraiment...
 
Q.- On vous le demande...
 
R.- On vous le demande, si vraiment, vous ne voulez pas le faire, alors, il faut étudier d'autres solutions, et notamment la solution de cession de ce site, de reprise par d'autres industriels, et le cas échéant, d'une intervention publique qui serait une intervention publique temporaire, qui serait une intervention publique de relais.
 
Q.- Mais alors, est-ce que je peux imaginer une intervention publique dans le cas de toutes les entreprises que j'ai citées ?
 
R.- Non, non, parce qu'il y en a qui ne sont pas stratégiques ; il y en a qui sont dans une situation où l'intervention ne servirait à rien, ce serait verser de l'argent inutilement. Donc il faut à chaque fois regarder les choses de façon précise. Sur le dossier d'Arcelor, il y a un vrai sujet, vous savez qu'on manque d'acier dans le monde entier, ce n'est pas au moment où le monde manque d'acier que la France doit diminuer ses capacités dans ce domaine.
 
Q.- Deux questions, ensuite, je vous laisse avec les auditeurs de RMC. Comment inciter les employeurs à faire passer à temps complet les salariés à temps partiel ?
 
R.- Il y a plusieurs formules. La meilleure c'est sans doute de les inciter, on est en train de travailler avec X. Bertrand sur la modulation des allègements de charges en fonction notamment des politiques salariales. Il y a la question du...
 
Q.- Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, un employeur...
 
R.- On allège, aujourd'hui, on allège...
 
Q.- Pardon, F. Fillon, un employeur qui augmente les salaires verra ses charges diminuer ?
 
R.- Un employeur qui refuse de négocier avec les organisations syndicales chaque année la politique salariale verrait les allégements que l'Etat lui verse diminuer. Voilà.
 
Q.- D'accord, ça, c'est l'idée, c'est l'idée principale. L'idée de "un tiers, un tiers, un tiers", qui plaît au président de la République, qui est simple : une entreprise fait des bénéfices, un tiers de ces bénéfices est reversé aux actionnaires, un tiers consacré à l'investissement, et un tiers aux salariés.
 
R.- Il n'est pas question de transformer l'économie française en une économie administrée. Nous avons besoin de donner plus de liberté à nos entreprises, et pas moins de liberté...
 
Q.- Ça vous plaît cette idée ?
 
R.- Mais en même temps, ce qu'on voudrait, c'est montrer un chemin aux entreprises, les inciter à améliorer les mécanismes de la participation et de l'intéressement pour aider les entreprises à passer - en tout cas, celles qui ne l'ont pas encore fait - d'un système où les bénéfices sont intégralement distribués aux actionnaires à un système où il y a un meilleur partage entre les actionnaires et les salariés. Et c'est l'intérêt des entreprises d'ailleurs parce que si les entreprises distribuent plus de bénéfices aux salariés, elles peuvent avoir une politique salariale raisonnable, dans un contexte de compétition économique qui est extrêmement rude. Donc tout le monde s'y retrouve. Et nous allons pousser cette idée. Mais encore une fois, il ne s'agit pas pour nous de contraindre, il ne s'agit pas pour nous de réglementer encore plus une économie qui l'est plutôt trop par rapport aux économies voisines d'Europe.
 
P. Dufreigne, les auditeurs de RMC, que disent-ils, Philippe ?
 
P. Dufreigne : Ils sont nombreux à appeler. Avec Gégé tout d'abord : mon employeur n'autorise pas les heures supplémentaires, je n'ai pas de participation, encore moins de RTT à monnayer, j'ai droit à quoi, moi, dans votre « travailler plus pour gagner plus » ?
 
R.- Alors, d'abord, si vous n'avez pas de participation ni d'intéressement, eh bien, ça va changer, parce que justement, on est en train de travailler à un projet de loi qui sera présenté au Parlement au printemps, et qui visera à étendre l'intéressement et la participation partout. Vous savez qu'aujourd'hui, ce système fonctionne pour les entreprises de plus de cinquante salariés, et pas pour les entreprises de moins de cinquante salariés. Donc première réponse, à partir, disons, grosso modo, de l'été prochain, toutes les entreprises pourront bénéficier d'un système, soit de participation, soit d'intéressement. Deuxièmement, les heures supplémentaires, il y a plusieurs cas pour lesquels votre employeur ne vous autorise pas à faire des heures supplémentaires : soit qu'il n'en ait pas besoin ; là, naturellement, personne ne peut le forcer à faire des heures supplémentaires, à offrir des heures supplémentaires s'il n'en a pas besoin, s'il n'y a pas de charges de travail. Mais il est aussi possible que votre employeur ne vous propose pas d'heures supplémentaires parce qu'il est dans un secteur où les accords de branche ne le permettent pas. Et c'est pour ça que nous voulons, encore au printemps, ça sera voté avant l'été, que désormais, on puisse négocier les volumes d'heures supplémentaires, le niveau de financement de rémunération des heures supplémentaires, dans l'entreprise, dans le cadre d'un accord d'entreprise, indépendamment des accords de branche ou des accords interprofessionnels.
 
P. Dufreigne : On parlait du déblocage anticipé de la participation, Hervé est à Maisons-Alfort : on attend toujours la publication des textes, c'est pour quand ?
 
R.- C'est imminent. C'est imminent, voilà, c'est vraiment dans les...
 
P. Dufreigne : Imminent, ça veut dire quoi ? C'est dans les jours qui viennent ?
 
R.- C'est dans les jours qui viennent. Le texte est voté et c'est dans les jours qui viennent. Le texte a été voté, il y a très peu de temps.
 
P. Dufreigne : Une question sur les charges avec Jean-Luc, qui est dans les Hauts-de-Seine : je suis chef d'entreprise, est-ce que vous êtes prêt à baisser les charges si l'employeur s'engage à augmenter les salaires ?
 
Q.- C'est la question que je posais tout à l'heure.
 
R.- C'est le débat sur les allègements de charges. C'est ce que nous sommes en train de proposer.
 
Q.- Bien. J'ai deux questions encore : les artisans boudent les heures supplémentaires, j'ai vu ça. Etude de l'UPA : sur 3.000 chefs d'entreprise depuis le 1er octobre, 51% d'entre eux ont fait faire des heures supplémentaires, 1% de plus qu'avant.
 
R.- Alors d'abord, je demande à regarder ces chiffres d'un peu plus près, parce que ça semble être une enquête. Nous, ce qu'on regarde, c'est les chiffres de l'ACOSS, c'est-à-dire la réalité des heures supplémentaires payées. Le dispositif a été mis en place en octobre, il a été extrêmement critiqué, il est compliqué parce que le système de la feuille de paie en France est très, très compliqué. En novembre, on avait déjà doublé le nombre d'heures supplémentaires par rapport au mois d'octobre...
 
Q.- Ce n'est pas ce que disent les artisans...
 
R.- Oui, mais enfin, globalement, en France, nous, on sait ce que l'Etat paie ou les exonérations qui ont été mises en place. On est aujourd'hui à 50% d'entreprises françaises qui utilisent les heures supplémentaires, et avec les dispositifs qui ont été votés en janvier et ceux qu'on va proposer au printemps, le système sera beaucoup plus simple, et donc il sera beaucoup plus facile à utiliser.
 
Q.- Un mot encore sur cet enseignant qui a giflé l'un de ses élèves après avoir été traité de connard. Est-ce que vous le soutenez ?
 
R.- Je pense que ce n'est jamais une bonne solution de gifler un élève. Mais en même temps, moi, je soutiens les enseignants qui ont besoin d'un peu de discipline et d'un peu de respect pour faire fonctionner les classes. Il n'est pas acceptable qu'un élève traite un enseignant de connard. C'est une faute qui d'ailleurs mériterait, me semble-t-il, une sanction plus sérieuse que celle qui a été prise. Et donc oui, je soutiens cet enseignant.
 
Q.- Vous le soutenez. Et la garde à vue ? 48 heures de garde à vie, c'était trop ?
 
R.- Je n'ai pas de jugement à porter sur le fonctionnement de la justice, mais enfin franchement, en tant que citoyen, en tant que parent d'élève, oui, ça me choque.
 
Q.- Bien. Dernière question, neuf mois de présidence de N. Sarkozy, êtes-vous déçu ?
 
R.- Déçu ! ?
 
Q.- Parce que j'ai entendu, je ne sais pas, j'ai entendu C. Guéant dire : je suis un peu déçu.
 
R.- Ecoutez ! Moi je n'ai pas entendu ça. Je ne suis pas déçu du tout. Ecoutez ! Il y a huit mois, la situation était totalement bloquée en Europe à cause du "non" français au traité constitutionnel. Et les Français pensaient que leur pays était un pays qui était irréformable. On a débloqué, grâce à l'initiative de N. Sarkozy, la situation en Europe et désormais l'Europe reprend sa marche en avant, la France va prendre la présidence de l'Union européenne en consultant les Français à quatre reprises aux élections présidentielles, deux tours, aux élections législatives, deux tours. On a fait voter une réforme des universités qui leur donne l'autonomie qui était considérée comme impossible. On a organisé la fusion de l'ANPE et de l'Unedic, libéralisé les heures supplémentaires, réformé les régimes spéciaux de retraite que tout le monde pensait impossibles à réformer, obtenu des résultats sur la sécurité et sur le chômage qui sont inégalés. On a le taux de chômage le plus bas historiquement depuis 1982. Et l'insécurité ne cesse de reculer. On a des résultats sur l'immigration, on a engagé des réformes de fond du droit du travail et notamment obtenu un accord des partenaires sociaux sur la modification du contrat de travail. C'est la première fois depuis 1960 que les partenaires sociaux acceptent de négocier sur ce sujet. Franchement, je trouve qu'en huit mois, le bilan est inespéré. Mais simplement, la France est un pays qui a été tellement longtemps immobile, tellement longtemps sûr de son modèle qu'il faudra un petit peu plus de huit mois pour la remettre au niveau des pays les plus performants en Europe.
 
Q.- Ça vous donne envie de continuer à être Premier ministre longtemps ?
 
R.- Ça, ce n'est pas...
 
Q.- Non, mais vous avez une envie ?
 
R.- Ça me donne envie de mettre en oeuvre le programme de N. Sarkozy et ce programme de N. Sarkozy, il faut cinq ans pour le mettre en oeuvre. On n'a jamais dit qu'en huit mois, tout serait fait et que les résultats seraient là.
 
Q.- Avec moins de confusion ?
 
R.- Ecoutez ! On a eu un grand débat avec le président de la République sur la réforme des institutions. Moi-même, j'étais plutôt favorable, vous le savez, je crois que je l'avais dit sur votre antenne, à un régime plus présidentiel. Finalement, on a décidé de ne pas changer les équilibres de la Vème République et de rester sur un régime avec un président de la République et un Premier ministre responsable devant le Parlement. Et donc il faudra tenir compte de ce choix dans les semaines, dans les mois qui viennent.
 
Q.- F. Fillon était notre invité ce matin sur BFM TV et sur RMC. Merci.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 février 2008